1871 : à l’école de la Commune de Paris
Par Gérard Burtin
La Commune de Paris fête son 150e anniversaire en cette année
2021. Sa pensée éducative et son action effective en matière scolaire sont
encore très peu connues car le modèle dominant de l’histoire scolaire française
les oublie systématiquement.
Pourtant, la première laïcisation des écoles publiques fut l’œuvre de la République de Paris dès le 2 avril 1871. Jean-François Dupeyron, enseignant-chercheur en sciences de l’éducation : « Sur un point aussi sensible que celui de la laïcisation de l’École, un poncif de l’historiographie républicaine présente ainsi les lois Ferry […] comme les seules matrices […] d’un enseignement public laïque distinct de l’enseignement confessionnel. C’est méconnaître que la première et radicale laïcisation républicaine de l’enseignement public fut instaurée par l’œuvre scolaire de la Commune de Paris. »
Laïcité et séparation de l’Église et de l’État
Toute une partie de l’œuvre de la Commune s’inscrit dans la droite ligne du mouvement républicain et démocratique français du XIXe siècle, et nombre de ses intentions ou de ses réalisations embryonnaires seront reprises vingt ou trente ans plus tard par les partis républicains au pouvoir.
C’est en particulier le cas du problème des rapports de l’Église
et de l’État et de l’organisation de l’enseignement. L’une des premières
décisions prise par la Commune, 34 ans avant la loi de décembre 1905, est celle
de la séparation de l’Église et de l’État.
Votée à
l’unanimité, on trouve dans le décret du 3 avril 1871, les points d’ancrage de
la laïcité dans sa dimension politique et culturelle. C’est l’institution
religieuse et non la foi qui est remise en cause. Le culte catholique n’est
nullement interdit, la liberté de conscience est respectée.
L’école laïque, gratuite et obligatoire
Pour la
Commune, l’école nouvelle et égalitaire doit être laïque, gratuite et
obligatoire pour tous et l’instruction religieuse radicalement supprimée.
En effet,
depuis 1850, l’école publique est aux mains des congréganistes : l’enseignement
primaire est régi par la loi Falloux qui oblige, à partir d’un certain seuil,
les communes à avoir une école. Mais l’enseignement n’y est ni gratuit, ni
obligatoire. L’absentéisme reste important dans les quartiers populaires.
À une municipalité
qui met en place une école publique, la loi permet de recruter des instituteurs
congréganistes ou laïcs. Mais dans tous les cas, on doit enseigner la religion
et tout le programme est contrôlé par l’église catholique.
A la fin du Second
Empire se développe l’exigence d’une école publique exclusivement laïque. C’est
en 1866 qu’est créée la Ligue de l’Enseignement. D’autres sociétés, plus
radicales, naissent comme la société pour « l’Éducation nouvelle »
qui va fournir le programme de la Commune.
La Commune,
dans les conditions extrêmement difficiles que lui impose le second siège de
Paris, entame alors l’organisation d’une école inspirée par la pensée
pédagogique des divers socialismes du XIXe siècle. La notion
d’éducation intégrale est au coeur de cette approche d’une éducation nouvelle
qui veut « qu’un manieur d’outil puisse écrire un livre, l’écrire avec
passion, avec talent, sans pour cela se croire obligé d’abandonné l’étau ou
l’établi ».
Les municipalités
d’arrondissement ont la mission de réaliser cette entreprise, la commission de
l’enseignement, dirigée par Édouard VAILLANT, le soin de cordonner et
d’impulser l’action.
Quelques
délibérés des Commissions d’arrondissement :
La Commission
municipale du XXe arrondissement :
1)
L’enseignement public est délivré de tout ce qui est contraire à sa sincérité,
à sa loyauté, à sa véracité ;
2) Au nom de la
liberté de conscience inaugurée par la révolution [celle de 1789, note IHS71]
et sans cesse isolée par les autorités religieuses, l’enseignement religieux
demeure exclu dans l’enseignement public ;
3) Les faits et
les principes scientifiques seront enseignés sans aucune concession hypocrite
faite aux dogmes que la raison condamne et que la science répudie ;
4)
L’enseignement public de la morale ne procède d’aucune autre autorité que celle
de la science humaine.
