Centenaire
de l’arrivée des migrants polonais dans le Bassin minier
Exposition
octobre 2019
Les
écoles polonaises
L’immigration
polonaise
Le
conflit de 14-18 laisse la France exsangue de ses travailleurs, elle doit
trouver de la main d’œuvre et, de fait, elle signe avec la Pologne restaurée
une convention fixant le cadre d’une émigration d’ouvriers polonais de
Westphalie-Rhénanie et de Pologne. Le gouvernement polonais laisse les pleins
pouvoirs aux autorités françaises quant à la gestion de ses ressortissants sur
le sol français. Malheureusement, la convention omet d’aborder le problème de
l’instruction des enfants d’immigrés polonais.
Cet oubli ouvrira une longue
période d’incertitude et de tractations infructueuses tendant vers
l’organisation de cours de polonais dans les écoles primaires françaises,
notamment dans les cités minières où ces immigrés étaient regroupés. La demande de
diverses associations à caractère patriotique et religieux proches de l’église
polonaise fut dès lors forte. L’intervention des prêtres et des autorités
consulaires se fit plus pressante, si bien que les Compagnies minières privées
recrutèrent des instituteurs parmi les rares intellectuels présents en France
entre 1922 et 1923, en faisant venir aussi de nouveaux de Pologne… sans l’aval
des académies, évidemment.
Ce n’est que le 17 avril
1924 qu’un accord fut trouvé entre la Délégation polonaise et la Direction des
groupements des Compagnies Minières française, en ces termes : « Nous nous déclarons donc prêts à
inviter, de la manière la plus pressante, les employeurs, ressortissants à nos
groupements, à inaugurer et à poursuivre la réalisation du programme visant,
dans le cadre et dans les délais variables selon les professions, les régions
et les moyens, à l’institution de l’enseignement ci-après défini :
-
Soit, en ce qui concerne les écoles publiques, en supportant les frais de
l’enseignement complémentaire qui pourrait être institué, de la langue, de
l’histoire et de la géographie polonaise.
-
Soit, lorsque l’effectif des enfants polonais le justifiera, c’est-à-dire plus
généralement dans la grande industrie et, en particulier, à plus brève échéance
, dans l’industrie houillère, à raison de l’importance de la densité de ses
effectifs polonais en ouvrant au fur et à mesure des besoins des écoles
privées, où sera assuré, sous la surveillance des autorités académiques
françaises, et dans le cadre du programme scolaire normal, le même enseignement
complété, s’il y a lieu, pour les jeunes enfants qui n’auraient pas encore les
notions suffisantes de la langue française, par l’enseignement d’autres
matières en polonais.
Les
candidats destinés à assurer la part polonaise de l’enseignement ci-dessus
prévu seront présentés par l’Administration polonaise (Ministre de
l’Instruction publique et des Cultes) à l’agrément d’une Commission privée
d’examen qui recommandera aux employeurs pour engagement les candidats reconnus
par elle, pourvus des aptitudes pédagogiques nécessaires. »
L’ambassade de Paris crée
immédiatement un service chargé de veiller sur cet enseignement (Naczelny
Instruktorat Szkolny). Trois circulaires vinrent compléter l’accord, celle du
21 décembre 1925, celle du 13 décembre 1927 et celle de mars 1929. C’est ce
cadre ainsi défini qui fut adopté dans le Bassin minier de Montceau avec la
création des Ecoles Spéciales de la Mine dites « écoles polonaises ». La Compagnie s’engagea à ouvrir des cours
de polonais en recrutant des institutrices et instituteurs (monitrices ou
moniteurs) à partir d’une liste proposée par les autorités consulaires
polonaises. Ces derniers devaient percevoir une rémunération égale à celle de
leurs collègues français sur la base de 15 heures par semaine et être logés.
En 1930, les statistiques
nationales sont les suivantes : l’enseignement de la langue, de l’histoire
et de la géographie polonaise en France étaient assuré par 138 instituteurs, 77
moniteurs et 40 responsables de garderies. Ils encadraient 23 000 enfants
polonais dans 250 classes auxquelles on peut ajouter 116 cours du jeudi assurés
par des instructeurs bénévoles, le plus souvent associatifs. Au 1er
avril 1939, l’académie de Lyon (dont nous dépendions alors) compte 42 cours de
polonais répartis dans les villes de Roche-la-Molère, Blanzy,
Montceau-les-Mines, Le Creusot, Montchanin, Saint-Eloy-les-Mines, Beaulieu,
Firminy, Saint-Vallier-les Gautherets.
