mardi 5 septembre 2023

Les châtiments corporels

 

Les châtiments corporels

Officiellement interdits par arrêté ministériel en 1835…


La chaise à fessée (Musée de Château-Lambert 70)

De quoi faire frémir l’écolier

Les écoles et les collèges, du 16e au 19e siècle, disposaient d’un inventaire de pratiques punitives impressionnant. Au début ce fut carrément le fouet, dont la version familiale devint le martinet. Vint ensuite la férule que Balzac qualifia d’« Ultima Ratio Patrum » (le « dernier argument »), dans Louis Lambert, empruntant la célèbre devise que Louis XIV avait fait inscrire sur ses canons : « Ultima Ratio Regnum » (le « dernier argument des rois »). Le cachot, les verges, le pensum, l’exclusion, la pénitence, le bonnet d’âne, le bâton (châtiment des valets et des manants) et j’en passe, autant de sévices que risquait, en plus, le trublion déjà agenouillé sur la bûche d’infamie au fond de la classe…




Martinet et férule (MUNAE)

En réalité, le code civil de Napoléon de 1803, condamne déjà les coups et blessures volontaires, interdisant donc les châtiments corporels à l’école, mais introduisant une nuance de taille : « sauf s’ils sont portés par le père sur ses propres enfants » ! De toute manière, les textes de 1803 et 1834 n’eurent que peu d’effets sur la réalité. Il faudra attendre les lois scolaires de Jules Ferry (à partir de 1880) pour mettre un terme aux châtiments les plus sévères, tout en maintenant un arsenal de punitions : les mauvais points, les réprimandes, la privation partielle de récréation, la retenue en classe, l’exclusion… Le sujet fera l’objet d’une lente évolution.

Sous l’Ancien régime, on ne fouette plus les élèves au-delà de seize ans, mais pour les plus petits, au sein de la pédoplégie (ensemble des méthodes pour éduquer les enfants) est née la pédagogie des coups : certains, par exemple, recommandent de ne pas frapper sous le coup de la colère et de laisser passer un délai entre la faute et la sanction, tandis que d’autres pensent que cet écart rend le châtiment plus insupportable et avilissant… 

La férule (MUNAE)

La punition des baguettes 

"Punition",  Basile de Loose

En 1834, François Guisot édicte le Statut sur les écoles primaires qui précise que « Les élèves ne pourront jamais être frappés, (..) les seules punitions permises sont les notes défavorables, la réprimande, la privation de tout ou partie des récréations avec une tâche extraordinaire, le renvoi de l’école, provisoire ou définitif. » Férule et martinet auraient donc dû céder la place aux pensums en tous genres (devoirs, lignes à copier, etc.). Toutefois, les coups de règle sur les doigts et les oreilles tirées resteront encore pour longtemps, de même que quelques pratiques humiliantes parmi lesquelles la « bûche » sur laquelle un écolier pouvait passer, agenouillé, une partie de la classe ou de la récréation, les mains derrière le dos ou sur la tête, éventuellement affublé d’un panneau d’infamie sur lequel était inscrite sa grande faute ! 

Les plus anciens noteront la présence du « carré blanc », avertisseur de scènes « érotiques » à la télévision d’autrefois, aussi bien pour les adultes que pour les enfants qu’il convenait d’écarter du récepteur (1)

On réglemente aussi les parties du corps à frapper à travers une « anatomie du corps châtié » sorte de carte du corps battu : en priorité les mains ; les fesses, moins souvent (pour des raisons morales ? Tout comme est préconisée l’utilisation de la férule, la main nue étant réservée à l’intimité du cadre familial) bien que dès la Renaissance, on évoque les « maîtres d’école fesseurs » ; le dos ; même la tête, bien que peu recommandée, n’est pas épargnée, à commencer par les oreilles et les cheveux. On assiste bien là, à une normalisation des sanctions à travers différents textes officiels qui seront publiés entre 1821 et 1854 par le ministère. 

La férule (MUNAE)

J.B. Le Prince, 1789

La fessée au "fagot" (martinet "maison")En 1935, la France abandonne le droit de sanction accordé au père qui lui permettait, sur simple demande, de placer son enfant mineur (âgé de moins de 21 ans) en maison de correction.

