De
Jean Zay au régime de Vichy
Deux
visions de l’enseignement
La
rupture
Depuis
la Révolution française et au cours des différentes républiques, l’école
n’avait plus pour but de former des sujets, mais de former des citoyens,
dimension toujours éminemment politique. De fait, l’école a toujours été le
vecteur idéologique principal des institutions en place. L’école de Vichy, pour
la plupart des historiens, constitue une école rétrograde, véritable instrument
de propagande de la Révolution nationale, dont les pratiques paramilitaires
sont à rapprocher des mouvements de jeunesse mis en place par l’Italie fasciste
et l’Allemagne nazie. Une école aux antipodes de l’école républicaine de la fin
de la Troisième République incarnée par le Cartel des gauches et le Front
populaire d’avant-guerre 39/45.
Peut-on considérer pour autant que la rupture idéologique opérée en 1941 ait entraîné une rupture pédagogique entre les politiques préconisées par le Front populaire d’une part et le régime de Vichy d’autre part en ce qui concerne l’enseignement primaire ? En clair, cette rupture idéologique entraîna-t-elle un changement radical dans les modèles et les pratiques scolaires ? Peut-être pas.
Manuel de culture physique
pour hommes et dames, 1930 (picclick.fr)
Similitudes
et dissonances
Rien de mieux pour répondre à notre problématique que l’étude du contenu des programmes, des horaires et des décrets d’application destinés aux institutrices et instituteurs. En ce qui concerne les matières dites « fondamentales », le français et le calcul, la forme revêt plus d’importance que le fond et c’est la censure qui va caractériser la période de Vichy, notamment par l’interdiction de beaucoup d’ouvrages (1). Le fait que les principales dissonances concerneront les matières « moins nobles » peut paraître paradoxal, mais à y regarder de plus près, la logique est implacable. Comme ce fut le cas après la défaite de 1870, le gouvernement de Vichy impute la défaite de 1940 à l’école républicaine et à ses maîtres, responsables, selon lui, d’avoir « éduqué dans une optique trop intellectualiste, des citoyens peu vigoureux physiquement ». Il faut donc revoir l’enseignement de l’éducation physique et de l’hygiène corporelle, des activités de plein air et des travaux manuels, en faisant de l’école élémentaire « une école-atelier ». Notre réflexion ne portera donc que sur ces matières « non classiques » (l’éducation physique, les activités de plein air, le travail manuel, l’éducation esthétique et l’éducation à l’hygiène), ainsi que sur les tableaux horaires (qui permettent de mettre à jour les priorités données aux différents apprentissages). Nous nous cantonnerons, par ailleurs, aux horaires des cours supérieurs des programmes de 1938 (enfants de 11 à 13 ans) et du second cycle des programmes de 1941 (enfants de 11 à 14 ans). Mais auparavant, quelques petits rappels.
Salle de sport au début du
siècle (pinterest)
Le krach boursier new-yorkais
du jeudi 24 octobre 1929 (le « jeudi noir ») annonce la plus grande
crise économique du 20e siècle, à laquelle l’Europe n’échappera pas.
Chômage, dévaluations, chute du pouvoir d’achat sont le lot de cette crise. Les pays réagiront différemment, notamment par le nationalisme pour
certains : Allemagne hitlérienne, Italie fasciste. En France, s’inspirant
de l’entente électorale victorieuse en 1924 et 1932, incarnée par le
« Cartel des Gauches », le Front Populaire remporte les élections
législatives de 1936. Les mouvements sociaux qui s’ensuivent aboutiront aux
accords de Matignon et à de grandes avancées sociales. Ces dernières seront
considérablement ralenties par la poursuite de la crise. Certaines même, comme
la loi sur les 40 heures, seront purement et simplement annulées par le nouveau
conseil ouvert aux voix de droite, sous la présidence d’Edouard Daladier. Ce
conseil signera aussi, le 29 septembre 1938, les accords de Munich qui
permettront à l’Allemagne d’annexer la région tchécoslovaque des Sudètes. La
gauche et la droite s’opposent alors, ce sera la fin définitive du Front
Populaire.
