vendredi 15 avril 2022

De Jean Zay au régime de Vichy



 

De Jean Zay au régime de Vichy

Deux visions de l’enseignement


La rupture

Depuis la Révolution française et au cours des différentes républiques, l’école n’avait plus pour but de former des sujets, mais de former des citoyens, dimension toujours éminemment politique. De fait, l’école a toujours été le vecteur idéologique principal des institutions en place. L’école de Vichy, pour la plupart des historiens, constitue une école rétrograde, véritable instrument de propagande de la Révolution nationale, dont les pratiques paramilitaires sont à rapprocher des mouvements de jeunesse mis en place par l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie. Une école aux antipodes de l’école républicaine de la fin de la Troisième République incarnée par le Cartel des gauches et le Front populaire d’avant-guerre 39/45.

 

Peut-on considérer pour autant que la rupture idéologique opérée en 1941 ait entraîné une rupture pédagogique entre les politiques préconisées par le Front populaire d’une part et le régime de Vichy d’autre part en ce qui concerne l’enseignement primaire ? En clair, cette rupture idéologique entraîna-t-elle un changement radical dans les modèles et les pratiques scolaires ? Peut-être pas.

Manuel de culture physique pour hommes et dames, 1930 (picclick.fr)

Similitudes et dissonances

Rien de mieux pour répondre à notre problématique que l’étude du contenu des programmes, des horaires et des décrets d’application destinés aux institutrices et instituteurs. En ce qui concerne les matières dites « fondamentales », le français et le calcul, la forme revêt plus d’importance que le fond et c’est la censure qui va caractériser la période de Vichy, notamment par l’interdiction de beaucoup d’ouvrages (1). Le fait que les principales dissonances concerneront les matières « moins nobles » peut paraître paradoxal, mais à y regarder de plus près, la logique est implacable. Comme ce fut le cas après la défaite de 1870, le gouvernement de Vichy impute la défaite de 1940 à l’école républicaine et à ses maîtres, responsables, selon lui, d’avoir « éduqué dans une optique trop intellectualiste, des citoyens peu vigoureux physiquement ». Il faut donc revoir l’enseignement de l’éducation physique et de l’hygiène corporelle, des activités de plein air et des travaux manuels, en faisant de l’école élémentaire « une école-atelier ». Notre réflexion ne portera donc que sur ces matières « non classiques » (l’éducation physique, les activités de plein air, le travail manuel, l’éducation esthétique et l’éducation à l’hygiène), ainsi que sur les tableaux horaires (qui permettent de mettre à jour les priorités données aux différents apprentissages). Nous nous cantonnerons, par ailleurs, aux horaires des cours supérieurs des programmes de 1938 (enfants de 11 à 13 ans) et du second cycle des programmes de 1941 (enfants de 11 à 14 ans). Mais auparavant, quelques petits rappels.

Salle de sport au début du siècle (pinterest)

 Le contexte d’après la Grande guerre

Le krach boursier new-yorkais du jeudi 24 octobre 1929 (le « jeudi noir ») annonce la plus grande crise économique du 20e siècle, à laquelle l’Europe n’échappera pas. Chômage, dévaluations, chute du pouvoir d’achat sont le lot de cette crise. Les pays réagiront différemment, notamment par le nationalisme pour certains : Allemagne hitlérienne, Italie fasciste. En France, s’inspirant de l’entente électorale victorieuse en 1924 et 1932, incarnée par le « Cartel des Gauches », le Front Populaire remporte les élections législatives de 1936. Les mouvements sociaux qui s’ensuivent aboutiront aux accords de Matignon et à de grandes avancées sociales. Ces dernières seront considérablement ralenties par la poursuite de la crise. Certaines même, comme la loi sur les 40 heures, seront purement et simplement annulées par le nouveau conseil ouvert aux voix de droite, sous la présidence d’Edouard Daladier. Ce conseil signera aussi, le 29 septembre 1938, les accords de Munich qui permettront à l’Allemagne d’annexer la région tchécoslovaque des Sudètes. La gauche et la droite s’opposent alors, ce sera la fin définitive du Front Populaire.