En 1945,  sont créés les juges pour enfants et les services sociaux d’aide à l’enfance.

En 1949, l’assemblée adopte la déclaration des Droits de l’enfant.

En 1989, Paris signe la convention internationale des droits de l’enfant de l’ONU qui engage les États à «protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalité physique ou mentale » au sein de sa famille.

En 2019, la loi du 10 juillet relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires précise que l’« autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques ».


Le Banc des Ecoliers Punis, Gustav Igler 


Le Banc des Ecoliers Punis, Gustav Igler (détail) 

Le cas des écoles congréganistes

Deux grands ordres, les plus importants, se partagent l’enseignement au 19e siècle : les frères des Ecoles chrétiennes pour l’enseignement primaire et les jésuites pour l’enseignement secondaire. Dans les faits, ces derniers, ces « hommes en noir » qui ont tant marqué les esprits, ne dirigent que 8 des 144 écoles ecclésiastiques implantées en France en 1828 (dont Saint-Acheul), soit 2 200 élèves, alors que les collèges royaux, les petits séminaires et les collèges mixtes en accueillent plus de 12 000. L’âge d’or des jésuites avait vécu. Admis dans le royaume de France durant la seconde moitié du 16e siècle, les jésuites y tiennent, à l’orée des années 1760, 111 collèges, 9 novicats, 21 séminaires, 4 maisons professes, 8 missions et 13 résidences. Si leurs collèges avaient reçu 100 000 élèves au 18e siècle, l’expulsion de l’ordre par un édit de Louis XV, en 1764, y avait mis un terme : la Société de Jésus est désormais proscrite du Royaume, mais les anciens jésuites peuvent y rester ou y revenir, à condition d’y vivre en simples « particuliers », de s’y comporter « en bons et fidèles sujets » et d’être soumis à l’autorité spirituelle des évêques. Avec les juifs et les francs-maçons, les jésuites font partie du trio de tête des cibles du « conspirationnisme » qui ont marqué l’histoire.

  

Expulsion des jésuites en  1767, (musée de la Révolution française). © Crédit photo : CC

Il reste que leur influence demeura à travers leur collège de Saint-Acheul qui accueillera jusqu’à 3 000 élèves sous la Restauration, et pas n’importe lesquels, l’élite sociale dont les enfants occuperont des positions administratives et politiques de premier plan. De quoi continuer à alimenter la théorie du complot de la Société de Jésus. Quoi qu’il en soit, les deux ordres utilisent encore les punitions corporelles au 18e siècle, malgré plusieurs pamphlets et opuscules dénonçant les agissements des jésuites dans le milieu des années 1760, faisant même des allusions directes à la pédophilie (2).

Les jésuites ne renoncèrent pas facilement à l’usage du fouet ou de la férule, mais, à partir de la Restauration, l’heure était à l’attaque frontale et ils durent réagir. Ils modifièrent leur règlement de 1616 qui précisait qu’ «A côté des bons élèves, il en est qui pèchent soit par leur inapplication, soit par ce qui touche aux bonnes mœurs. Avec eux les bonnes paroles et les conseils ne suffisent pas, on nommera un correcteur qui n'appartienne pas à la Société. Quand on ne pourra pas en trouver, on imaginera un moyen de les châtier, soit en employant un scolastique, ou de toute autre manière convenable. Pour des fautes commises en dehors de la classe, on n'infligera pas en classe de punitions corporelles, si ce n'est rarement et pour de bons motifs.» La modification de 1832, tout en supprimant les notions de correcteur et de châtiment (on parlera désormais de « peines sévères »), n'interdit pas formellement les châtiments corporels, notamment à propos d’un article du texte de 1616 qui disait que «s'il en est qui refusent de subir des châtiments corporels, on les y forcera, si c'est possible, en toute sûreté ; mais si, avec les plus grands, par exemple, il résulte de ces châtiments quelques scandales, on chassera ces élèves de nos collèges», qui fut transformé en  «ceux qui refusent de subir des châtiments corporels y seront forcés, ou si cela ne peut se faire sans qu'il y ait scandale, on les chassera de notre collège.»

Jusqu’à la fin du 19e siècle, les frères appliquèrent rigoureusement les principes traditionnels de la pédagogie « cléricale ». Les coups et les peines excessives devaient dompter le démon qui suggère à l’enfant beaucoup de mauvaises pensées.

Rentrée scolaire dans une école primaire parisienne le 1er octobre 1947 (Photo AFP)

Quid de la violence éducative de nos jours ?

Fessées et claques sont désormais totalement interdites, en quelque lieu que ce soit, par la loi du 10 juillet 2019. Si le code civil stipule, en outre, que « l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques et psychologiques. », aucune sanction n’est liée à cet alinéa supplémentaire ajouté à l’article 371-1 du même code. De fait, en cas de non-respect des textes par les parents ou les détenteurs de l’autorité parentale, la justice devra se tourner vers un texte beaucoup plus général, l’article 222-13 du code pénal qui punit « de 3 à 8 jours d’emprisonnement les violences qui occasionnent une incapacité de travail. La personne coupable paiera également une amende de 45 000 euros lorsque les fautes sont commises sur un mineur de moins de 15 ans ». Les nouveaux textes abolissent ainsi la Décision n° 2016-745 DC du Conseil constitutionnel du 26 janvier 2017 qui, quant à elle, rendait toujours légale la fessée dans le système éducatif.

L’esprit de la loi retient que la violence n’est pas indispensable pour assurer pleinement l’autorité parentale. Il s’agissait là d’une méthode éducative contestée par « le plus grand nombre » pensait-on à l’époque, alors qu’un sondage indiquait parallèlement qu’elle était pratiquée dans 80 % des familles ! Alors, de quoi parle-t-on quand il est question de violences éducatives ordinaires ? Les violences physiques vont des tapes sur la main du jeune enfant « touche à tout », depuis qu’il se déplace à quatre pattes, jusqu’aux coups de pieds ou de poings, en passant par la fessée, la claque, le tirage de cheveux ou d’oreille, le bébé secoué. Les violences psychiques peuvent être plus sournoises et insidieuses : cris, moqueries, culpabilisation, chantage affectif, faire peur à l’enfant.

Physique ou psychique, toute violence, outre la perte de confiance de l’enfant dans son milieu familial et de sa propre perte d’estime de soi, peut avoir un impact social. L’enfant peut reproduire dans la cour de récréation ou en classe, la violence subie à la maison et, évidemment, endosser le poids des traditions en perpétuant ce modèle éducatif à l’âge adulte. Il est difficile de se départir de certains éléments d’éducation hérités de ses parents qui en avaient vraisemblablement eux-mêmes été victimes.  

De l’éducation positive à la discipline positive

Ou les limites d’un concept…

L’école, en France, est l’une des premières à avoir interdit officiellement les châtiments corporels, bien avant les familles qui, historiquement, ont toujours été plus violentes et maltraitantes que l’école. La loi étant souvent insuffisante face aux traditions, cette pratique, bien que plus « légère » perdura, jusqu’à la conjonction de trois phénomènes. Le premier sera l’avènement des Droits de l’enfant après la signature de la convention internationale des droits de l’enfant. Le deuxième sera le refus grandissant des parents (surtout des milieux sociaux favorisés) de voir leurs enfants « maltraités » par des enseignants et enfin le dernier sera le développement de pédagogies nouvelles promouvant l’enseignement et l’éducation sans violence : « faire sens » et non plus « faire mal ».