Dans le Xe arrondissement :
Le public est prévenu que l’école communale de garçons située faubourg
Saint-Martin, 157, vient d’être confiée à la direction d’instituteurs laïcs…
Dans le IIIe
arrondissement, encore :
Nous informons les parents qui fréquentent nos écoles qu’à
l’avenir toutes les fournitures nécessaires à l’instruction seront données
gratuitement par les instituteurs qui les recevront de la mairie…
Rénovation pédagogique
et enseignement professionnel
Est clairement affirmée la volonté de rénovation des méthodes
pédagogiques : les instituteurs du XVIIe « emploient exclusivement
la méthode expérimentale ou scientifique, celle qui part de
l’observation des faits, quelle qu’en soit la nature : physiques, moraux,
intellectuels. » Les délégués du IVe arrondissement
affirment : « L’école nouvelle apprend à l’enfant que toute conception
philosophique doit subir l’examen de la raison et de la science ».
De nombreux
Communards développent des idées sur l’éducation, ainsi, Louise MICHEL (https://maitron.fr/spip.php?article24872) déclare « qu’il
faut prendre en compte l’enfant comme un individu ».
Dans son « Appel
aux travailleurs de la campagne » paru dans le journal La Sociale
le 3 mai, Léodile BÉRA, dite André Léo (https://maitron.fr/spip.php?article54997), écrit que « Paris
veut que le fils du paysan soit aussi instruit que le fils du riche et pour
rien, attendu que la science humaine est le bien de tous les hommes ».
Marie
VERDURE (https://maitron.fr/spip.php?article72454) estime que «
l’éducation commence dès la naissance » et décrit les crèches munies
de jardins, de volières, de jouets…
L'objectif de
l'école est donné par le journal Le Père Duchesne du 8 mai : « faire
[...] des hommes complets, c’est-à-dire capables de mettre en œuvre toutes
leurs facultés et de produire non seulement par les bras, mais encore par
l’intelligence ».
Dès le 23 avril, Édouard VAILLANT, délégué à
l’Enseignement, envisage « la prompte institution d’écoles
professionnelles où les élèves, en même temps qu’ils effectueraient
l’apprentissage d’une profession, compléteraient leur instruction
scientifique et littéraire. »
Il en crée deux
à titre expérimental : une pour les garçons, rue Lhomond ; une pour les filles,
rue Dupuytren où il transforme l’École de dessin en « École
professionnelle d’Art industriel pour les jeunes filles ».
L’instruction des filles
Il faut noter la
multiplication des écoles de filles, si rares jusque-là, l’égalité des filles
face à l’instruction ayant toujours posé problème.
A Montmartre, Paule
MINK (https://maitron.fr/spip.php?article24873) ouvre une école
pour les filles tandis que Marie MANIÈRE (https://maitron.fr/spip.php?article209617), institutrice,
installe une école « privée » qui n’est plus sous la direction des
ecclésiastiques. Marguerite
TINAYRE (https://maitron.fr/spip.php?article136027) est nommée
inspectrice générale des livres et des méthodes d’enseignement dans les écoles
de filles.
Édouard VAILLANT : « Ministre de l’enseignement » de
la Commune
Édouard
VAILLANT mènera le combat laïque avec vigueur. Il avait compris que la
politique d’enseignement a en même temps la condition d’une véritable politique
socialiste, ce qu’il écrit dans un appel en date du 17 mai 1871 : « Il
importe que la révolution communale affirme son caractère essentiellement
socialiste par une réforme de l’enseignement assurant à chacun la véritable
base de l’égalité sociale, l’instruction intégrale à laquelle chacun a
droit. »
Édouard VAILLANT (1840-1915) est ingénieur, médecin et philosophe, membre de
l’AIT (Association Internationale des Travailleurs, créée en 1864 à Londres
pour coordonner le mouvement ouvrier). Il participe à la rédaction de nombreux
manifestes révolutionnaires.
Le 20 avril, VAILLANT
est élu délégué à l’enseignement. Ce choix n’est pas unanime : il
n’obtient que 27 voix sur 53 votants. Il s’était toutefois beaucoup intéressé à
l’enseignement dans le cadre de l’Internationale. Mais toute sa personnalité va
se révéler dans son action : efficacité et radicalité, non dénuée d’un
certain pragmatisme.
Le premier axe de
l’action de VAILLANT est le renforcement du pouvoir et de l’organisation du
« ministère ». Avec F. PÉPIN (https://maitron.fr/spip.php?article67837&id_mot=24) et Constant
MARTIN (https://maitron.fr/spip.php?article153695), une
administration sérieuse se met en place. Deux commissions de l’enseignement
-l’une générale et l’autre pour l’enseignement des filles- sont créées.
Vaillant reprend complètement l’autorité sur la nomination des
instituteurs : « Aucune nomination, aucun ordre n’est valable, et
pour les anciennes n’est définitive, si elle ne porte la signature du citoyen
Vaillant ».
La radicalité
de VAILLANT s’exprime dans la vigueur de son action laïque. Lorsque des
congréganistes refusent de quitter une école communale, « partout où de semblables
résistances se produisent, elles doivent être immédiatement brisées et les
récalcitrants arrêtés ». Le 17 mai, il fait voter un décret
exigeant l’achèvement de la laïcisation dans les 48 heures.
La mise en
place de deux écoles professionnelles montre aussi son efficacité. S’il est
partisan « d’une transformation radicale de l’enseignement »,
il s’agit aussi, dit-il, « d’arrêter les réformes immédiates » qui
prépareront celle-ci ; il va donc agir pour ce qui lui paraît le plus
urgent : l’enseignement professionnel. Trouver les locaux, les aménager,
chercher les enseignants, autant de tâches concrètes auxquelles il s’attache.
Enfin, il veille à
ce que soit créée une école professionnelle pour jeunes filles. Ce qui souligne
son attachement à donner aux femmes un métier qualifié. Et c’est d’ailleurs à
lui qu’on doit aussi ce décret, un des derniers de la Commune (21 mai), qui
fixe l’égalité des salaires entre institutrices et instituteurs de Paris :
premier décret d’égalité des salaires entre les femmes et les hommes.
Après la
semaine sanglante, Édouard VAILLANT réussit à s’enfuir mais est condamné à
mort. Amnistié, il devient député de Paris en 1893 et le restera jusqu’à sa
mort, fidèle à ses idéaux socialistes.
Lire sa
biographie dans le Maitron : https://maitron.fr/spip.php?article24386
Édouard Vaillant devant le Mur des fédérés en 1908 |
“ Le plus grand
honneur de ma vie est d’avoir participé à la Commune de Paris et d’en avoir été
élu membre.”
Édouard Vaillant,
Journal Officiel, 28 janvier 1894
« L’école libératrice » n°27 du 16 avril
1971, publication du SNI, syndicat national des instituteurs de la FEN
(collection Musée de la Maison d’École de Montceau)
Les Amies et Amis de la Commune de Paris 1871 :
- le site :
https://www.commune1871.org et en particulier
l’article de Jean-Louis Robert
- collaboration
à l’album du mouvement social 2021 (Katia Favard et Christian Planche,
Éditions Histoire et Passions, Clergoux)
« A l’école de la Commune de Paris, l’histoire d’une autre
école » Jean-François DUPEYRON, Maître de conférences en philosophie de
l’éducation, Université de Bordeaux.
IHS FERC-CGT
Bulletins n°9, mai 2020 et n°10, décembre 2020
Merci pour ce très bon article historique de Gérard Burtin;
RépondreSupprimerM. Baussier