L’organisation
de l’enseignement polonais
Les enseignants polonais,
outre les heures d’enseignement officielles, prenaient en charge les
adolescents et l’action sociale en organisant des activités sportives et
culturelles en tant que responsable, conseiller ou instructeur. Ils étaient
sous la triple tutelle de l’Inspecteur d’académie, de l’Inspecteur primaire et
du Directeur de l’école, ce qui ne les dispensait pas de rendre compte de leur
enseignement, des programmes et des résultats obtenus, aux inspecteurs polonais
délégués par les consulats. Les différentes autorités coopéraient et
favorisaient l’action de ces instituteurs afin qu’ils exercent leurs fonctions
dans les meilleures conditions.
Chaque enfant polonais d’âge
scolaire (6 ans) pouvait bénéficier d’un enseignement français-polonais à
mi-temps dans les écoles « spéciales » mais en moyenne les cours de
polonais étaient de 3 à 6 heures par semaine dans les écoles publiques. Ces
cours étaient dispensés selon trois niveaux :
-
Premier degré : correspondant au cours
préparatoire.
-
Deuxième degré : correspondant au cours
élémentaire.
-
Troisième degré : correspondant au cours
moyen.
Cependant, certaines
associations patriotiques polonaises ouvrirent des cours de polonais en
« omettant » de les signaler à l’académie alors que les trois
circulaires suscitées en fixaient
l’obligation. Devant cette situation anarchique, le Ministère de l’Education
Nationale fit un rappel à la loi dans les Instructions du 12 juillet 1939, édictant
des conditions drastiques d’ouverture des cours de langues vivantes et d’emploi
de moniteurs étrangers dans les écoles publiques et privées : « Des cours de langues étrangères peuvent
être créés auprès des écoles primaires publiques, par décision ministérielle,
après avis du Préfet et de l’Inspecteur d’académie du département. L’enseignement
de ces langues est confié à des moniteurs étrangers, en dehors des heures de
classe. Il ne peut porter que sur la grammaire, l’histoire et la géographie de
la nation à laquelle appartiennent les moniteurs, à l’exclusion de toute autre
matière (..) Les moniteurs doivent exercer leur fonction avec tact. Ils sont
placés sous l’autorité du Directeur de l’école et soumis à son contrôle
effectif. Dans les écoles primaires privées, des moniteurs étrangers peuvent
être autorisés à donner un enseignement auquel il ne peut être consacré que la
moitié de l’emploi du temps. Les moniteurs ainsi agréés sont soumis à
l’inspection des autorités scolaires dans les conditions prévues à l’article 9
de la loi du 30 octobre 1886. »
La
situation à partir de 1939
L’année 39 vit l’engagement
de nombreux instituteurs polonais dans l’armée polonaise qui se reconstituait
en France sous les ordres du Général Wladyslaw Sikorski, ce qui perturba les
cours. Les années 40 se déroulèrent presque normalement mais sous la
surveillance des autorités d’occupation et de la gestapo. A la sortie de la
Seconde Guerre mondiale, le gouvernement polonais en exil à Londres avec
l’accord de la France, reprit les inspectorats auprès des consulats afin de
redonner des postes aux instituteurs qui regagnaient leur foyer. Les
statistiques de l’Association Indépendante des Enseignants Polonais (Niezalezny
Zwiatek Nauczycielstwa Polskiego) en la personne de son président M. Kukuryka,
en janvier 1945, font état du nombre des enseignants polonais en France qui était
de 287 et monta, à la suite des retours, à 350 personnes pour 32 000
enfants polonais en juin 1945.
Peu après la guerre, la France
reconnut officiellement le gouvernement communiste de Varsovie et tous les Inspecteurs
auprès des consulats et l’Inspecteur général auprès de l’Ambassade de Paris
démissionnèrent. Que faire alors des instituteurs polonais présents sur le sol
français ? Apprenant la démission
des Inspecteurs, le Zwiazek Nauczycielski (union des instituteurs polonais en
France, association à caractère syndical), auquel tous les instituteurs
appartenaient, décide de prendre contact avec les nouveaux fonctionnaires du
gouvernement de Varsovie qui fixent de nouvelles règles : les instituteurs
devront alors faire un choix, soit travailler avec un gouvernement dont ils
n’épousent pas l’idéologie, soit chercher un nouvel emploi.
