Les châtiments corporels
Officiellement interdits par arrêté ministériel en
1835…
La chaise à fessée (Musée de
Château-Lambert 70)
De
quoi faire frémir l’écolier
Les
écoles et les collèges, du 16e au 19e siècle, disposaient
d’un inventaire de pratiques punitives impressionnant. Au début ce fut
carrément le fouet, dont la version familiale devint le martinet. Vint ensuite
la férule que Balzac qualifia d’« Ultima Ratio Patrum » (le
« dernier argument »), dans Louis
Lambert,
empruntant la célèbre devise que Louis XIV avait fait inscrire sur ses canons :
« Ultima Ratio Regnum » (le « dernier argument des
rois »). Le cachot, les verges, le pensum, l’exclusion, la pénitence, le
bonnet d’âne, le bâton (châtiment des valets et des manants) et j’en passe,
autant de sévices que risquait, en plus, le trublion déjà agenouillé sur la bûche
d’infamie au fond de la classe…
Martinet et férule (MUNAE)
En réalité, le code civil de
Napoléon de 1803, condamne déjà les coups et blessures volontaires, interdisant
donc les châtiments corporels à l’école, mais introduisant une nuance de
taille : « sauf s’ils sont
portés par le père sur ses propres enfants » ! De toute manière,
les textes de 1803 et 1834 n’eurent que peu d’effets sur la réalité. Il faudra
attendre les lois scolaires de Jules Ferry (à partir de 1880) pour mettre un
terme aux châtiments les plus sévères, tout en maintenant un arsenal de
punitions : les mauvais points, les réprimandes, la privation partielle de
récréation, la retenue en classe, l’exclusion… Le sujet fera l’objet d’une
lente évolution.
Sous l’Ancien régime, on ne fouette plus les élèves au-delà de seize
ans, mais pour les plus petits, au sein de la pédoplégie (ensemble des méthodes
pour éduquer les enfants) est née la pédagogie des coups : certains, par
exemple, recommandent de ne pas frapper sous le coup de la colère et de laisser
passer un délai entre la faute et la sanction, tandis que d’autres pensent que
cet écart rend le châtiment plus insupportable et avilissant…
La férule (MUNAE)
La punition des baguettes
"Punition",
Basile de Loose
En 1834, François Guisot édicte le Statut
sur les écoles primaires qui précise que « Les élèves ne pourront jamais être frappés, (..) les seules
punitions permises sont les notes défavorables, la réprimande, la privation de
tout ou partie des récréations avec une tâche extraordinaire, le renvoi de
l’école, provisoire ou définitif. » Férule et martinet auraient donc
dû céder la place aux pensums en tous genres (devoirs, lignes à copier, etc.).
Toutefois, les coups de règle sur les doigts et les oreilles tirées resteront
encore pour longtemps, de même que quelques pratiques humiliantes parmi
lesquelles la « bûche » sur laquelle un écolier pouvait passer,
agenouillé, une partie de la classe ou de la récréation, les mains derrière le
dos ou sur la tête, éventuellement affublé d’un panneau d’infamie sur lequel
était inscrite sa grande faute !
Les plus anciens noteront la
présence du « carré blanc », avertisseur de scènes
« érotiques » à la télévision d’autrefois, aussi bien pour les
adultes que pour les enfants qu’il convenait d’écarter du récepteur (1)
On réglemente aussi les
parties du corps à frapper à travers une « anatomie du corps châtié »
sorte de carte du corps battu : en priorité les mains ; les fesses, moins
souvent (pour des raisons morales ? Tout comme est préconisée
l’utilisation de la férule, la main nue étant réservée à l’intimité du cadre
familial) bien que dès la Renaissance, on évoque les « maîtres d’école fesseurs » ;
le dos ; même la tête, bien que peu recommandée, n’est pas épargnée, à
commencer par les oreilles et les cheveux. On assiste bien là, à une
normalisation des sanctions à travers différents textes officiels qui seront
publiés entre 1821 et 1854 par le ministère.
La férule (MUNAE)
J.B. Le Prince, 1789
La fessée au "fagot" (martinet "maison")En 1935, la France abandonne le droit de sanction accordé au père qui lui permettait, sur simple demande, de placer son enfant mineur (âgé de moins de 21 ans) en maison de correction.