L’invasion de la Pologne par l’armée allemande oblige la France et ses alliés à engager le conflit contre l’Allemagne le 3 septembre 1939. La « blitzkrieg » de mai 1940 se soldera par la démission de Paul Reynaud, chef du gouvernement et son remplacement par le Maréchal Pétain qui, cinq jours après son investiture, le 22 juin 1940, signera l’armistice. Le 10 juillet 1940, les pleins pouvoirs seront donnés au nouveau chef de l’Etat français, par une loi constitutionnelle. La Troisième République n’existe plus, au profit du Régime de Vichy. La France est divisée en deux zones : une au nord incluant toute la façade atlantique, administrée par l’occupant allemand, une autre au sud, administrée par le gouvernement de Vichy.

Philippe Pétain, « l’homme de Montoire » engage la France dans la collaboration, 24 octobre 1940 (pinterest)

Le modèle politique républicain est remplacé par l’idéologie de la Révolution Nationale qui va multiplier les lois, entre 1940 et 1942, bouleversant l’organisation sociale française : instauration d’une politique sans parlement, avec un parti unique (influence du monarchisme), instauration aussi d’un antisémitisme d’Etat et d’un culte flagrand de la personnalité, prônant la soumission au chef suprême . A partir de 1942 et l’occupation de la zone sud par les forces allemandes, le Régime de Vichy se durcit, collaboration avec l’Allemagne s’affiche avec la nomination de Pierre Laval à la tête du gouvernement. Deux ans plus tard, Paris sera libérée le 25 août 1944 ; depuis le 9 août, le G.P.R.F (Groupement Provisoire de la République Française) avait signé officiellement la fin du gouvernement de Vichy.

Faire un état des lieux

1936-1940 : la grande réforme. Jean Zay est alors ministre de l’Education Nationale et des Beaux-Arts et sa première décision sera d’allonger la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans (loi du 9 février 1936). Le projet qu’il dépose en 1937 prône l’unification de l’enseignement primaire et l’harmonisation du secondaire : disparition des classes élémentaires dans les collèges et les lycées, ce que préconisaient déjà les lois de 1933 (gratuité du secondaire et stabilité de l’école unique). Les programmes de l’enseignement primaire sont publiés le 20 septembre 1938, on note alors une nette prise en compte du bien-être de l’enfant, une lutte contre le surmenage dû au travail de l’élève hors de l’école. Le problème de l’hygiène et du développement corporel fait l’objet de nombreuses innovations. Pour ne prendre que l’exemple du Cours supérieur (élèves de 11 à 13 ans), sur 30 heures hebdomadaires de classe, 8 sont consacrées aux activités « non classiques » : 3 heures aux activités dirigées et au chant, 3 heures au sport, au plein air, à l'éducation physique, 2 heures au travail manuel. 

1940 : l’école de la Révolution Nationale. Le 18 septembre de cette année-là, le ton est donné avec la suppression des écoles normales, ces « isoloirs intellectuels où la malfaisance de son enseignement moral de la sociologie n’est plus à démontrer » ; la dissolution le 15 octobre du Syndicat national des instituteurs ; la suppression aussi, le 13 décembre, des délégués cantonaux (actuels DDEN, délégués départementaux de l’Education Nationale), garants républicains de l’école. C’est la rupture idéologique : une école « élitiste » forgeant une société « d’ordre naturel » doit remplacer l’école républicaine « égalitariste » forgeant une société « de contrat ». La loi Carcopino du 15 août 1941 rend payant l’enseignement secondaire. Pour les élèves du second cycle (nouveau découpage concernant les 11 à 14 ans), la durée hebdomadaire de classe reste à 30 heures et les programmes de 1941 introduisent un nouvel item, les activités générales et sportives : une demi-journée de plein air (3 heures), du travail manuel en plein air (1/2 heure), 4 séances d’éducation physique (3 heures), une séance de chant choral (1/2 heure), une séance d’hygiène et secourisme (1/2 heure), soit un total de 7 heures et demie pour les activités « non classiques ».  

