Le
roman national
Toute
une histoire !
Vercingétorix, figure
emblématique du roman national patriotique, Petit Lavisse, 1913
Le
débat n’est pas clos
Périodiquement,
le débat sur le retour du « roman national » dans l’enseignement de
l’histoire refait surface. Il y a quelques années, lors de la parution des
nouveaux programmes d’histoire, certains, y compris des historiens, prônaient
ce retour de l’enseignement du « roman national ». Pour comprendre
cette mouvance, il faut remonter à l’école voulue par Jules Ferry et à un
certain Ernest Lavisse qui répondit à l’appel de la patrie.
Jules
Ferry : du positivisme au patriotisme
Après le boom de la
révolution industrielle et avant la guerre de 1870, Jules Ferry est fervent
positiviste, comme nombre de républicains. Il a une vision européenne, ou
plutôt « occidentale », de l’évolution de l’humanité, le reste du
monde n’est qu’une question de colonisation. Il rêve d’une unification
pacifique, industrielle et commerciale de cette Europe.
Seulement la guerre de 1870
et la victoire allemande font voler ses perspectives en éclats et il déclare
alors qu’il est impossible de perpétuer, « dans
une Europe enivrée de l’esprit de nationalité », les principes qui
furent les siens, il le déplore dans un discours le 21 novembre 1891 : « Nous vivons sous une loi de
fer ; s’il faut faire des lois de fer, nous savons les faire et nous les
avons faites. » De là viendra la volonté de
Jules Ferry d’instaurer une véritable « religion
de la patrie » qui « n’admet
pas de dissidents » (discours de Nancy, 10 août 1881).
(collection musée)
A l’évidence, cette « religion » ne pourra passer que par l’école primaire… « Pour bien aimer la patrie, il faut bien la connaître et la piété envers la patrie n’est pas faite seulement de sentiment et de tendresse mais aussi de savoir : c’est pourquoi l’enseignement de l’histoire est appelé à jouer un grand rôle éducateur. » (Discours aux sociétés savantes du 15 avril 1882). Cependant, Jules Ferry confirme implicitement la séparation entre l’école communale-école du peuple et le secondaire, non encore gratuit, et toujours réservé de fait aux élites. Cet enseignement de l’histoire foncièrement idéologique restera donc pour longtemps l’apanage de l’école primaire publique, laïque et obligatoire. Il ne saurait être celui des élites du secondaire fondé sur d’autres bases que sont la culture de l’antiquité, les humanités classiques et l’Europe. Du reste, les programmes d’histoire de 1890 pour les classes de troisième à la terminale ne sont-ils pas intitulés « Histoire de l’Europe et de la France » tandis que ceux de la sixième à la quatrième sont consacrés à l’« Histoire ancienne ».
Ernest Lavisse 1842-1922
(Galica/BNF)
L’appel est entendu par
l’historien Ernest Lavisse (1) qui s’attèle immédiatement à la
tâche : « A l’enseignement historique incombe le glorieux devoir de
faire aimer et comprendre la patrie (..). Si l’écolier n’emporte pas avec lui
le vivant souvenir de nos gloires nationales (..), s’il n’a point appris ce
qu’il a coûté de sang et d’efforts pour faire l’unité de notre patrie (..),
l’instituteur aura perdu son temps » (in Revue pédagogique, juillet
1891).
