Clovis
Chronique des héros du Roman National
Clovis, Histoire Junior,
Hachette, 1990 (collection musée)
Les
francs, barbares ignorants et cruels, vêtus de peaux de bêtes…
L’avènement
de Clovis, en 481, préside à une période dite « mérovingienne » de
trois siècles. Une période de transition entre la fin de l’Antiquité et le
début du Moyen Age, devenue, au 19e siècle, le mythe fondateur
national idéalisant les changements sociétaux de l’époque : victoire du
christianisme, victoire contre les Huns, naissance de la France. Controversé, le personnage de Clovis apparut au cours
des siècles, selon les postures politiques, tantôt barbare, tantôt fondateur de
la France. Retour en arrière…
Tableau Rossignol, collection musée
(www.collectionsrossignol.com)
Construction
des Etats-Nations et instrumentalisation politique du passé
Au 19e siècle, les historiens participent à
cette construction, Ernest Lavisse en tête. Ils sélectionnent des faits,
véhiculent des valeurs, pour finalement porter un jugement souvent partial sur
certains événements et certaines figures historiques. Ernest Lavisse, créateur
de « l’instituteur national », auteur de nombreux manuels d’histoire
et ministre de l’Instruction publique en 1879, puis de 1881 à 1883, en fut un
des acteurs principaux. Il assigne à l’histoire une finalité patriotique dont
la période de Clovis et des mérovingiens est un moment clé dans la construction
de la France. Clovis succède à son père Childéric 1er. Contrairement
à ce dernier qui défendait les Romains contre les Wisigoths, il s’oppose
farouchement à eux, ce qui marque une étape décisive dans l’histoire
occidentale. Ainsi est créé, pense-t-on, le plus grand royaume barbare dont la
dynastie va durer 300 ans. Lavisse insiste sur le rôle fondateur de Clovis dans
l’émergence de la France et s’appuie sur une iconographie novatrice :
Clovis sur son bouclier, son baptême, le vase de Soissons… Des années 1890 à
1945, les mêmes images se retrouveront dans les manuels, la plupart des auteurs
appliquant les préceptes de Lavisse : « la
leçon est toujours très courte, elle comprend un texte de quelques lignes,
voilà pour la mémoire ; un récit et une gravure : voilà pour
l’imagination » (Lavisse, 1907, Préface), « toutes les gravures sont placées en regard du texte qu’elles
suivent de très près. Elles n’ont donc besoin, comme légende, que d’un simple
titre » (Lavisse, 1924, Avant-propos). Il est notable que, grâce à lui,
le règne de Clovis sera enseigné à tous les degrés de l’enseignement.
Clovis 1er, roi des Francs, tableau de
François Louis Dejuinne, 1837 (collections.chateauversailles.fr)
Après la Seconde Guerre mondiale, les pédagogues
comprennent que l’enseignement de l’histoire doit être impérativement réformé.
Beaucoup d’élèves n’arrêtent plus leur cursus scolaire après l’école primaire
et les programmes doivent évoluer et s’adapter à la nouvelle société. La réflexion
évoluera lentement, surtout à partir des années 1960 et aboutira à la réforme dite
de « l’éveil » qui modifiera les programmes d’histoire, en 1978 pour
le Cours élémentaire, et en 1980 pour le Cours moyen. Malgré tout, les
changements s’opéreront plus dans les méthodes que dans les contenus. Les
images traditionnelles de Clovis et des Mérovingiens laisseront la place aux
« traces du passé »: armes mérovingiennes, émaux mérovingiens, bijoux
mérovingiens… Ces nouveaux programmes seront de courte durée, bientôt remplacés
par ceux de 1985 qui privilégieront l’utilisation de documents-source.
Document-source : casque franc
Les deux composantes du mythe des origines nationales
sont les faces d’une même pièce : côté pile : les Gaulois, côté
face : les Francs. Christian Amalvi, dans un article de 1989, propose une
approche du mythe franc et du personnage de Clovis, après les soubresauts postrévolutionnaires.
Il distingue trois temps forts : la période 1814-1878, où est débattu à
nouveau le problème central de nos origines nationales ; la période
1878-1896, avec la victoire républicaine aux élections, victoire de la gauche
sur « l’Ordre public », victoire supposée aussi des
Gaulois/républicains sur les Francs/légitimistes ; la période post-1896,
année du quatorzième centenaire du baptême de Clovis, célébré en grande pompe à
Reims par les catholiques, apogée du mythe, mais sans lendemain, puisque suivi
d’un rapide déclin.