En 1945,
sont créés les juges pour enfants et les services sociaux d’aide à l’enfance.
En 1949, l’assemblée adopte la déclaration
des Droits de l’enfant.
En 1989,
Paris signe la convention internationale des droits de l’enfant de l’ONU qui
engage les États à «protéger l’enfant contre toute forme de violence,
d’atteinte ou de brutalité physique ou mentale » au sein de sa
famille.
En 2019, la
loi du 10 juillet relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires
précise que l’« autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou
psychologiques ».
Le cas des écoles congréganistes
Deux grands ordres, les plus importants, se partagent l’enseignement au 19e siècle : les frères des Ecoles chrétiennes pour l’enseignement primaire et les jésuites pour l’enseignement secondaire. Dans les faits, ces derniers, ces « hommes en noir » qui ont tant marqué les esprits, ne dirigent que 8 des 144 écoles ecclésiastiques implantées en France en 1828 (dont Saint-Acheul), soit 2 200 élèves, alors que les collèges royaux, les petits séminaires et les collèges mixtes en accueillent plus de 12 000. L’âge d’or des jésuites avait vécu. Admis dans le royaume de France durant la seconde moitié du 16e siècle, les jésuites y tiennent, à l’orée des années 1760, 111 collèges, 9 novicats, 21 séminaires, 4 maisons professes, 8 missions et 13 résidences. Si leurs collèges avaient reçu 100 000 élèves au 18e siècle, l’expulsion de l’ordre par un édit de Louis XV, en 1764, y avait mis un terme : la Société de Jésus est désormais proscrite du Royaume, mais les anciens jésuites peuvent y rester ou y revenir, à condition d’y vivre en simples « particuliers », de s’y comporter « en bons et fidèles sujets » et d’être soumis à l’autorité spirituelle des évêques. Avec les juifs et les francs-maçons, les jésuites font partie du trio de tête des cibles du « conspirationnisme » qui ont marqué l’histoire.
Expulsion des
jésuites en 1767, (musée de la
Révolution française). © Crédit photo : CC
Il
reste que leur influence demeura à travers leur collège de Saint-Acheul qui
accueillera jusqu’à 3 000 élèves sous la Restauration, et pas n’importe
lesquels, l’élite sociale dont les enfants occuperont des positions
administratives et politiques de premier plan. De quoi continuer à alimenter la
théorie du complot de la Société de Jésus. Quoi qu’il en soit, les deux ordres
utilisent encore les punitions corporelles au 18e siècle, malgré
plusieurs pamphlets et opuscules dénonçant les agissements des jésuites dans le
milieu des années 1760, faisant même des allusions directes à la pédophilie (2).
Les
jésuites ne renoncèrent pas facilement à l’usage du fouet ou de la férule,
mais, à partir de la Restauration, l’heure était à l’attaque frontale et ils
durent réagir. Ils modifièrent leur règlement de 1616 qui précisait qu’ «A côté des bons élèves, il en est qui
pèchent soit par leur inapplication, soit par ce qui touche aux bonnes mœurs.
Avec eux les bonnes paroles et les conseils ne suffisent pas, on nommera un
correcteur qui n'appartienne pas à la Société. Quand on ne pourra pas en
trouver, on imaginera un moyen de les châtier, soit en employant un
scolastique, ou de toute autre manière convenable. Pour des fautes commises en
dehors de la classe, on n'infligera pas en classe de punitions corporelles, si
ce n'est rarement et pour de bons motifs.» La modification de
1832, tout en supprimant les notions de correcteur et de châtiment (on parlera
désormais de « peines sévères »), n'interdit pas formellement les
châtiments corporels, notamment à propos d’un article du texte de 1616 qui
disait que «s'il en est qui refusent de
subir des châtiments corporels, on les y forcera, si c'est possible, en toute
sûreté ; mais si, avec les plus grands, par exemple, il résulte de ces
châtiments quelques scandales, on chassera ces élèves de nos collèges», qui
fut transformé en «ceux qui refusent de subir des châtiments corporels y seront forcés,
ou si cela ne peut se faire sans qu'il y ait scandale, on les chassera de notre
collège.»
Jusqu’à la fin du 19e
siècle, les frères appliquèrent rigoureusement les principes traditionnels de
la pédagogie « cléricale ». Les coups et les peines excessives
devaient dompter le démon qui suggère à l’enfant beaucoup de mauvaises pensées.
