vendredi 7 avril 2023

Les illustrations de Dascher-chapitre 10

 

Les illustrations de Georges Dascher

Chapitre 10

Imprudence et courage des enfants

Enfants au travail à la tuilerie Saint-Pierre entre Montceau-centre et le Bois-du-Verne, début du siècle, carte postale, détail (collection privée)

 

Depuis 1850 jusqu’en 1880, on note une hausse du taux de mortalité des enfants qui atteint 168 ‰ en France, et la tendance est la même pour les autres pays européens ou américains (jusqu’à 268 ‰ en Russie). Le contexte économique a son importance avec la première révolution industrielle. L’année 1900 va vraiment représenter un tournant décisif dans la baisse de cette mortalité car les Etats vont prendre conscience du contexte démographique et de la nécessité de mieux protéger les enfants de crainte de voir s’installer une natalité décroissante néfaste à l’économie. En France, si la survie des enfants est un enjeu, un autre aspect, plus social celui-là, apparaît. Que faire d’enfants mal élevés, maltraités, qui deviendraient des adultes inadaptés, voire dangereux ? L’enfance devient le thème principal des congrès de Démographie et hygiène et d’Assistance de 1880 à 1910 et, en 1883, se tient à Paris le premier congrès international consacré à la protection de l’enfance, présidé par Maurice Bonjean, avocat parisien.




Trieuses et trieurs de charbon, souvent très jeunes, fin du 19e et début du 20e siècle (collection privée)

Le cas français

Les principales causes de mortalité infantile avant 1880 étaient nombreuses : le travail précoce dans les bassins industriels, mais aussi, dans une France encore rurale, les noyades, les chutes, les suffocations du bébé, les coups, blessures et traumatismes dus aux activités auxquelles étaient associés les enfants dans les campagnes (ruade, écrasement par un attelage), brûlures, infections, maladies diverses dont l’habitat insalubre était souvent la cause (1). On notait, outre une carence éducative, une tradition paysanne ancestrale : comme les moyens de guérison étaient, somme toute, limités et les accidents acceptés avec fatalité, personne ne doutait de la fragilité de l’être humain en ce bas monde et, par conséquent, on acceptait plus facilement la mort.  

Une quarantaine d’années et deux étapes seront nécessaires à l’évolution de la protection de l’enfance en France, à partir de 1880. Jusqu’alors, prédominait la vision de l’enfant placé, négligé et délinquant, souvent issu des classes laborieuses, comme étant un risque pour la société. Sa prise en charge était plus juridique et administrative que sociale. Ce modèle évolua heureusement vers la reconnaissance de l’enfant comme un être qui pouvait souffrir physiquement et psychologiquement et vint une prise en charge plus médicalisée afin de combattre la mortalité infantile. On recourt, notamment à la stérilisation et distribution de lait, en fournissant parallèlement des soins post-natals. Le début du siècle verra l’essor de l’association La Goutte de lait dans toute la France (2). La deuxième étape fut la prise en compte de la personnalité de l’enfant et de sa capacité à entretenir des relations avec la famille et surtout avec la mère, toutes classes sociales confondues. On mit alors l’accent sur les soins prénatals et l’éducation des mamans, surtout après le désastre démographique de 1914-1918 (3).


Avec les grandes lois Ferry sur l’obligation et la gratuité scolaires, les enfants se voient consacrés à l’école, tandis que les femmes sont de plus en plus sollicitées pour assumer les fonctions éducatives des plus petits. La baisse de l’activité économique de ces dernières et l’éviction des enfants du marché du travail ne se fera évidemment pas sans résistance et le chemin sera long jusqu’aux Instructions et aux programmes scolaires de 1923 qui donneront aux enfants un nouveau statut leur conférant une place plus grande au centre du système éducatif. D’innovantes pratiques pédagogiques apparaîtront, ainsi que la prise en compte de l’hygiène, du handicap et des troubles de l’apprentissage.




Manuel d’Hygiène à l’usage des écoles primaire, 1923, extraits (galica.bnf.fr)

Dès 1910, conformément aux programmes de l’école primaire sur l’éducation civique, les éditions Camille Charier de Saumur vont produire une série de couvertures de cahier Imprudence et Courage des enfants, visant à prévenir certains danger de la vie courante et magnifiant l’attitude héroïque de certains enfants. Georges Dascher, évidemment, fut mis à contribution pour illustrer la série.


Couverture de Cahier, recto : une vignette représente une jeune fille courageuse abattant d’un coup de hache un loup enragé (fait divers du 10 octobre 1906) ; une autre vignette représente un garçon imprudent tuant un camarade d’école en portant un fusil chargé sur l’épaule. Verso : Tableau d’Honneur avec plusieurs récits d’exploits d’enfants d’Er. Richa (anagramme de Charier)


Couverture de cahier, recto : une vignette représente une jeune fille courageuse sauvant un bébé tombé dans une rivière gelée (fait divers de 1907) ; une autre vignette représente des enfants imprudents tombant dans un puits. Verso : Tableau d’Honneur avec plusieurs récits sur des enfants courageux ( exploit de Marie-Louise Le Commandeur le 5 février 1907, alors âgée de 18 ans et d’autres récits de 1906). Textes d’Er. Richa.


Couverture de cahier, recto : une vignette représente deux enfants courageux dans une barque au milieu de la tempête (fait divers de 1906) ; une autre vignette représente un enfant imprudent tombant d’un train en marche. Verso : Tableau d’Honneur avec quatre récits d’enfants courageux (exploit le 31 août 1906 de David Berquier, 17 ans et Marcel Quesnel, 11 ans – exploit le 14 juillet 1906 de Maurice Wepeler, 11 ans – exploit le 23 juin 1904 de Paul Mazué, 14 ans – exploit d’Auguste Gaveau, 7 ans). Textes d’Er. Richa.


Couverture de cahier, recto : une vignette représente un enfant courageux sauvant un bébé d’un incendie (fait divers de 1907) ; une autre vignette représente des enfants imprudents tombant d’une échelle. Verso : Tableau d’Honneur avec plusieurs récits sur des enfants courageux (exploit le 31 janvier 1907 de René Chapon, 12 ans et d’autres récits de 1904-1906). Textes d’Er. Richa.


Couverture de cahier, recto : une vignette représente un enfant courageux secourant le mécanicien d’un train en marche (fait divers de 1906) ; une autre vignette représente des enfants imprudents se brûlant en s’approchant d’une batteuse à vapeur. Verso : Tableau d’Honneur avec plusieurs récits sur des enfants courageux (exploit le 27 mai 1906 de Lucien Boilleau, 13 ans et d’autres récits de 1904-1905). Textes d’Er. Richa.


Couverture de cahier, recto : une vignette représente un enfant courageux secourant un autre enfant se noyant dans une rivière (fait divers de 1903) ; une autre vignette représente une jeune fille imprudente dont le tablier a pris feu. Verso : Tableau d’Honneur avec plusieurs récits sur des enfants courageux (exploit le 25 juillet 1903 de Pierre Pihour, 14 ans et d’autres récits de 1904). Textes d’Er. Richa.

 

Pour aller plus loin :

-       La santé et la protection de l'enfant vues à travers les Congrès internationaux (1880-1920) Catherine Rollet (in Annales de démographie historique, 2001, n° 101).

 

(l) : Un exemple d’habitat rural d’un mineur-agriculteur de Sanvignes, dans les années 1880 :


Mémoires en images-le Pays Montcellien, 1998, éditions Alan Sutton (Copyright © André Cullus)

(2) : La Goutte de lait :

En 1907, le Deuxième Congrès international des Gouttes de Lait se tint à Bruxelles : sa première action fut d'adopter les statuts de l'Union internationale pour la protection de l'enfance du premier âge. La deuxième action du Congrès fut de voter l'élargissement du cadre des travaux des Congrès : c'étaient toutes les questions d'hygiène et de protection de la première enfance qui désormais en seraient l'objet. Pour signifier clairement cette extension, le congrès s'appellerait à l'avenir « Congrès de la protection de l'enfance du premier âge », suivi de l'expression, en français, de « Gouttes de lait ».


L’œuvre de la Goutte de lait au dispensaire de Belleville, triptyque de Jean Geoffroy,  peintre de l’école, 1903


(3) : Le désastre démographique : la dénatalité :


Comparativement aux pays voisins, la croissance de la population française est beaucoup plus faible à partir de 1900. Ce phénomène s’accentue dès le début de la Grande Guerre, les difficultés économiques aggravent la mortalité infantile : pour 1000 enfants nés en 1918, 147 meurent avant leur premier anniversaire.


En 1917, la Croix-Rouge américaine s’investit dans la protection des enfants. Elle dépêche des infirmières dans les écoles et au domicile des enfants « dépourvus de soins », afin d’aider les mères seules. L’effondrement des naissances pendant la guerre et la mort de tant d’hommes en âge de procréer alimentent la peur de la dépopulation. Les premiers systèmes d’allocations familiales voient le jour et paraissent plus efficaces que les mesures symboliques comme la Journée nationale des mères de famille nombreuse, instituée en 1920, qui deviendra, en 1926, la Fête des mères.


D’autre part, depuis 1925, les programmes de l’enseignement secondaire font une place à la démographie et en particulier à la « faiblesse de la natalité ». L’association la plus radicale est l’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française, fondée en 1896 par le statisticien Jacques Bertillon ; elle prend ensuite le nom d’Alliance nationale contre la dépopulation.


Pourvue de 1 300 adhérents en 1914, elle en a plus de 25 000 en 1939. Conforté par une étude du démographe Alfred Sauvy qui prévoit une baisse de la population française à partir de 1935, Fernand Boverat préconise, à la tête de l’Alliance, un enseignement nataliste dans les écoles primaires, auxquelles il adresse du matériel pédagogique et met en avant le danger d’une Allemagne plus peuplée. Il s’en prend de manière radicale, aux célibataires, aux femmes mariées qui travaillent et aux avorteurs. Les prémices du Régime de Vichy ?


Patrick PLUCHOT


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