Image scolaire, vers 1960
Le retour de Clovis dans la lumière se manifeste
surtout à partir du sacre de Charles X à Reims : « Là, prosterné au pied du même autel où Clovis reçut l’onction
sainte (..) je renouvellerai le serment de maintenir et de faire observer les
lois de l’Etat », une façon de rappeler la sainte alliance de la
religion et de l’Etat, l’alliance du trône et de l’autel (ou encore du sabre et
du goupillon si l’on considère les exactions de la fin de règne de Clovis) !
Cette restauration momentanée de la monarchie permet donc à la France de Clovis
et de Saint-Louis de se retrouver dans la France de Charles X, tandis que le
Panthéon est restitué au culte catholique au grand dam de Stendhal : « Depuis que les prêtres ont, comme on
sait, chassé Voltaire et Rousseau du Panthéon pour redonner à ce monument le
nom de Sainte-Geneviève, ce nom est devenu ridicule ».
Le baptême de Clovis, basilique de Reims (wikidia.org)
La Restauration fut sans nul doute l’ «âge
d’or » du mythe de Clovis, interrompu par la Monarchie de Juillet qui
réaffecta le Panthéon à sa vocation première (… jusqu’à ce que Napoléon III ne
le restitue à nouveau à l’église !). Le nouveau régime n’entend donc plus
tenir sa légitimité du baptême de Reims, sans toutefois renier complètement
Clovis. Pour preuve, la Galerie des batailles, à Versailles, inaugurée en 1837,
s’ouvre sur la bataille de Tolbiac, tableau qui montre Clovis implorant Dieu de
lui accorder la victoire avec la promesse de son baptême, l’artiste a cependant
bien pris soin de l’entourer d’un Gaulois et d’un Franc…
Clovis : de l’empyrée à l’oubli
La
réflexion sur l’utilisation du personnage doit être menée autour de deux
axes : la place de Clovis et des Mérovingiens dans les manuels et la
chronologie de l’évolution du symbole qu’ils représentèrent dans ces derniers.
Les premières images de Clovis, de la fin du 19e et jusqu’à la fin
de la Troisième République sont souvent des reproductions sous forme de gravures ou de dessins dont la
fonction est de dramatiser et de donner un rôle affectif lié à l’enseignement
de l’histoire comme récit national. Bien plus tard, après 1970, la photographie
ayant pris le pas sur toute autre représentation, les
documents-source deviennent eux-mêmes objets
d’étude et ne proposent plus que les traces du passé de l’époque mérovingienne comme
objet d’apprentissage.
Gravure,
1875 (abebooks.fr)
Gravure,
1855 (abebooks.fr)
Deux
périodes s’imposent alors : la période allant de 1900 aux années 1960,
puis la période allant des années 1960 à nos jours. La première donne une image
controversée de Clovis alors que la seconde, débarrassée du personnage mythique
tend à donner à l’élève le statut d’apprenti historien (dans les années 1980)
avant de lui donner une formation critique (dans les années 1990), appréhendant
plus largement la période mérovingienne et l’organisation de sa société.
Clovis et les Mérovingiens dans les manuels scolaires
De
la naissance de l’école publique jusqu’au milieu du 20e siècle, les
méthodes pédagogiques de l’enseignement de l’histoire ne cesseront d’évoluer et
les illustrations des manuels de progresser, passant de la gravure à la
photographie. Cependant, le modèle d’organisation mis au point par les maisons
d’édition ne variera guère : le texte se déroule en paragraphes numérotés,
parsemés de vignettes, en noir et blanc longtemps, et en petit format. Les
procédés techniques permettront, peu à peu, de multiplier les images.
Le
manuel de Gauthier et Deschamps, dans ses éditions de 1904 et 1908, ne manque
pas de mettre l’accent sur son imagerie : Cours élémentaire d’histoire de France avec 366 gravures dont 14
tableaux de récapitulation par l’image. Une synthèse en images est
effectivement présentée sur Clovis et Charlemagne.