Rentrée
scolaire dans une école primaire parisienne le 1er octobre 1947 (Photo AFP)
Quid de la violence éducative de nos jours ?
Fessées
et claques sont désormais totalement interdites, en quelque lieu que ce soit,
par la loi du 10 juillet 2019. Si le code civil stipule, en outre, que « l’autorité parentale s’exerce sans
violences physiques et psychologiques. », aucune sanction n’est liée à
cet alinéa supplémentaire ajouté à l’article 371-1 du même code. De fait, en
cas de non-respect des textes par les parents ou les détenteurs de l’autorité
parentale, la justice devra se tourner vers un texte beaucoup plus général,
l’article 222-13 du code pénal qui punit « de
3 à 8 jours d’emprisonnement les violences qui occasionnent une incapacité de
travail. La personne coupable paiera également une amende de 45 000 euros
lorsque les fautes sont commises sur un mineur de moins de 15 ans ». Les
nouveaux textes abolissent ainsi la Décision n° 2016-745 DC du Conseil
constitutionnel du 26 janvier 2017 qui, quant à elle, rendait toujours légale
la fessée dans le système éducatif.
L’esprit
de la loi retient que la violence n’est pas indispensable pour assurer
pleinement l’autorité parentale. Il s’agissait là d’une méthode éducative
contestée par « le plus grand nombre » pensait-on à l’époque, alors
qu’un sondage indiquait parallèlement qu’elle était pratiquée dans 80 % des
familles ! Alors, de quoi parle-t-on quand il est question de violences
éducatives ordinaires ? Les violences
physiques vont des tapes sur la main du jeune enfant « touche à
tout », depuis qu’il se déplace à quatre pattes, jusqu’aux coups de pieds
ou de poings, en passant par la fessée, la claque, le tirage de cheveux ou
d’oreille, le bébé secoué. Les violences
psychiques peuvent être plus sournoises et insidieuses : cris,
moqueries, culpabilisation, chantage affectif, faire peur à l’enfant.
Physique ou psychique, toute violence, outre la perte de confiance de
l’enfant dans son milieu familial et de sa propre perte d’estime de soi, peut
avoir un impact social. L’enfant peut reproduire dans la cour de récréation ou
en classe, la violence subie à la maison et, évidemment, endosser le poids des
traditions en perpétuant ce modèle éducatif à l’âge adulte. Il est difficile de
se départir de certains éléments d’éducation hérités de ses parents qui en
avaient vraisemblablement eux-mêmes été victimes.
De
l’éducation positive à la discipline positive
Ou
les limites d’un concept…
L’école, en France, est
l’une des premières à avoir interdit officiellement les châtiments corporels,
bien avant les familles qui, historiquement, ont toujours été plus violentes et
maltraitantes que l’école. La loi étant souvent insuffisante face aux
traditions, cette pratique, bien que plus « légère » perdura, jusqu’à
la conjonction de trois phénomènes. Le premier sera l’avènement des Droits de
l’enfant après la signature de la convention internationale des droits de
l’enfant. Le deuxième sera le refus grandissant des parents (surtout des
milieux sociaux favorisés) de voir leurs enfants « maltraités » par
des enseignants et enfin le dernier sera le développement de pédagogies
nouvelles promouvant l’enseignement et l’éducation sans violence :
« faire sens » et non plus « faire mal ».
L’art d’éduquer consiste
alors à recourir le moins souvent possible aux punitions. On peut toujours
rêver d’une école sans sanctions, mais là on touche aux limites du concept de discipline positive (3) dont le seul exemple
fut l’école libertaire, sans contrainte de Hambourg, en 1920. Un échec, de
l’aveu même de ses créateurs. Du reste, les travaux menés à la même époque par
Maria Montessori dans sa « Casa dei bambini » posaient la question
cruciale : « Faut-il sanctionner ? », avec en conclusion le
maintien des sanctions dans son école, et une deuxième interrogation :
« Comment sanctionner de manière éducative ? » La réponse se
trouve peut-être dans les récentes études sur « les mesures de
réparation » inspirées par « la justice restaurative »,
l’arsenal des sanctions dans l’école actuelle restant pertinent mais devant
être appliqué de manière à permettre aux auteurs de transformer une peine en un
effort, de se réparer eux-mêmes et de renouer les liens avec les autres. En
somme, une punition tournée vers les autres plutôt qu’un châtiment
personnel : remettre en état un matériel abîmé, apporter une compensation
même symbolique (donner de son temps, apporter son aide)…
On ouvre ainsi une piste de
réflexion toutefois soumise à deux conditions : l’école doit expliquer et
dialoguer avec les parents d’élèves pour que la notion de sanction soit bien
comprise, sans donner l’impression de conseiller les familles en matière
d’éducation. D’autre part, il semble impératif que les parents fassent preuve
de retenue dans leurs critiques de l’école, surtout face à leurs enfants…
Conclusion
L’école
républicaine et laïque a proscrit tout châtiment corporel dès son avènement.
