Les illustrations de Georges Dascher
Chapitre 10
Imprudence et courage des enfants
Enfants au travail à la tuilerie
Saint-Pierre entre Montceau-centre et le Bois-du-Verne, début du siècle, carte
postale, détail (collection privée)
Depuis
1850 jusqu’en 1880, on note une hausse du taux de mortalité des enfants qui
atteint 168 ‰ en France, et la tendance est la même pour les autres pays
européens ou américains (jusqu’à 268 ‰ en Russie). Le contexte économique a son
importance avec la première révolution industrielle. L’année 1900 va vraiment
représenter un tournant décisif dans la baisse de cette mortalité car les Etats
vont prendre conscience du contexte démographique et de la nécessité de mieux
protéger les enfants de crainte de voir s’installer une natalité décroissante
néfaste à l’économie. En France, si la survie des enfants est un enjeu, un
autre aspect, plus social celui-là, apparaît. Que faire d’enfants mal élevés,
maltraités, qui deviendraient des adultes inadaptés, voire dangereux ?
L’enfance devient le thème principal des congrès de Démographie et hygiène et d’Assistance de 1880 à 1910
et, en 1883, se tient à Paris le premier congrès international consacré à la
protection de l’enfance, présidé par Maurice Bonjean, avocat parisien.
Trieuses et trieurs de
charbon, souvent très jeunes, fin du 19e et début du 20e
siècle (collection privée)
Le
cas français
Les principales causes de
mortalité infantile avant 1880 étaient nombreuses : le travail précoce dans
les bassins industriels, mais aussi, dans une France encore rurale, les
noyades, les chutes, les suffocations du bébé, les coups, blessures et
traumatismes dus aux activités auxquelles étaient associés les enfants dans les
campagnes (ruade, écrasement par un attelage), brûlures, infections, maladies
diverses dont l’habitat insalubre était souvent la cause (1). On notait, outre une
carence éducative, une tradition paysanne ancestrale : comme les
moyens de guérison étaient, somme toute, limités et les accidents acceptés avec
fatalité, personne ne doutait de la fragilité de l’être humain en ce bas monde
et, par conséquent, on acceptait plus facilement la mort.
Une quarantaine d’années et deux
étapes seront nécessaires à l’évolution de la protection de l’enfance en France,
à partir de 1880. Jusqu’alors, prédominait la vision de l’enfant placé, négligé
et délinquant, souvent issu des classes laborieuses, comme étant un risque pour
la société. Sa prise en charge était plus juridique et administrative que
sociale. Ce modèle évolua heureusement vers la reconnaissance de l’enfant comme
un être qui pouvait souffrir physiquement et psychologiquement et vint une
prise en charge plus médicalisée afin de combattre la mortalité infantile. On
recourt, notamment à la stérilisation et distribution de lait, en fournissant
parallèlement des soins post-natals. Le début du siècle verra l’essor de
l’association La Goutte de lait dans
toute la France (2). La deuxième étape fut la prise en compte de la
personnalité de l’enfant et de sa capacité à entretenir des relations avec la
famille et surtout avec la mère, toutes classes sociales confondues. On mit
alors l’accent sur les soins prénatals et l’éducation des mamans, surtout après
le désastre démographique de 1914-1918 (3).
Avec les grandes lois Ferry
sur l’obligation et la gratuité scolaires, les enfants se voient consacrés à
l’école, tandis que les femmes sont de plus en plus sollicitées pour assumer
les fonctions éducatives des plus petits. La baisse de l’activité économique de
ces dernières et l’éviction des enfants du marché du travail ne se fera
évidemment pas sans résistance et le chemin sera long jusqu’aux Instructions et
aux programmes scolaires de 1923 qui donneront aux enfants un nouveau statut
leur conférant une place plus grande au centre du système éducatif. D’innovantes
pratiques pédagogiques apparaîtront, ainsi que la prise en compte de l’hygiène,
du handicap et des troubles de l’apprentissage.
Manuel d’Hygiène à l’usage
des écoles primaire, 1923, extraits (galica.bnf.fr)
Dès 1910, conformément aux
programmes de l’école primaire sur l’éducation civique, les éditions Camille
Charier de Saumur vont produire une série de couvertures de cahier Imprudence et Courage des enfants,
visant à prévenir certains danger de la vie courante et magnifiant l’attitude
héroïque de certains enfants. Georges Dascher, évidemment, fut mis à
contribution pour illustrer la série.
Couverture de Cahier, recto :
une vignette représente une jeune fille courageuse abattant d’un coup de hache
un loup enragé (fait divers du 10 octobre 1906) ; une autre vignette
représente un garçon imprudent tuant un camarade d’école en portant un fusil
chargé sur l’épaule. Verso : Tableau
d’Honneur avec plusieurs récits d’exploits
d’enfants d’Er. Richa (anagramme de Charier)
Couverture de cahier, recto :
une vignette représente une jeune fille courageuse sauvant un bébé tombé dans
une rivière gelée (fait divers de 1907) ; une autre vignette représente
des enfants imprudents tombant dans un puits. Verso : Tableau d’Honneur avec plusieurs récits sur des enfants courageux ( exploit de Marie-Louise
Le Commandeur le 5 février 1907, alors âgée de 18 ans et d’autres récits de
1906). Textes d’Er. Richa.
Couverture de cahier, recto :
une vignette représente deux enfants courageux dans une barque au milieu de la
tempête (fait divers de 1906) ; une autre vignette représente un enfant
imprudent tombant d’un train en marche. Verso : Tableau d’Honneur avec quatre récits d’enfants courageux (exploit le 31 août 1906 de David
Berquier, 17 ans et Marcel Quesnel, 11 ans – exploit le 14 juillet 1906 de
Maurice Wepeler, 11 ans – exploit le 23 juin 1904 de Paul Mazué, 14 ans –
exploit d’Auguste Gaveau, 7 ans). Textes d’Er. Richa.
Couverture de cahier, recto :
une vignette représente un enfant courageux sauvant un bébé d’un incendie (fait
divers de 1907) ; une autre vignette représente des enfants imprudents
tombant d’une échelle. Verso : Tableau
d’Honneur avec plusieurs récits sur des
enfants courageux (exploit le 31 janvier 1907 de René Chapon, 12 ans et d’autres
récits de 1904-1906). Textes d’Er. Richa.
Couverture de cahier, recto :
une vignette représente un enfant courageux secourant le mécanicien d’un train
en marche (fait divers de 1906) ; une autre vignette représente des
enfants imprudents se brûlant en s’approchant d’une batteuse à vapeur. Verso :
Tableau d’Honneur avec plusieurs récits sur des enfants
courageux (exploit le 27 mai 1906 de Lucien Boilleau, 13 ans et d’autres récits
de 1904-1905). Textes d’Er. Richa.
Couverture de cahier, recto :
une vignette représente un enfant courageux secourant un autre enfant se noyant
dans une rivière (fait divers de 1903) ; une autre vignette représente une
jeune fille imprudente dont le tablier a pris feu. Verso : Tableau d’Honneur avec plusieurs récits sur des enfants courageux (exploit le 25 juillet
1903 de Pierre Pihour, 14 ans et d’autres récits de 1904). Textes d’Er. Richa.
Pour aller plus loin :
- La santé et la protection de l'enfant
vues à travers les Congrès internationaux (1880-1920) Catherine
Rollet (in Annales de
démographie historique, 2001, n° 101).
(l) : Un
exemple d’habitat rural d’un mineur-agriculteur de Sanvignes, dans les années
1880 :
Mémoires en images-le Pays
Montcellien, 1998, éditions Alan Sutton (Copyright © André Cullus)
(2) : La
Goutte de lait :
En 1907, le Deuxième Congrès
international des Gouttes de Lait se tint à Bruxelles : sa première action fut
d'adopter les statuts de l'Union internationale pour la protection de l'enfance
du premier âge. La deuxième action du Congrès fut de voter l'élargissement du
cadre des travaux des Congrès : c'étaient toutes les questions d'hygiène et de
protection de la première enfance qui désormais en seraient l'objet. Pour
signifier clairement cette extension, le congrès s'appellerait à l'avenir « Congrès de la protection de l'enfance
du premier âge », suivi de l'expression,
en français, de « Gouttes de lait ».
L’œuvre de la Goutte de lait
au dispensaire de Belleville, triptyque de Jean Geoffroy, peintre de l’école, 1903
(3) : Le désastre démographique : la dénatalité :
Comparativement
aux pays voisins, la croissance de la population française est beaucoup plus
faible à partir de 1900. Ce phénomène s’accentue dès le début de la Grande
Guerre, les difficultés économiques aggravent la mortalité infantile : pour
1000 enfants nés en 1918, 147 meurent avant leur premier anniversaire.
En 1917, la
Croix-Rouge américaine s’investit dans la protection des enfants. Elle dépêche
des infirmières dans les écoles et au domicile des enfants « dépourvus de soins
», afin d’aider les mères seules. L’effondrement des naissances pendant la
guerre et la mort de tant d’hommes en âge de procréer alimentent la peur de la
dépopulation. Les premiers systèmes d’allocations familiales voient le jour et
paraissent plus efficaces que les mesures symboliques comme la Journée
nationale des mères de famille nombreuse, instituée en 1920, qui deviendra, en
1926, la Fête des mères.
D’autre part,
depuis 1925, les programmes de l’enseignement secondaire font une place à la
démographie et en particulier à la « faiblesse de la natalité ». L’association
la plus radicale est l’Alliance nationale pour l’accroissement de la population
française, fondée en 1896 par le statisticien Jacques Bertillon ; elle prend
ensuite le nom d’Alliance nationale contre la dépopulation.
Pourvue de 1 300
adhérents en 1914, elle en a plus de 25 000 en 1939. Conforté par une étude du
démographe Alfred Sauvy qui prévoit une baisse de la population française à
partir de 1935, Fernand Boverat préconise, à la tête de l’Alliance, un
enseignement nataliste dans les écoles primaires, auxquelles il adresse du
matériel pédagogique et met en avant le danger d’une Allemagne plus peuplée. Il
s’en prend de manière radicale, aux célibataires, aux femmes mariées qui
travaillent et aux avorteurs. Les prémices du Régime de Vichy ?
Patrick PLUCHOT
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