Petit tableau de
l’histoire de France par l’image, Gauthier-deschamps, 1907, Cours élémentaire
Autour
d’eux s’organisent plusieurs vignettes qui marquent les faits à retenir par
l’élève. Grâce à Sainte-Geneviève, Clovis chasse les Huns de Paris ; le
chef des Francs est choisi par « acclamation » ; Clovis promet
de se convertir au catholicisme après la bataille de Tolbiac durant laquelle il
vainc les Alamans ; Le baptême de Clovis. On note d’emblée que la représentation
du personnage qui est faite par les auteurs est très emprunte de religion, à
travers cette union des Francs et de l’Eglise, on assiste à la naissance de
la « fille aînée de l’Eglise » (1).
En 1907,
Ernest Lavisse avait précisé le rôle des images dans l’avertissement d’un de
ses manuels : « Les images sont
là pour développer la mémoire et l’imagination des élèves ». Pour lui,
elles semblent parler d’elles-mêmes, laissant à l’élève une liberté de
représentation sinon d’expression… Noble idée pédagogique, si ce n’est qu’il
trouve nécessaire d’accompagner chacune d’elles de questions qui guident leur
réponse ! Gauthier et Deschamps suivent ce modèle. Pour exemple, la page 9
de leur manuel et son questionnement, reproduite ci-dessus : « Cette histoire du vase de Soissons
vous prouve-t-elle que les rois francs étaient très obéis de leurs
guerriers ? Que les rois francs étaient barbares ? ». La
réponse se trouve page 8, sans équivoque : « cette vengeance cruelle de Clovis prouve combien les Francs
étaient encore des barbares » !
La même
vision de l’histoire sera reprise à tous les niveaux scolaires.
Petit tableau de
l’histoire de France par l’image, Gauthier-deschamps, 1907, Classe enfantine
Petits tableau
de l’histoire de France par l’image, Gauthier-Deschamps, 1909, Cours Supérieur
De
son côté, bien que décédé en 1922, Ernest Lavisse verra ses manuel édités
encore longtemps, reprenant l’image traditionnelle de Clovis : son baptême,
s’inspirant du récit de Grégoire de Tours, historien et propagandiste de la foi
chrétienne de la fin du VIe siècle. Si les traits principaux du récit de Grégoire
peuvent se vérifier, les détails en sont probablement romancés, attribuant
notamment à Saint Rémi, l’évêque de Reims, ces paroles : « Courbe toi, [fier] Sicambre. Brûle ce
que tu as adoré ; adore ce que tu as brûlé ».
Histoire de
France, Cours moten 1ère année, E. Lavisse, 34e édition,
1933
En général,
la représentation de Clovis, premier roi des Francs, créateur de la Nation,
fera l’unanimité parmi les éditeurs tout au long de la fin du 19e
siècle et au début du 20e. Un manuel va rompre cette belle entente
en se démarquant nettement des précédents : l’Histoire de France par l’image et l’observation directe, de Devinat
et Toursel, en 1926. Il fait suite aux nouveaux programmes de 1923.
Il est
notable que le nom de l’illustrateur est mentionné, Ferdinand Raffin (2),
fait assez rare dans ce genre de manuel. Peut-être les éditeurs ont-ils voulu
marquer l’évolution de l’imagerie de cet ouvrage qui introduit la couleur.
La période ne comporte qu’une seule page et propose
une vision un peu différente de Clovis et des Mérovingiens, sans toutefois
nommer directement cette dynastie. Les sous titres sont explicites : « un
chef Clovis », « les Francs pillards », « les Francs cruels »,
mais « le bon roi Dagobert »… histoire de se rattraper !
Un résumé en gros caractères reprend les différentes légendes des vignettes,
donnant, au passage, une image très stéréotypée des Mérovingiens : ce sont
tous des barbares belliqueux menés par Clovis. Un bon roi est cependant
identifié, ce qui n’est pas sans rappeler la « classification » de Grégoire
de Tours au 6e siècle, qui, dans ses écrits, sépara les
« bons » des « mauvais » rois de la dynastie. Les
« bons » étant évidemment ceux qui avaient été généreux avec
l’Eglise. Devinat et Toursel s’en inspirèrent-ils ?
En 1946, Brossolette et Ozouf écrivent Mon premier livre d’histoire de France,
Images en couleur, produit par Delagrave.