L’art d’éduquer consiste alors à recourir le moins souvent possible aux punitions. On peut toujours rêver d’une école sans sanctions, mais là on touche aux limites du concept  de discipline positive (3) dont le seul exemple fut l’école libertaire, sans contrainte de Hambourg, en 1920. Un échec, de l’aveu même de ses créateurs. Du reste, les travaux menés à la même époque par Maria Montessori dans sa « Casa dei bambini » posaient la question cruciale : « Faut-il sanctionner ? », avec en conclusion le maintien des sanctions dans son école, et une deuxième interrogation : « Comment sanctionner de manière éducative ? » La réponse se trouve peut-être dans les récentes études sur « les mesures de réparation » inspirées par « la justice restaurative », l’arsenal des sanctions dans l’école actuelle restant pertinent mais devant être appliqué de manière à permettre aux auteurs de transformer une peine en un effort, de se réparer eux-mêmes et de renouer les liens avec les autres. En somme, une punition tournée vers les autres plutôt qu’un châtiment personnel : remettre en état un matériel abîmé, apporter une compensation même symbolique (donner de son temps, apporter son aide)…

On ouvre ainsi une piste de réflexion toutefois soumise à deux conditions : l’école doit expliquer et dialoguer avec les parents d’élèves pour que la notion de sanction soit bien comprise, sans donner l’impression de conseiller les familles en matière d’éducation. D’autre part, il semble impératif que les parents fassent preuve de retenue dans leurs critiques de l’école, surtout face à leurs enfants…  

Conclusion

L’école républicaine et laïque a proscrit tout châtiment corporel dès son avènement. C’est un des moyens, semble-t-il, qu’elle mettra en œuvre pour se démarquer des écoles congréganistes. Jules Ferry, au sujet de ses grandes lois scolaires des années 1880, précisera néanmoins le sens qu’il donne à la laïcité. Ainsi, dans un discours à la Chambre des députés, il déclarera : « Si l’instituteur public s’oubliait assez pour instituer dans son école un enseignement hostile, outrageant pour les croyances religieuses de n’importe qui, il serait aussi sévèrement et aussi rapidement réprimé que s’il avait commis cet autre méfait de battre ses élèves ou de se livrer contre eux à des sévices coupables. »

L’analyse du philosophe Georges Sorel, au début du 20e siècle, à la veille des lois Combes et de l’interdiction des congrégations enseignantes, corrobore la pensée de Ferry : « Jadis, on croyait que la férule était l’outil le plus nécessaire pour le maître d’école ; aujourd’hui les peines corporelles ont disparu de notre enseignement public. Je crois que la concurrence que celui-ci avait à soutenir contre l’enseignement congréganiste a eu une très grande part dans ce progrès : les frères appliquaient, avec une rigueur extrême, les vieux principes de la pédagogie cléricale ; et on sait que celle-ci a toujours comporté beaucoup de coups et de peines excessives, en vue de dompter le démon qui suggère à l’enfant beaucoup de mauvaises habitudes. » L’administration fut assez intelligente pour opposer à cette éducation barbare une éducation plus douce qui lui concilia beaucoup de sympathie. »

Le ministère de l’Instruction œuvra bien dans ce sens, mais restons lucide sur les causes du rejet de l’école congréganiste et la « sympathie » pour l’école républicaine éprouvée par les parents d’élèves, l’éducation plus douce n’en est pas la seule cause. Du reste, ne soyons pas non plus naïf quant à l’abandon des châtiments corporels, en effet, si ces derniers sont interdits dans l’Ecole publique en 1887, dès 1889, la Cour de cassation reconnut aux maîtres un droit de correction au même titre que celui accordé aux parents, « dans la mesure où il n’y a pas excès et où la santé de l’enfant n’est compromise »… évidemment.  Cadre qui sera précisé, le 4 décembre 1908, dans un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui précise : « Les instituteurs ont incontestablement par délégation paternelle, un droit de correction sur les enfants qui leur sont confiés ; mais, bien entendu, ce droit de correction pour demeurer légitime, doit être limité aux mesures de coercition qu’exige la punition de l’acte d’indiscipline commis par l’enfant. » dont acte. 

Pour clore le sujet, j’invite les plus assidus à consulter les observations formulées par le Défenseur des droits, Jacques Toubon, dans sa décision n°2017-120 du 3 avril 2017, statuant sur une plainte de maltraitance à l’encontre d’une institutrice, dans les annexes qui suivent (4). 

