La
leçon de géographie
(Première
partie)
A
ceux qui pensent toujours que la Terre est plate…
Dans
chaque classe trônait ce globe terrestre qui rappelait avec certitude aux
écoliers que la Terre était bien ronde et que, malgré son air penché, elle tournait
sur elle-même et autour du soleil, quoi qu’en disaient ou en disent encore certains (1). La démonstration du maître, devant
des yeux ébahis, expliquait de manière scientifique la succession des jours et
des nuits, la succession des saisons mais sans bousculer toutefois le savoir ancestral
des campagnes…
Tellurium scolaire, voir
article du blog : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2019/06/le-tellurium-scolaire.html
La
Terre est bien ronde et elle tourne …
Simone et Bernard (nés
respectivement en 1928 et 1929) n’échappèrent pas à cet enseignement, pour
preuve, les cahiers qu’ils nous ont laissés et qui sont précieusement conservés
dans les archives du musée. Bien que les frontières de leur univers d’écolier
d’autrefois fussent étroites, les leçons de géographie étaient l’occasion pour eux,
comme pour bien d’autres, de s’ouvrir à des horizons nouveaux, en complément des
traditions bien ancrées.
Si, de retour dans les
foyers, les enfants tentaient d’éveiller leurs parents aux connaissances
nouvelles, le désintérêt apparent de ces derniers avait de quoi fragiliser
l’enseignement du maître car il y avait, dans la tradition populaire, d’autres
connaissance sur le sujet, souvent ignorées de l’instituteur. En effet, eux
savaient l’influence de la lune sur la croissance des plantes ou sur la conservation
des bois de charpente. Ils savaient aussi les dates propices ou non, pour la
plantation ou les récoltes. Personne n’ignorait les risques de gelées des
Saints de glace du mois de mai, même si la science ne pouvait les expliquer.
Mais qu’importe, il
s’agissait pour l’école, outre de combattre
l’obscurantisme par la démonstration scientifique, de déifier ce beau pays
qu’était la France, de donner ce sens de la Nation et de la Patrie qui était si
cher à la Troisième République, en incluant, bien sûr, les territoires
lointains conquis par elle. Voici donc notre instituteur, baguette en main, montrant
ce minuscule territoire qu’est la France, perdu dans l’immensité des continents
et des océans et cependant majestueux,
agrandi sous tous les angles sur les cartes colorées de Vidal-Lablache.
Douce
France…
Enfin décryptés, sur la
carte apparaissaient les mystères de contrées inconnues, du relief des
montagnes jaune ou marron en passant par les ocres, aux plaines et vallées
d’un vert délicat, le tout sillonné de rivières et de fleuves débouchant dans
une mer bleue que la plupart des écoliers ne verraient jamais… Un instant de rêve dans cet univers de dictées
et de problèmes ? Enfin le plaisir de dessiner ou, plus tard, de colorier des cartes tamponnées ? Que
nenni ! Les malheureux écoliers voyaient leur mémoire mise à rude épreuve,
tout était à apprendre par cœur… Un vocabulaire souvent nouveau : massif, sommet, pic, col, volcan, plaine,
vallée, colline, coteau, cap, baie, golfe, promontoire, île, presqu'île,
archipel… ; les noms propres de tous les reliefs ; le nom des
fleuves, de leurs affluents et des villes qu’ils arrosent. Mais le plus
difficile était à venir lors des « compositions », avec la
reproduction, de mémoire, d’une carte étudiée en classe.
Le
tour de la France et de ses richesses
La France est un beau pays
que les cartes doivent refléter, tout est prétexte à valoriser le territoire
national : l’harmonie de la répartition entre les montagnes et les
vallées ; ce chaud Gulf Stream qui vient baigner nos côtes et nous offre
un climat doux et tempéré ; ces mêmes côtes d’une exceptionnelle longueur
et leurs ports qui nous ouvrent les portes du Monde ; notre sol fertile
dont la production agricole nourrit ses enfants ; notre sous-sol qui
regorge du charbon et du fer qui aliment notre belle industrie et nos
manufactures ; et notre vin, le meilleur du Monde bien sûr avec la variété
de nos fromages…
Une fois encore, il y avait
des choses que nul écolier ne devait ignorer : que le Creusot, par
exemple, avait la plus grande usine métallurgique d'Europe, que l'on fabriquait
des draps à Elbeuf, des soieries à Lyon, des chaussures à Romans, des couteaux à
Thiers, des mouchoirs à Cholet, des gants à Millau et bien d’autres… La
géographie fut aidée en cela par G. Bruno (Augustine Fouillée) et son Tour de la France par deux enfants (1), édité 500 fois et vendu à plus
de 7 000 000 d’exemplaires entre 1877 et 2012.