Dans ce manuel, il n’est guère fait de différence
entre les Huns et les Francs, tous sous le titre Les barbares.
Les auteurs ne s’étendent pas sur le personnage de
Clovis et restent dans la ligne stéréotypée de Devinat et Toursel : les
rois francs sont méchants et cruels, et ce, sans leur trouver d’exception
malgré l’allusion furtive à Dagobert. On tourne vite la page 10 pour ouvrir un
long pamphlet de 5 pages sur Charles Martel, Charlemagne et les Carolingiens.
Bonifacio, Mérieult, Histoire
de France CE, 1952 (grandes images)
Au fil des années d’après-guerre, la figure héroïque
de Clovis s’estompe au profit des derniers rois mérovingiens à la réputation de
paresseux traînés dans des chars à bœufs. Cette représentation reflète leur
décadence morale et physique et sous-entend un retour à plus de barbarie.
Image d’Epinal
illustrant un manuel de la Troisième République
On assiste alors à une double lecture de l’histoire,
notamment dans le manuel de Bonifacio et Mérieult Histoire de France, 1952. Clovis reste toujours un roi unificateur
tout en apparaissant comme rusé et cruel et l’image des Francs est
négative : « Les Francs sont
des barbares. Ils s’habillent de peau de bêtes, ils ne savent ni lire ni
écrire ». Peut-on voir ici une assimilation rancunière entre Allemands
de l’époque et envahisseurs germains, à la suite de la Seconde Guerre mondiale ?
Les préceptes de Lavisse sur l’utilisation de
l’image sont encore bien présents dans la préface du manuel : éveiller
l’imagination des élèves, orienter la lecture des images par des questions
pertinentes. On constate bien une volonté de la part des auteurs de construire
un dialogue avec les élèves à partir des images, mais les questions fermées,
posées par le maître, ne leur permettent pas d’émettre quelque hypothèse que ce
soit, n’induisant qu’une seule réponse.
Bonifacio et Mérieult Histoire
de France, 1952 (collection musée)
Avec le
manuel de Bernard et Redon Notre premier
livre d’histoire, édition en 1959, l’image prend de l’ampleur et déborde du
cadre qui lui était habituellement imparti dans l’organisation de la page.
Clovis y est représenté en posture majestueuse, dressé sur son pavois : un
guerrier germain de grande taille, fortement armé, aux cheveux blonds nattés et
à la moustache tombante, comme le précise le texte. Le récit et le résumé de la
leçon insistent surtout sur sa conversion au catholicisme.
Notre premier livre d’histoire, Bernard et Redon, Nathan, 1959
Les années
1960 voient l’avènement de nouvelles pratiques et le remplacement, peu à peu,
de l’illustration traditionnelle par la photographie, en même temps que les
personnages historiques sont remplacés par les « traces du passé » et
les sources historiques. Dans le manuel de Chaulanges et Chaulanges L’histoire au cycle moyen de 1963,
aucune représentation de Clovis qu’un texte très académique décrit avec des
caractéristiques peu novatrices : « Clovis
était un chef cruel, mais brave et rusé ». Le rappel de la naissance
de la nation et de l’union du pouvoir avec l’Eglise est explicite page 16,
version politique qu’exprimera le général de Gaulle en 1965 (3).
A la même page apparaissent les traces du passé.
L’histoire au cycle moyen, M. Chaulanges et S. Chaulanges, Delagrave, 1963
1980,
nouvelle réforme, nouveau programme. L’éveil est privilégié, interroger les
traces du passé doit permettre à l’élève de se construire une connaissance
historique. Dans le manuel de Hinnewinkel, Sivirine et Vincent Découvrir, comparer, connaître, histoire au
C.M., 1981, une seule image de Clovis, son baptême sur l’Ivoire carolingien de Saint-Rémi de Reims.
Clovis, et
plus généralement la période mérovingienne, ne trouvent plus leur place dans les dix
années durant lesquelles la réforme de l’éveil va s’appliquer. Il faudra
attendre les années 90 pour qu’apparaisse une vision renouvelée des
Mérovingiens. Clovis et les Francs retrouveront leur statut d’envahisseurs
barbares dans le manuel Histoire CM1
Nouveau programme de Deverre, Fournols et Verrier, 1995 chez Hatier. Clovis
fera l’objet d’un maigre paragraphe et de deux allusions dans la page
d’exercices, dans le chapitre Les grandes
invasions, avec en conclusion «il se
fait baptiser, devenant ainsi le premier roi barbare catholique. »
Notons, au passage, la forme ludique et attrayante que prennent les exercices
proposés page 13.
