lundi 19 octobre 2020

Cahiers de géographie-1

 

La leçon de géographie

(Première partie)




A ceux qui pensent toujours que la Terre est plate…

Dans chaque classe trônait ce globe terrestre qui rappelait avec certitude aux écoliers que la Terre était bien ronde et que, malgré son air penché, elle tournait sur elle-même et autour du soleil, quoi qu’en disaient ou en disent encore certains (1). La démonstration du maître, devant des yeux ébahis, expliquait de manière scientifique la succession des jours et des nuits, la succession des saisons mais sans bousculer toutefois le savoir ancestral des campagnes…



Tellurium scolaire, voir article du blog : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2019/06/le-tellurium-scolaire.html


La Terre est bien ronde et elle tourne …




Muni d’un tellurium, en faisant tourner le globe autour de son axe face au soleil, en l’occurrence face à une bougie, la démonstration était faite de la rotation de la Terre et du passage du jour à la nuit, tandis que le circuit orbital autour de la même bougie donnait, quant à lui, l’explication scientifique des saisons. 



Simone et Bernard (nés respectivement en 1928 et 1929) n’échappèrent pas à cet enseignement, pour preuve, les cahiers qu’ils nous ont laissés et qui sont précieusement conservés dans les archives du musée. Bien que les frontières de leur univers d’écolier d’autrefois fussent étroites, les leçons de géographie étaient l’occasion pour eux, comme pour bien d’autres, de s’ouvrir à des horizons nouveaux, en complément des traditions bien ancrées.




Si, de retour dans les foyers, les enfants tentaient d’éveiller leurs parents aux connaissances nouvelles, le désintérêt apparent de ces derniers avait de quoi fragiliser l’enseignement du maître car il y avait, dans la tradition populaire, d’autres connaissance sur le sujet, souvent ignorées de l’instituteur. En effet, eux savaient l’influence de la lune sur la croissance des plantes ou sur la conservation des bois de charpente. Ils savaient aussi les dates propices ou non, pour la plantation ou les récoltes. Personne n’ignorait les risques de gelées des Saints de glace du mois de mai, même si la science ne pouvait les expliquer.





Mais qu’importe, il s’agissait pour l’école, outre de combattre l’obscurantisme par la démonstration scientifique, de déifier ce beau pays qu’était la France, de donner ce sens de la Nation et de la Patrie qui était si cher à la Troisième République, en incluant, bien sûr, les territoires lointains conquis par elle. Voici donc notre instituteur, baguette en main, montrant ce minuscule territoire qu’est la France, perdu dans l’immensité des continents et des océans et cependant majestueux, agrandi sous tous les angles sur les cartes colorées de Vidal-Lablache.

Douce France…




Enfin décryptés, sur la carte apparaissaient les mystères de contrées inconnues, du relief des montagnes jaune ou marron en passant par les ocres, aux plaines et vallées d’un vert délicat, le tout sillonné de rivières et de fleuves débouchant dans une mer bleue que la plupart des écoliers ne verraient jamais…  Un instant de rêve dans cet univers de dictées et de problèmes ? Enfin le plaisir de dessiner ou, plus tard,  de colorier des cartes tamponnées ? Que nenni ! Les malheureux écoliers voyaient leur mémoire mise à rude épreuve, tout était à apprendre par cœur… Un vocabulaire souvent nouveau : massif, sommet, pic, col, volcan, plaine, vallée, colline, coteau, cap, baie, golfe, promontoire, île, presqu'île, archipel… ; les noms propres de tous les reliefs ; le nom des fleuves, de leurs affluents et des villes qu’ils arrosent. Mais le plus difficile était à venir lors des « compositions », avec la reproduction, de mémoire, d’une carte étudiée en classe.

Le tour de la France et de ses richesses





La France est un beau pays que les cartes doivent refléter, tout est prétexte à valoriser le territoire national : l’harmonie de la répartition entre les montagnes et les vallées ; ce chaud Gulf Stream qui vient baigner nos côtes et nous offre un climat doux et tempéré ; ces mêmes côtes d’une exceptionnelle longueur et leurs ports qui nous ouvrent les portes du Monde ; notre sol fertile dont la production agricole nourrit ses enfants ; notre sous-sol qui regorge du charbon et du fer qui aliment notre belle industrie et nos manufactures ; et notre vin, le meilleur du Monde bien sûr avec la variété de nos fromages… 





Une fois encore, il y avait des choses que nul écolier ne devait ignorer : que le Creusot, par exemple, avait la plus grande usine métallurgique d'Europe, que l'on fabriquait des draps à Elbeuf, des soieries à Lyon,  des chaussures à Romans, des couteaux à Thiers, des mouchoirs à Cholet, des gants à Millau et bien d’autres… La géographie fut aidée en cela par G. Bruno (Augustine Fouillée) et son Tour de la France par deux enfants (1), édité 500 fois et vendu à plus de 7 000 000 d’exemplaires entre 1877 et 2012.





Avec Julien et André, les deux héros de ce livre de lecture, les élèves font le "tour du propriétaire" de notre patrimoine national. Le bilan de ses richesses les laisse pantois. Quel brave peuple que ce peuple de France, consciencieux, honnête, dur au travail. Volden, oncle des deux enfants, ne leur conseille-t-il pas, en conclusion du livre, d’aimer leur pays en mettant tous leurs efforts au service de la Patrie bien aimée : « Que chacun des enfants s'efforce d'être le meilleur possible, alors la France sera aimée autant qu'admirée par toute la Terre » ? 





  Au fil de l’eau





Sur certaines cartes, les parties navigables des cours d'eau étaient soulignées d'un large trait bleu tandis que les canaux latéraux figuraient en rouge. Sur d’autres, de couleur jaune pâle, les canaux latéraux étaient surlignés de rose. Ainsi apparaissait un réseau continu de voies navigables sillonnant une grande partie du territoire. Evidemment, les noms des rivières navigables, des canaux latéraux et des 17 canaux de jonction étaient à savoir par cœur  et étaient au programme du Certificat d’études dont voici un florilège des questions posées aux candidats : « Citez deux villes traversée par la Seine ; deux affluents de ce fleuve ; la mer dans laquelle il se jette » ; « Quels canaux doivent emprunter les péniches pour aller de Châlons-sur-Marne à Strasbourg ? » ; « Quelles voies navigables devra emprunter une péniche pour transporter le charbon des mines de la Sarre jusqu'à la mer du Nord ? » ; « Au cours d'une baignade dans la Saône, un enfant laisse échapper une bouée que le courant emporte. Imaginez le voyage de la bouée, en citant une ville, un fleuve, deux villes, l'embouchure, la mer... » ; « En descendant la Garonne de sa source à la mer, quels sont les principaux affluents rencontrés sur la rive droite ? ». Sans oublier la terrible carte muette qu’il fallait « faire parler ». Jusqu’au milieu du 20ème siècle, le réseau fluvial eut son importance dans le transport des marchandises, ce que nul élève ne devait ignorer. 





Le chemin de fer : la révolution des transports

Faire parler une carte muette, justement là était le problème, comment parler en utilisant ces mots étrangers au vocabulaire des enfants de l’époque ? Comment parler de ces choses si éloignées de leur réalité et dont la représentation ne se construisait qu’à travers les illustrations des manuels et les cartes affichées ? Somme toute, certaines leçons les éveillaient à des notions qui leur étaient plus familières et plus terre à terre. Le réseau ferroviaire par exemple, dont chacun des écoliers pourrait avoir l’usage un jour. Quel imbroglio de voies ! Toutes convergeant vers la capitale Paris ou les grandes villes. C’était l’occasion de découvrir les six compagnies privées qui se partageaient l'exploitation de l'ensemble des voies ferrées avant la nationalisation du réseau le 1er janvier 1938 et la naissance de la S.N.C.F (Société Nationale des Chemins de Fer Français). Chaque couleur faisait apparaître sur la carte l'étendue des possessions de chacune d'elles : Réseau du Nord : en vert, celui de l'Est : en bleu, le réseau Etat : en ocre, le Paris-Orléans : en marron, le P.L.M : en orange, le Midi : en  jaune.


Le réseau national peu avant la création de la SNCF: les différentes compagnies ont chacune leur culture professionnelle, leurs traditions, et la création d’un esprit SNCF sera longue à faire, mais se fera notamment avec les actions de la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale.

 

A suivre…

(1) :

« Et pourtant, elle tourne »

Galiléo Galilei (1564-1642) est un scientifique au génie sans limites qui outre passera celles imposées par l’Eglise. Il est cependant animé d’une foi profonde, tonsuré et convaincu de l’autorité papale. Jamais il ne niera l’existence de Dieu. Seulement voilà, ses convictions scientifiques lui font prendre fait et cause pour la conception héliocentrique* de l’univers malgré l’avis des mathématiciens de l’Eglise qui considèrent ses conclusions comme « stupides et absurdes, et fausses en philosophie, et formellement hérétiques, car elles contredisent explicitement, et en de nombreux paragraphes, les sentences de l’Ecriture sainte ».

C’est devant le moine mathématicien Vincenzo Maculano di Fiorenzuola, Commissaire général de la Sainte Inquisition qu’il devra s’expliquer ou plutôt se repentir… Les auditions « musclées » se succèdent d’avril à mai 1633 et le 10 mai, Galilée, brisé, demande la clémence du tribunal. Il est condamné à la prison à vie par le pape Urbain VIII, son ami d’autrefois. Mais ce n’est pas tout, il devra aussi prononcer un acte d’abjuration rédigé par le Saint-Office, à genoux et vêtu de la robe blanche du pénitent : « Moi, Galilée, dans la soixante-dixième année de mon âge, prisonnier et agenouillé devant les très éminents cardinaux inquisiteurs généraux (..) j’abjure, maudit et déteste l’erreur et l’hérésie du mouvement de la Terre. »

La légende dit que c’est après s’être relevé qu’il aurait murmuré à mi-voix : « Eppur si muove ! » (Pourtant elle bouge/tourne). On peut douter de cet épisode relaté par l’écrivain italien Guiseppe Baretti dans un de ses livres publié un siècle plus tard,  car une telle réflexion aurait vraisemblablement envoyé directement au bûcher ce défenseur d’une science laïcisée, destinée à éclairer le monde… Galilée restera, au fil du temps, l’image du martyr de cette intolérance et de cet obscurantisme qui, autrefois, brûlait en place publique et, aujourd’hui, décapite dans la rue.

Pour une vigilance sans cesse renouvelée

Un vieux « laïcard » (il se reconnaîtra), nous a transmis deux citations montrant qu’avant la loi de 1905, qui nous a protégés pendant plus d’un siècle des ingérences des religions dans l’espace public, la lutte fut rude :

Victor Hugo s’adressant au parti réactionnaire clérical :

« Vous êtes les parasites de l’église, vous êtes la maladie de l’Eglise…Vous êtes les sectaires d’une religion que vous ne comprenez pas… Vous êtes les metteurs en scène de la sainteté. Ne mêlez pas l’Église à vos affaires, à vos combinaisons, à vos ambitions. Ne l’appelez pas votre mère pour en faire votre servante. Vous voulez être les maîtres de l’enseignement. Et il n’y a pas un  poète, un écrivain, pas un philosophe, pas un penseur, que vous acceptiez. Si le cerveau de l’humanité était là devant vos yeux, à votre discrétion, ouvert comme la page d’un livre, … vous y feriez des ratures. »

Jean Jaurès à l’issue des débats de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat :

« Sans toucher à la liberté de conscience, à la liberté de croyance, nous avons le droit, nous avons le devoir de faire de cette liberté de l’esprit une réalité vivante dans l’œuvre laïque et nationale d’éducation et d’enseignement. »

Rappelons à cet effet que la loi de 1905 proclame en premier lieu la liberté de conscience : "La République assure la liberté de conscience". Elle pose en second lieu le principe de la séparation des Églises et de l'État : "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte". Il serait bon de méditer cette dernière allégation.

* L'héliocentrisme est une théorie physique qui s'oppose au géocentrisme en plaçant le Soleil (plutôt que la Terre) au centre de l'univers. D’après les variantes plus modernes, le Soleil n'est plus le centre de l'Univers, mais un point relatif autour duquel s'organise notre propre système solaire

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