C’est un des moyens, semble-t-il, qu’elle mettra en œuvre pour se démarquer des
écoles congréganistes. Jules Ferry, au sujet de ses grandes lois scolaires des
années 1880, précisera néanmoins le sens qu’il donne à la laïcité. Ainsi, dans
un discours à la Chambre des députés, il déclarera : « Si l’instituteur public s’oubliait assez pour instituer dans son
école un enseignement hostile, outrageant pour les croyances religieuses de
n’importe qui, il serait aussi sévèrement et aussi rapidement réprimé que s’il
avait commis cet autre méfait de battre ses élèves ou de se livrer contre eux à
des sévices coupables. »
L’analyse
du philosophe Georges Sorel, au début du 20e siècle, à la veille des
lois Combes et de l’interdiction des congrégations enseignantes, corrobore la
pensée de Ferry : « Jadis, on
croyait que la férule était l’outil le plus nécessaire pour le maître
d’école ; aujourd’hui les peines corporelles ont disparu de notre
enseignement public. Je crois que la concurrence que celui-ci avait à soutenir
contre l’enseignement congréganiste a eu une très grande part dans ce
progrès : les frères appliquaient, avec une rigueur extrême, les vieux
principes de la pédagogie cléricale ; et on sait que celle-ci a toujours
comporté beaucoup de coups et de peines excessives, en vue de dompter le démon
qui suggère à l’enfant beaucoup de mauvaises habitudes. » L’administration
fut assez intelligente pour opposer à cette éducation barbare une éducation
plus douce qui lui concilia beaucoup de sympathie. »
Le
ministère de l’Instruction œuvra bien dans ce sens, mais restons lucide sur les
causes du rejet de l’école congréganiste et la « sympathie » pour
l’école républicaine éprouvée par les parents d’élèves, l’éducation plus douce
n’en est pas la seule cause. Du reste, ne soyons pas non plus naïf quant à
l’abandon des châtiments corporels, en effet, si ces derniers sont interdits
dans l’Ecole publique en 1887, dès 1889, la Cour de cassation reconnut aux
maîtres un droit de correction au même titre que celui accordé aux parents, « dans la mesure où il n’y a pas excès
et où la santé de l’enfant n’est compromise »… évidemment. Cadre qui sera précisé, le 4 décembre 1908,
dans un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui
précise : « Les instituteurs
ont incontestablement par délégation paternelle, un droit de correction sur les
enfants qui leur sont confiés ; mais, bien entendu, ce droit de correction
pour demeurer légitime, doit être limité aux mesures de coercition qu’exige la
punition de l’acte d’indiscipline commis par l’enfant. » dont acte.
Pour
clore le sujet, j’invite les plus assidus à consulter les observations
formulées par le Défenseur des droits, Jacques Toubon, dans sa décision
n°2017-120 du 3 avril 2017, statuant sur une plainte de maltraitance à
l’encontre d’une institutrice, dans les annexes qui suivent (4).
Revoir
aussi l’article du blog proposant un choix de tableaux des siècles derniers :
Les
peintres et l’école : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2021/01/voir-lecole-en-peinture.html
Patrick PLUCHOT
(1) : Le
26 mars 1961 fut programmé le film Riz
amer et apparut, pour la première fois,
le « carré blanc », en bas à droite de l’écran de télévision. Ce
dernier était destiné à signaler aux téléspectateurs les émissions télévisées
ayant des scènes « sexuelles explicites », bien qu’encore modestes à
cette époque. Il était bon alors d’éloigner les « âmes sensibles » du
récepteur tout en indiquant, à partir de ce jour-là, à certains, quels films il
ne fallait pas rater !
Pour le film Riz amer,
un « carré blanc » de belle
taille !
Il existait déjà les
interdictions aux moins de 13 ans et de 18 ans au cinéma. Comment les gens en
étaient-ils informés ? Notamment en consultant la liste des films
« interdits », affichée dans les églises par l’Office Catholique
Français du Cinéma et que ce dernier déconseillait vivement d’aller voir.
Un peu plus tard, l’imposant
« carré blanc » devint un discret « rectangle blanc » pour « moins dénaturer l’œuvre
diffusée » dira-t-on, avant qu’il
ne disparaisse pour un long moment.
Affiche reprise par le
journal L’Humanité, 1968
Une autre forme de violence
dont les enfants sont victimes
Dès sa création en 1989, le
Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) demande aux chaînes de programmer, en
journée et en première partie de soirée, des émissions destinées à un public
familial. Vœu pieu. On ne cesse de noter la progression du niveau de violence
des programmes. Le CSA va alors imposer une « signalétique jeunesse »
en 2002. Les chaînes seront désormais obligées d’apposer à l’écran un
pictogramme indiquant l’âge à partir duquel une émission peut être
regardée : tout public, -10, -12, -16, -18, et, en 2005, il propose des
horaires de diffusion à certaines catégories de programmes. Autre vœu pieu…
(2) : Extrait d’un pamphlet publié en 1764, Mémoires
historiques sur l’obilianisme et les correcteurs des jésuites, l’auteur faisant parler l’un d’eux :
«Moi,
je ne m'en prenais qu'à des êtres animés et sensibles, à des fesses, dont la
peau est très délicate et très tendre, et je ne perdais rien: ces fesses
restaient toujours des fesses, et je pouvais dès le lendemain, comme il m'est
arrivé souvent, faire retravailler dessus, soit que les sillons de la veille
fussent effacés ou non. Enfin, quel plaisir plus voluptueux que de pouvoir se
livrer tout de suite aux mouvements de la colère et de la vengeance! Un écolier
m'avait-il désobéi [...]? Les plaisirs des sens ont-ils rien de comparable à
celui que je prenais alors à lui faire porter hic et nunc la plus grande de
toutes les peines, la plus terrible pour cet âge-là? Mon cœur était dans ce
moment d'autant plus rempli de volupté, que c'était moi-même qui ordonnais du
supplice, qui le faisais exécuter sous mes yeux, qui en prolongeais la durée
autant que je le voulais, et que c'était à moi-même que s'adressaient les
excuses et les protestations réitérées de repentir et d'amendement, qui
sortaient de la bouche de celui de qui je tirais une vengeance si délicieuse.» et de conclure : « Point de
reproches à craindre de la part des parents, aucune résistance de la part des
écoliers, obéissance aveugle dans les ministres de leurs cruautés. »
(3) : Voir
à ce sujet : "La discipline positive rend les punitions
inutiles"
La
France est le cancre de l'OCDE en matière d'indiscipline à l'école, selon une
note de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE). Interview par Julie Malaure, publié le 30/03/2017 dans Le Point.fr.
(https://www.lepoint.fr/societe/ecole-la-discipline-positive-rend-les-punitions-inutiles-30-03-2017-2116065_23.php#11)
(4) :
OBSERVATIONS ;
1. L’article 222-13 du code pénal dispose que
« Les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à
huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de
trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsqu'elles sont
commises (…) Sur un mineur de quinze ans ».
2. Cette infraction est
par ailleurs aggravée lorsque l'auteur des faits est un ascendant de la victime
ou une personne ayant autorité sur elle.
3. L’article 222-14 du
même code réprime quant à lui « Les violences habituelles sur un mineur de
quinze ans (…) », y compris lorsqu’elles n’ont pas entrainé une incapacité
totale de travail pendant plus de huit jours.
4. Par ailleurs,
l’article R.624-1 du code pénal précise que « Hors les cas prévus par les
articles 222-13 et 222-14, les violences volontaires n'ayant entraîné aucune
incapacité totale de travail sont punies de l'amende prévue pour les
contraventions de la 4e classe ».
5. Ces textes
incriminent les violences même légères qui n’ont pas entrainé d’incapacité de
travail ou ont entraîné une incapacité de travail inférieure à huit jours.