Cet état de fait créa à
nouveau une situation confuse sur laquelle les autorités françaises fermèrent
les yeux. A la rentrée scolaire 1945-1946, trois catégories d’enseignants
polonais coexistaient :
- - Les instituteurs d’avant-guerre qui avaient
accepté de se soumettre au gouvernement de Varsovie.
- - Les personnels bénévoles des cours du jeudi,
des écoles maternelles et des garderies qui percevaient toutefois une petite
rémunération sur les fonds des associations polonaises catholiques locales
Polskie Zjednoczenie Katolickie (l’Union des Catholiques Polonais).
- - Les personnes recrutées par le Centralny
Zwiazek Polakow we Francji (Union Centrale des Polonais en France) financé par
le gouvernement provisoire de Londres.
Le grand bouleversement vint
de la nationalisation des compagnies minières et de leurs écoles privées en
1945. Si les cours de polonais étaient maintenus, ils auraient désormais lieu
en dehors des cours normaux de l’emploi du temps, c’est-à-dire le jeudi ou le
soir après les classes.
La
situation des enseignants polonais après 1947
Le gouvernement de Varsovie
créa rapidement des Conseils Nationaux (Rady Narodowe) qui devaient donner un
avis déterminant sur les enseignants désirant conserver leur poste. Ces
derniers étaient invités à remplir des fiches détaillées de renseignements leur
demandant notamment leur appartenance politique. La grande majorité des
enseignants d’avant-guerre étant hostiles au régime communiste, la nouvelle
situation créa un profond malaise : certains démissionnèrent, beaucoup acceptèrent
les nouvelles conditions à contre cœur. Le premier accord culturel entre la France
et la République Populaire de Pologne (Polska Rzeczpospolita Ludowa) parut au Journal Officiel du 31 juillet
1947. Dans son article 7, il confiait l’enseignement du polonais en France à
une Commission Mixte, 300 enseignants furent ainsi recrutés, issus des anciens
instituteurs qualifiés et des nouveaux recrutés. La situation dans l’académie de
Lyon est détaillée dans un rapport de l’Annuaire de l’Immigration Polonaise en France
(Rocznik Wychodzstwa Polskiego we Francji), Paris 1948 :
- - Effectif des enfants suivant les cours de
polonais : 33 en garderies, 1846 dans les écoles, 104 dans les cours du
jeudi, 593 dans les cours pour adultes.
- - Effectif des enseignants polonais : 1 en
garderie, 47 en écoles primaires.
A cette époque, le
gouvernement polonais de Londres s’opposait toujours farouchement à ce qu’il
qualifiait d’ « action d’endoctrinement du gouvernement polonais de
Varsovie » et disposait de l’appui incontestable de l’Association Centrale
des Polonais en France (Centralny Zwiazek Polakow we Francji) et de l’Union des
catholiques Polonais (Polskie Zjednoczenie Katolickie) qui regroupaient la
majorité des associations polonaises de France. En 1948, l’Association Centrale
gérait, sans être reconnue par les autorités françaises, 17 écoles maternelles,
9 centres d’enseignement du polonais et 70 cours du jeudi, tandis que l’Union
des catholiques s’occupait de 11 cours du jeudi, de 7 garderies et maternelles
et de 15 enseignement pour adultes.
Cette querelle idéologique
ne fut pas du goût des autorités françaises qui décidèrent d’une « épuration ».
En décembre 1949, 83 personnes dont 18 instituteurs et 5 inspecteurs furent
expulsés et le droit d’enseigner fut retiré à de nombreux membres du corps enseignant
consulaire. Elles mirent fin aux activités des organisations polonaises pro-communistes
mais aussi à celles de l’Union des Enseignants Polonais en France. Dans le même
temps, le gouvernement de Varsovie fit le reproche à certains instituteurs d’avant-guerre
de manquer de loyauté et ordonnèrent leur rapatriement en Pologne. Presque tous
refusèrent l’ordre et furent révoqués mais certains furent malgré tout
maintenus en poste par le Ministre de l’Education Nationale en tant que
moniteurs polonais (décret du 4 octobre 1950). 42 moniteurs furent ainsi nommés
pour l’année scolaire 1950-1951, en 1955, ils étaient 65, nombre cependant insuffisant pour combler le départ des
instituteurs révoqués.
L’amorce du déclin
L’enseignement du polonais
ne fut bientôt dispensé que le soir après l’école ou le jeudi, ce qui demandait
un effort et une motivation supplémentaires à des enfants qui se demandaient
bien pourquoi apprendre la langue de leurs parents alors qu’ils ne
retourneraient jamais en Pologne, bons petits français qu’ils étaient devenus.
Les conditions de travail des moniteurs aussi se durcirent du fait de la perte
du soutien des autorités polonaises. A partir de 1950 ne subsistaient donc que
deux catégories d’enseignants polonais :
- - Les moniteurs polonais, instituteurs
indépendants employés par le gouvernement français.
- - Les instituteurs consulaires (Nauczyciel
konsularni) payés par la Pologne, travaillant dans certaines écoles ou locaux
privés.
En 1962, la république
Populaire de Pologne mit fin à son enseignement du polonais et ferma son lycée
polonais de Paris, proposant à ses instituteurs consulaires un retour au pays.
Devant un refus massif, le gouvernement français accepta à nouveau de les prendre
à son service, tant et si bien qu’en 1962, il rétribuait 92 moniteurs sur le
budget de l’Education Nationale. En 1968, les enfants volontaires des écoles
primaires et des collèges pouvaient bénéficier de 1 à 6 heures d’enseignement
du polonais dispensé le soir ou le jeudi par une centaine de moniteurs.
Conclusion
Avant la Seconde Guerre
mondiale, l’enseignement du polonais en France visait principalement à élever
les jeunes enfants dans l’esprit patriotique polonais, les former à la culture
nationale car ils retourneraient bientôt dans leur patrie d’origine. Les
événements en décidèrent autrement, la grande majorité des polonais issus de l’immigration
restèrent définitivement en France et demandèrent la nationalité française que
leurs enfants avait acquise à leur naissance.
A la rentrée 1978-1979, plus
que 900 enfants suivaient les cours de polonais, encadrés par 33 moniteurs. Quant
au Bassin minier de Montceau, l’enseignement du polonais s’est éteint au début
des années 2000, faute de volontaires… Laissons le mot de la fin à Edmond
Gogolewski dont les travaux ont largement inspiré cet article ainsi que l’exposition
du Centenaire de l’arrivée des premiers migrants polonais à Montceau. Mais ce
qu’il écrivait en 1981 n’était-il pas déjà qu’un vœu pieux ?
« Il n’est pas rare de
nos jours de rencontrer des jeunes gens avec des noms en –ski ou en –ak, pour
ne parler que de ceux-là, qui ne connaissent plus la langue de leurs aïeux. Les
enfants issus de mariages mixtes ne continuent à cultiver un tant soit peu la
langue polonaise que si la mère est d’origine polonaise.
Il n’en reste pas moins que
la langue et les traditions polonaises continuent à être cultivées pieusement par
les familles et les associations polonaises regroupées autour des prêtres des
paroisses polonaises (Scouts, K.S.M.P, Sokols…). En s’intégrant à la vie
française, l’enfant d’origine polonaise échappe de plus en plus à l’influence
conservatrice de ses parents, mais il garde toutefois au fond de lui-même le
sentiment profond de son appartenance ethnique. »
Les documents présentés dans l’article seront visibles à l’exposition,
au musée, avec beaucoup d’autres :
Inauguration le vendredi 25 octobre 2019 à 18 heures.
Rappel :
Articles déjà parus sur le sujet :
Grand remerciement à l'initiateur de ce site. Je suis un descendant de ces émigrants polonais. Mes grands parents maternels sont arrivés en France en 1924, avec 5 enfants en bas âge, de Westphalie en Allemagne.
RépondreSupprimerJe ne les remercierai jamais assez ainsi que mes parents de nous avoir inscrit au cours polonais,ce qui me permets maintenant de parler, écrire et lire couramment plusieurs langues
En retournant en Pologne, j'ai pu connaître le reste de la famille (cousins, oncles et tantes..etc),sans être dépaysé.
un montcellien d'origine polonaise