Revoir aussi l’article du blog proposant un choix de tableaux des siècles derniers : Les peintres et l’école : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2021/01/voir-lecole-en-peinture.html

 

 

Patrick PLUCHOT

 

(1) : Le 26 mars 1961 fut programmé le film Riz amer et apparut, pour la première fois, le « carré blanc », en bas à droite de l’écran de télévision. Ce dernier était destiné à signaler aux téléspectateurs les émissions télévisées ayant des scènes « sexuelles explicites », bien qu’encore modestes à cette époque. Il était bon alors d’éloigner les « âmes sensibles » du récepteur tout en indiquant, à partir de ce jour-là, à certains, quels films il ne fallait pas rater !

Pour le film Riz amer, un « carré blanc » de belle taille !

Il existait déjà les interdictions aux moins de 13 ans et de 18 ans au cinéma. Comment les gens en étaient-ils informés ? Notamment en consultant la liste des films « interdits », affichée dans les églises par l’Office Catholique Français du Cinéma et que ce dernier déconseillait vivement d’aller voir.

Un peu plus tard, l’imposant « carré blanc » devint un discret « rectangle blanc » pour « moins dénaturer l’œuvre diffusée » dira-t-on, avant qu’il ne disparaisse pour un long moment.

Affiche reprise par le journal L’Humanité, 1968

Une autre forme de violence dont les enfants sont victimes

Dès sa création en 1989, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) demande aux chaînes de programmer, en journée et en première partie de soirée, des émissions destinées à un public familial. Vœu pieu. On ne cesse de noter la progression du niveau de violence des programmes. Le CSA va alors imposer une « signalétique jeunesse » en 2002. Les chaînes seront désormais obligées d’apposer à l’écran un pictogramme indiquant l’âge à partir duquel une émission peut être regardée : tout public, -10, -12, -16, -18, et, en 2005, il propose des horaires de diffusion à certaines catégories de programmes. Autre vœu pieu… 



(2) : Extrait d’un pamphlet publié en 1764, Mémoires historiques sur l’obilianisme et les correcteurs des jésuites, l’auteur faisant parler l’un d’eux :

«Moi, je ne m'en prenais qu'à des êtres animés et sensibles, à des fesses, dont la peau est très délicate et très tendre, et je ne perdais rien: ces fesses restaient toujours des fesses, et je pouvais dès le lendemain, comme il m'est arrivé souvent, faire retravailler dessus, soit que les sillons de la veille fussent effacés ou non. Enfin, quel plaisir plus voluptueux que de pouvoir se livrer tout de suite aux mouvements de la colère et de la vengeance! Un écolier m'avait-il désobéi [...]? Les plaisirs des sens ont-ils rien de comparable à celui que je prenais alors à lui faire porter hic et nunc la plus grande de toutes les peines, la plus terrible pour cet âge-là? Mon cœur était dans ce moment d'autant plus rempli de volupté, que c'était moi-même qui ordonnais du supplice, qui le faisais exécuter sous mes yeux, qui en prolongeais la durée autant que je le voulais, et que c'était à moi-même que s'adressaient les excuses et les protestations réitérées de repentir et d'amendement, qui sortaient de la bouche de celui de qui je tirais une vengeance si délicieuse.» et de conclure : « Point de reproches à craindre de la part des parents, aucune résistance de la part des écoliers, obéissance aveugle dans les ministres de leurs cruautés. »

(3) : Voir à ce sujet : "La discipline positive rend les punitions inutiles"

La France est le cancre de l'OCDE en matière d'indiscipline à l'école, selon une note de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE). Interview par Julie Malaure, publié le 30/03/2017 dans Le Point.fr. (https://www.lepoint.fr/societe/ecole-la-discipline-positive-rend-les-punitions-inutiles-30-03-2017-2116065_23.php#11)

 

(4) :

OBSERVATIONS ;

 1. L’article 222-13 du code pénal dispose que « Les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsqu'elles sont commises (…) Sur un mineur de quinze ans ».

2. Cette infraction est par ailleurs aggravée lorsque l'auteur des faits est un ascendant de la victime ou une personne ayant autorité sur elle.

3. L’article 222-14 du même code réprime quant à lui « Les violences habituelles sur un mineur de quinze ans (…) », y compris lorsqu’elles n’ont pas entrainé une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours.

4. Par ailleurs, l’article R.624-1 du code pénal précise que « Hors les cas prévus par les articles 222-13 et 222-14, les violences volontaires n'ayant entraîné aucune incapacité totale de travail sont punies de l'amende prévue pour les contraventions de la 4e classe ».

5. Ces textes incriminent les violences même légères qui n’ont pas entrainé d’incapacité de travail ou ont entraîné une incapacité de travail inférieure à huit jours.

6. L’article 122-4 du code pénal prévoit toutefois que « N'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires. N'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l'autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal. »

7. Ainsi, bien que tous les éléments constitutifs d’une infraction soient réunis, son auteur ne sera pas pénalement responsable s’il avait l’autorisation législative et règlementaire de la commettre.

8. S’appuyant sur le droit coutumier, la Cour de cassation a reconnu, au profit des parents au début du 19e siècle et au profit des enseignants au début du 20e siècle, un droit de correction et de discipline et lui a donné la portée d’un fait justificatif en matière de violences, entrainant l’absence de responsabilité pénale du prévenu. La jurisprudence a toutefois précisé que ce droit de correction ne pouvait s'exercer que de manière inoffensive et devait répondre à une nécessité éducative.

9. Le droit de correction a ainsi généralement été admis par la jurisprudence lorsqu’il avait pour objectif avoué de maintenir l’ordre scolaire ou la discipline scolaire, c’est à dire assurer le bon déroulement du cours, répondre à une attitude insolente ou provocatrice d’un élève  ou à des violences et injures contre l’enseignant notamment. Il n’a pas été accepté comme fait justificatif lorsque les violences avaient pour objectif de sanctionner une absence de travail ou des mauvais résultats de la part de l’élève. L’innocuité, la nécessité au regard du but éducatif poursuivi, à savoir le maintien de l’ordre dans l’école, et la proportionnalité entre la correction et le comportement de l'enfant ont donné lieu à un examen rigoureux par les juridictions saisies.

10. Si le droit de correction a été reconnu jurisprudentiellement comme un droit coutumier, il ne remplit toutefois désormais plus les conditions pour être qualifié comme tel.

11. En effet, pour qu’une coutume au sens juridique se forme, deux éléments doivent être réunis : un élément matériel, constitué par un usage ancien, constant, notoire et général sur le territoire ou dans une profession, et un élément psychologique qui consiste en le fait de suivre la règle coutumière avec la conviction d'agir en vertu d’une règle obligatoire.

12. Or, l’élément psychologique fait aujourd’hui défaut. Au contraire, le droit de correction est une pratique de plus en plus remise en cause avec l’évolution de la société et les connaissances acquises sur le développement de l’enfant.

13. Historiquement, le droit de correction trouve son origine dans le droit romain avec la reconnaissance d’une puissance paternelle pouvant aller jusqu’au droit de vie et de mort sur l’enfant.

14. Il fut consacré par le chapitre IX du code civil de 1804 relatif à la puissance paternelle et notamment par son article 376 qui indiquait que « Si l’enfant est âgé de moins de seize ans commencés, le père pourra le faire détenir pendant un temps qui ne pourra excéder un mois ; et, à cet effet, le président du tribunal d’arrondissement devra, sur sa demande, délivrer l’ordre d’arrestation. »

15. Progressivement, l’Etat est venu s’immiscer dans la sphère privée et l’enfant a été reconnu comme sujet de droit, vulnérable, qu’il fallait protéger.

16. Parallèlement, de nombreuses recherches scientifiques ont montré l’impact que les violences peuvent engendrer sur les enfants, à savoir des troubles du développement mais également des transmissions de la violence, des fragilités psychologiques, les difficultés scolaires et professionnelles, ou encore une prédisposition à des accidents domestiques.

17. Comme l’explique le docteur Salmona, contrairement à des représentations anciennes et erronées, l'impact psychologique des violences sur les enfants est plus grave que sur les adultes, notamment en raison de leur fragilité, de leur grande dépendance, de leur impuissance et de leur immaturité à la fois physiologique et psychologique et de leur situation d'être en devenir. Ainsi, l'immaturité du système nerveux central rend le cerveau des enfants beaucoup plus sensible aux effets de stress post-traumatique.

18. Les nouvelles connaissances scientifiques sur le développement de l’enfant acquises notamment par l’étude des neurosciences ont permis de faire évoluer le regard de la société fasse aux violences commises sur les enfants, et plus particulièrement sur les châtiments corporels et le droit de correction.

19. Ainsi, la circulaire n° 91-124 du 6 juin 1991 relative aux « directives générales pour l'établissement du règlement type départemental des écoles maternelles et élémentaires » énonce expressément que « Le maître s'interdit tout comportement, geste ou parole qui traduirait indifférence ou mépris à l'égard de l'élève ou de sa famille, ou qui serait susceptible de blesser la sensibilité des enfants. » et que « Tout châtiment corporel est strictement interdit. »

20. Concernant précisément l’école maternelle, cette même circulaire précise que « L'école joue un rôle primordial dans la scolarisation de l'enfant : tout doit être mis en œuvre pour que son épanouissement y soit favorisé. C'est pourquoi aucune sanction ne peut être infligée. Un enfant momentanément difficile pourra, cependant, être isolé pendant le temps, très court, nécessaire à lui faire retrouver un comportement compatible avec la vie du groupe. Il ne devra à aucun moment être laissé sans surveillance. »

21. La circulaire du 11 juillet 2000 relative à l’organisation des procédures disciplinaires dans les collèges, les lycées et les établissements régionaux d’enseignement adapté affirme également que « les punitions infligées doivent respecter la personne de l’élève et sa dignité : sont proscrites en conséquence toutes les formes de violence physiques et verbales, toute attitude humiliante, vexatoire ou dégradante à l’égard des élèves ».

22. Le 22 décembre 2016 a été adopté un amendement à la loi dite « égalité et citoyenneté »10, déposé par trois députés, relatif à « l’exclusion de tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences corporelles » dans le cadre de l’exercice de l’autorité parentale. L’adoption de la loi par les parlementaires, bien que les dispositions votées ne soient pas entrées en vigueur suite à la décision du conseil constitutionnel qui a sanctionné l’irrégularité de la procédure suivie par le législateur, démontre bien l’émergence d’un consensus à l’encontre de toute violence et châtiment corporel envers les enfants.

23. En droit international, la Convention relative aux droits de l'enfant énonce en son article 19 une obligation pour les Etats parties de prendre « toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu'il est sous la garde de ses parents de l'un d'eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié. »

24. L’article 37 de la même convention précise que les États sont tenus de veiller à ce que « nul enfant ne soit soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

25. Enfin, en son article 28, elle engage les Etats parties à prendre « toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain et conformément à la présente Convention. »

26. Dans son observation générale n°8 publiée le 2 mars 2007 et relatives au droit de l’enfant à une protection contre les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments11, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies souligne « qu’éliminer les châtiments violents et humiliants à l’égard des enfants par la voie d’une réforme législative et d’autres mesures nécessaires constitue une obligation immédiate et inconditionnelle des États parties ».

27. De même, dans son observation générale n°13 publiée le 18 avril 2011, le Comité réaffirme que « toutes les formes de violence contre les enfants, aussi légères soient elles, étaient inacceptables. L’expression « toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales » ne laisse aucune place à un quelconque degré de violence à caractère légal contre les enfants. La fréquence des atteintes, leur gravité et la volonté de faire du mal ne sont pas des éléments obligatoires des définitions de la violence. »

28. Enfin, en février 2016, dans ses observations finales relative à l’examen de l’application de la convention relative aux droits de l’enfant par la France, le Comité a rappelé « qu’aucune violence à l’égard des enfants n’est justifiable et que les châtiments corporels constituent une forme de violence, toujours dégradante et évitable, et le prie instamment de promouvoir des formes positives, non violentes et participatives d’éducation et de discipline, notamment par des campagnes d’éducation du public. »

29. Dans son observation générale n°13 de 1999 relative au droit à l’éducation, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels avait déjà indiqué que « les châtiments corporels sont incompatibles avec un des principes directeurs clefs du droit international relatif aux droits de l’homme, inscrit au préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des deux Pactes, à savoir la dignité humaine. D’autres règles disciplinaires peuvent l’être aussi, par exemple l’humiliation en public.»