L’invasion de la Pologne par
l’armée allemande oblige la France et ses alliés à engager le conflit contre
l’Allemagne le 3 septembre 1939. La « blitzkrieg » de mai 1940 se
soldera par la démission de Paul Reynaud, chef du gouvernement et son
remplacement par le Maréchal Pétain qui, cinq jours après son investiture, le
22 juin 1940, signera l’armistice. Le 10 juillet 1940, les pleins pouvoirs
seront donnés au nouveau chef de l’Etat français, par une
loi constitutionnelle. La Troisième République n’existe plus, au profit du
Régime de Vichy. La France est divisée en deux zones : une au nord
incluant toute la façade atlantique, administrée par l’occupant allemand, une
autre au sud, administrée par le gouvernement de Vichy.
Philippe Pétain,
« l’homme de Montoire » engage la France dans la collaboration, 24
octobre 1940 (pinterest)
Le modèle politique républicain est remplacé par l’idéologie
de la Révolution Nationale qui va multiplier les lois, entre 1940 et 1942, bouleversant
l’organisation sociale française : instauration d’une politique sans
parlement, avec un parti unique (influence du monarchisme), instauration aussi d’un
antisémitisme d’Etat et d’un culte flagrand de la personnalité, prônant la
soumission au chef suprême . A partir de 1942 et l’occupation
de la zone sud par les forces allemandes, le Régime de Vichy se durcit, collaboration avec l’Allemagne s’affiche avec la nomination de Pierre Laval à
la tête du gouvernement. Deux ans plus tard, Paris sera libérée le 25 août
1944 ; depuis le 9 août, le G.P.R.F (Groupement Provisoire de la
République Française) avait signé officiellement la fin du gouvernement de
Vichy.
Faire un état des lieux
1936-1940 : la grande réforme. Jean Zay est alors ministre de
l’Education Nationale et des Beaux-Arts et sa première décision sera d’allonger
la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans (loi du 9 février 1936). Le projet
qu’il dépose en 1937 prône l’unification de l’enseignement primaire et
l’harmonisation du secondaire : disparition des classes élémentaires dans
les collèges et les lycées, ce que préconisaient déjà les lois de 1933
(gratuité du secondaire et stabilité de l’école unique). Les programmes de
l’enseignement primaire sont publiés le 20 septembre 1938, on note alors une
nette prise en compte du bien-être de l’enfant, une lutte contre le surmenage
dû au travail de l’élève hors de l’école. Le problème de l’hygiène et du
développement corporel fait l’objet de nombreuses innovations. Pour ne prendre
que l’exemple du Cours supérieur (élèves de 11 à 13 ans), sur 30 heures
hebdomadaires de classe, 8 sont consacrées aux activités « non
classiques » : 3 heures aux activités dirigées et au chant, 3 heures au sport, au plein air, à l'éducation physique, 2 heures au travail manuel.
1940 : l’école de la Révolution
Nationale. Le
18 septembre de cette année-là, le ton est donné avec la suppression des
écoles normales, ces « isoloirs
intellectuels où la malfaisance de son enseignement moral de la sociologie
n’est plus à démontrer » ; la dissolution le 15 octobre du
Syndicat national des instituteurs ; la suppression aussi, le 13 décembre,
des délégués cantonaux (actuels DDEN, délégués départementaux de l’Education
Nationale), garants républicains de l’école. C’est la rupture
idéologique : une école « élitiste » forgeant une société
« d’ordre naturel » doit remplacer l’école républicaine
« égalitariste » forgeant une société « de contrat ». La
loi Carcopino du 15 août 1941 rend payant l’enseignement secondaire. Pour les
élèves du second cycle (nouveau découpage concernant les 11 à 14 ans), la durée
hebdomadaire de classe reste à 30 heures et les programmes de 1941 introduisent
un nouvel item, les activités générales et sportives : une demi-journée de
plein air (3 heures), du travail manuel en plein air (1/2 heure), 4 séances
d’éducation physique (3 heures), une séance de chant choral (1/2 heure), une séance
d’hygiène et secourisme (1/2 heure), soit un total de 7 heures et demie pour
les activités « non classiques ».
