« Je préfère manger à
la cantine »
Musée de Châtelus
Jusque
dans les années 1850, ce n’est que dans les écoles rurales isolées que la
nécessité de prendre son repas à l’école se fait sentir du fait de la distance
souvent importante du trajet maison-école. Si le repas est alors collectif,
chacun se débrouille pour apporter pain, soupe, morceau de lard et fruit dans
un panier ou une musette, le tout souvent accompagné d’une boisson
régionale : un peu de vin, de cidre ou de bière, considérés alors comme
des « boissons naturelles ». Ces repas frugaux sont pris, selon la
saison, sous le préau ou dans la classe, repas froids ou réchauffés sur le
poêle.
Dans
les villes et les communes plus importantes, on voit apparaître dès 1850, des
aides alimentaires aux enfants de familles indigentes et des repas sont
organisés dans les premières cantines. Après 1880, les lois Ferry rendent
l’école obligatoire et gratuite sans toutefois soulever le problème du repas de
midi pour les enfants. L’existence de cantines dépendra encore quelques temps
d’initiatives individuelles qui, même si elles ont le mérite d’exister, n’en
sont pas moins de piètre qualité : locaux souvent insalubres et manquant
d’hygiène, repas mal équilibrés. Malgré les campagnes antialcooliques menées par les instituteurs, les enfants
apportent toujours leur boisson, généralement alcoolisée. Malgré tout, ces
cantines de fortune vont continuer à se développer et conserveront longtemps
leur caractère social d’œuvre de charité en direction des enfants carencés.
Une
cantine scolaire vers 1900 (AD-93)
Cantine
scolaire de la Madeleine, 1904 : « Le repas consiste en une soupe,
servie sur de grandes tables dans un coin de la cour. Chacun a sorti de son
panier ou de sa musette un complément de son cru : quignon de pain, flacon
de cidre ou de vin rouge. » (collection-JFM)
Le
début du 20ème siècle est marqué par la malnutrition des enfants et
leur exposition à la tuberculose (voir l’article : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2017/03/la-lutte-contre-la-tuberculose.html#more ). Ce constat va croissant dès la fin de la Grande
Guerre et le professeur Calmette, fondateur en 1904 de la Ligue du nord contre
la tuberculose, lance un appel : « les
cantines scolaires doivent être développées, multipliées, rendues obligatoires
dans toutes les écoles parce qu’il est tout à fait indispensable d’assurer aux
enfants du peuple une nourriture saine et suffisante pour leur développement
physique ; c’est un devoir national ». Une prise de conscience
s’opérera alors à partir des années 20 concernant l’hygiène des enfants. La
médecine scolaire prendra une place importante dans la protection de la santé
des plus jeunes.
La
nomination de Cécile Brunschvicg, féministe et femme politique, au poste de
sous-secrétaire d’Etat à l’Education nationale dans le gouvernement de Léon
Blum (1936), sera décisive. Elle publie un rapport en 1937 : La question de l’alimentation au ministère
de l’Education nationale : les cantines scolaires. Elle préconise
l’obligation de construire un réfectoire dans toutes les nouvelles écoles mais
aussi d’en aménager un dans les établissements existants. Dès lors, le nombre
des cantines scolaires augmentera sensiblement. Malheureusement, la Seconde
Guerre mondiale viendra contrecarrer les efforts engagés malgré l’attribution
de quotas de rationnement supplémentaires aux cantines.
Le
restaurant d’enfants de Montgeron après-guerre (restauration-collective.com)
Après
le conflit, en 1947, le premier « restaurant d’enfants pilote » sera
créé à Montgeron dans l’Essonne (91) : le grand réfectoire bruyant est
remplacé par de petits espaces au mobilier adapté à la taille des enfants. On
assiste alors à une évolution considérable de la restauration scolaire,
impulsée par Raymond Paumier (1), instituteur, nutritionniste, maire
de la dite Montgeron depuis 1945. Fort de ses talents d’organisateur dans le
mouvement de la Résistance Nord, il deviendra conseiller de Pierre Mendès
France sous la Quatrième République et imposera la nécessité d’une formation
diététique dans les cantines, d’une normalisation des locaux, de la formation
du personnel et de la mise en place d’une alimentation rationnelle avec des
repas équilibrés et variés. Le modèle Paumier sera repris dans le monde entier.
C’est une révolution dans ces années 50 où la restauration scolaire reste
rudimentaire, notamment dans les campagnes. Raymond Paumier sera aussi à
l’origine de l’interdiction de l’alcool pour les enfants en âge scolaire en
1956 (2).
Le
restaurant d’enfants de Montgeron après-guerre (ville de Montgeron)
Les
instructions du 30 août 1949 fixent les nature, quantité et valeur nutritive
des aliments pour chaque jour de la semaine. D’autres textes suivront pour
encadrer l’alimentation à l’école dont celui du 9 juin 1971 sur la restauration
scolaire et la dénutrition. Malgré tout, les cantines demeurent un service
public facultatif qui n’est pas de la compétence des communes bien que dans les
années 80 beaucoup de municipalités prennent le relais des associations en
équipant les cuisines, locales dans les villages et les quartiers ou centrales
dans les grandes villes, fournissant par ailleurs le personnel.
Cantine
en 1970, école de Seigy (41)
Durant
les années 90, la restauration scolaire devient vite un enjeu économique dès
lors que les collectivités font appel à des prestataires extérieurs par « délégation de service public ». Depuis 2000, elle participe
parallèlement au Programme National Nutrition Santé (PNNS) dont le but est de
lutter contre l’obésité et d’éduquer au goût et à une bonne alimentation. Mais
voilà que la polémique s’installe à l’heure où l’on tend à favoriser les
produits locaux et l’agriculture biologique : l’externalisation
n’entre-t-elle pas en contradiction avec cette démarche et correspond-elle
vraiment aux besoins nutritionnels préconisés et aux attentes gustatives des
élèves ? La pression environnementale et sociale tranchera…
(1) :
(2) : Le « Verre de lait » est instauré par le
Président du Conseil Pierre Mendès-France en 1954. Cette mesure est censée
lutter contre la dénutrition en ces années d’après-guerre mais aussi et
toujours contre l’alcoolisme qui tue encore plus de 17 000 personnes
chaque année. Les mentalités n’ont en effet guère évolué depuis le début du
siècle, surtout dans les campagnes où il est courant, à l’époque, de donner des
boissons naturelles aux enfants : bière ou vin notamment.
L’idée
n’est pas nouvelle. La première décennie du 20ème siècle ayant subi
la tuberculose comme première cause de mortalité des moins de trente ans en
Europe, il fallut combattre ce fléau par une politique de prévention efficace.
C’est alors que médecins hygiénistes et pédagogues novateurs conçurent des
centres offrant aux enfants pré-tuberculeux, affaiblis par les privations de la
Grande Guerre, déficients physiques, souvent issus de quartiers défavorisés,
des soins adaptés, des repas équilibrés, des exercices respiratoires et le
« verre de lait » du matin qui faisait partie de la thérapie.
Cette dernière pratique déborde alors sur les écoles et les premières colonies
de vacances.
Durant
l’hiver 1937-1938, Pierre Mendès-France, alors député de l’Eure, fait
distribuer un tiers de litre de lait par jour aux enfants d’Evreux. Il décide
de reprendre cette mesure en 1954 et s’en explique dans un discours à
Annecy : « A partir du 1er janvier prochain,
entrera en application un plan de distribution de lait sucré dans les écoles
privées et publiques. Ces distributions seront salutaires pour la santé de nos
enfants. Elles aideront à écouler une partie de notre production laitière et
sucrière. Des aliments riches et énergétiques comme le lait et le sucre ne sont
pas consommés autant que le voudraient la santé et la vigueur de la race. Le
progrès social est là aussi ».
D’une pierre deux coups en somme, donner du calcium aux enfants et lutter contre
l’alcoolisme mais aussi aider l’agriculture nationale.
La
mesure sera reprise à nouveau en 1976 par l’Union européenne qui subventionnera
la distribution de lait dans les écoles avec les mêmes objectifs :
encourager la consommation des produits laitiers par les jeunes pour leur santé
et écouler le stock de lait disponible en raison des subventions sans limites
de production. De nos jours, le « verre de lait » n’est plus
programmé mais plusieurs académies préconisent la distribution de petits
déjeuners dans les écoles des zones d’éducation prioritaire et rurales, expérience
lancée par le ministère de la santé en 2019. Aucune généralisation du système
n’est cependant prévue.
Sources
et bibliographie :
-
BNF-Site
Gallica : A. Moll-Weiss, La cantine, publié dans la revue “ L'
école nouvelle ” du 16 juin 1906 : www.gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k68381565/f13.image
-
La
Gazette.fr - Dossier - Cantines scolaires : une question de
(bon) gout, 2018 : www.lagazettedescommunes.com/584766/restauration-scolaire-les-jours-du-plastique-sont-comptes/
-
Les Observateurs.fr -
Paris : des parents dénoncent les cantines scolaires peu ragoûtantes du 18e
arrondissement, 2018 : www.observers.france24.com/fr/20180206-paris-parents-denoncent-cantines-scolaires-peu-ragoutantes-18e-arrondissement
-
Archive Réseau CANOPE
- Restaurant d’enfants : archivesaudiovisuelles.reseau-canope.fr/app/photopro.sk/canope/detail
-
Archive INA –
Interdiction de l’alcool dans les cantines scolaires, 1956 : www.youtube.com/watch
-
Archive INA – Le
petit déjeuner à l'école, déjà servi
et resservi https://www.youtube.com/watch?v=tXXbj2CHMzI
P.P
Hommage à Pierre Mendès-France et à Raymond Pommier.
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