samedi 20 mai 2023

Jean Zay, la réforme sans loi

 

Jean Zay, le ministre de la réforme

Autant admiré :

« Tout en lui respirait la noblesse de la pensée, le désintéressement, la loyauté, le courage, l’amour du bien public »

(Léon Blum)

Que haï :

« Je vous Zay ! »

 (Louis Ferdinand Céline, L’Ecole des Cadavres, 1938)

Jean Zay (6 août 1904-21 juin 1944)  et ses deux filles Catherine et Hélène

Tout jeune ministre de l’Education Nationale et des Beaux-Arts du Front Populaire, Jean Zay fut un pédagogue, réformateur de l’école. Il a un sens profond de la République et de ses valeurs, ainsi il affiche clairement les objectifs de l’enseignement : « L’école doit développer les dons des corps, des cœurs et des esprits qui font les travailleurs, les citoyens, les hommes véritables ». Un destin tragique l’attend…


Les Beaux-Arts ne furent pas oubliés dans son action. Il fut à l’origine de la création du Palais de la Découverte, ainsi que du Festival de Cannes afin d’envoyer une réponse républicaine ferme à Mussolini et la Mostra de Venise.  Les évènements en décideront autrement, l’ouverture du festival était prévue pour le 1er septembre 1939… D’autres réformes virent le jour cependant : la mise en place du contrat d’édition, les droits d’auteur, création des Musées des Arts et Traditions Populaires, les bibliobus, pour ne citer qu’elles.

Son parcours

Jean  Zay est né le 6 août 1904, à Orléans, d’un père journaliste et d’une mère institutrice. Il fit ses études primaires et secondaires dans cette ville, puis, il partit pour Paris étudier le droit et devenir avocat. Il se maria à Dreux en 1931 et eut deux filles, il fut élu député du Front Populaire du Loiret le 8 mai 1932, réélu le 3 mai 1936, puis élu conseiller général du canton Orléans Nord Est le 14 mars 1937 (à la suite du décès du conseiller Louis Gallouedec), réélu le 17 octobre 1937. Il devient ministre le 4 juin 1936, il le restera jusqu’à sa démission le 13 septembre 1939.

Jean Zay

Enfant de la Grande Guerre, Jean Zay a vu son père, mobilisé, quitter le foyer. Admiratif du travail de ce dernier, il tiendra un journal de guerre, Le Familier, il y écrit de sa main dans un cahier d’écolier, des poésies, des bandes dessinées, des pièces de théâtre, des articles. Ses talents d’écrivain sont reconnus par la parution du texte de sa composition française du Certificat d’études dans le bulletin de l’Instruction publique du Loiret en juillet 1916.

Un des journaux de guerre de Jean Zay

Durant ses études, sa passion journalistique perdure puisqu’il est journaliste au Progrès du Loiret devenu La France du Centre, journal de son père situé rue des Carmes à Orléans. Il écrit aussi dans la revue littéraire Le Grenier. Plus tard, il écrira de nombreux ouvrages dans différents styles : Chroniques du Grenier, la Réforme de l’Enseignement et même un roman La Bague sans doigt, écrit en prison en 1942 et publié sous le pseudonyme de Paul Duparc. Une œuvre d’importance sera publiée en 1945, à titre posthume. On retrouve dans ce livre écrit comme un journal pendant sa captivité, la passion qui ne l’a jamais vraiment quitté. Il y exprime, jour après jour, ses réflexions sur la justice et l’emprisonnement, y évoque ses projets pour la France après la libération.

Jean Zay mobilisé

Bien que non mobilisable de par son statut, il présente sa démission de son poste de ministre à la déclaration de la guerre le 2 septembre 1939 : « âgé de 35 ans, je désire partager le sort de cette jeunesse française pour laquelle j’ai travaillé de mon mieux au gouvernement, depuis 40 mois ; je demande donc à suivre le sort normal de ma classe ». Il fait la guerre avec le grade de sous-lieutenant. Démobilisé, en 1940, il est hostile à l’armistice de Pétain et, avec quelques parlementaires (dont Mendès-France et Daladier), il décide de rejoindre Alger où doivent se replier les services de la Chambre des Députés et de nombreux militaires. Mais c’est compter sans Pierre Laval qui fait pression pour que le gouvernement reste en métropole, pouvant ainsi les accuser de traîtrise. Jean Zay, pris dans le piège du Massilia (bateau qui transporta les parlementaires à Alger), est arrêté au Maroc en août 1940 et présenté au Tribunal Militaire permanent de Clermont-Ferrand qui avait condamné, quelques temps avant, le Général De Gaulle à mort pour désertion et qui condamnerait, peu de temps après, Pierre Mendès-France. 