1887-1936 : le progrès dans la
continuité
Léo Lagrange et Jean Zay : signature de l’accord entre le
ministère de l’E.N et le Comité national d’éducation sportive, le 5 octobre
1938 (worthpoint.com)
Dans l’esprit républicain, on note une grande stabilité des
programmes de l’école élémentaire. Toutefois, les instructions de 1923 marquent
un net progrès et s’inspirent des expériences pédagogiques nouvelles du début
du siècle. Les travaux dirigés, l’éducation par les sciences, l’observation, entrent
à l’école.
Les programmes de 1938 ne rompent pas avec cette évolution, mais accentuent les indications pédagogiques en direction des enseignants, développant un véritable statut de l’apprenant : le questionnement des élèves amènera les contenus d’enseignement, prenant appui sur leur environnement direct. L’élément le plus caractéristique est bien la promenade-leçon (classe-promenade (2)). Si la classe-promenade était introduite par les Instructions de 1923 en support de l’enseignement scientifique et de la leçon de choses, le programme de 1938 en fait une discipline à part entière, intégrée à la plage horaire des travaux dirigés. Ainsi, l’observation et la leçon orale introduiront les leçons en classe dans une visée plus rationnelle et plus analytique. Jean Zay, Ministre de l’Education Nationale, dans ses Instructions du 20 septembre 1938, précise sa pensée : l’élève doit devenir l’« Artisan de son propre apprentissage ». Il s’inspire des mouvements d’éducation nouvelle, personnalisés par Maria Montessori ou Célestin Freinet et promeut une méthode innovante, à la fois intuitive, inductive et active : l’utilisation du cinéma et des arts visuels, l’éducation esthétique à travers le chant ou la visite de musées, la préconisation des fêtes scolaires, vitrine des apprentissages. Sous l’impulsion de Jean Zay aidé du sous-secrétaire d’Etat aux sports et aux loisirs, Léo Lagrange (qui mourra au combat le 9 juin 1940), l’enseignement de l’éducation physique va prendre en compte le développement physiologique de l’enfant : le sport aura avant tout un rôle hygiénique, il devra contribuer au développement des capacités psychomotrices de l’enfant, et non plus à l’unique « renforcement musculaire » qui entraverait le bon déroulement de la croissance. On privilégiera les exercices adaptés, notamment pour les filles : « ceux qui donnent de l’agilité et de la grâce plutôt que ceux qui donnent de la force ».
Une révolution en somme, suivie d’un vocabulaire nouveau non
moins révolutionnaire : la co-construction des savoirs maître-élèves, le
conflit sociocognitif, les apprentissages socioconstructivistes… En réalité,
tout cela ne nous renvoyait-il pas tout simplement à la vision éducative de l’Emile, profondément humaniste et
positiviste déjà développée par Rousseau, s’appuyant sur les « qualités intrinsèques, innées ou
naturelles de l’enfant » ?
1940-1944 : un nouvel état
d’esprit
Comme nous l’avons évoqué précédemment, la rupture idéologique avec l’école républicaine tient en
trois dates : 18 septembre 1940, les écoles normales, « antichambres de la Troisième République avec des instituteurs
imbus de science, de laïcité et de socialisme », sont supprimées et
remplacées par une formation de courte durée, très pratique, incluant un stage
d’un an uniquement destiné au domaine de l’éducation physique et des
enseignements manuels et ménagers ; le 15 août 1941, la loi Carcopino
rétablit l’enseignement secondaire payant ; le 16 août 1941, les nouveaux
programmes sont promulgués avec la refonte de l’enseignement primaire en trois
cycles.
L’ordre et la discipline sont les maîtres-mots de ce
changement : « L’instituteur
doit être un éducateur, il doit instruire des connaissances, mais aussi élever
le sens moral chez les élèves, transmettre des règles de vie en société et
insister sur les devoirs de l’élève plus que sur ses droits », tout
doit passer par la « culture » physique. L’instituteur doit être le
trait d’union entre l’école et la famille qui est un des piliers de la
Révolution nationale (les deux autres étant le travail et la patrie). Il est
aussi le garant de l’hygiène et du développement physiologique de l’enfant. Les
textes instaurent un suivi médical des élèves par un médecin visant à établir
un classement par niveau d’aptitudes physiques et morales. Les textes
introduisent aussi la volonté de dépister les pathologies et les déficiences.