1887-1936 : le progrès dans la continuité

Léo Lagrange et Jean Zay : signature de l’accord entre le ministère de l’E.N et le Comité national d’éducation sportive, le 5 octobre 1938 (worthpoint.com)

Dans l’esprit républicain, on note une grande stabilité des programmes de l’école élémentaire. Toutefois, les instructions de 1923 marquent un net progrès et s’inspirent des expériences pédagogiques nouvelles du début du siècle. Les travaux dirigés, l’éducation par les sciences, l’observation, entrent à l’école.

Les programmes de 1938 ne rompent pas avec cette évolution, mais accentuent les indications pédagogiques en direction des enseignants, développant un véritable statut de l’apprenant : le questionnement des élèves amènera les contenus d’enseignement, prenant appui sur leur environnement direct. L’élément le plus caractéristique est bien la promenade-leçon (classe-promenade (2)). Si la classe-promenade était introduite par les Instructions de 1923 en support de l’enseignement scientifique et de la leçon de choses, le programme de 1938 en fait une discipline à part entière, intégrée à la plage horaire des travaux dirigés. Ainsi, l’observation et la leçon orale introduiront les leçons en classe dans une visée plus rationnelle et plus analytique. Jean Zay, Ministre de l’Education Nationale, dans ses Instructions du 20 septembre 1938, précise sa pensée : l’élève doit devenir l’« Artisan de son propre apprentissage ». Il s’inspire des mouvements d’éducation nouvelle, personnalisés par Maria Montessori ou Célestin Freinet et promeut une méthode innovante, à la fois intuitive, inductive et active : l’utilisation du cinéma et des arts visuels, l’éducation esthétique à travers le chant ou la visite de musées, la préconisation des fêtes scolaires, vitrine des apprentissages. Sous l’impulsion de Jean Zay aidé du sous-secrétaire d’Etat aux sports et aux loisirs, Léo Lagrange (qui mourra au combat le 9 juin 1940), l’enseignement de l’éducation physique va prendre en compte le développement physiologique de l’enfant : le sport aura avant tout un rôle hygiénique, il devra contribuer au développement des capacités psychomotrices de l’enfant, et non plus à l’unique « renforcement musculaire » qui entraverait le bon déroulement de la croissance. On privilégiera les exercices adaptés, notamment pour les filles : « ceux qui donnent de l’agilité et de la grâce plutôt que ceux qui donnent de la force ».

Une révolution en somme, suivie d’un vocabulaire nouveau non moins révolutionnaire : la co-construction des savoirs maître-élèves, le conflit sociocognitif, les apprentissages socioconstructivistes… En réalité, tout cela ne nous renvoyait-il pas tout simplement à la vision éducative de l’Emile, profondément humaniste et positiviste déjà développée par Rousseau, s’appuyant sur les « qualités intrinsèques, innées ou naturelles de l’enfant » ?

 

1940-1944 : un nouvel état d’esprit

Comme nous l’avons évoqué précédemment, la rupture idéologique avec l’école républicaine tient en trois dates : 18 septembre 1940, les écoles normales, « antichambres de la Troisième République avec des instituteurs imbus de science, de laïcité et de socialisme », sont supprimées et remplacées par une formation de courte durée, très pratique, incluant un stage d’un an uniquement destiné au domaine de l’éducation physique et des enseignements manuels et ménagers ; le 15 août 1941, la loi Carcopino rétablit l’enseignement secondaire payant ; le 16 août 1941, les nouveaux programmes sont promulgués avec la refonte de l’enseignement primaire en trois cycles.

L’ordre et la discipline sont les maîtres-mots de ce changement : « L’instituteur doit être un éducateur, il doit instruire des connaissances, mais aussi élever le sens moral chez les élèves, transmettre des règles de vie en société et insister sur les devoirs de l’élève plus que sur ses droits », tout doit passer par la « culture » physique. L’instituteur doit être le trait d’union entre l’école et la famille qui est un des piliers de la Révolution nationale (les deux autres étant le travail et la patrie). Il est aussi le garant de l’hygiène et du développement physiologique de l’enfant. Les textes instaurent un suivi médical des élèves par un médecin visant à établir un classement par niveau d’aptitudes physiques et morales. Les textes introduisent aussi la volonté de dépister les pathologies et les déficiences. On devine, en filigrane, l’influence d’un proche conseiller du maréchal Pétain, Alexis Carrel, prix Nobel de physiologie et de médecine en 1912 qui préconise l’abolition des classes sociales et leur remplacement par des classes biologiques, instaurant ainsi une biocratie, société antiégalitaire, à la place d’une démocratie…

13 octobre 1941, discours de rentrée du Maréchal dans une classe de l’Allier : «  Je suis attristé en pensant que certains d’entre vous ne résistent pas à la tentation et qu’ils copient ou qu’ils trichent pour gagner quelques points. C’est une faute et je veux qu’elle cesse. Parmi vous, les plus nombreux ne copient pas. Je leur demande d’avoir le courage de leur opinion et d’arriver à empêcher les autres de le faire. On m’a expliqué que certains d’entre vous ont déjà agi, qu’ils ont organisé des ‘‘ligues de loyauté’’ qui ont eu beaucoup de succès. Je les en félicite. Je suis certain que vos maîtres et vos professeurs vous conseilleront et vous aideront dans cette voie. Adressez-vous à eux et surtout donnez le bon exemple à vos voisins ».

Les programmes prévoient un partenariat avec la Croix-rouge pour l’enseignement utilitariste des bases d’hygiène (surtout maternelle pour les filles) et de secourisme (incluant la notion de « défense passive » pour les garçons). Le principe de « méthode naturelle » est mis en avant, il est régi par deux principes : la pratique des activités « non classiques », quelles qu’elles soient, doit se faire en extérieur et, cette méthode naturelle étant simple, elle est donc applicable par n’importe quel enseignant même de formation sommaire. Les activités physiques et de plein air sont dès lors privilégiées et les textes recommandent l’utilisation des méthodes issues du scoutisme avec leurs valeurs collectives d’entraide et de solidarité. Si les conditions extérieures sont défavorables, l’enseignant peut pratiquer des travaux manuels, mais aussi des activités liées à l’éducation artistique : chant, écoute d’œuvres musicales, œuvres cinématographiques, atelier théâtre, discussions débat, mais dans les limites fixées par les textes : l’enseignant est au service de l’Etat, il ne peut donc rien enseigner de contraire aux principes du pouvoir en place. L’esprit des textes n’est cependant pas sans rappeler les méthodes de l’enseignement militaire. Les notions de plaisir et de souffrance apparaissent dans les programmes et la transmission du goût de l’effort et de tolérance à la douleur régit les apprentissages. 

Cours de défense passive 

Les mêmes textes parlent cependant de « méthode forte » et de « méthode plus attrayante », sans préciser les contours de cette dernière… Les thèses du « déterminisme biologique » sous-tendent l’idéologie nouvelle. L’enfant doit acquérir des compétences sociétales d’entraide et d’amitié, uniquement liées à la famille et à l’école. La discipline doit prendre en compte les caractéristiques innées de l’enfant, ses réflexes, ses instincts, ses pulsions « primaires d’enfant sauvage » cet « être de nature et pas encore de culture, qu’il est nécessaire de redresser, de corriger par l’intermédiaire de l’école », à l’éducateur de mettre en place des habitudes morales rigoureuses qui seront le pilier du dispositif global d’enseignement ; une vision qui nous ramène à l’Ancien Régime. 

Cependant, certains acquis pédagogiques de la période précédente sont conservés : les méthodes intuitives et actives ; le travail de groupe, la prise de parole et la confrontation d’idées qui prennent le qualificatif de « travail en collaboration » (terme prémonitoire) ; l’enseignement de l’hygiène et des sciences naturelles ; le dessin, considéré comme un moyen d’expression à part entière ; le chant et l’écoute musicale ; l’utilisation des nouvelles technologies (TSF, projections de films).

Une fracture beaucoup plus ancienne

La fermeture des Ecoles Normales, berceau des « hussards noirs de la République » chers à Peguy et l’accusation portée contre l’école de la Troisième République et ses maîtres d’être en partie responsable de la défaite de 1940, ne sont pas le véritable début du combat idéologique. Ce dernier date de l’entre-deux-guerres. L’école préconisée par la Révolution nationale n’a pas été improvisée par le Régime de Vichy, mais a été pensée, conceptualisée par les mêmes protagonistes bien avant. C’est en 1926 qu’est créé le cercle Fustel de Coulanges, composé de journalistes, d’enseignants, de militaires, de scientifiques, très proches des royalistes de l’action française de Charles Mauras qui présidera nombre de congrès du cercle. Pendant tout l’entre-deux-guerres donc, cette association militera contre l’Ecole publique et ses valeurs, de manière empirique au début, critiquant notamment les programmes « avant-gardistes » de 1923, mais de manière beaucoup plus radicale ensuite, sous l’influence des militaires dont un certain maréchal Pétain. Dans les articles qu’il rédigera pour le bulletin du cercle, Cahiers du cercle de Coulanges, il déplorera le non-enseignement religieux, le manque de rigueur morale et physique, l’encyclopédisme et le scientisme des programmes. Charles Mauras, de son côté, niera la conception de l’enfant « Rousseauiste » et, en bon royaliste, fera l’apologie de la filiation. Le plus important point de friction entre le cercle et les défenseurs de l’Ecole républicaine sera l’école unique. En effet, jusqu’en 1938, l’école primaire obligatoire et gratuite pour tous était séparée de l’école secondaire payante qui, du reste, possédait son propre cycle élémentaire, payant lui aussi, destiné à former les classes dirigeantes. L’égalité et la gratuité qu’impose le Front populaire jusqu’au lycée avaient déchaîné les foudres conservatrices des adversaires de l’école républicaine, ces mêmes personnages qui se retrouveront au cœur de l’appareil d’Etat lors de la prise du pouvoir par le maréchal Pétain, le 10 juillet 1940. Les chantres de l’école de la Révolution nationale sont alors en place et opposeront les valeurs d’instinct, de tradition et de sélection aux valeurs d’égalité, de liberté et de fraternité. Ainsi, le système scolaire qu’installe le gouvernement de Vichy enterre le principe égalitaire de l’Ecole républicaine, instaure un modèle basé sur la hiérarchie sociale et le culte de la personnalité.

Préparation de l’anniversaire du maréchal Pétain dans une école, 1942 (Ebay)

Protège-cahiers, 1941 (CANOPE)

Rupture idéologique, oui, rupture pédagogique, moins sûr

D’abord, on note une certaine similitude entre les horaires consacrés aux activités « non classiques » : 8 heures en 1938, 7 heures 30 en 1941, mais, à y regarder de plus près, la répartition des heures par matière diffère quelque peu : les 3 heures de l’éducation physique et au plein air de 1938 sont doublées en 1941, tandis que les heures pour l’éducation esthétique et les travaux manuels sont divisées par 3 pour les premières (1 heure et demie en 1938 contre ½ heure en 1941) et par 4 pour les secondes (2 heures en 1938 et ½ heure en 1941). L’éducation à l’hygiène n’était pas ignorée en 1938, mais restait dans un cadre informel. Une séance hebdomadaire d’hygiène et de secourisme d’1/2 heure fait son apparition en 1941 et confirme le rôle de l’école dans le domaine de la santé publique. On pourrait penser que le travail manuel fut largement réduit après 1941, dans les faits, il n’en est rien. Il est spécifié aux instituteurs, dans les documents d’application, que la pratique des travaux manuels pouvait être étendue à une heure, voire une heure et demie, si les conditions climatiques ne permettaient pas d’effectuer les 6 heures d’éducation physique et de plein air ou si du retard avait été pris lors des séances précédentes. Il résulte de tout cela, une répartition bien moins homogène que celle de 1938.

Il est frappant de noter comment les expériences et les travaux du mouvement l’Education Nouvelle du début du siècle (3), qui prônent un apprentissage actif, ont pénétré durablement les esprits. Les programmes de 1938 incitent clairement les enseignants à s’inspirer des expérimentations de l’Education  nouvelle, surtout en ce qui concerne les séances de travaux manuels et les activités dites de plein air, parmi lesquelles figurent les fameuses classes-promenades, apparues dans les instructions de 1923 et mises en œuvre par Célestin Freinet. Jean Zay considérait qu’elles mettaient les enfants dans des situations actives d’apprentissage et permettaient ainsi au maître de baser le contenu de son enseignement sur les questionnements des enfants. Tout un volet, portant sur l’enseignement général, décrit une méthode se voulant intuitive, inductive et active.

Scouts du clan Larigaudie, Belfort (museedelaresistanceenligne.org)

Dans les programmes de 1941, les enseignants doivent s’inspirer des méthodes du scoutisme dont Baden-Powell a fixé les bases en 1906, mixant méthodes actives et responsabilisation des enfants. Tout un chapitre portant sur la pédagogie générale rappelle les bienfaits des méthodes actives et intuitives. Notons, au passage, que dans le même temps, les autorités allemandes d’occupation de la zone nord interdisent les mouvements scouts dès 1940 (4).

Dans les deux programmes, les travaux manuels sont considérés comme les supports idéaux pour installer les deux méthodes actives préconisées. Les programmes de 1938 marquent donc la volonté d’ancrer ces travaux dans le réel, avec des applications concrètes « pouvant servir dans d’autres apprentissages ou enseignements ». En accord parfait, les programmes de 1941 proposent, eux aussi, « la fabrication d’objets concrets et utilitaires ». Voici donc la méthode active partagée par les deux programmes, certes, mais tout de même avec des sources d’inspiration quelque peu différentes… surtout en ce qui concerne l’éducation physique.

Quid de l’éducation physique ?

Ici, à nouveau, vont s’affronter des courants de pensée antagonistes. Au lendemain de la Grande Guerre, l’instruction militaire a toujours la main sur la conception des activités physiques et sportives, mais les idées pacifistes gagnant du terrain et le désastre démographique changent peu à peu la donne. Il s’agit de « sauver les enfants » qui doivent assurer le renouveau de la France et le corps médical s’inscrit au premier plan de ce combat, suivi des politiques qui décideront de séparer l’éducation physique scolaire de la préparation militaire en 1926.

Affiche de la Croix-Rouge américaine, 1920 (CANOPE)

Georges Hébert avait développé sa propre méthode dès 1912, la méthode dite « naturelle ». Il était opposé à la « spécialisation sportive » préconisée à l’époque qui, selon lui, ne permettait pas une éducation physiologique et morale harmonieuse, ne prônant que des valeurs individualistes de compétition et de performance. Hébert basa sa méthode sur des gestes naturels et utilitaires, pratiqués dans un milieu naturel. Ces gestes étaient déclinés en dix familles d’exercices : la marche, la course, le saut, la quadrupédie, le grimper, l’équilibre, le lancer, le lever, l’attaque-défense et la natation. Le but de l’éducation physique devait donc être de développer harmonieusement le corps par des procédés naturels et non pas de le sculpter de manière spécialisée et disgracieuse. De son côté, le corps médical insistait sur le rôle hygiénique des activités physiques en proposant un suivi sanitaire surveillant l’équilibre physiologique de l’enfant. 