Jean Zay à l’audience du tribunal militaire de Clermont-Ferrand, 4 octobre 1940

Son procès

Après son arrestation en 1940, Jean Zay subit, comme beaucoup d’autres, un procès sans justice uniquement destiné à son élimination. La presse d’extrême droite qui, jusqu’alors n’avait pu que vociférer haineusement contre lui, se déchaîne. On peut lire dans L’Action Française, Gringoire ou Je Suis Partout : «  Nous voulons la condamnation du juif Jean Zay » « Pour nous et nos camarades, le jugement est fait d’avance, nous attendons le châtiment (..) si le tribunal manquait à ses devoirs, il y a dans ce pays assez de becs de gaz et de cordes pour faire justice nous-mêmes ». Le 31 août 1940, La Vie nationale titre « Nous demandons la condamnation à mort du juif Jean Zay ». S’en suit, le 4 octobre 1940, un procès purement politique, « une affaire Dreyfus silencieuse » comme l’écrit Gérard Boulanger : condamnation à la déportation perpétuelle et à la dégradation militaire, peine inique jamais prononcée depuis l’affaire Dreyfus mais qui sera muée en emprisonnement…

Journal satirique d’extrême droite

La double haine du régime de Vichy, politique et antisémite à l’encontre de ce ministre détesté, Franc-maçon et républicain, se poursuivra sans relâche jusqu’à la fin tragique de Jean Zay. Le 20 juin 1944, quatre miliciens venus de Vichy le sortent de sa prison de Riom, sur ordre de Raymond-Clémoz (chef de cabinet de Joseph Darnand, secrétaire d’Etat à l’intérieur et créateur de la milice), pour l’assassiner dans un bois près du lieu-dit « Les Malavaux » à Cusset (Allier) et où le dénommé Develle l’abat d’une rafale de pistolet-mitrailleur. Son corps est déshabillé, son alliance ôtée pour rendre impossible toute identification et il est ensuite jeté dans la faille du Puits du diable (qui sera dynamité pour effacer toute trace) et des chasseurs en feront la macabre découverte le 22 septembre 1946 seulement. Il fut identifié en 1948.  Un seul des quatre miliciens répondra de ses actes devant un tribunal militaire, le 23 février 1953.

Faille du Puits du Diable



Mémorial Jean Zay et sa colonne tronquée, symbole de mort violente, route de Malavaux, Allier

La justice fut-elle rendue pour Jean Zay ?

Qu’adviendra-t-il des assassins de Jean Zay ? Cordier a été abattu par la Résistance, Maret tient un salon de thé à Buenos-Aires, Millou est en fuite, Raymond-Clémoz a été fusillé à la Libération… seul Develle sera jugé. Il s’était réfugié en Allemagne, puis en Italie dans un couvent, pour finir à Naples où il est arrêté en 1948, juste après son embarquement pour l’Amérique du sud. C’est lui qui passe aux aveux et raconte l’assassinat de Jean Zay. Son procès s’ouvre le 29 décembre 1949 dans une cacophonie juridique : Develle relève-t-il de la cour d’assises ou de la cour de justice ? Est-il un criminel de droit commun ou un criminel politique ? Le procès est renvoyé… Le tribunal militaire permanent se déclare incompétent le 14 novembre 1951. Le temps s’écoule jusqu’en 1953 où la cour de cassation saisit le tribunal militaire à nouveau : plus de partie civile, seul le commissaire du gouvernement (qui, selon les observateurs « semble souvent avoir perdu sa voix ») fera face aux défenseurs de Develle.

Charles Develle lors de son procès : « C’était sur l’ordre impérieux de Millou. Il nous donnait des ordres. On les exécutait sans discussion. J’étais très ennuyé. Oui, c’est vrai, terriblement ému (..) Je n’ai pas l’intention de quitter cette salle sans demander pardon à Mme Zay », au premier plan Maître Floriot, son avocat : « C’était un crime politique »

« Derrière l’argument du « trop tard » se cache mal le désir qu’ont certaines gens de passer l’éponge » titre Libération le 23 février 1953. « Il fallut défendre Jean Zay devant les juges de celui qui l’avait tué » déclare La Voix de la Résistance le 15 février 1953. Malgré tout, la peine de mort est requise mais Develle se voit accorder de nombreuses circonstances atténuantes et, finalement, dans l’incompréhension et l’indignation générale, il bénéficie d’un verdict indulgent, la prison à perpétuité : les journaux titrent alors « Le milicien Develle, l’un des assassins de Jean Zay sauve sa tête ! » Son avocat, maître Floriot, avait plaidé l’irresponsabilité : « L’homme a agi sous l’influence des attaques haineuses d’Henriot et de ses semblables. » Curieuse condamnation quand les absents sont eux condamnés à mort par contumace. Peut-être cette sentence s’inscrit-elle dans une volonté d’apaisement de la société française, à la suite d’une période d’épuration révolue et de la suppression, en 1950, des juridictions et tribunaux d’exception de la Libération.



Madeleine Zay avec son avocat lors du procès contre les héritiers de Philippe Henriot, 1948

Pour la famille, peu d’espoir de reconnaissance. Déjà, au procès Pétain du 23 juillet 1945, on avait dénié à l’épouse de Jean Zay le droit d’être citée comme témoin pour faire reconnaître la responsabilité du maréchal qui, maintenant Jean Zay en prison, l’avait livré aux assassins. Elle demanda alors que soit lue à l’audience une lettre de sa main, la réponse du président Mongibeaux fut sans appel : « Rendant la justice et voulant conserver notre sérénité, nous ne pouvons pas nous laisser impressionner par des cris de vengeance, si compréhensibles soient-ils. » Comme le dira plus tard Hélène, la fille de Jean Zay : « Ma mère ne criait pas vengeance mais justice. » Pour le procès de Develle en 1953, nouvelle déception, Madame Zay ne peut pas se constituer partie civile.

Notons, pour enfoncer un peu plus le clou, qu’en 1948, elle intenta un procès aux journaux Je suis partout et Gringoire (déjà cités plus haut), sans succès. Les magistrats avaient écarté le chef d’accusation de « provocation au meurtre », ils déclarèrent que « L’épithète de belliciste pouvait en 1941 armer le bras d’un criminel. Mais le crime a été commis en 1944, les circonstances et les mobiles en sont encore mal connus. » Effarant ! Mais laissons à la fille de Jean Zay la conclusion : « On a entendu naguère un président de la République* prêcher l’oubli et parler  - en une formule scandaleuse – du temps des assassins comme de celui « où les français ne s’aimaient pas ». Comment pourrions-nous jamais admettre cette délétère confusion des victimes  et des bourreaux ? »  Hélène Mouchard-Zay.

* Conférence de presse à l’Elysée de Georges Pompidou, le 21 septembre 1972, justifiant la grâce qu’il a accordée à Paul Touvier, collaborationniste et chef de la milice de Lyon, double condamné à mort en 1946 et 1947. Il sera à nouveau condamné à la perpétuité en 1994 pour crimes contre l’humanité.  


Extrait de la dernière lettre de Jean Zay à Madeleine, le 19 juin 1844

Son œuvre

Le projet de loi qu’il dépose en mars 1937 comprend toutes les grandes  orientations visionnaires de Jean Zay et affiche son objectif : « Démocratiser l’enseignement et la culture ». Ce projet contribuera largement à animer les réflexions sur l’école, mais après la guerre. En effet, si le projet avait été déposé, les lenteurs de la Troisième République firent qu’aucun vote n’eut lieu avant que septembre 1939 n’arrive, paradoxe relevé par Antoine Prost dans un chapitre intitulé « Une réforme privée de loi ».

Malgré tout, 1937 fut l’année de tous les rêves :

- La scolarité obligatoire est portée à 14 ans. 

- Les classes sont limitées à 35 élèves.

- Le port d’insignes politiques ou religieux à l’école est interdit.

- L’Office du Sport Scolaire et Populaire est créé, l’Education physique entre à l’école avec Léo Lagrange. Le développement des Auberges de Jeunesse est engagé.

- Les programmes des premiers cycles du  second degré et du primaire supérieur sont uniformisés dans un tronc commun.

- La gratuité de l’enseignement public du second degré est instaurée.

- Les poursuites contre Célestin Freinet et l’Ecole Nouvelle sont abandonnées.

- Les premières 6ème d’orientation ouvrent leurs portes dans la perspective du choix classique, moderne ou technique.

- La naissance des CEMEA (Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active) qui formeront au BAFA (Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur).

- Mise en place de la Médecine préventive des étudiants.

- Premiers pas des structures qui donneront naissance au CNRS, à l’ENA, au CROUS et aux centres d’orientation professionnelle.



Pour aller plus loin en images :

L’école est à nous ou comment Jean Zay révolutionna l’école


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Anna Marly, de son nom complet Anna Iourievna Smirnova-Marly, née Betoulinskaïa est une chanteuse et guitariste française d'origine russe, née le 

Résistante, elle a composé, à la guitare, la musique du Chant des partisans et en a écrit les paroles originales russes en 1941, tandis que les paroles françaises, s’en inspirant, furent écrites par Maurice Druon et Joseph Kessel en 1943.

 

Sources :

-       Archives musée.

-       https://www.lesamisdejeanzay.fr/jean-zay-sa-vie.

-       Chroniques du grenier, Jean Zay, 1925-26.

-       Article Jean Zay, Autonome de Solidarité Laïque, 2018.

-       Article Le Monde du 23 juin 1994, Justice pour Jean Zay, témoignage de la fille de Jean Zay, Hélène Mouchard-Zay.

-       Photographies et illustrations : https://www.orleans-metropole.fr/photos.

 

A relire aussi :

Article du blog du musée : « De jean Zay au Régime de Vichy » :

https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2022/04/de-jean-zay-au-regime-de-vichy.html#more

 

Patrick PLUCHOT




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