On devine, en filigrane, l’influence d’un proche conseiller du maréchal Pétain,
Alexis Carrel, prix Nobel de physiologie et de médecine en 1912 qui préconise
l’abolition des classes sociales et leur remplacement par des classes
biologiques, instaurant ainsi une biocratie, société antiégalitaire, à la place
d’une démocratie…
13 octobre 1941, discours de rentrée du Maréchal dans une
classe de l’Allier : « Je suis attristé en
pensant que certains d’entre vous ne résistent pas à la tentation et qu’ils
copient ou qu’ils trichent pour gagner quelques points. C’est une faute et je
veux qu’elle cesse. Parmi vous, les plus nombreux ne copient pas. Je leur
demande d’avoir le courage de leur opinion et d’arriver à empêcher les autres
de le faire. On m’a expliqué que certains d’entre vous ont déjà agi, qu’ils ont
organisé des ‘‘ligues de loyauté’’ qui ont eu beaucoup de succès. Je les en
félicite. Je suis certain que vos maîtres et vos professeurs vous conseilleront
et vous aideront dans cette voie. Adressez-vous à eux et surtout donnez le bon
exemple à vos voisins ».
Les programmes prévoient un partenariat avec la Croix-rouge
pour l’enseignement utilitariste des bases d’hygiène (surtout maternelle pour
les filles) et de secourisme (incluant la notion de « défense
passive » pour les garçons). Le principe de « méthode
naturelle » est mis en avant, il est régi par deux principes : la pratique
des activités « non classiques », quelles qu’elles soient, doit se
faire en extérieur et, cette méthode naturelle étant simple, elle est donc applicable
par n’importe quel enseignant même de formation sommaire. Les activités
physiques et de plein air sont dès lors privilégiées et les textes recommandent
l’utilisation des méthodes issues du scoutisme avec leurs valeurs collectives
d’entraide et de solidarité. Si les conditions extérieures sont défavorables,
l’enseignant peut pratiquer des travaux manuels, mais aussi des activités liées
à l’éducation artistique : chant, écoute d’œuvres musicales, œuvres
cinématographiques, atelier théâtre, discussions débat, mais dans les limites
fixées par les textes : l’enseignant est au service de l’Etat, il ne peut
donc rien enseigner de contraire aux principes du pouvoir en place. L’esprit
des textes n’est cependant pas sans rappeler les méthodes de l’enseignement militaire.
Les notions de plaisir et de souffrance apparaissent dans les programmes et la
transmission du goût de l’effort et de tolérance à la douleur régit les
apprentissages.
Cours de défense passive
Les mêmes textes parlent cependant de « méthode
forte » et de « méthode plus attrayante », sans préciser les
contours de cette dernière… Les thèses du « déterminisme biologique »
sous-tendent l’idéologie nouvelle. L’enfant doit acquérir des compétences
sociétales d’entraide et d’amitié, uniquement liées à la famille et à l’école.
La discipline doit prendre en compte les caractéristiques innées de l’enfant,
ses réflexes, ses instincts, ses pulsions « primaires d’enfant
sauvage » cet « être de
nature et pas encore de culture, qu’il est nécessaire de redresser, de corriger
par l’intermédiaire de l’école », à l’éducateur de mettre en place des
habitudes morales rigoureuses qui seront le pilier du dispositif global
d’enseignement ; une vision qui nous ramène à l’Ancien Régime.
Cependant, certains acquis pédagogiques de la période
précédente sont conservés : les méthodes intuitives et actives ; le
travail de groupe, la prise de parole et la confrontation d’idées qui prennent
le qualificatif de « travail en collaboration » (terme
prémonitoire) ; l’enseignement de l’hygiène et des sciences
naturelles ; le dessin, considéré comme un moyen d’expression à part
entière ; le chant et l’écoute musicale ; l’utilisation des nouvelles
technologies (TSF, projections de films).
Une fracture beaucoup plus ancienne
La fermeture des Ecoles Normales, berceau des
« hussards noirs de la République » chers à Peguy et l’accusation
portée contre l’école de la Troisième République et ses maîtres d’être en
partie responsable de la défaite de 1940, ne sont pas le véritable début du
combat idéologique. Ce dernier date de l’entre-deux-guerres. L’école préconisée
par la Révolution nationale n’a pas été improvisée par le Régime de Vichy, mais
a été pensée, conceptualisée par les mêmes protagonistes bien avant. C’est en
1926 qu’est créé le cercle Fustel de Coulanges, composé de journalistes,
d’enseignants, de militaires, de scientifiques, très proches des royalistes de
l’action française de Charles Mauras qui présidera nombre de congrès du cercle.
Pendant tout l’entre-deux-guerres donc, cette association militera contre
l’Ecole publique et ses valeurs, de manière empirique au début, critiquant
notamment les programmes « avant-gardistes » de 1923, mais de manière
beaucoup plus radicale ensuite, sous l’influence des militaires dont un certain
maréchal Pétain. Dans les articles qu’il rédigera pour le bulletin du cercle, Cahiers du cercle de Coulanges, il
déplorera le non-enseignement religieux, le manque de rigueur morale et
physique, l’encyclopédisme et le scientisme des programmes. Charles Mauras, de
son côté, niera la conception de l’enfant « Rousseauiste » et, en bon
royaliste, fera l’apologie de la filiation. Le plus important point de friction
entre le cercle et les défenseurs de l’Ecole républicaine sera l’école unique.
En effet, jusqu’en 1938, l’école primaire obligatoire et gratuite pour tous
était séparée de l’école secondaire payante qui, du reste, possédait son propre
cycle élémentaire, payant lui aussi, destiné à former les classes dirigeantes.
L’égalité et la gratuité qu’impose le Front populaire jusqu’au lycée avaient
déchaîné les foudres conservatrices des adversaires de l’école républicaine,
ces mêmes personnages qui se retrouveront au cœur de l’appareil d’Etat lors de
la prise du pouvoir par le maréchal Pétain, le 10 juillet 1940. Les chantres de
l’école de la Révolution nationale sont alors en place et opposeront les
valeurs d’instinct, de tradition et de sélection aux valeurs d’égalité, de
liberté et de fraternité. Ainsi, le système scolaire qu’installe le
gouvernement de Vichy enterre le principe égalitaire de l’Ecole républicaine,
instaure un modèle basé sur la hiérarchie sociale et le culte de la
personnalité.
Préparation de l’anniversaire du maréchal Pétain dans une
école, 1942 (Ebay)
Protège-cahiers, 1941 (CANOPE)
Rupture idéologique, oui, rupture
pédagogique, moins sûr
D’abord, on note une certaine similitude entre les horaires
consacrés aux activités « non classiques » : 8 heures en 1938, 7
heures 30 en 1941, mais, à y regarder de plus près, la répartition des heures
par matière diffère quelque peu : les 3 heures de l’éducation physique et
au plein air de 1938 sont doublées en 1941, tandis que les heures pour
l’éducation esthétique et les travaux manuels sont divisées par 3 pour les
premières (1 heure et demie en 1938 contre ½ heure en 1941) et par 4 pour les
secondes (2 heures en 1938 et ½ heure en 1941). L’éducation à l’hygiène n’était
pas ignorée en 1938, mais restait dans un cadre informel. Une séance
hebdomadaire d’hygiène et de secourisme d’1/2 heure fait son apparition en 1941
et confirme le rôle de l’école dans le domaine de la santé publique. On
pourrait penser que le travail manuel fut largement réduit après 1941, dans les
faits, il n’en est rien. Il est spécifié aux instituteurs, dans les documents
d’application, que la pratique des travaux manuels pouvait être étendue à une
heure, voire une heure et demie, si les conditions climatiques ne permettaient
pas d’effectuer les 6 heures d’éducation physique et de plein air ou si du
retard avait été pris lors des séances précédentes. Il résulte de tout cela,
une répartition bien moins homogène que celle de 1938.
Il est frappant de noter comment les expériences et les
travaux du mouvement l’Education Nouvelle du début du siècle (3), qui
prônent un apprentissage actif, ont pénétré durablement les esprits. Les
programmes de 1938 incitent clairement les enseignants à s’inspirer des
expérimentations de l’Education
nouvelle, surtout en ce qui concerne les séances de travaux manuels et
les activités dites de plein air, parmi lesquelles figurent les fameuses
classes-promenades, apparues dans les instructions de 1923 et mises en œuvre
par Célestin Freinet. Jean Zay considérait qu’elles mettaient les enfants dans
des situations actives d’apprentissage et permettaient ainsi au maître de baser
le contenu de son enseignement sur les questionnements des enfants. Tout un
volet, portant sur l’enseignement général, décrit une méthode se voulant
intuitive, inductive et active.
Scouts du clan Larigaudie, Belfort
(museedelaresistanceenligne.org)
Dans les programmes de 1941, les enseignants doivent
s’inspirer des méthodes du scoutisme dont Baden-Powell a fixé les bases en
1906, mixant méthodes actives et responsabilisation des enfants. Tout un
chapitre portant sur la pédagogie générale rappelle les bienfaits des méthodes
actives et intuitives. Notons, au passage, que dans le même temps, les autorités
allemandes d’occupation de la zone nord interdisent les mouvements scouts dès
1940 (4).
Dans les deux programmes, les travaux manuels sont considérés
comme les supports idéaux pour installer les deux méthodes actives préconisées.
Les programmes de 1938 marquent donc la volonté d’ancrer ces travaux dans le
réel, avec des applications concrètes « pouvant
servir dans d’autres apprentissages ou enseignements ». En accord
parfait, les programmes de 1941 proposent, eux aussi, « la fabrication d’objets concrets et utilitaires ».
Voici donc la méthode active partagée par les deux programmes, certes, mais
tout de même avec des sources d’inspiration quelque peu différentes… surtout en
ce qui concerne l’éducation physique.
Quid de l’éducation physique ?
Ici, à nouveau, vont s’affronter des courants de pensée
antagonistes. Au lendemain de la Grande Guerre, l’instruction militaire a
toujours la main sur la conception des activités physiques et sportives, mais
les idées pacifistes gagnant du terrain et le désastre démographique changent
peu à peu la donne. Il s’agit de « sauver les enfants » qui doivent
assurer le renouveau de la France et le corps médical s’inscrit au premier plan
de ce combat, suivi des politiques qui décideront de séparer l’éducation physique
scolaire de la préparation militaire en 1926.
Affiche de la Croix-Rouge américaine, 1920 (CANOPE)
Georges Hébert avait développé sa propre méthode dès 1912, la
méthode dite « naturelle ». Il était opposé à la
« spécialisation sportive » préconisée à l’époque qui, selon lui, ne
permettait pas une éducation physiologique et morale harmonieuse, ne prônant
que des valeurs individualistes de compétition et de performance. Hébert basa
sa méthode sur des gestes naturels et utilitaires, pratiqués dans un milieu
naturel. Ces gestes étaient déclinés en dix familles d’exercices : la
marche, la course, le saut, la quadrupédie, le grimper, l’équilibre, le lancer,
le lever, l’attaque-défense et la natation. Le but de l’éducation physique
devait donc être de développer harmonieusement le corps par des procédés
naturels et non pas de le sculpter de manière spécialisée et disgracieuse. De
son côté, le corps médical insistait sur le rôle hygiénique des activités
physiques en proposant un suivi sanitaire surveillant l’équilibre physiologique
de l’enfant.
Démonstration de la méthode Hébert au Congrès international
d’éducation physique, Paris, 1913 (hebertisme.com)
C’est bien de ces deux courants que s’inspireront les
programmes de 1938. La leçon suivra les préceptes d’Hébert, mais seulement sept
des dix familles d’exercices qu’il préconisait. Il est toutefois demandé
d’alterner ces exercices avec des jeux collectifs ou de « la marche cadencée accompagnée de chants », reste de
l’influence militaire ou cohésion du groupe ?
https://www.youtube.com/watch?v=S0P1LiqCSzI
Quant à eux, les programmes de 1941 vont totalement intégrer
les enseignements de l’Hébertisme et les dix familles d’exercices, faisant fi,
au passage, des principaux reproches que le Régime de Vichy avait faits à la
République, notamment le manque de vigueur physique qui avait entraîné la
défaite de 1940. Les exercices doivent se faire en plein air et selon un
parcours d’une difficulté progressive, c’est le parcours Hébert, aussi appelé
« parcours santé », qui avait été adopté par les mouvements scouts
dès le début du 20e siècle. Le suivi médical fait partie des
programmes, le médecin adopte le rôle d’évaluateur en statuant sur les progrès
sportifs de chacun et en créant des groupes d’élèves suivant leurs aptitudes et
leur potentiel physique et moral. A partir de 1941, sous l’égide de Jean
Borotra, grand tennisman et commissaire général à l’éducation physique et au
sport, l’éducation physique et le plein air vont désormais occuper 20 % des 30
heures hebdomadaires d’enseignement, c’est-à-dire autant que l’apprentissage du
français.
L’implantation durable de l’école
nouvelle
Revue internationale d’éducation nouvelle, 1930 (blog musée)
Force est de constater que les idées pédagogiques innovantes
impulsées par l’Education nouvelle, surtout au début du 20e siècle,
ont résisté à la rupture idéologique de la Révolution Nationale. Si, en ce qui
concerne les matières non-classiques, l’enseignement de Vichy avait appuyé son
discours pro-sportif et hygiéniste par le doublement des heures consacrées à
l’éducation physique, cela n’a pas impacté les méthodes, largement pénétrées
depuis un demi-siècle par le modèle d’apprentissage constructiviste, par
l’apprentissage actif et l’apprentissage par les sens constituant le plein air
et le travail manuel. Bien que faisant désormais chanter les enfants à la
gloire du maréchal, les enseignants s’étaient imprégnés de ces méthodes au
cours des décennies précédentes et leur force de résistance aux changements
brutaux ne fut sans doute pas étrangère au fait que la rupture idéologique du
Régime de Vichy ne se soit pas véritablement accompagnée d’une rupture
pédagogique. Heureuse inertie du mammouth !
(1) : Voir l’article du blog : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/06/lecole-sous-vichy.html#more
(2) : Voir l’article du blog : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2019/05/la-classe-promenade.html#more
(3) : Voir les articles du
blog : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2020/05/lecole-nouvelle.html#more
et https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2020/06/lecole-nouvelle-2.html#more
(4) : « Le scoutisme sous le régime de
Vichy est à l'image de la France : majoritairement pétainiste et
résistante. En 1940, les autorités allemandes interdisent les mouvements scouts
en zone nord ; en 1942, les Routiers Scouts de
France organisent un pèlerinage au Puy en Velay à l'initiative
du Père Paul Doncoeur ; puis, en 1943, les Éclaireurs israélites de
France sont interdits par Vichy (certains groupes d'Éclaireurs israélites
seront donc affiliés aux Scouts de France pour ne pas disparaître et
continuer à faire vivre le scoutisme). La France libre crée son
propre mouvement avec des aînés ayant rallié l'Angleterre :
les Éclaireurs français en Grande-Bretagne. (..)
En
1940, les principaux mouvements se regroupent au sein de la Fédération du
scoutisme français, qui regroupe EdF, EIF, EUF, SdF, GdF et la FFE. Elle joue
rapidement un rôle majeur et existe toujours aujourd'hui. À la Libération, en
1944, les Scouts musulmans algériens intègrent le collège algérien du scoutisme
français, dont ils feront partie jusqu'à l'indépendance en 1962. (..)
Au
sein de la Résistance, il faut notamment citer le réseau des Pur-sangs, un
groupe féminin de Guides de France qui créent une filière d'évasion de prisonniers en
Alsace ; arrêtées et condamnées, à mort pour l'une d'entre elles, elles
seront décorées de la médaille de la Résistance à la Libération. Il
faut aussi mentionner le Clan Guy de Larigaudie qui sera la seule
unité des Scouts de France à recevoir la Croix de Guerre de
1939-1945.
Patrick PLUCHOT
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire