lundi 21 septembre 2020

Des cantines scolaires aux restaurants d'enfants

 

« Je préfère manger à la cantine »



« Je préfère manger à la cantine 
Avec les copains et les copines » Carlos, 1972

A l’instar du chanteur, 1 enfant sur 2 mange à la cantine chaque midi mais est-ce bien volontaire ? Entre ceux qui ne peuvent rentrer chez eux en raison du travail parental, ceux qu’une trop grande distance sépare de la maison ou encore ceux qui trouvent ici le seul repas chaud de la journée, la motivation diffère quelque peu. Il reste que la cantine constitue pour les élèves, un lieu et un temps d’échange, de sociabilité et de socialisation. 



Musée de Châtelus


Jusque dans les années 1850, ce n’est que dans les écoles rurales isolées que la nécessité de prendre son repas à l’école se fait sentir du fait de la distance souvent importante du trajet maison-école. Si le repas est alors collectif, chacun se débrouille pour apporter pain, soupe, morceau de lard et fruit dans un panier ou une musette, le tout souvent accompagné d’une boisson régionale : un peu de vin, de cidre ou de bière, considérés alors comme des « boissons naturelles ». Ces repas frugaux sont pris, selon la saison, sous le préau ou dans la classe, repas froids ou réchauffés sur le poêle.




Dans les villes et les communes plus importantes, on voit apparaître dès 1850, des aides alimentaires aux enfants de familles indigentes et des repas sont organisés dans les premières cantines. Après 1880, les lois Ferry rendent l’école obligatoire et gratuite sans toutefois soulever le problème du repas de midi pour les enfants. L’existence de cantines dépendra encore quelques temps d’initiatives individuelles qui, même si elles ont le mérite d’exister, n’en sont pas moins de piètre qualité : locaux souvent insalubres et manquant d’hygiène, repas mal équilibrés. Malgré les campagnes antialcooliques  menées par les instituteurs, les enfants apportent toujours leur boisson, généralement alcoolisée. Malgré tout, ces cantines de fortune vont continuer à se développer et conserveront longtemps leur caractère social d’œuvre de charité en direction des enfants carencés.


Une cantine scolaire vers 1900 (AD-93)


Cantine scolaire de la Madeleine, 1904 : « Le repas consiste en une soupe, servie sur de grandes tables dans un coin de la cour. Chacun a sorti de son panier ou de sa musette un complément de son cru : quignon de pain, flacon de cidre ou de vin rouge. » (collection-JFM)



Le début du 20ème siècle est marqué par la malnutrition des enfants et leur exposition à la tuberculose (voir l’article : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2017/03/la-lutte-contre-la-tuberculose.html#more ). Ce constat va croissant dès la fin de la Grande Guerre et le professeur Calmette, fondateur en 1904 de la Ligue du nord contre la tuberculose, lance un appel : « les cantines scolaires doivent être développées, multipliées, rendues obligatoires dans toutes les écoles parce qu’il est tout à fait indispensable d’assurer aux enfants du peuple une nourriture saine et suffisante pour leur développement physique ; c’est un devoir national ». Une prise de conscience s’opérera alors à partir des années 20 concernant l’hygiène des enfants. La médecine scolaire prendra une place importante dans la protection de la santé des plus jeunes.





La nomination de Cécile Brunschvicg, féministe et femme politique, au poste de sous-secrétaire d’Etat à l’Education nationale dans le gouvernement de Léon Blum (1936), sera décisive. Elle publie un rapport en 1937 : La question de l’alimentation au ministère de l’Education nationale : les cantines scolaires. Elle préconise l’obligation de construire un réfectoire dans toutes les nouvelles écoles mais aussi d’en aménager un dans les établissements existants. Dès lors, le nombre des cantines scolaires augmentera sensiblement. Malheureusement, la Seconde Guerre mondiale viendra contrecarrer les efforts engagés malgré l’attribution de quotas de rationnement supplémentaires aux cantines.



Le restaurant d’enfants de Montgeron après-guerre (restauration-collective.com)

Après le conflit, en 1947, le premier « restaurant d’enfants pilote » sera créé à Montgeron dans l’Essonne (91) : le grand réfectoire bruyant est remplacé par de petits espaces au mobilier adapté à la taille des enfants. On assiste alors à une évolution considérable de la restauration scolaire, impulsée par Raymond Paumier (1), instituteur, nutritionniste, maire de la dite Montgeron depuis 1945. Fort de ses talents d’organisateur dans le mouvement de la Résistance Nord, il deviendra conseiller de Pierre Mendès France sous la Quatrième République et imposera la nécessité d’une formation diététique dans les cantines, d’une normalisation des locaux, de la formation du personnel et de la mise en place d’une alimentation rationnelle avec des repas équilibrés et variés. Le modèle Paumier sera repris dans le monde entier. C’est une révolution dans ces années 50 où la restauration scolaire reste rudimentaire, notamment dans les campagnes. Raymond Paumier sera aussi à l’origine de l’interdiction de l’alcool pour les enfants en âge scolaire en 1956 (2).



Le restaurant d’enfants de Montgeron après-guerre (ville de Montgeron)


Les instructions du 30 août 1949 fixent les nature, quantité et valeur nutritive des aliments pour chaque jour de la semaine. D’autres textes suivront pour encadrer l’alimentation à l’école dont celui du 9 juin 1971 sur la restauration scolaire et la dénutrition. Malgré tout, les cantines demeurent un service public facultatif qui n’est pas de la compétence des communes bien que dans les années 80 beaucoup de municipalités prennent le relais des associations en équipant les cuisines, locales dans les villages et les quartiers ou centrales dans les grandes villes, fournissant par ailleurs le personnel.