Avec Julien et André, les
deux héros de ce livre de lecture, les élèves font le "tour du
propriétaire" de notre patrimoine national. Le bilan de ses richesses les
laisse pantois. Quel brave peuple que ce peuple de France, consciencieux,
honnête, dur au travail. Volden, oncle des deux enfants, ne leur conseille-t-il
pas, en conclusion du livre, d’aimer leur pays en mettant tous leurs efforts au
service de la Patrie bien aimée : « Que
chacun des enfants s'efforce d'être le meilleur possible, alors la France sera
aimée autant qu'admirée par toute la Terre » ?
Au
fil de l’eau
Sur certaines cartes, les
parties navigables des cours d'eau étaient soulignées d'un large trait bleu
tandis que les canaux latéraux figuraient en rouge. Sur d’autres, de couleur
jaune pâle, les canaux latéraux étaient surlignés de rose. Ainsi apparaissait
un réseau continu de voies navigables sillonnant une grande partie du
territoire. Evidemment, les noms des rivières navigables, des canaux latéraux
et des 17 canaux de jonction étaient à savoir par cœur et étaient au programme du Certificat
d’études dont voici un florilège des questions posées aux candidats : « Citez deux
villes traversée par la Seine ; deux affluents de ce fleuve ; la mer
dans laquelle il se jette » ; « Quels canaux doivent emprunter
les péniches pour aller de Châlons-sur-Marne à Strasbourg ? » ; « Quelles
voies navigables devra emprunter une péniche pour transporter le charbon des
mines de la Sarre jusqu'à la mer du Nord ? » ; « Au
cours d'une baignade dans la Saône, un enfant laisse échapper une bouée que le
courant emporte. Imaginez le voyage de la bouée, en citant une ville, un
fleuve, deux villes, l'embouchure, la mer... » ; « En descendant
la Garonne de sa source à la mer, quels sont les principaux affluents
rencontrés sur la rive droite ? ». Sans oublier la
terrible carte muette qu’il fallait « faire parler ». Jusqu’au milieu du 20ème
siècle, le réseau fluvial eut son importance dans le transport des
marchandises, ce que nul élève ne devait ignorer.
Le
chemin de fer : la révolution des transports
Faire parler une carte
muette, justement là était le problème, comment parler en utilisant ces mots
étrangers au vocabulaire des enfants de l’époque ? Comment parler de ces
choses si éloignées de leur réalité et dont la représentation ne se construisait
qu’à travers les illustrations des manuels et les cartes affichées ? Somme
toute, certaines leçons les éveillaient à des notions qui leur étaient plus
familières et plus terre à terre. Le réseau ferroviaire par exemple, dont
chacun des écoliers pourrait avoir l’usage un jour. Quel imbroglio de
voies ! Toutes convergeant vers la capitale Paris ou les grandes villes. C’était
l’occasion de découvrir les six compagnies privées qui se partageaient
l'exploitation de l'ensemble des voies ferrées avant la nationalisation du
réseau le 1er janvier 1938 et la naissance de la S.N.C.F (Société
Nationale des Chemins de Fer Français). Chaque couleur faisait apparaître sur
la carte l'étendue des possessions de chacune d'elles : Réseau du Nord : en vert,
celui de l'Est : en bleu, le réseau Etat : en ocre, le
Paris-Orléans : en marron, le P.L.M : en orange, le Midi :
en jaune.
Le réseau
national peu avant la création de la SNCF: les différentes compagnies ont
chacune leur culture professionnelle, leurs traditions, et la création d’un
esprit SNCF sera longue à faire, mais se fera notamment avec les actions de la
Résistance durant la Seconde Guerre mondiale.
A suivre…
(1) :
« Et
pourtant, elle tourne »
Galiléo
Galilei (1564-1642) est un scientifique au génie sans limites qui outre passera
celles imposées par l’Eglise. Il est cependant animé d’une foi profonde,
tonsuré et convaincu de l’autorité papale. Jamais il ne niera l’existence de
Dieu. Seulement voilà, ses convictions scientifiques lui font prendre fait et
cause pour la conception héliocentrique* de l’univers malgré l’avis des
mathématiciens de l’Eglise qui considèrent ses conclusions comme « stupides et
absurdes, et fausses en philosophie, et formellement hérétiques, car elles
contredisent explicitement, et en de nombreux paragraphes, les sentences de
l’Ecriture sainte ».
C’est
devant le moine mathématicien Vincenzo Maculano di Fiorenzuola, Commissaire
général de la Sainte Inquisition qu’il devra s’expliquer ou plutôt se repentir…
Les auditions « musclées » se succèdent d’avril à mai 1633 et le 10
mai, Galilée, brisé, demande la clémence du tribunal. Il est condamné à la
prison à vie par le pape Urbain VIII, son ami d’autrefois. Mais ce n’est pas
tout, il devra aussi prononcer un acte d’abjuration rédigé par le Saint-Office,
à genoux et vêtu de la robe blanche du pénitent : « Moi, Galilée,
dans la soixante-dixième année de mon âge, prisonnier et agenouillé devant les
très éminents cardinaux inquisiteurs généraux (..) j’abjure, maudit et déteste
l’erreur et l’hérésie du mouvement de la Terre. »
La légende
dit que c’est après s’être relevé qu’il aurait murmuré à mi-voix : « Eppur si
muove ! » (Pourtant elle
bouge/tourne). On peut douter de cet épisode relaté par l’écrivain italien
Guiseppe Baretti dans un de ses livres publié un siècle plus tard, car une telle réflexion aurait
vraisemblablement envoyé directement au bûcher ce défenseur d’une science
laïcisée, destinée à éclairer le monde… Galilée restera, au fil du temps,
l’image du martyr de cette intolérance et de cet obscurantisme qui, autrefois,
brûlait en place publique et, aujourd’hui, décapite dans la rue.
Pour une
vigilance sans cesse renouvelée
Un vieux
« laïcard » (il se reconnaîtra), nous a transmis deux citations
montrant qu’avant la loi de 1905, qui nous a protégés pendant plus d’un siècle
des ingérences des religions dans l’espace public, la lutte fut rude :
Victor Hugo
s’adressant au parti réactionnaire clérical :
« Vous
êtes les parasites de l’église, vous êtes la maladie de l’Eglise…Vous êtes les
sectaires d’une religion que vous ne comprenez pas… Vous êtes les metteurs en
scène de la sainteté. Ne mêlez pas l’Église à vos affaires, à vos combinaisons,
à vos ambitions. Ne l’appelez pas votre mère pour en faire votre servante. Vous
voulez être les maîtres de l’enseignement. Et il n’y a pas un poète, un écrivain, pas un philosophe, pas un
penseur, que vous acceptiez. Si le cerveau de l’humanité était là devant vos
yeux, à votre discrétion, ouvert comme la page d’un livre, … vous y feriez des ratures. »
Jean
Jaurès à l’issue des débats de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat :
« Sans
toucher à la liberté de conscience, à la liberté de croyance, nous avons le
droit, nous avons le devoir de faire de cette liberté de l’esprit une réalité
vivante dans l’œuvre laïque et nationale d’éducation et d’enseignement. »
Rappelons à cet effet que la loi de 1905 proclame en premier lieu la liberté de conscience : "La République assure la liberté de conscience". Elle pose en second lieu le principe de la séparation des Églises et de l'État : "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte". Il serait bon de méditer cette dernière allégation.
* L'héliocentrisme est
une théorie physique qui s'oppose au géocentrisme en plaçant le Soleil (plutôt
que la Terre) au centre de l'univers. D’après les variantes plus modernes, le
Soleil n'est plus le centre de l'Univers, mais un point relatif autour
duquel s'organise notre propre système solaire
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