(collection musée)
Ferdinand Buisson préconise aussi l’enseignement du roman national dans son Dictionnaire pédagogique. Dans son article Histoire, en 1887, il écrit qu’il ne serait être question d’enseigner l’histoire « avec le calme qui sied à l’enseignement de la règle des participes ; il s’agit de la chair de notre chair et du sang de notre sang (..) ; l’histoire ne s’apprend pas par cœur, mais avec le cœur (..) faisons leur aimer nos ancêtres les gaulois et les forêts des druides, Charles Martel à Poitiers, Roland à Roncevaux, Jeanne d’Arc, Bayard, tous nos héros du passé, même enveloppés de légendes (..) Puisque la religion ne sait plus avoir prise sur les âmes, puisque le paysan n’est plus guère occupé de la matière et passionné que pour les intérêts, cherchons dans l’âme des enfants l’étincelle divine ; animons-la de notre souffle. Les devoirs, il sera d’autant plus aisé de les faire comprendre que l’imagination des élèves, charmée par des peintures et des récits, rendra leur raison enfantine plus attentive et docile. »
(collection musée)
« Nos ancêtres les
Gaulois »,
voilà un bon début pour une histoire de France, surtout quand elle est
enseignée dans les colonies, aux petits « indigènes ». Mais pourquoi
pas nos ancêtres les romains ? Ou les Germains, les Celtes, les Francs ? Force
est de constater que cette affirmation, comme d’autres d’ailleurs, est une pure
création du 19ème siècle, un mythe de plus véhiculé par le
manuel le Petit Lavisse, qui fut le bréviaire de
plusieurs générations d’écoliers depuis les années 1880 jusque dans les années
1930. Cette affirmation indignait déjà les historiens de l’époque et Charles
Seignobos, auteur de manuels scolaires, s’insurgeait en 1937 : « Même si nous avons hérité de leur langue,
nous ne descendons pas des Gaulois ! ». Il affirmait dans son Histoire
sincère de la nation française, que c’était une légende abondamment
colportée dans les écoles de la Troisième République, qui avait servi les
intérêts de la propagande d’Etat au détriment de la vérité historique. Cette
vision « gauloise » ne s’accompagnait-elle pas, notait Seignobos, de
l’invention de l’ennemi héréditaire, le germain ? Mauvais souvenir de la guerre
de 1870 peut-être.
(archives nationales)
Le
roman national
C’est à Ernest Lavisse que
l’on doit le concept de « roman national », bien qu’il n’en ait pas
inventé l’expression venue plus tard et qui sera popularisée par Pierre Nora.
Si le système aristocratique garantissait les places en fonction de la
naissance, la République lui a substitué une méritocratie qui récompense les
élites : choisir les meilleurs, toujours et partout, est le premier
principe républicain.
On pourrait définir cette
notion de « roman national » par la capacité à mettre en récit des
faits ou des personnages historiques choisis comme « significatifs ».
Chez les écoliers, ce pouvait être un moyen de glisser doucement du merveilleux
des contes au factuel de l’Histoire. Ernest Lavisse charge ainsi l’histoire
scolaire d’une véritable mission: il s’agit, en construisant des liens entre le
passé, le présent et l’avenir, de fournir un socle culturel aux enfants qui ont
naturellement, selon lui, un amour spontané pour leur patrie : « Aimer la France parce qu’elle est
belle et qu’il y fait bon vivre n’est pas du patriotisme ».
Rossignol©collection
(collection musée)
Alors, quelle histoire
enseigner à ces enfants de la patrie pour en faire de vrais patriotes ? Le
« Petit Lavisse » propose un récit tantôt descriptif, tantôt
chronologique, en commençant par l’histoire de deux peuples, les Gaulois puis
les Francs. De cette dernière découle celle d’un pays nommé France,
respectivement féodale, monarchique, post-révolutionnaire. Dès lors, l’histoire
n’est plus celle des peuples mais devient celle des dynasties, des rois, des
personnages illustres, sortis des oubliettes ou même réinventés. Enfin est
abordée la « déstabilisation » révolutionnaire et sa succession de
régimes.
La dernière partie du manuel
est intitulée « Les devoirs de la
France » qui explique le désastre de 1870 et la perte de l’Alsace et
de la Moselle par le fait que les Allemands n’aiment pas plus leur pays que les
Français mais qu’ils sont davantage préparés à la guerre pour le défendre. Le
constat est donc qu’il « ne faut pas
aimer ceux qui nous haïssent et qu’il faut aimer avant tout et par-dessus tout
la France notre patrie, l’humanité ensuite. »
Rossignol©collection
(collection musée)
Si la pensée de Lavisse se
construit dans l’école de Jules Ferry et dans un régime républicain encore
balbutiant, les républicains sont désormais sûrs de tenir les rênes du pouvoir
et peuvent enfin construire une France conforme à l’héritage de la Révolution
française. Toutefois, cette vision de la France va se faire contre une partie
des Français restés conservateurs et surtout contre une force sociale et
politique très puissante : l’Eglise catholique. Il serait naïf aussi d’oublier
qu’une grande partie des enfants du peuple ouvrier et paysan reste à scolariser
au début de l’école « obligatoire » de Jules ferry ; à
scolariser, certes, mais du point de vue des républicains, à
« acculturer », en leur apprenant le français pour beaucoup (comme en
Bretagne de langue celtique), l’hygiène, les règles de vie en société et les
principes de la toute nouvelle démocratie.
De fait, l’enseignement de
l’histoire revêt la même fonction politique de formation d’une communauté
nationale que d’autres matières que sont l’instruction civique et la morale, en
s’appuyant sur l’idée d’un territoire national perçu comme amputé , résultat
d’une défaite honteuse dont un régime politique injuste était
responsable : le Second Empire.
(collection musée)
Les
nostalgiques du roman national
Quid du roman national de
nos jours ? La volonté de la Troisième République de construire une
histoire patriotique qui soit une histoire nationale et une volonté de nos
jours de restaurer une histoire patrimoniale égarée sont sans comparaison
possible. Comme toujours en histoire, tout est question de contexte. Les
tenants du « récit » ou « roman national » ont toujours été mus par l’idée de rendre l’école
à sa mission première d’instruction de l’individu. Leur discours est le plus souvent
fondé sur la valorisation du passé et la déploration du présent en s’appuyant
sur trois arguments : la dénonciation du recul de l’autorité au profit de
la libération des individus, le refus de transmettre des savoirs au profit de
la créativité individuelle, le refus de délivrer des contenus stables au profit
de la construction de l’esprit critique.
Clovis, choisi par dieu pour
certains, opportuniste pour d’autres, Rossignol©collection
(collection musée)
Cette apologie d’un passé,
qui fonde les critiques de notre école contemporaine, s’appuie sur une
référence idéalisée, jamais clairement située dans le temps ou alors assimilée aux
temps fondateurs de l’école : la nostalgie de l’école de Jules Ferry en
fait. Notre école de la décadence aurait renié son héritage et remplacé l’école
de la Troisième République. Soit, mais une telle position résiste-t-elle à
l’examen historique ? Pas sûr…
La mort de Bara, Rossignol©collection
(collection musée)
Au lendemain de la Grande
Guerre, bien avant la fin de la troisième République, le système scolaire
initié par Jules Ferry s’ébrèche déjà. Des voix s’élèvent pour douter d’une
école qui a formé une jeunesse juste bonne à servir de chair à canon, comme ses
instituteurs, dans un tragique massacre. Ces voix, avant 1914, accusaient aussi
l’école de Jules Ferry de ne pas être l’école de tous les français, distinguant
l’école primaire « populaire » des collèges et des lycées réservés
aux classes sociales favorisées.
De fait, la révolution
intellectuelle, menée par l’école des Annales dans les années 20, fit que
l’enseignement de l’histoire dans les universités n’alla plus dans le sens de
l’histoire que l’on dispensait à la fin du 19ème siècle sous l’égide
d’Ernest Lavisse, à lui seul, véritable monument de l’école de Jules Ferry.
Jaurès, Rossignol©collection
(collection musée)
Les
Instructions du 20 juin 1923
Les
premières entorses au roman national patriotique
Il est communément admis que
ce sont les mouvements d’idées des
années 60 qui ont remis en cause l’enseignement de l’histoire mais qu’en était-il
du roman scolaire entre 1920 et 1940 ? On peut, à l’évidence, déceler une
volonté d’abandon de ce dernier dans les textes officiels de 1923 et ceux de
1938. On a observé, notamment après 1968, un passage de la Patrie au
Travailleur, un mouvement du national au social dans la vision de la société. Mais
cette évolution n’était-elle pas en germe dans les textes de
l’Entre-deux-guerres ? L’examen de cette période pourrait ébranler l’idée
d’un temps réputé immobile de la Troisième République.
Contrairement aux idées
reçues, Jule Ferry ne crée pas une école aux contenus et aux valeurs stables.
L’enseignement de l’histoire ne cesse de changer entre les deux guerres. Les
programmes et les manuels portent le traumatisme de la tuerie de masse de
14-18. Les mots de paix, de patrie, de nation n’ont plus le même sens, ni à
l’école, ni dans la société. Le récit national ne se termine plus par la
République mais par la société des nations et, à nouveau, le « petit Lavisse »
d’Ernest va prendre la tête du changement. C’est le premier coup fatal pour le
roman national : la prise de mesure de l’ombre portée de la guerre sur l’histoire enseignée
désormais.
(collection musée)
Si, au cours des années 20,
la société française s’interroge sur le « patriotisme » exacerbé, les
instituteurs et leurs syndicats souhaitent un enseignement de la paix. C’est
dans ce contexte de remise en cause que Paul Lapie, Directeur de l’enseignement
primaire depuis 1914, va rédiger les nouveaux programmes de 1923. Il publie de
nombreux articles dans la Revue pédagogique
et, contrairement aux attentes des maîtres, ainsi définit-il le devoir de
l’instituteur : « Le devoir de
l’instituteur, à l’heure présente, [...] c’est de donner aux enfants le culte
de la famille. C’est de leur inspirer une morale d’une indiscutable
pureté ; c’est de leur inspirer le respect d’eux-mêmes, le souci de leur
dignité et de leur délicatesse morale ; le respect de la jeune fille et de
la femme ; l’oubli de soi et le dévouement aux siens ; le mépris de
la souffrance et l’esprit du sacrifice ; l’amour des vertus
domestiques ; l’amour de la patrie
et de son idéal. Tous ces devoirs, pour s’appuyer sur la raison, sur la
science comme sur la conscience, n’en ont pas moins une autorité supérieure à
l’autorité mystérieuse d’une religion dont on ne peut plus ne pas contester les
titres ». En ce sens, Lapie ne renie pas ses origines de fils d’instituteur
et homme de la frontière de l’Est, né en 1869.
Paul Lapie (1869-1927)
Ainsi, les nouveaux
programmes sont publiés le 23 février 1923, suivis par les Instructions du 20
juin. De fait, ces textes restent fidèles aux programmes précédents de 1887
qui, eux-mêmes, reprenaient les textes fondateurs de 1882. On fixe à
l’enseignement primaire comme objectif de conserver les grandes lignes de l’ère
Ferry mais, toutefois, de « préciser
l’emploi du temps, simplifier et graduer les programmes, vivifier les méthodes,
coordonner les disciplines » tout en précisant que « Le souci des réalités urgentes ne
nous fera pas négliger le culte de l’idéal (..) Les deux fins de l’enseignement
primaire doivent être considérées comme les deux aspects d’une fin unique. Le travailleur,
le citoyen, l’homme, ne sont pas trois êtres différents, mais trois aspects
d’un même être. » Introduction
des Instructions, pages 29 et 30. On peut identifier ici un effet de la
guerre sur le nouveau cadre de l’enseignement.
Le culte de l’idéal reprend
donc « deux aspects d’une fin
unique », les deux idéaux majeurs de l’école républicaine d’avant
1914 : la laïcité et le patriotisme. Et c’est dans le domaine de la
morale, cher au philosophe qu’il est, que Paul Lapie va développer le volet
laïciste. Ce retour à l’offensive laïque annonce la Cartel de 1924. Dès lors,
la mention des « devoirs envers Dieu » disparaît des programmes du
cours moyen et du cours supérieur. Il y aura consensus de la société française
sur cette volonté de laïcisation des institutions dont la preuve notoire peut être
l’échec de la réintroduction des « devoirs envers Dieu » à l’école
par Jacques Chevalier, membre du gouvernement de Vichy, en 1941. En revanche, les
Instructions officielles de 1923 restent en complet déphasage quant à
l’évolution des réflexions des enseignants au sujet de l’enseignement de
l’histoire et de la géographie (2).
(collection privée)
Les
Instructions du 20 septembre 1938
La
recherche d’un nouveau roman national populaire et pacifique
Quinze ans après les
instructions de 1923, ce sont les débats du 20èmè siècle qui inspirent les
nouveaux textes. Les nouveaux programmes, même s’ils affichent une certaine
continuité, sont fondateurs à deux titres : la politique annonçant le
collège unique (l’unification préconisée concernera les mêmes niveaux du lycée,
du collège, des écoles primaires supérieures et des cours
complémentaires) et les orientations pédagogiques qui sont l’aboutissement
d’un vaste mouvement de réflexion et d’expérimentation influencé par Célestin
Freinet et le Groupe Français d’Education Nouvelle (GFEN créé en 1922).
(collection privée)
Les jours de l’enseignement
du roman national patriotique sont comptés et son sort scellé par la
disparition du mot « patrie » dans les programmes, aucune trace, ni
en histoire, ni en morale. Ce sera la première fois qu’un programme d’histoire
à l’école primaire ne sera plus un programme d’histoire de France. La rupture
est consommée avec l’esprit et la lettre de la loi originelle du 28 mars 1882
et du décret organique du 18 janvier 1887 qui mettaient la France au centre de
l’histoire et de la géographie.
C’est un tournant culturel
qui perdurera après la Seconde Guerre. La patrie semble s’effacer doucement
devant la civilisation humaniste du travail et même si la concrétisation
ministérielle du phénomène n’a lieu qu’en 1938, les livres et l’enseignement
dans les classes l’avaient anticipée depuis les années 1920. Pour la première
fois, les pédagogues avaient pris le pas sur les politiques. Qu’en est-il de
notre « Petit Lavisse » durant cette période ? Il reste le
manuel de référence de la Troisième République en prenant lui aussi le tournant
culturel. On voit fréquemment le discours d’Ernest Lavisse du 30 janvier 1920 à
la Sorbonne repris dans les dictées données aux écoliers sous le titre « Il faut tuer la guerre ! » :
« La guerre a compromis la science
devenue l’auxiliaire et la servante de la barbarie. La guerre menace de léguer
aux nations des haines qui la ranimeront à l’avenir. La guerre tuera l’humanité
si l’humanité ne tue pas la guerre ».
Histoire de France en dix
volumes de Lavisse (collection privée)
Ernest Lavisse,
l’instituteur national, oublie la « juste revanche » de la Patrie
qu’il exprima en 1919, à la fin de son Histoire
de France pour le Cours Moyen au profit de la Paix, modifiant ainsi la fin
du roman national qu’il proposait jusqu’alors aux petits français. Au terme de
son « Petit Lavisse » remanié après 1920, il ne parle plus de la
République, accomplissement de l’aventure de la nation française mais plus
volontiers de la Société des Nations (SDN), accomplissement de l’histoire des
nations (ce fut le cas pour nombre d’auteurs de manuels (3)). Concrètement, dans
sa version de 1922 pour le Cours Moyen, on trouve, dans le dernier chapitre
s’intitulant « La Grande Guerre », en fin de la dernière partie
« La paix de Versailles », un dernier paragraphe : « La
Société des nations » : « La
paix de Versailles s’est proposé d’empêcher à l’avenir les injustices. Elle a
fondé une Société des Nations. Tous les États membres de cette Société
s’engagent à garantir mutuellement leur territoire et leur indépendance. Si
quelque différend se produit entre eux, ils le feront juger par un conseil dont
les membres seront nommés par eux. Si un État refuse de se soumettre au
jugement, la Société l’y contraindra par un blocus qui lui ôtera les moyens de
vivre, et, au besoin, par la force des armes. Ainsi, la paix de Versailles,
paix de justice, est aussi une paix d’Humanité. Elle promet aux hommes qui, depuis
des milliers de siècles, ont tant souffert du fléau de la guerre, un avenir de
travail dans la paix. Puisse la Grande Guerre, d’où la France et les Alliés
sont sortis vainqueurs, avoir été la dernière des guerres »…
(collection musée)
Ainsi, cette dernière partie
du « Petit Lavisse » promouvait-elle le pacifisme, pour peu de temps
malheureusement. Ce bel esprit de Locarno et d’une école nouvelle (4) va
bientôt être mis à rude épreuve par les événements et notamment la nouvelle
montée des nationalismes. Dès les éditions 1934 et 1935, Ernest Lavisse va
remodifier la fin du roman, la dernière leçon d’histoire devient « Le
retour de la paix armée », il y développe le retour de l’inquiétude de la
guerre « comme avant
1914 » : « Le retour à la paix armée. Mais, depuis 1933,
l’horizon s’est de nouveau assombri. À
l’exemple de l’Italie, l’Allemagne est alors devenue un État dictatorial. Elle a commencé de formidables armements,
déclaré nul le traité de Versailles, traité avec dédain la Société des Nations.
Son chef seul décide au nom du peuple qu’il gouverne. Dès 1936, l’Italie a
envahi et annexé l’Éthiopie,
État africain membre de la Société des
Nations. En 1938, l’Allemagne a envahi et annexé l’Autriche, puis menacé
d’invasion la Tchéco-Slovaquie de concert avec la Hongrie et la Pologne. Le
pays menacé n’a échappé à une invasion armée qu’en se laissant enlever des
territoires. Une nouvelle guerre mondiale a été évitée à la dernière
minute ; mais la « raison du plus fort » l’a emporté. Comme
avant 1914, les peuples inquiets vivent sous le régime de la paix armée. Puissent les
évènements ne pas justifier leurs inquiétudes. » Lavisse, Histoire de France, Cours moyen, Colin,
1939.
A leur tour, les jours du
roman national humaniste sont comptés, en 1938, il n’est plus possible de
croire en la SDN.
(pinterest)
Caricature,1935 (picclick)
En
guise de conclusion
Le « roman d’initiation sacré de la Patrie » à l’école n’a
pas réussi sa mutation en récit des faits humaniste et pacifique malgré les
conséquences de la Grande Guerre et, parfois, l’histoire contrecarre les évolutions pourtant évidentes. La Patrie évincée
ne fut pas complètement remplacée par la Paix et le Travail car elle resta
le fil conducteur de l’enseignement scolaire dans la continuité des programmes
de 1923, bien qu’elle ne soit plus la finalité du roman national. Dans le même
temps, l’humanisme pacifique du travail introduit par les programmes de 1938 ne
fut qu’une anticipation pour le futur, comme l’a conclu un historien : « D’un programme à l’autre,
de 1923 à 1938, se livre ainsi le visage du trouble identitaire
national de ces années d’entre-deux-guerres, années d’entre-deux-France, où
l’on va, non sans recouvrements, de l’initiation patriotique désenchantée à
l’anticipation pacifique contrariée, d’un roman à l’autre. » Il faudra
attendre les soubresauts des années 60…
Il semble illusoire de
penser que revenir au roman (ou récit) national serait la solution à tous nos
maux. Notre bref examen de l’enseignement de l’histoire durant la première
moitié du 20ème siècle où le roman national était roi, alors que le
Petit Lavisse était le manuel universel, nous a montré ses limites. Le
nationalisme développé alors n’a pas empêché les français d’être en désaccord,
voire de se faire la guerre. Les mythes historiques et les images d’Epinal de
la France éternelle, de nos jours, ne remplaceront pas plus le besoin croissant
de confiance en les institutions et le sentiment d’être écouté et respecté par
elles. La solution est ailleurs… mais ceci est une autre étude.
Sources et
bibliographie :
-
Jean Leduc, Pourquoi enseigner l'histoire? La réponse d'Ernest Lavisse, Histoire@Politique 3/2013.
-
Pierre NORA, Lavisse, instituteur national, Les Lieux de mémoires, Galimard, 1984
-
Pierre Nora, Histoire et roman, où passent les frontières ?, Le
Débat, 2011
-
Pierre Nora, Difficile enseignement de
l’histoire, Le Débat, 2013
-
Anne-Marie Thiesse, L’histoire de France en musée? Patrimoine collectif et stratégies
politiques, Raisons politiques, 2010.
-
http://www.slate.fr/story/128189/cours-histoire
(1) :
Ernest
Lavisse
Normalien, issu d’un milieu
modeste et boursier, Ernest Lavisse devient secrétaire du cabinet du ministre
de l’Instruction Victor Duruy sous le Second Empire. Il part, après la défaite
militaire de 1870, étudier le système universitaire allemand et l’histoire de
la Prusse. Il occupe à partir de 1883 la chaire d’histoire moderne à la
Sorbonne. Conseiller de plusieurs ministres de l’Instruction publique,
académicien, directeur de l’Ecole normale supérieure, directeur de publication,
auteur de manuels, il occupe une place centrale dans les institutions scolaires
et culturelles de la Troisième République.
(collection musée)
La première édition du
«Petit Lavisse», imprimée à plusieurs millions d’exemplaires de 1884 aux années
1950, s’ouvre sur cette déclaration : « Un
rôle fondamental appartient à l’histoire dans l’éducation nationale; c’est elle
qui doit cultiver dans les âmes le patriotisme, car le patriotisme, pour porter
des fruits, a besoin de culture. » Et de poursuivre : « Un
lien nous rattache à ceux qui ont vécu, à ceux qui vivront sur notre sol: nos
ancêtres, c’est nous dans le passé, nos descendants, c’est nous dans l’avenir.
Connaître l’œuvre de nos ancêtres et l’aimer, être fier de leurs succès et
triste de leurs revers, se sentir victorieux à Bouvines, à Jemmapes et à Iéna,
vaincu à Crécy et à Waterloo, honorer pieusement les mémoires illustres,
méditer sur les bons exemples pour les suivre, et sur les fautes pour les
éviter: voilà le vrai patriotisme que l’école doit enseigner à tous. »
(2) : D'un roman national, l'autre. Lire l'histoire par la fin dans
les programmes de 1923 et de 1938, Olivier Loubes, extrait, 2013 :
Petit Lavisse,
détail (collection musée)
« Paul Lapie cherche à
répondre aux remises en cause de la valeur scientifique et éducative de
l’histoire, apparues depuis le congrès des amicales de 1904 mais
considérablement approfondies, à partir de 1922 et 1923, par l’effort
des organismes genevois et du Syndicat des instituteurs. Les modifications des
programmes de 1923 par rapport à leurs prédécesseurs de 1887 sont les
suivantes : la suppression de l’histoire en Section préparatoire entraîne
le transfert des « anecdotes, biographies tirées de l’histoire
nationale » (1887) vers le cours de morale où elles deviennent
« Biographies d’hommes illustres » ; la période couverte par le
Cours élémentaire (entre sept et neuf ans) s’allonge (il va désormais
jusqu’à 1610 au lieu de s’arrêter à la fin de la guerre de
Cent ans) ; la guerre de 1914-1918 vient désormais ponctuer les
Cours moyen et supérieur où elle était de fait enseignée depuis 1914 . Ces
changements s’accompagnent de commentaires techniques dépassionnés portant sur
le trop jeune âge des élèves du Cours préparatoire pour acquérir les notions de
temps, et sur les aménagements qu’implique la méthode progressive. Tout
autrement combatifs sont les paragraphes qui définissent le caractère et le but
de l’ensemble de l’enseignement historique et géographique :
« On s’est parfois demandé quel devrait être, à l’école primaire,
le caractère de l’enseignement historique et géographique ; on a voulu
opposer le point de vue scientifique et le point de vue civique, les uns
soutenant que l’historien, même à l’école primaire, ne doit avoir d’autre souci
que de dire toute la vérité, les autres estimant que l’instituteur doit surtout
s’attacher à cultiver, par le récit des gloires et par la description des
beautés de notre pays, le sentiment patriotique. Nous nous refusons à poser le
problème en ces termes. Nous nous refusons à opposer les droits de la science
et les droits de la France. Le patriotisme français n’a rien à craindre de la
vérité. Ce ne sont pas seulement les gloires communes, ce sont aussi, ce sont
surtout les souffrances communes qui scellent l’unité nationale. L’instituteur
n’a pas à les dissimuler. Certes, l’enfant de l’école primaire est trop jeune
pour qu’on étale devant lui et qu’on livre à sa libre discussion tous les
documents sur lesquels pâlissent les historiens. Mais l’instituteur peut, sans
hésiter, lui raconter l’histoire de notre pays telle qu’elle résulte des
recherches impartiales des savants. La place de la France dans le monde est
assez grande, son rôle assez noble pour qu’un enseignement sincère, soucieux de
vérité jusqu’à l’intransigeance, favorise l’éclosion et l’épanouissement du
sentiment patriotique. Et tel doit être le but de l’enseignement historique et
géographique à l’école primaire ».On
sent ici combien le directeur de l’Enseignement primaire, en digne élève de
Durkheim et condisciple de Bouglé, continue de conjuguer raison et patrie, mais
on voit aussi combien il pense avoir désormais à convaincre ses troupes
primaires et la société d’après-guerre. Et, s’il a abandonné, dans ce plan
de 1923, ses ambitions de réorganisation du système scolaire, il ne lâche
rien de ses convictions patriotes et rationalistes. En cela il apparaît plus
comme un héritier des combats du XIXe siècle que comme un
précurseur de ceux du XXe siècle. »
(3) :
(collection musée)
(collection musée)
(collection musée)
(collection musée)
(collection musée)
(collection musée)
(collection musée)
(collection musée)
(collection musée)
(4) :
Revoir les articles du blog :
L’Ecole
nouvelle, l’espoir nouveau-Période 1920/1931, les pionniers
https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2020/05/lecole-nouvelle.html
L’Ecole
nouvelle, l’espoir nouveau-Période 1920/1931, la fin des pionniers
https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2020/06/lecole-nouvelle-2.html
P.P
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