Cantine en 1970, école de Seigy (41)


Durant les années 90, la restauration scolaire devient vite un enjeu économique dès lors que les collectivités font appel à des prestataires extérieurs par « délégation de service public ». Depuis 2000, elle participe parallèlement au Programme National Nutrition Santé (PNNS) dont le but est de lutter contre l’obésité et d’éduquer au goût et à une bonne alimentation. Mais voilà que la polémique s’installe à l’heure où l’on tend à favoriser les produits locaux et l’agriculture biologique : l’externalisation n’entre-t-elle pas en contradiction avec cette démarche et correspond-elle vraiment aux besoins nutritionnels préconisés et aux attentes gustatives des élèves ? La pression environnementale et sociale tranchera…



Restaurant d’enfants, Montchanin (71) 


(1) :




(2) : Le « Verre de lait » est instauré par le Président du Conseil Pierre Mendès-France en 1954. Cette mesure est censée lutter contre la dénutrition en ces années d’après-guerre mais aussi et toujours contre l’alcoolisme qui tue encore plus de 17 000 personnes chaque année. Les mentalités n’ont en effet guère évolué depuis le début du siècle, surtout dans les campagnes où il est courant, à l’époque, de donner des boissons naturelles aux enfants : bière ou vin notamment.



L’idée n’est pas nouvelle. La première décennie du 20ème siècle ayant subi la tuberculose comme première cause de mortalité des moins de trente ans en Europe, il fallut combattre ce fléau par une politique de prévention efficace. C’est alors que médecins hygiénistes et pédagogues novateurs conçurent des centres offrant aux enfants pré-tuberculeux, affaiblis par les privations de la Grande Guerre, déficients physiques, souvent issus de quartiers défavorisés, des soins adaptés, des repas équilibrés, des exercices respiratoires et le « verre de lait » du matin qui faisait partie de la thérapie. Cette dernière pratique déborde alors sur les écoles et les premières colonies de vacances.




Durant l’hiver 1937-1938, Pierre Mendès-France, alors député de l’Eure, fait distribuer un tiers de litre de lait par jour aux enfants d’Evreux. Il décide de reprendre cette mesure en 1954 et s’en explique dans un discours à Annecy : « A partir du 1er janvier prochain, entrera en application un plan de distribution de lait sucré dans les écoles privées et publiques. Ces distributions seront salutaires pour la santé de nos enfants. Elles aideront à écouler une partie de notre production laitière et sucrière. Des aliments riches et énergétiques comme le lait et le sucre ne sont pas consommés autant que le voudraient la santé et la vigueur de la race. Le progrès social est là aussi ». D’une pierre deux coups en somme, donner du calcium aux enfants et lutter contre l’alcoolisme mais aussi aider l’agriculture nationale.

La mesure sera reprise à nouveau en 1976 par l’Union européenne qui subventionnera la distribution de lait dans les écoles avec les mêmes objectifs : encourager la consommation des produits laitiers par les jeunes pour leur santé et écouler le stock de lait disponible en raison des subventions sans limites de production. De nos jours, le « verre de lait » n’est plus programmé mais plusieurs académies préconisent la distribution de petits déjeuners dans les écoles des zones d’éducation prioritaire et rurales, expérience lancée par le ministère de la santé en 2019. Aucune généralisation du système n’est cependant prévue.




En ce qui concerne la consommation d’alcool dans les établissements scolaires, il fallut attendre 1956 et l’intervention de Pierre Mendès-France, conseillé par Raymond Pommier, pour voir son interdiction  dans les écoles et sa limitation aux élèves de plus de 14 ans, avec l’accord de leurs parents et ne dépassant pas 3° d’alcool par litre. Enfin, une circulaire de 1981 mettra fin définitivement à la consommation d’alcool dans tous les établissements scolaires : « l’eau est la seule boisson hygiénique recommandable à table (..) Dans les cantines et les restaurants scolaires, il n’est servi aucune boisson alcoolisée, même coupée d’eau ». Il faut dire que jusqu’en 1974, une cantine du Bassin minier servait encore du « vin avec de l’eau »…  



Sources et bibliographie :

-       BNF-Site Gallica : A. Moll-Weiss,  La cantine, publié dans la revue “ L' école nouvelle ” du 16 juin 1906 : www.gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k68381565/f13.image 

-       La Gazette.fr - Dossier - Cantines scolaires : une question de (bon) gout, 2018 : www.lagazettedescommunes.com/584766/restauration-scolaire-les-jours-du-plastique-sont-comptes/ 

-       Les Observateurs.fr - Paris : des parents dénoncent les cantines scolaires peu ragoûtantes du 18e arrondissement, 2018 :  www.observers.france24.com/fr/20180206-paris-parents-denoncent-cantines-scolaires-peu-ragoutantes-18e-arrondissement 

-       Archive Réseau CANOPE - Restaurant d’enfants :  archivesaudiovisuelles.reseau-canope.fr/app/photopro.sk/canope/detail

-       Archive INA – Interdiction de l’alcool dans les cantines scolaires, 1956 : www.youtube.com/watch 

-       Archive INA – Le petit déjeuner à l'école, déjà servi et resservi https://www.youtube.com/watch?v=tXXbj2CHMzI

 

P.P


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