30. Au niveau européen, l’article  de la Charte sociale européenne prévoit que « les enfants et les adolescents ont droit à une protection sociale, juridique et économique appropriée ».

31. C’est sur la base de ce texte que le Comité européen des droits sociaux a, dans une décision du 12 septembre 2014, rendue publique le 4 mars 2015, condamné la France en raison de « l'absence d'interdiction explicite et effective de tous les châtiments corporels envers les enfants en milieu familial, scolaire et autre cadres ».

32. La Cour européenne a pour sa part reconnu de longue date que la punition corporelle dans la discipline scolaire était susceptible de constituer un traitement inhumain et dégradant si l’humiliation ou l’avilissement atteignait un minimum de gravité portant atteinte à la dignité de l’enfant.

33. Très récemment, dans un arrêt du 7 mars 201715, elle a condamné la Russie pour violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme en raison des maltraitances infligées à un jeune garçon par ses enseignantes.

34. Il est également à noter que les châtiments corporels sont déjà interdits dans plus de 31 pays du Conseil de l’Europe et dans 51 pays dans le monde. A titre d’exemple, la Suède les a interdits dès 1979, la Finlande en 1983 et la Norvège en 1987. Ainsi, la tendance européenne voire mondiale est à une exclusion de tout fait justificatif de violence à l’encontre des enfants, y compris au nom d’un droit de correction.

35. Ainsi, si le droit de correction a un temps été reconnu comme fait justificatif de violence à l’égard des enfants, que celles-ci soient physiques ou morales, il ne correspond plus aux valeurs actuelles tendant à condamner tout acte de violence à l’égard des enfants, quel qu’en soit le degré, la violence ne pouvant, par essence, être éducative.

36. Concernant le droit de correction des parents et enseignants à l’égard des enfants, la position de la Haute juridiction a évolué au fil des ans.

37. En effet, la chambre criminelle de la Cour de cassation considérait au début en 181916 que « l’autorité de correction ne confère pas le droit d'exercer sur les enfants des violences ou des mauvais traitements qui mettent leur vie ou leur santé en péril ».

38. Elle est allée plus récemment, en 2006, jusqu’à considérer que « les données de la connaissance actuelle permettent d'affirmer que les comportements adoptés à l'école peuvent marquer des enfants à vie, que le fait d'être exposé aux quolibets des autres est traumatisant et ce d'autant plus que les moqueries sont organisées sous l'autorité du maître ; les faits tels que décrits, qui consistent à avoir un enfant pour cible et à organiser la dévalorisation de la cible par le reste du groupe ne peuvent pas ne pas affecter la confiance en lui-même de l'enfant, gage de son évolution positive, pour un intérêt pédagogique nul ; l'ensemble des comportements visant à faire peur aux enfants en les enfermant (placard, poubelle, cave) ou en les suspendant est une atteinte à la dignité de l'enfant et dépasse évidemment le droit de correction ; il en va de même des injures, des fessées déculottées, du scotch sur la bouche, des menaces, de l'interdiction d'aller aux toilettes ; il y a là abus d'autorité éloigné du but de la mission confiée, et que rien ne vient justifier, sauf comportement déviant ».

39. Rappelons-nous qu’à une époque ancienne, la coutume était considérée comme justifiant un droit de correction manuelle de la femme par son époux. En 1923, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que les mœurs actuelles ne reconnaissaient plus un tel droit du mari à l’égard de sa femme.

40. De la même manière, la chambre criminelle de la Cour de cassation pourrait, à l’occasion de la présente espèce, affirmer que la société actuelle ne reconnait plus de droit de correction aux personnes ayant autorité sur un enfant, susceptible de justifier, au sens pénal du terme, des violences physiques ou morales, fussent-elles légères.

41. Telles sont les observations que le Défenseur des droits entend porter à la connaissance de la Cour de cassation.

Jacques TOUBON, Défenseur des droits.

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