A l’orée des
années 2000, le contenu des programmes en histoire s’inspire des récents
travaux universitaires qui proposent une nouvelle approche, plus scientifique
de la dynastie mérovingienne. Les termes changent et « les invasions
barbares » deviennent « les migrations germaniques », l’image
caricaturale des rois fainéants dans un chariot traîné par des bœufs n’est plus
de mise. Il faut dire que cette représentation n’était pas une source
historique puisqu’introduite au 15e siècle et reprise par l’école de
la Troisième République. Dans Histoire,
histoire des arts CM, cycle 3, chez
Hatier, de Le Callennec, 2016, la
géopolitique, d’une manière très modeste, est privilégiée par rapport au
baptême de Clovis sur lequel on s’interroge déjà dans l’édition de 2009 (date
floue, déroulement erroné ?). L’auteure privilégie plus volontiers le
partage du royaume de Clovis entre ses quatre fils.
Histoire, histoire des arts CM, cycle 3, Hatier, Le Callennec, 2016
Le partage du royaume de Clovis entre ses quatre fils, document source (musée Condé,
Chantilly)
Dès lors, on
invite les élèves à s’interroger sur la nature des documents proposés afin de
former leur esprit critique. On s’éloigne nettement du roman national tel qu’il
était préconisé jadis. Evoquer le baptême de Clovis revient à s’interroger sur
le document source, c’est pourquoi les nouveaux manuels se font désormais
l’obligation de préciser l’origine et les références des documents. Autrefois
réservée au collège, l’analyse des documents fait son entrée dans l’école
élémentaire et on s’interroge même sur la méthode des historiens comme dans le
manuel Histoire-géographie CE2 de
Sophie Le Gallenec, Hatier, 2009, dont l’auteure pose la question suivante, à
propos de la tablette d’ivoire représentant le baptême de Clovis : « A ton avis, les historiens
considèrent-ils cet épisode comme la vérité historique ? ». En
termes clairs, un document source produit au 9e siècle relatant un
événement du 5e siècle relève-t-il de l’histoire ou de la légende ?
Le temps des certitudes du roman national laisse la place au temps des innovations
et des recherches.
Histoire-géographie CE2, Le Callennec, Sophie, 2009,
Hatier, p. 72
CONCLUSION
A travers les héros du roman national est posée la
question de la vérité en histoire. Le maître détient la parole vraie. Pour les
élèves, l’histoire enseignée à l’école est une vérité, ce qu’avaient bien
compris les pédagogues et les historiens de tous régimes, en interprétant
l’histoire au profit de leurs idées. Le récit national des républicains de la
fin du 19e siècle en est un exemple (4). Ne parlaient-ils pas
déjà d’innovation ?
Petits tableau
de l’histoire de France par l’image, Gauthier-deschamps
La démarche de Sophie Le Callenec, dans ses manuels,
développe une méthode nouvelle partant d’un constat : il y a « ce que l’on croit, ce que les
historiens savent et ce que l’histoire a retenu ». Trois étapes
doivent être développées : « la
phase documentaire ou recherche des différentes informations sur un événement
s’apparente à ce que l’on croit ; la phase d’explication/compréhension correspond
à ce que les historiens savent ; la phase de représentation qui permet
d’identifier ce que l’on a retenu de l’événement. »
Image scolaire, vers 1960
La réalité est souvent terne, la légende nous fait
rêver. Clovis disparaît peu à peu des mémoires des écoliers. Resteront, pour
les anciens, le mystère de sa tombe disparue et de cet ange qui, à la bataille
de Tolbiac, vint lui proposer d’échanger les trois crapauds qui ornaient son
bouclier (symbole païen) contre trois fleurs de lys d’or, fleur qui devint, ce
jour-là, l’emblème de la monarchie française jusqu’à la Révolution de Juillet 1830,
date à laquelle le dernier roi de France, Louis-Philippe, adopta le drapeau
tricolore comme héritage de la Nation ! Cette manière de voir l’histoire
et de sacraliser les faits est loin de la volonté de développer le jugement des
élèves, maître mot des nouveaux programmes d’EMC (Enseignement Moral et
Civique) de 2015 qui proposent de « transmettre
un socle de valeurs communes : la dignité, la liberté, l’égalité, la
solidarité, la laïcité, l’esprit de justice, le respect de la personne,
l’égalité entre les femmes et les hommes, la tolérance et l’absence de toute
forme de discrimination »…
Sources :
- Documentation musée.
- Manuels collection musée.
- Article de Catherine Faure, L’image de Clovis et des Mérovingiens dans
les manuels scolaires de la fin du 19e siècle à nos jours :
Reflet de l’évolution historiographique et des pratiques pédagogiques,
2018, unilim.fr.
- Manuels d’histoire, Sophie Le Gallenec, historienne et anthropologue, directrice de la
collection Magellan.
-
Bulletins de
l’Instruction publique et Bulletins officiels de l’EN.
(1) : Cette expression est utilisée pour la première fois
par le père Henri-Dominique Lacordaire dans un sermon à Notre-Dame le 14
février 1841. Selon lui, la nation franque fut la première nation catholique
donnée à Dieu par son Eglise et la papauté appela les rois de France les
« fils aînés » de son Eglise : « De même
que Dieu a dit à son fils de toute éternité : « tu es mon
premier-né », la papauté a dit à la France : « tu es ma fille
aînée » ». La formule fut
remise au goût du jour par Jean-Paul II dans son discours du Bourget, en juin
1980 : « France, fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle à ton
baptême ? ».
(2) :
Ferdinand Raffin est né en 1877. Ses 60 ans de carrière lui ont permis
d’illustrer nombre d’ouvrages pour les éditeurs Colin, Geldage, Mame, Martinet,
Picard & Kaam, entre autres. Il dessinera pour La Semaine de Suzette de 1909 à 1948, et aussi pour Le Chat
Noir, L’Univers illustré, Le Petit Français illustré, ainsi que pour différents manuels scolaires de lecture ou
d’orthographe.
(3) : A la question pourquoi il se référait si souvent aux
quinze cents années d’histoire de la France, alors que pour la plupart des
Français, elle remontait à deux mille ans, le général de Gaulle
répondait : « Pour
moi, l’histoire de France commence avec Clovis, choisi comme roi de France par la
tribu des Francs, qui donnèrent leur nom à la France. Avant Clovis nous avons
la préhistoire gallo-romaine et gauloise. L’élément décisif pour moi c’est que
Clovis fut le premier roi à être baptisé chrétien. Mon pays est un pays
chrétien et je commence à compter l’histoire de France à partir de l’accession
d’un roi chrétien qui porte le nom des Francs. » Paroles citées dans Les trois vies de Charles de Gaulle de David Schoenbrun, 1965.
(4) : A propos de l’épisode du vase de Soissons et du
pillage de la ville, la tradition voulait que le partage du butin se fasse au
tirage au sort, avec une totale égalité de droits entre le chef et les autres.
Mais, voilà qu’à la requête de l’évêque de Reims, Saint-Rémi, Clovis demande le
fameux vase. Tous les guerriers sont d’accord, sauf un, qui, de dépit, frappe
le vase de sa hache, « Tu n’auras que ce que le sort te
donnera ! » s’exclama-t-il.
L’année suivante, Clovis inspecte ses troupes avant une bataille et reconnaît
le récalcitrant. Usant de son droit de vie ou de mort sur ses hommes en temps
de guerre, il lui fend le crâne de sa hache « Souviens-toi du vase de
Soissons » ou « Ainsi as-tu fait du vase de
Soissons », selon les sources,
républicaines ou chrétiennes. En bon
barbare qu’il était, Clovis profite donc de son régime d’exception pour régler
ses comptes personnels, soit. Seulement, pendant longtemps, dans les manuels
proposés aux écoliers, la morale n’est pas sauve. L’affaire est retournée à
l’avantage de Clovis, qui venge ainsi un sacrilège, Louis Halphen, historien,
déclarant même que Clovis fut ainsi « l’instrument
divin de punitions des détenteurs illégaux de biens de l’Eglise » !
Image
scolaire, vers 1950
Patrick PLUCHOT
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire