vendredi 9 décembre 2022

Chronique des héros du roman National : Clovis

 

Clovis

Chronique des héros du Roman National

Clovis, Histoire Junior, Hachette, 1990 (collection musée)

Les francs, barbares ignorants et cruels, vêtus de peaux de bêtes…

L’avènement de Clovis, en 481, préside à une période dite « mérovingienne » de trois siècles. Une période de transition entre la fin de l’Antiquité et le début du Moyen Age, devenue, au 19e siècle, le mythe fondateur national idéalisant les changements sociétaux de l’époque : victoire du christianisme, victoire contre les Huns, naissance de la France. Controversé, le personnage de Clovis apparut au cours des siècles, selon les postures politiques, tantôt barbare, tantôt fondateur de la France. Retour en arrière…


Tableau Rossignol, collection musée (www.collectionsrossignol.com)

Construction des Etats-Nations et instrumentalisation politique du passé

Au 19e siècle, les historiens participent à cette construction, Ernest Lavisse en tête. Ils sélectionnent des faits, véhiculent des valeurs, pour finalement porter un jugement souvent partial sur certains événements et certaines figures historiques. Ernest Lavisse, créateur de « l’instituteur national », auteur de nombreux manuels d’histoire et ministre de l’Instruction publique en 1879, puis de 1881 à 1883, en fut un des acteurs principaux. Il assigne à l’histoire une finalité patriotique dont la période de Clovis et des mérovingiens est un moment clé dans la construction de la France. Clovis succède à son père Childéric 1er. Contrairement à ce dernier qui défendait les Romains contre les Wisigoths, il s’oppose farouchement à eux, ce qui marque une étape décisive dans l’histoire occidentale. Ainsi est créé, pense-t-on, le plus grand royaume barbare dont la dynastie va durer 300 ans. Lavisse insiste sur le rôle fondateur de Clovis dans l’émergence de la France et s’appuie sur une iconographie novatrice : Clovis sur son bouclier, son baptême, le vase de Soissons… Des années 1890 à 1945, les mêmes images se retrouveront dans les manuels, la plupart des auteurs appliquant les préceptes de Lavisse : « la leçon est toujours très courte, elle comprend un texte de quelques lignes, voilà pour la mémoire ; un récit et une gravure : voilà pour l’imagination » (Lavisse, 1907, Préface), « toutes les gravures sont placées en regard du texte qu’elles suivent de très près. Elles n’ont donc besoin, comme légende, que d’un simple titre » (Lavisse, 1924, Avant-propos). Il est notable que, grâce à lui, le règne de Clovis sera enseigné à tous les degrés de l’enseignement.

Clovis 1er, roi des Francs, tableau de François Louis Dejuinne, 1837 (collections.chateauversailles.fr)

Après la Seconde Guerre mondiale, les pédagogues comprennent que l’enseignement de l’histoire doit être impérativement réformé. Beaucoup d’élèves n’arrêtent plus leur cursus scolaire après l’école primaire et les programmes doivent évoluer et s’adapter à la nouvelle société. La réflexion évoluera lentement, surtout à partir des années 1960 et aboutira à la réforme dite de « l’éveil » qui modifiera les programmes d’histoire, en 1978 pour le Cours élémentaire, et en 1980 pour le Cours moyen. Malgré tout, les changements s’opéreront plus dans les méthodes que dans les contenus. Les images traditionnelles de Clovis et des Mérovingiens laisseront la place aux « traces du passé »: armes mérovingiennes, émaux mérovingiens, bijoux mérovingiens… Ces nouveaux programmes seront de courte durée, bientôt remplacés par ceux de 1985 qui privilégieront l’utilisation de documents-source.


Document-source : casque franc

Les deux composantes du mythe des origines nationales sont les faces d’une même pièce : côté pile : les Gaulois, côté face : les Francs. Christian Amalvi, dans un article de 1989, propose une approche du mythe franc et du personnage de Clovis, après les soubresauts postrévolutionnaires. Il distingue trois temps forts : la période 1814-1878, où est débattu à nouveau le problème central de nos origines nationales ; la période 1878-1896, avec la victoire républicaine aux élections, victoire de la gauche sur « l’Ordre public », victoire supposée aussi des Gaulois/républicains sur les Francs/légitimistes ; la période post-1896, année du quatorzième centenaire du baptême de Clovis, célébré en grande pompe à Reims par les catholiques, apogée du mythe, mais sans lendemain, puisque suivi d’un rapide déclin.