6. L’article 122-4 du
code pénal prévoit toutefois que « N'est pas pénalement responsable la personne
qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou
réglementaires. N'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un
acte commandé par l'autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement
illégal. »
7. Ainsi, bien que tous
les éléments constitutifs d’une infraction soient réunis, son auteur ne sera
pas pénalement responsable s’il avait l’autorisation législative et
règlementaire de la commettre.
8. S’appuyant sur le
droit coutumier, la Cour de cassation a reconnu, au profit des parents au début
du 19e siècle et au profit des enseignants au début du 20e siècle, un droit de
correction et de discipline et lui a donné la portée d’un fait justificatif en
matière de violences, entrainant l’absence de responsabilité pénale du prévenu.
La jurisprudence a toutefois précisé que ce droit de correction ne pouvait
s'exercer que de manière inoffensive et devait répondre à une nécessité
éducative.
9. Le droit de
correction a ainsi généralement été admis par la jurisprudence lorsqu’il avait
pour objectif avoué de maintenir l’ordre scolaire ou la discipline scolaire,
c’est à dire assurer le bon déroulement du cours, répondre à une attitude
insolente ou provocatrice d’un élève ou
à des violences et injures contre l’enseignant notamment. Il n’a pas été
accepté comme fait justificatif lorsque les violences avaient pour objectif de
sanctionner une absence de travail ou des mauvais résultats de la part de
l’élève. L’innocuité, la nécessité au regard du but éducatif poursuivi, à
savoir le maintien de l’ordre dans l’école, et la proportionnalité entre la
correction et le comportement de l'enfant ont donné lieu à un examen rigoureux
par les juridictions saisies.
10. Si le droit de
correction a été reconnu jurisprudentiellement comme un droit coutumier, il ne
remplit toutefois désormais plus les conditions pour être qualifié comme tel.
11. En effet, pour
qu’une coutume au sens juridique se forme, deux éléments doivent être réunis :
un élément matériel, constitué par un usage ancien, constant, notoire et
général sur le territoire ou dans une profession, et un élément psychologique
qui consiste en le fait de suivre la règle coutumière avec la conviction d'agir
en vertu d’une règle obligatoire.
12. Or, l’élément
psychologique fait aujourd’hui défaut. Au contraire, le droit de correction est
une pratique de plus en plus remise en cause avec l’évolution de la société et
les connaissances acquises sur le développement de l’enfant.
13. Historiquement, le
droit de correction trouve son origine dans le droit romain avec la
reconnaissance d’une puissance paternelle pouvant aller jusqu’au droit de vie
et de mort sur l’enfant.
14. Il fut consacré par
le chapitre IX du code civil de 1804 relatif à la puissance paternelle et
notamment par son article 376 qui indiquait que « Si l’enfant est âgé de moins
de seize ans commencés, le père pourra le faire détenir pendant un temps qui ne
pourra excéder un mois ; et, à cet effet, le président du tribunal
d’arrondissement devra, sur sa demande, délivrer l’ordre d’arrestation. »
15. Progressivement,
l’Etat est venu s’immiscer dans la sphère privée et l’enfant a été reconnu
comme sujet de droit, vulnérable, qu’il fallait protéger.
16. Parallèlement, de
nombreuses recherches scientifiques ont montré l’impact que les violences
peuvent engendrer sur les enfants, à savoir des troubles du développement mais
également des transmissions de la violence, des fragilités psychologiques, les
difficultés scolaires et professionnelles, ou encore une prédisposition à des
accidents domestiques.
17. Comme l’explique le
docteur Salmona, contrairement à des représentations anciennes et erronées,
l'impact psychologique des violences sur les enfants est plus grave que sur les
adultes, notamment en raison de leur fragilité, de leur grande dépendance, de
leur impuissance et de leur immaturité à la fois physiologique et psychologique
et de leur situation d'être en devenir. Ainsi, l'immaturité du système nerveux
central rend le cerveau des enfants beaucoup plus sensible aux effets de stress
post-traumatique.
18. Les nouvelles
connaissances scientifiques sur le développement de l’enfant acquises notamment
par l’étude des neurosciences ont permis de faire évoluer le regard de la
société fasse aux violences commises sur les enfants, et plus particulièrement
sur les châtiments corporels et le droit de correction.
19. Ainsi, la circulaire
n° 91-124 du 6 juin 1991 relative aux « directives générales pour
l'établissement du règlement type départemental des écoles maternelles et
élémentaires » énonce expressément que « Le maître s'interdit tout
comportement, geste ou parole qui traduirait indifférence ou mépris à l'égard
de l'élève ou de sa famille, ou qui serait susceptible de blesser la
sensibilité des enfants. » et que « Tout châtiment corporel est strictement
interdit. »
20. Concernant
précisément l’école maternelle, cette même circulaire précise que « L'école
joue un rôle primordial dans la scolarisation de l'enfant : tout doit être mis
en œuvre pour que son épanouissement y soit favorisé. C'est pourquoi aucune
sanction ne peut être infligée. Un enfant momentanément difficile pourra,
cependant, être isolé pendant le temps, très court, nécessaire à lui faire
retrouver un comportement compatible avec la vie du groupe. Il ne devra à aucun
moment être laissé sans surveillance. »
21. La circulaire du 11
juillet 2000 relative à l’organisation des procédures disciplinaires dans les
collèges, les lycées et les établissements régionaux d’enseignement adapté
affirme également que « les punitions infligées doivent respecter la personne
de l’élève et sa dignité : sont proscrites en conséquence toutes les formes de
violence physiques et verbales, toute attitude humiliante, vexatoire ou
dégradante à l’égard des élèves ».
22. Le 22 décembre 2016
a été adopté un amendement à la loi dite « égalité et citoyenneté »10, déposé
par trois députés, relatif à « l’exclusion de tout traitement cruel, dégradant
ou humiliant, y compris tout recours aux violences corporelles » dans le cadre
de l’exercice de l’autorité parentale. L’adoption de la loi par les
parlementaires, bien que les dispositions votées ne soient pas entrées en
vigueur suite à la décision du conseil constitutionnel qui a sanctionné
l’irrégularité de la procédure suivie par le législateur, démontre bien
l’émergence d’un consensus à l’encontre de toute violence et châtiment corporel
envers les enfants.
23. En droit
international, la Convention relative aux droits de l'enfant énonce en son
article 19 une obligation pour les Etats parties de prendre « toutes les
mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour
protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités
physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou
d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu'il est sous la garde
de ses parents de l'un d'eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute
autre personne à qui il est confié. »
24. L’article 37 de la
même convention précise que les États sont tenus de veiller à ce que « nul
enfant ne soit soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants ».
25. Enfin, en son
article 28, elle engage les Etats parties à prendre « toutes les mesures
appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une
manière compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain et
conformément à la présente Convention. »
26. Dans son observation
générale n°8 publiée le 2 mars 2007 et relatives au droit de l’enfant à une
protection contre les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou
dégradantes de châtiments11, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies
souligne « qu’éliminer les châtiments violents et humiliants à l’égard des
enfants par la voie d’une réforme législative et d’autres mesures nécessaires
constitue une obligation immédiate et inconditionnelle des États parties ».
27. De même, dans son
observation générale n°13 publiée le 18 avril 2011, le Comité réaffirme que «
toutes les formes de violence contre les enfants, aussi légères soient elles,
étaient inacceptables. L’expression « toute forme de violence, d’atteinte ou de
brutalités physiques ou mentales » ne laisse aucune place à un quelconque degré
de violence à caractère légal contre les enfants. La fréquence des atteintes,
leur gravité et la volonté de faire du mal ne sont pas des éléments
obligatoires des définitions de la violence. »
28. Enfin, en février
2016, dans ses observations finales relative à l’examen de l’application de la
convention relative aux droits de l’enfant par la France, le Comité a rappelé «
qu’aucune violence à l’égard des enfants n’est justifiable et que les
châtiments corporels constituent une forme de violence, toujours dégradante et
évitable, et le prie instamment de promouvoir des formes positives, non
violentes et participatives d’éducation et de discipline, notamment par des
campagnes d’éducation du public. »
29. Dans son observation
générale n°13 de 1999 relative au droit à l’éducation, le Comité des droits
économiques, sociaux et culturels avait déjà indiqué que « les châtiments
corporels sont incompatibles avec un des principes directeurs clefs du droit
international relatif aux droits de l’homme, inscrit au préambule de la
Déclaration universelle des droits de l’homme et des deux Pactes, à savoir la
dignité humaine. D’autres règles disciplinaires peuvent l’être aussi, par
exemple l’humiliation en public.»
30. Au niveau européen,
l’article de la Charte sociale
européenne prévoit que « les enfants et les adolescents ont droit à une
protection sociale, juridique et économique appropriée ».
31. C’est sur la base de
ce texte que le Comité européen des droits sociaux a, dans une décision du 12
septembre 2014, rendue publique le 4 mars 2015, condamné la France en raison de
« l'absence d'interdiction explicite et effective de tous les châtiments
corporels envers les enfants en milieu familial, scolaire et autre cadres ».
32. La Cour européenne a
pour sa part reconnu de longue date que la punition corporelle dans la
discipline scolaire était susceptible de constituer un traitement inhumain et
dégradant si l’humiliation ou l’avilissement atteignait un minimum de gravité
portant atteinte à la dignité de l’enfant.
33. Très récemment, dans
un arrêt du 7 mars 201715, elle a condamné la Russie pour violation de
l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme en raison des
maltraitances infligées à un jeune garçon par ses enseignantes.
34. Il est également à
noter que les châtiments corporels sont déjà interdits dans plus de 31 pays du
Conseil de l’Europe et dans 51 pays dans le monde. A titre d’exemple, la Suède
les a interdits dès 1979, la Finlande en 1983 et la Norvège en 1987. Ainsi, la
tendance européenne voire mondiale est à une exclusion de tout fait
justificatif de violence à l’encontre des enfants, y compris au nom d’un droit
de correction.
35. Ainsi, si le droit
de correction a un temps été reconnu comme fait justificatif de violence à
l’égard des enfants, que celles-ci soient physiques ou morales, il ne
correspond plus aux valeurs actuelles tendant à condamner tout acte de violence
à l’égard des enfants, quel qu’en soit le degré, la violence ne pouvant, par
essence, être éducative.
36. Concernant le droit
de correction des parents et enseignants à l’égard des enfants, la position de
la Haute juridiction a évolué au fil des ans.
37. En effet, la chambre
criminelle de la Cour de cassation considérait au début en 181916 que « l’autorité
de correction ne confère pas le droit d'exercer sur les enfants des violences
ou des mauvais traitements qui mettent leur vie ou leur santé en péril ».
38. Elle est allée plus
récemment, en 2006, jusqu’à considérer que « les données de la connaissance
actuelle permettent d'affirmer que les comportements adoptés à l'école peuvent
marquer des enfants à vie, que le fait d'être exposé aux quolibets des autres
est traumatisant et ce d'autant plus que les moqueries sont organisées sous
l'autorité du maître ; les faits tels que décrits, qui consistent à avoir un
enfant pour cible et à organiser la dévalorisation de la cible par le reste du
groupe ne peuvent pas ne pas affecter la confiance en lui-même de l'enfant,
gage de son évolution positive, pour un intérêt pédagogique nul ; l'ensemble
des comportements visant à faire peur aux enfants en les enfermant (placard,
poubelle, cave) ou en les suspendant est une atteinte à la dignité de l'enfant
et dépasse évidemment le droit de correction ; il en va de même des injures,
des fessées déculottées, du scotch sur la bouche, des menaces, de
l'interdiction d'aller aux toilettes ; il y a là abus d'autorité éloigné du but
de la mission confiée, et que rien ne vient justifier, sauf comportement
déviant ».
39. Rappelons-nous qu’à
une époque ancienne, la coutume était considérée comme justifiant un droit de
correction manuelle de la femme par son époux. En 1923, la chambre criminelle
de la Cour de cassation a considéré que les mœurs actuelles ne reconnaissaient
plus un tel droit du mari à l’égard de sa femme.
40. De la même manière,
la chambre criminelle de la Cour de cassation pourrait, à l’occasion de la
présente espèce, affirmer que la société actuelle ne reconnait plus de droit de
correction aux personnes ayant autorité sur un enfant, susceptible de
justifier, au sens pénal du terme, des violences physiques ou morales,
fussent-elles légères.
41. Telles sont les
observations que le Défenseur des droits entend porter à la connaissance de la
Cour de cassation.
Jacques
TOUBON, Défenseur des droits.
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