Démonstration de la méthode Hébert au Congrès international d’éducation physique, Paris, 1913 (hebertisme.com)

C’est bien de ces deux courants que s’inspireront les programmes de 1938. La leçon suivra les préceptes d’Hébert, mais seulement sept des dix familles d’exercices qu’il préconisait. Il est toutefois demandé d’alterner ces exercices avec des jeux collectifs ou de « la marche cadencée accompagnée de chants », reste de l’influence militaire ou cohésion du groupe ?

https://www.youtube.com/watch?v=S0P1LiqCSzI

Quant à eux, les programmes de 1941 vont totalement intégrer les enseignements de l’Hébertisme et les dix familles d’exercices, faisant fi, au passage, des principaux reproches que le Régime de Vichy avait faits à la République, notamment le manque de vigueur physique qui avait entraîné la défaite de 1940. Les exercices doivent se faire en plein air et selon un parcours d’une difficulté progressive, c’est le parcours Hébert, aussi appelé « parcours santé », qui avait été adopté par les mouvements scouts dès le début du 20e siècle. Le suivi médical fait partie des programmes, le médecin adopte le rôle d’évaluateur en statuant sur les progrès sportifs de chacun et en créant des groupes d’élèves suivant leurs aptitudes et leur potentiel physique et moral. A partir de 1941, sous l’égide de Jean Borotra, grand tennisman et commissaire général à l’éducation physique et au sport, l’éducation physique et le plein air vont désormais occuper 20 % des 30 heures hebdomadaires d’enseignement, c’est-à-dire autant que l’apprentissage du français.

L’implantation durable de l’école nouvelle

Revue internationale d’éducation nouvelle, 1930 (blog musée)

Force est de constater que les idées pédagogiques innovantes impulsées par l’Education nouvelle, surtout au début du 20e siècle, ont résisté à la rupture idéologique de la Révolution Nationale. Si, en ce qui concerne les matières non-classiques, l’enseignement de Vichy avait appuyé son discours pro-sportif et hygiéniste par le doublement des heures consacrées à l’éducation physique, cela n’a pas impacté les méthodes, largement pénétrées depuis un demi-siècle par le modèle d’apprentissage constructiviste, par l’apprentissage actif et l’apprentissage par les sens constituant le plein air et le travail manuel. Bien que faisant désormais chanter les enfants à la gloire du maréchal, les enseignants s’étaient imprégnés de ces méthodes au cours des décennies précédentes et leur force de résistance aux changements brutaux ne fut sans doute pas étrangère au fait que la rupture idéologique du Régime de Vichy ne se soit pas véritablement accompagnée d’une rupture pédagogique. Heureuse inertie du mammouth !

 (1) : Voir l’article du blog : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/06/lecole-sous-vichy.html#more

(2) : Voir l’article du blog : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2019/05/la-classe-promenade.html#more

(3) : Voir les articles du blog :  https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2020/05/lecole-nouvelle.html#more et https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2020/06/lecole-nouvelle-2.html#more

(4) : « Le scoutisme sous le régime de Vichy est à l'image de la France : majoritairement pétainiste et résistante. En 1940, les autorités allemandes interdisent les mouvements scouts en zone nord ; en 1942, les Routiers Scouts de France organisent un pèlerinage au Puy en Velay à l'initiative du Père Paul Doncoeur ; puis, en 1943, les Éclaireurs israélites de France sont interdits par Vichy (certains groupes d'Éclaireurs israélites seront donc affiliés aux Scouts de France pour ne pas disparaître et continuer à faire vivre le scoutisme). La France libre crée son propre mouvement avec des aînés ayant rallié l'Angleterre : les Éclaireurs français en Grande-Bretagne. (..)

En 1940, les principaux mouvements se regroupent au sein de la Fédération du scoutisme français, qui regroupe EdF, EIF, EUF, SdF, GdF et la FFE. Elle joue rapidement un rôle majeur et existe toujours aujourd'hui. À la Libération, en 1944, les Scouts musulmans algériens intègrent le collège algérien du scoutisme français, dont ils feront partie jusqu'à l'indépendance en 1962. (..)

Au sein de la Résistance, il faut notamment citer le réseau des Pur-sangs, un groupe féminin de Guides de France qui créent une filière d'évasion de prisonniers en Alsace ; arrêtées et condamnées, à mort pour l'une d'entre elles, elles seront décorées de la médaille de la Résistance à la Libération. Il faut aussi mentionner le Clan Guy de Larigaudie qui sera la seule unité des Scouts de France à recevoir la Croix de Guerre de 1939-1945. » (historia.fr)

Patrick PLUCHOT

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