Image scolaire, vers 1960

Le retour de Clovis dans la lumière se manifeste surtout à partir du sacre de Charles X à Reims : « Là, prosterné au pied du même autel où Clovis reçut l’onction sainte (..) je renouvellerai le serment de maintenir et de faire observer les lois de l’Etat », une façon de rappeler la sainte alliance de la religion et de l’Etat, l’alliance du trône et de l’autel (ou encore du sabre et du goupillon si l’on considère les exactions de la fin de règne de Clovis) ! Cette restauration momentanée de la monarchie permet donc à la France de Clovis et de Saint-Louis de se retrouver dans la France de Charles X, tandis que le Panthéon est restitué au culte catholique au grand dam de Stendhal : « Depuis que les prêtres ont, comme on sait, chassé Voltaire et Rousseau du Panthéon pour redonner à ce monument le nom de Sainte-Geneviève, ce nom est devenu ridicule ».


Le baptême de Clovis, basilique de Reims (wikidia.org)

La Restauration fut sans nul doute l’ «âge d’or » du mythe de Clovis, interrompu par la Monarchie de Juillet qui réaffecta le Panthéon à sa vocation première (… jusqu’à ce que Napoléon III ne le restitue à nouveau à l’église !). Le nouveau régime n’entend donc plus tenir sa légitimité du baptême de Reims, sans toutefois renier complètement Clovis. Pour preuve, la Galerie des batailles, à Versailles, inaugurée en 1837, s’ouvre sur la bataille de Tolbiac, tableau qui montre Clovis implorant Dieu de lui accorder la victoire avec la promesse de son baptême, l’artiste a cependant bien pris soin de l’entourer d’un Gaulois et d’un Franc…


Clovis : de l’empyrée à l’oubli

La réflexion sur l’utilisation du personnage doit être menée autour de deux axes : la place de Clovis et des Mérovingiens dans les manuels et la chronologie de l’évolution du symbole qu’ils représentèrent dans ces derniers. Les premières images de Clovis, de la fin du 19e et jusqu’à la fin de la Troisième République sont souvent des reproductions  sous forme de gravures ou de dessins dont la fonction est de dramatiser et de donner un rôle affectif lié à l’enseignement de l’histoire comme récit national. Bien plus tard, après 1970, la photographie ayant pris le pas sur toute autre représentation, les documents-source deviennent eux-mêmes objets d’étude et ne proposent plus que les traces du passé de l’époque mérovingienne comme objet d’apprentissage.


Gravure, 1875 (abebooks.fr)


Gravure, 1855 (abebooks.fr)

Deux périodes s’imposent alors : la période allant de 1900 aux années 1960, puis la période allant des années 1960 à nos jours. La première donne une image controversée de Clovis alors que la seconde, débarrassée du personnage mythique tend à donner à l’élève le statut d’apprenti historien (dans les années 1980) avant de lui donner une formation critique (dans les années 1990), appréhendant plus largement la période mérovingienne et l’organisation de sa société.   

Clovis et les Mérovingiens dans les manuels scolaires

De la naissance de l’école publique jusqu’au milieu du 20e siècle, les méthodes pédagogiques de l’enseignement de l’histoire ne cesseront d’évoluer et les illustrations des manuels de progresser, passant de la gravure à la photographie. Cependant, le modèle d’organisation mis au point par les maisons d’édition ne variera guère : le texte se déroule en paragraphes numérotés, parsemés de vignettes, en noir et blanc longtemps, et en petit format. Les procédés techniques permettront, peu à peu, de multiplier les images.




Le manuel de Gauthier et Deschamps, dans ses éditions de 1904 et 1908, ne manque pas de mettre l’accent sur son imagerie : Cours élémentaire d’histoire de France avec 366 gravures dont 14 tableaux de récapitulation par l’image. Une synthèse en images est effectivement présentée sur Clovis et Charlemagne.


Petit tableau de l’histoire de France par l’image, Gauthier-deschamps, 1907, Cours élémentaire

Autour d’eux s’organisent plusieurs vignettes qui marquent les faits à retenir par l’élève. Grâce à Sainte-Geneviève, Clovis chasse les Huns de Paris ; le chef des Francs est choisi par « acclamation » ; Clovis promet de se convertir au catholicisme après la bataille de Tolbiac durant laquelle il vainc les Alamans ; Le baptême de Clovis. On note d’emblée que la représentation du personnage qui est faite par les auteurs est très emprunte de religion, à travers cette union des Francs et de l’Eglise, on assiste à la naissance de la  « fille aînée de l’Eglise » (1).




En 1907, Ernest Lavisse avait précisé le rôle des images dans l’avertissement d’un de ses manuels : « Les images sont là pour développer la mémoire et l’imagination des élèves ». Pour lui, elles semblent parler d’elles-mêmes, laissant à l’élève une liberté de représentation sinon d’expression… Noble idée pédagogique, si ce n’est qu’il trouve nécessaire d’accompagner chacune d’elles de questions qui guident leur réponse ! Gauthier et Deschamps suivent ce modèle. Pour exemple, la page 9 de leur manuel et son questionnement, reproduite ci-dessus : « Cette histoire du vase de Soissons vous prouve-t-elle que les rois francs étaient très obéis de leurs guerriers ? Que les rois francs étaient barbares ? ». La réponse se trouve page 8, sans équivoque : « cette vengeance cruelle de Clovis prouve combien les Francs étaient encore des barbares » !

La même vision de l’histoire sera reprise à tous les niveaux scolaires.



Petit tableau de l’histoire de France par l’image, Gauthier-deschamps, 1907,  Classe enfantine


Petits tableau de l’histoire de France par l’image, Gauthier-Deschamps, 1909, Cours Supérieur

De son côté, bien que décédé en 1922, Ernest Lavisse verra ses manuel édités encore longtemps, reprenant l’image traditionnelle de Clovis : son baptême, s’inspirant du récit de Grégoire de Tours, historien et propagandiste de la foi chrétienne de la fin du VIe siècle. Si les traits principaux du récit de Grégoire peuvent se vérifier, les détails en sont probablement romancés, attribuant notamment à Saint Rémi, l’évêque de Reims, ces paroles : « Courbe toi, [fier] Sicambre. Brûle ce que tu as adoré ; adore ce que tu as brûlé ».


Histoire de France, Cours moten 1ère année, E. Lavisse, 34e édition, 1933 

En général, la représentation de Clovis, premier roi des Francs, créateur de la Nation, fera l’unanimité parmi les éditeurs tout au long de la fin du 19e siècle et au début du 20e. Un manuel va rompre cette belle entente en se démarquant nettement des précédents : l’Histoire de France par l’image et l’observation directe, de Devinat et Toursel, en 1926. Il fait suite aux nouveaux programmes de 1923.



Il est notable que le nom de l’illustrateur est mentionné, Ferdinand Raffin (2), fait assez rare dans ce genre de manuel. Peut-être les éditeurs ont-ils voulu marquer l’évolution de l’imagerie de cet ouvrage qui introduit la couleur.


La période ne comporte qu’une seule page et propose une vision un peu différente de Clovis et des Mérovingiens, sans toutefois nommer directement cette dynastie. Les sous titres sont explicites : « un chef Clovis », « les Francs pillards », « les Francs cruels », mais  « le bon roi Dagobert »… histoire de se rattraper ! Un résumé en gros caractères reprend les différentes légendes des vignettes, donnant, au passage, une image très stéréotypée des Mérovingiens : ce sont tous des barbares belliqueux menés par Clovis. Un bon roi est cependant identifié, ce qui n’est pas sans rappeler la « classification » de Grégoire de Tours au 6e siècle, qui, dans ses écrits, sépara les « bons » des « mauvais » rois de la dynastie. Les « bons » étant évidemment ceux qui avaient été généreux avec l’Eglise. Devinat et Toursel s’en inspirèrent-ils ? 


En 1946, Brossolette et Ozouf écrivent Mon premier livre d’histoire de France, Images en couleur, produit par Delagrave.


Dans ce manuel, il n’est guère fait de différence entre les Huns et les Francs, tous sous le titre Les barbares.




Les auteurs ne s’étendent pas sur le personnage de Clovis et restent dans la ligne stéréotypée de Devinat et Toursel : les rois francs sont méchants et cruels, et ce, sans leur trouver d’exception malgré l’allusion furtive à Dagobert. On tourne vite la page 10 pour ouvrir un long pamphlet de 5 pages sur Charles Martel, Charlemagne et les Carolingiens.




Bonifacio, Mérieult, Histoire de France CE, 1952 (grandes images)

Au fil des années d’après-guerre, la figure héroïque de Clovis s’estompe au profit des derniers rois mérovingiens à la réputation de paresseux traînés dans des chars à bœufs. Cette représentation reflète leur décadence morale et physique et sous-entend un retour à plus de barbarie.


Image d’Epinal illustrant un manuel de la Troisième République

On assiste alors à une double lecture de l’histoire, notamment dans le manuel de Bonifacio et Mérieult Histoire de France, 1952. Clovis reste toujours un roi unificateur tout en apparaissant comme rusé et cruel et l’image des Francs est négative : « Les Francs sont des barbares. Ils s’habillent de peau de bêtes, ils ne savent ni lire ni écrire ». Peut-on voir ici une assimilation rancunière entre Allemands de l’époque et envahisseurs germains, à la suite de la Seconde Guerre mondiale ?

Les préceptes de Lavisse sur l’utilisation de l’image sont encore bien présents dans la préface du manuel : éveiller l’imagination des élèves, orienter la lecture des images par des questions pertinentes. On constate bien une volonté de la part des auteurs de construire un dialogue avec les élèves à partir des images, mais les questions fermées, posées par le maître, ne leur permettent pas d’émettre quelque hypothèse que ce soit, n’induisant qu’une seule réponse.


Bonifacio et Mérieult Histoire de France, 1952 (collection musée)

Avec le manuel de Bernard et Redon Notre premier livre d’histoire, édition en 1959, l’image prend de l’ampleur et déborde du cadre qui lui était habituellement imparti dans l’organisation de la page. Clovis y est représenté en posture majestueuse, dressé sur son pavois : un guerrier germain de grande taille, fortement armé, aux cheveux blonds nattés et à la moustache tombante, comme le précise le texte. Le récit et le résumé de la leçon insistent surtout sur sa conversion au catholicisme.  




Notre premier livre d’histoire, Bernard et Redon, Nathan, 1959

Les années 1960 voient l’avènement de nouvelles pratiques et le remplacement, peu à peu, de l’illustration traditionnelle par la photographie, en même temps que les personnages historiques sont remplacés par les « traces du passé » et les sources historiques. Dans le manuel de Chaulanges et Chaulanges L’histoire au cycle moyen de 1963, aucune représentation de Clovis qu’un texte très académique décrit avec des caractéristiques peu novatrices : « Clovis était un chef cruel, mais brave et rusé ». Le rappel de la naissance de la nation et de l’union du pouvoir avec l’Eglise est explicite page 16, version politique qu’exprimera le général de Gaulle en 1965 (3). A la même page apparaissent les traces du passé.




L’histoire au cycle moyen, M. Chaulanges et S. Chaulanges, Delagrave, 1963

1980, nouvelle réforme, nouveau programme. L’éveil est privilégié, interroger les traces du passé doit permettre à l’élève de se construire une connaissance historique. Dans le manuel de Hinnewinkel, Sivirine et Vincent Découvrir, comparer, connaître, histoire au C.M., 1981, une seule image de Clovis, son baptême sur l’Ivoire carolingien de Saint-Rémi de Reims.





Clovis, et plus généralement la période mérovingienne, ne trouvent plus leur place dans les dix années durant lesquelles la réforme de l’éveil va s’appliquer. Il faudra attendre les années 90 pour qu’apparaisse une vision renouvelée des Mérovingiens. Clovis et les Francs retrouveront leur statut d’envahisseurs barbares dans le manuel Histoire CM1 Nouveau programme de Deverre, Fournols et Verrier, 1995 chez Hatier. Clovis fera l’objet d’un maigre paragraphe et de deux allusions dans la page d’exercices, dans le chapitre Les grandes invasions, avec en conclusion «il se fait baptiser, devenant ainsi le premier roi barbare catholique. » Notons, au passage, la forme ludique et attrayante que prennent les exercices proposés page 13. 





A l’orée des années 2000, le contenu des programmes en histoire s’inspire des récents travaux universitaires qui proposent une nouvelle approche, plus scientifique de la dynastie mérovingienne. Les termes changent et « les invasions barbares » deviennent « les migrations germaniques », l’image caricaturale des rois fainéants dans un chariot traîné par des bœufs n’est plus de mise. Il faut dire que cette représentation n’était pas une source historique puisqu’introduite au 15e siècle et reprise par l’école de la Troisième République. Dans Histoire, histoire des arts CM, cycle 3, chez Hatier, de Le Callennec, 2016, la géopolitique, d’une manière très modeste, est privilégiée par rapport au baptême de Clovis sur lequel on s’interroge déjà dans l’édition de 2009 (date floue, déroulement erroné ?). L’auteure privilégie plus volontiers le partage du royaume de Clovis entre ses quatre fils. 


Histoire, histoire des arts CM, cycle 3, Hatier, Le Callennec, 2016


Le partage du royaume de Clovis entre ses quatre fils, document source (musée Condé, Chantilly)


Dès lors, on invite les élèves à s’interroger sur la nature des documents proposés afin de former leur esprit critique. On s’éloigne nettement du roman national tel qu’il était préconisé jadis. Evoquer le baptême de Clovis revient à s’interroger sur le document source, c’est pourquoi les nouveaux manuels se font désormais l’obligation de préciser l’origine et les références des documents. Autrefois réservée au collège, l’analyse des documents fait son entrée dans l’école élémentaire et on s’interroge même sur la méthode des historiens comme dans le manuel Histoire-géographie CE2 de Sophie Le Gallenec, Hatier, 2009, dont l’auteure pose la question suivante, à propos de la tablette d’ivoire représentant le baptême de Clovis : « A ton avis, les historiens considèrent-ils cet épisode comme la vérité historique ? ». En termes clairs, un document source produit au 9e siècle relatant un événement du 5e siècle relève-t-il de l’histoire ou de la légende ? Le temps des certitudes du roman national laisse la place au temps des innovations et des recherches.



Histoire-géographie CE2, Le Callennec, Sophie, 2009,  Hatier, p. 72

CONCLUSION

A travers les héros du roman national est posée la question de la vérité en histoire. Le maître détient la parole vraie. Pour les élèves, l’histoire enseignée à l’école est une vérité, ce qu’avaient bien compris les pédagogues et les historiens de tous régimes, en interprétant l’histoire au profit de leurs idées. Le récit national des républicains de la fin du 19e siècle en est un exemple (4). Ne parlaient-ils pas déjà d’innovation ?


Petits tableau de l’histoire de France par l’image, Gauthier-deschamps

La démarche de Sophie Le Callenec, dans ses manuels, développe une méthode nouvelle partant d’un constat : il y a « ce que l’on croit, ce que les historiens savent et ce que l’histoire a retenu ». Trois étapes doivent être développées : « la phase documentaire ou recherche des différentes informations sur un événement s’apparente à ce que l’on croit ; la phase d’explication/compréhension correspond à ce que les historiens savent ; la phase de représentation qui permet d’identifier ce que l’on a retenu de l’événement. »


Image scolaire, vers 1960

La réalité est souvent terne, la légende nous fait rêver. Clovis disparaît peu à peu des mémoires des écoliers. Resteront, pour les anciens, le mystère de sa tombe disparue et de cet ange qui, à la bataille de Tolbiac, vint lui proposer d’échanger les trois crapauds qui ornaient son bouclier (symbole païen) contre trois fleurs de lys d’or, fleur qui devint, ce jour-là, l’emblème de la monarchie française jusqu’à la Révolution de Juillet 1830, date à laquelle le dernier roi de France, Louis-Philippe, adopta le drapeau tricolore comme héritage de la Nation ! Cette manière de voir l’histoire et de sacraliser les faits est loin de la volonté de développer le jugement des élèves, maître mot des nouveaux programmes d’EMC (Enseignement Moral et Civique) de 2015 qui proposent de « transmettre un socle de valeurs communes : la dignité, la liberté, l’égalité, la solidarité, la laïcité, l’esprit de justice, le respect de la personne, l’égalité entre les femmes et les hommes, la tolérance et l’absence de toute forme de discrimination »

Sources :

-       Documentation musée.

-       Manuels collection musée.

-       Article de Catherine Faure, L’image de Clovis et des Mérovingiens dans les manuels scolaires de la fin du 19e siècle à nos jours : Reflet de l’évolution historiographique et des pratiques pédagogiques, 2018, unilim.fr.

-       Manuels d’histoire, Sophie Le Gallenec, historienne et anthropologue, directrice de la collection Magellan.

-       Bulletins de l’Instruction publique et Bulletins officiels de l’EN.





(1) : Cette expression est utilisée pour la première fois par le père Henri-Dominique Lacordaire dans un sermon à Notre-Dame le 14 février 1841. Selon lui, la nation franque fut la première nation catholique donnée à Dieu par son Eglise et la papauté appela les rois de France les « fils aînés » de son Eglise : « De même que Dieu a dit à son fils de toute éternité : « tu es mon premier-né », la papauté a dit à la France : « tu es ma fille aînée » ». La formule fut remise au goût du jour par Jean-Paul II dans son discours du Bourget, en juin 1980 : « France, fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle à ton baptême ? ».

(2) : Ferdinand Raffin est né en 1877. Ses 60 ans de carrière lui ont permis d’illustrer nombre d’ouvrages pour les éditeurs Colin, Geldage, Mame, Martinet, Picard & Kaam, entre autres. Il dessinera pour La Semaine de Suzette de 1909 à 1948, et aussi pour Le Chat Noir, L’Univers illustré, Le Petit Français illustré, ainsi que pour différents manuels scolaires de lecture ou d’orthographe.


(3) : A la question pourquoi il se référait si souvent aux quinze cents années d’histoire de la France, alors que pour la plupart des Français, elle remontait à deux mille ans, le général de Gaulle répondait : « Pour moi, l’histoire de France commence avec Clovis, choisi comme roi de France par la tribu des Francs, qui donnèrent leur nom à la France. Avant Clovis nous avons la préhistoire gallo-romaine et gauloise. L’élément décisif pour moi c’est que Clovis fut le premier roi à être baptisé chrétien. Mon pays est un pays chrétien et je commence à compter l’histoire de France à partir de l’accession d’un roi chrétien qui porte le nom des Francs. » Paroles citées dans Les trois vies de Charles de Gaulle de David Schoenbrun, 1965.

(4) : A propos de l’épisode du vase de Soissons et du pillage de la ville, la tradition voulait que le partage du butin se fasse au tirage au sort, avec une totale égalité de droits entre le chef et les autres. Mais, voilà qu’à la requête de l’évêque de Reims, Saint-Rémi, Clovis demande le fameux vase. Tous les guerriers sont d’accord, sauf un, qui, de dépit, frappe le vase de sa hache, « Tu n’auras que ce que le sort te donnera ! » s’exclama-t-il. L’année suivante, Clovis inspecte ses troupes avant une bataille et reconnaît le récalcitrant. Usant de son droit de vie ou de mort sur ses hommes en temps de guerre, il lui fend le crâne de sa hache « Souviens-toi du vase de Soissons » ou « Ainsi as-tu fait du vase de Soissons », selon les sources, républicaines ou chrétiennes. En bon barbare qu’il était, Clovis profite donc de son régime d’exception pour régler ses comptes personnels, soit. Seulement, pendant longtemps, dans les manuels proposés aux écoliers, la morale n’est pas sauve. L’affaire est retournée à l’avantage de Clovis, qui venge ainsi un sacrilège, Louis Halphen, historien, déclarant même que Clovis fut ainsi « l’instrument divin de punitions des détenteurs illégaux de biens de l’Eglise » !


Image scolaire, vers 1950

Patrick PLUCHOT


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