Protège-cahier de Georges Dascher de la série « la prévoyance et la mutualité », 1895. Recto divisé en deux vignettes (gravures de Dascher avec un court texte de légende d'Er. Richa). |
La naissance des Sociétés de secours mutuels scolaires
L’année
1881 marque la mise en place de l’enseignement primaire gratuit, laïque et
obligatoire par Jules Ferry, Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts.
C’est alors que l’idée de Jean-Cyrille Cavé de fonder une mutualité scolaire
devient possible grâce au réseau d’instituteurs ainsi développé. Il tente sa
première expérience à Paris avec sa « société » de secours mutuels et
de retraite du XIXème arrondissement. La cotisation hebdomadaire pour les
enfants de trois à treize ans perçue par les instituteurs est de deux sous :
une partie couvrira le risque maladie et l’autre alimentera un livret à capital
réservé, déposé à la Caisse nationale des retraites et de la vieillesse. L’idée
sera reprise et développée par Léon Robelin quelques années plus tard (1).
Les
objectifs fixés par Cavé sont de sensibiliser les jeunes sociétaires aux
valeurs mutualistes et à apprendre ainsi à anticiper les accidents de la vie
sur toute la durée de leur existence. La Société est gérée par une assemblée
générale des pères des enfants (ou des mères si les pères sont absents). Voilà
un objectif éducatif d’éveil à la citoyenneté qui n’est pas sans plaire aux
visées de la toute jeune Troisième République. Immédiatement, les mutualités
scolaires intéressent les autorités qui voient en elles l’écho de cet
enseignement public qui prône l’épargne et le travail. Les maires, les enseignants,
les inspecteurs et les médecins en deviennent rapidement les membres
honoraires. En 1896 est lancée une campagne de conférences et de presse, le
ministère de l’instruction publique prend part au mouvement. C’est ainsi qu’en
1900 et 1901, sept missions furent confiées à des professeurs de l’enseignement
secondaire qui furent chargés de présenter partout en France les mutualités
scolaires.
Protège-cahier
de Georges Dascher de la série « la prévoyance et la mutualité »,
1895. Détail recto divisé en deux vignettes (gravures de Dascher avec un court
texte de légende d'Er. Richa).
Les petites et les grandes Cavé
C’est la
rencontre de Cavé et d’Edouard Petit (inspecteur de l’Instruction primaire), en
1891, à la Ligue de l’Enseignement, qui sera le déclencheur. Ils sont tous deux
convaincus que l’information doit réellement passer par la conviction des
inspecteurs et des instituteurs, vrais prosélytes de la mutualité auprès des
élèves et des familles et ce, dans toutes les couches de la société. Par la
suite, la Charte de la mutualité de 1898 inclut des dispositions avantageuses
pour le développement de la mutualisation des jeunes générations et la
reconnaissance nationale arrive le 28 mai 1899 lors d’une grande fête de la
mutualité scolaire présidée par Charles Dupuy, Président du Conseil, Ministre
de l’Intérieur et en présence de Georges Leygues, Ministre de l’Instruction
Publique. La FNMF (Fédération Nationale de la Mutualité Française) dont Léon
Robelin (déjà cité) deviendra le président plus tard, constituée en 1902, voit
deux vice-présidences confiées à Jean-Cyrille Cavé et Edouard Petit (2).
Protège-cahier
de Georges Dascher de la série « la prévoyance et la mutualité »,
1895. Détail recto divisé en deux vignettes (gravures de Dascher avec un court
texte de légende d'Er. Richa). |
Protège-cahier
de Georges Dascher de la série « la prévoyance et la mutualité »,
1895. Détail recto divisé en deux vignettes (gravures de Dascher avec un court
texte de légende d'Er. Richa). |
Cela étant,
il restait à pallier la faible mutualisation des treize-vingt ans. Certains
mouvements mutualistes tentent d’instaurer un « pont mutualiste »
permettant de dispenser les adolescents issus des mutualités scolaires des
droits d’admission ou encore de créer une mutualité « post-scolaire »
pour assurer la transition entre le monde de l’école et le monde du travail.
Dans les deux cas, les jeunes adhérents sont responsabilisés par une
participation au vote dans les assemblées générales dès seize ans.
Protège-cahier
de Georges Dascher de la série « la prévoyance et la mutualité »,
1895. Détail recto divisé en deux vignettes (gravures de Dascher avec un court
texte de légende d'Er. Richa). |
La Société de secours mutuel scolaire de Blanzy
Registre
des procès-verbaux du Conseil des maîtres de l’école de garçons de Blanzy
(collection musée) |
Si les
procès-verbaux des séances du Conseil des maîtres de l’école de garçons de
Blanzy attestent bien de l’existence d’une mutualité scolaire à Blanzy, ils n’y
font référence qu’à travers les dispositions techniques prises par les
enseignants durant la période d’avril 1911 à juillet 1921.
Registre
des procès-verbaux du Conseil des maîtres de l’école de garçons de Blanzy,
séance du 24 avril 1911 (collection musée) |
Registre
des procès-verbaux du Conseil des maîtres de l’école de garçons de Blanzy, séance
du 7 novembre 1919 (collection musée) |
Registre
des procès-verbaux du Conseil des maîtres de l’école de garçons de Blanzy,
séance du 9 juillet 1920 (collection musée) |
Registre
des procès-verbaux du Conseil des maîtres de l’école de garçons de Blanzy,
séance du 18 juillet 1921 (collection musée) |
Transmettre des valeurs mutualistes
L’objectif d’éducation
à la citoyenneté ne pouvait se satisfaire des seules missions originelles des
Sociétés de secours mutuels scolaires, à savoir : la prise en charge du
risque maladie et la constitution d’une épargne. Il fallait aussi transmettre
aux plus jeunes un sentiment philanthropique, un réflexe de prévoyance
mutualiste. D’autres missions vont bientôt s’ajouter aux sociétés, avec le
soutien de la Ligue de l’enseignement : amicale, patronages, cours du
soir, universités populaires, lectures publiques, organisation de bibliothèques
scolaires, secours en nature aux enfants pauvres des écoles, associations
d’anciens élèves dites « Petites A », en sont des exemples.
Protège-cahier
de Georges Dascher de la série « la prévoyance et la mutualité »,
1895. Détail recto divisé en deux vignettes (gravures de Dascher avec un court
texte de légende d'Er. Richa). |
A l’aube de
la Première Guerre mondiale, on dénombre près de 900 000 jeunes
sociétaires mais le bilan est mitigé au regard des prestations. A la fin de
leur cursus scolaire, de nombreux adhérents cessent de verser sur leur livret malgré
les possibilités offertes par la loi sur les Retraites ouvrières et paysannes
votée en 1910. Les dévaluations d’après guerre feront le reste, laminant ce
mode de retraite par capitalisation.
Protège-cahier
de Georges Dascher de la série « la prévoyance et la mutualité »,
1895. Détail recto divisé en deux vignettes (gravures de Dascher avec un court
texte de légende d'Er. Richa). |
Une
circulaire de 1921 encourage les sociétés scolaires à développer des activités
de prévention en organisant, notamment, des colonies de vacances pour les enfants
de santé précaire ou tuberculeux (voir article : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2017/03/la-lutte-contre-la-tuberculose.html#more). A la fin des années 20, le bilan est contrasté.
Différentes lois promulguées de 1928 à 1930 modifient la prise en charge des
enfants par les mutuelles scolaires. Il en reste malgré tout 355 sur le
territoire, regroupant 208 000 adhérents en 1955 et la première société
créée par Jean-Cyrille Cavé en 1881 ne disparaîtra… qu’en 1968 !
Protège-cahier
de Georges Dascher de la série « la prévoyance et la mutualité »,
1895. Détail recto divisé en deux vignettes (gravures de Dascher avec un court
texte de légende d'Er. Richa). |
Le rôle des Pupilles de l’Enseignement Public (Pep)
Plusieurs
associations des PEP contribuent volontairement à l’extension des sociétés
mutuelles scolaires en y inscrivant d’office tout ou partie des pupilles dont
elles ont la charge, le taux de leur participation à la mutualité étant prélevé
sur les secours distribués : « l’inscription
de nos pupilles à la mutualité scolaire a été une des premières préoccupations
de notre œuvre. Presque toutes nos associations y ont fait, par dizaine de
milliers, affilier les orphelins, prenant à leur charge tout ou partie de la
cotisation ; notre œuvre a ainsi augmenté dans une proportion notable le
nombre des petits mutualistes ». (Bulletin
de la FADPEP, n°1 et 2, février-mai 1920)
Les PEP
renforcent souvent leur affiliation aux mutuelles scolaires en faisant
également entrer leurs pupilles dans les associations amicales des élèves et
anciens élèves de leur école et en payant, ici encore, leur cotisation.
Protège-cahier
de Georges Dascher de la série « la prévoyance et la mutualité »,
1895. Détail recto divisé en deux vignettes (gravures de Dascher avec un court
texte de légende d'Er. Richa). |
Les écoles congréganistes et les mutuelles
Bizarrement,
la question de la laïcité, qui fait rage au début du XXème siècle, ne
transparaît pas dans la gestion des sociétés… bien que des valeurs
républicaines aient présidé à la naissance des mutuelles scolaires. Même la
fondation de l’Union nationale de Cavé et Petit en 1906, n’empêche pas les
élèves des écoles privées de rejoindre la mutualité scolaire.
Du reste,
le rapport Petit cité dans l’annexe 2 ci-dessous, signale « l’immense effort » réalisé en 1900-1901 par les écoles
congréganistes en vue de développer leurs œuvres sociales à travers leurs
adhésions aux mutualités scolaires « [les mutualités scolaires] (..)
placées sous le patronage de la
Société Générale d’éducation et d’enseignement, dotées par elle des imprimés
nécessaires à leur fondation et à leur fonctionnement, ont obtenu en 1900-1901
un rapide succès ». Notons au passage que cette Société Générale
(SGEE) était une association catholique conservatrice qui militait contre la
laïcisation du système éducatif français. Par la suite, les chiffres montreront
que les écoles congréganistes sont résolument entrées dans la voie ouverte par
les écoles laïques. Comment les écoles confessionnelles auraient-elles pu se laisser
distancer dans une œuvre dont la popularité était indéniable et dont leur absence
aurait finalement constitué une cause d’infériorité ?
Protège-cahier
de Georges Dascher de la série « la prévoyance et la mutualité »,
1895. Détail recto divisé en deux vignettes (gravures de Dascher avec un court
texte de légende d'Er. Richa). |
Comme l’écrira Ludovic de Coutenson dans la Revue des Deux Mondes en 1903 : « Il ne nous déplaît pas de voir les
écoles de l’État et les écoles libres rivaliser d’ardeur dans l’œuvre de la
mutualité. Les enfants prendront dans les unes et dans les autres le goût de
l’épargne et de la prévoyance. Souhaitons que, plus tard, ils se retrouvent
tous mêlés ensemble au sein des mutualités professionnelles ». Sur ce
terrain comme sur tant d’autres, on n’échappe donc pas à l’influence des luttes
politiques et religieuses !
Protège-cahier
de Georges Dascher de la série « la prévoyance et la mutualité »,
1895. Détail recto divisé en deux vignettes (gravures de Dascher avec un court
texte de légende d'Er. Richa). |
(1) :
Léon
Robelin |
Maire de Longjumeau de 1896 à 1927, sous les couleurs du
Parti radical, il développe de nombreuses œuvres, dont une société de
secours mutuels. Dans le sillage de Jean-Cyrille Cavé, promoteur de la
Mutualité scolaire, il est secrétaire général de l’Union nationale des
mutualités scolaires, à sa création en 1906, puis jusqu’en 1925 son
vice-président et son président.
En 1919, Léon Robelin devient administrateur de
la Fédération Nationale de la Mutualité Française (FNMF) et bientôt, un de ses
vice-présidents. En 1920, il participe à une Commission constituée par le
ministère du Travail, destinée à élaborer le projet de loi sur
les Assurances sociales. En 1921, suite à la démission forcée
de Léopold Mabilleau, il est élu président de la FNMF. Après cette
crise, il a le mérite de rétablir la sérénité au sein de la Fédération et
contribue à son organisation. La nomination d’un secrétaire
général, Aristide-Victor Thiriet, marque le point de départ d’une
véritable structure administrative fédérale.
Affaibli par la maladie, Léon Robelin doit réduire ses
activités à la veille du XIIIe congrès national de la FNMF (Lyon,
1923). Il préside toutefois la FNMF jusqu’au 18 mai 1925, date à laquelle il
démissionne pour raisons de santé.
Léon Robelin poursuit son activité dans le monde mutualiste,
notamment comme dirigeant de l’Union nationale des présidents de sociétés de
secours mutuels de France et au sein de la Mutualité scolaire. Il reçoit
l’hommage du mouvement mutualiste à sa mort en 1938. » (musée.mutualité.fr)
Protège-cahier
de Georges Dascher de la série « la prévoyance et la mutualité »,
1895. Détail recto divisé en deux vignettes (gravures de Dascher avec un court
texte de légende d'Er. Richa). |
(2) : Dans la
plupart des sociétés, l’enfant verse 10 centimes par semaine : 5 centimes
sont prélevés pour constituer un livret personnel de retraite qui profite des
libéralités de l’Etat ; 5 centimes sont versés à la masse, à un fonds
commun, destiné à donner un secours de 25 à 50 centimes par jour à la famille
des sociétaires tombés malades. Parfois on ajoute une cotisation supplémentaire
annuelle de 25 centimes, qui sert à acquitter les frais d’enterrement des
membres décédés.
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de Georges Dascher de la série « la prévoyance et la mutualité »,
1895. Détail recto divisé en deux vignettes (gravures de Dascher avec un court
texte de légende d'Er. Richa). |
(3) : « Les
sociétés de secours mutuels instituées par. M. Cavé ont pour principal
objet d’initier les enfants au mécanisme de l’épargne et de la solidarité.
Elles les inclinent, par une souscription intelligemment consentie et
méthodique, à grossir les rangs des troupes déjà formées et entraînées. » Rapport d’Edouard Petit à la Ligue.
Dans le même rapport,
Edouard Petit indique des chiffres qui montrent le succès des sociétés : « En 1895-1896, la mutualité
scolaire comprenait 10 groupements à peine ; en 1896-1897, 110 ; en
1897-1898, 400 ; en 1898-1899, 871 ; en 1900, 1497. En 1900-1901 à la
date du 31 mars, 2017 « Petites Cavé » sont organisées, englobant
12 000 écoles, s’étendant à plus de 500 000 écolières et écoliers qui
ont versé environ trois millions de francs dont sept cent mille ont servi au
paiement des journées de maladies données non pas en aumône, par charité, mais
au titre de restitution, d’aide réciproque, par solidarité, par fraternité
enfantine ». Le rapport officiel de
1902 donne, quant à lui, le chiffre de 1389 sociétés scolaires avec 32 756
membres honoraires et 346 932 membres participants à la date du 31
décembre 1900. Max Turmann, sociologue, estime le nombre de mutualistes en
1906, à un tiers des enfants fréquentant l’école laïque dans toute la France.
Quoi qu’il en soit, les mutuelles scolaires remportent un succès certain.
Un bémol tout de même à ce
plaidoyer en faveur d’une exaltante et pure fraternité entre les membres, si
les chiffres donnés incluent bien les cotisations des adhérents, ils incluent
aussi les cotisations et libéralités des membres « honoraires » que
sont l’Etat et autres institutions qui abondent le fonds de façon non
négligeable. Si l’adhésion à une mutuelle scolaire est présentée comme un acte
citoyen (et il l’est dans son concept), cet acte fraternel est peut-être aussi,
avant tout, un contrat d’assurance mutuelle, chacun ne donnant qu’à la promesse
de recevoir un jour.
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de Georges Dascher de la série « la prévoyance et la mutualité »,
1895. Détail recto divisé en deux vignettes (gravures de Dascher avec un court
texte de légende d'Er. Richa). |
Sources :
- Archives
et documentation musée de la Maison d’Ecole
- Histoire des PEP: pupilles de l'école
publique, Volume 1, Mathias Gardet
- www.musee.mutualite.fr
- Liberté, égalité, mutualité: mutualisme et syndicalisme, 1852-1967, Michel Dreyfus
- Revue
des deux mondes, tome 16, Ludovic de
Contenson, 1903
- Le
Siècle, article-récit de la création des mutuelles scolaires, 4 février
1899
- https://gdascher.jimdo.com
- Registre de procès-verbaux du Conseil des
maîtres de l’école de garçons de Blanzy (71), période 1908-1926
Protège-cahier
de Georges Dascher de la série « la prévoyance et la mutualité »,
1895. Détail recto divisé en deux vignettes (gravures de Dascher avec un court
texte de légende d'Er. Richa). |
P.P
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