vendredi 20 septembre 2024

 

Souvenirs de 1940

Paul Moutardier (1930-2023) lors de l’exposition consacrée à Paul Constant Moutardier, son oncle, musée de la Maison d’École, 2016 (collection musée)

Paul Moutardier, enfant de Rouverat

Paul Moutardier, écolier « au Magny », avait fait bénéficier le musée de la Maison d’École des archives familiales concernant son oncle, Paul Constant Moutardier, aussi écolier « au Magny », normalien, instituteur à l’école du Bois-du-Verne, en 1915, mort pour la France en 1918, après 3 ans de guerre (1). Ses souvenirs d’enfance, recueillis sous forme de témoignage, vont nous replonger aujourd’hui dans « le vieux Montceau », autour des années 40. La transcription a respecté le récit de Paul Moutardier afin de conserver toute la fraîcheur et toute la spontanéité du témoignage. Tout comme son oncle, Paul Moutardier passa sa jeunesse à « Rouvrat ». In memoriam.  


École du Magny et église, vue arrière, rue des Georgets (numérisation musée)

 

Octobre 1936

Installé dans le panier fixé sur le porte-bagages arrière du vélo de ma mère, j’allais faire connaissance avec la vie de l’écolier. La maternelle (à l’école du Magny), se situait dans la partie de l’école réservée aux filles, dans un bâtiment indépendant de leurs salles de classe ; la cour de récréation était commune. Deux maîtresses présidaient à la prise en charge des bambins. La salle de classe présentait ses petits bureaux noirs et ses bancs d’écoliers. Un local, très éclairé, la jouxtait, dans lequel les plus turbulents allaient passer quelques instants. Pour en garder un souvenir quelque peu bruyant (il y avait inévitablement des pleurs) il me faut bien convenir y avoir séjourné au moins… une fois !!!

Les maîtresses essayaient de nous apprendre à écrire. Me guidant la main, l’une d’elles avait réussi à me faire étaler quelques mots. Jugeant que cela suffisait pour que je puisse continuer seul, elle se tourna vers mon voisin pour lui apporter son aide. Hélas ! Je restais bloqué au dernier mot que nous avions écrit ! Elle jeta un regard sur ma progression espérée et je m’attirai une semonce : « Allez, continue, mais pourquoi t’arrêtes-tu ? Oh ! »

École du Magny, vue avant, rue de Lucy (collection musée)

 La grande école

La rentrée scolaire d’octobre 1937 me voyait rejoindre l’école des garçons, à la cour séparée de l’école des filles par une palissade en bois et par un préau. Les différentes classes primaires se répartissaient du cours préparatoire à la classe de fin d’études pour les garçons ayant atteint l’âge de quatorze ans, certificat d’études en poche, ou non.

 Un matin, la maîtresse, apercevant mon mouchoir, me demanda qui l’avait si bien plié ; ma réponse fut : « Y est ma mémère Berthe », toute la classe se mit à rire. Notre maîtresse nous remit un jour une feuille sur laquelle des dessins nous invitaient à avoir des attitudes correctes dans les principales activités de notre vie. L’un d’entre eux nous intrigua : la tête d’un enfant au sourire béat se tenait en dehors de ce qui semblait être une porte. À notre interrogation, la maîtresse nous apprit que l’enfant faisait ses besoins dans le cabinet d’aisance et qu’il devait utiliser du papier hygiénique. Éclat de rire général : le papier en vogue était le papier journal dans « les cabinets » du fond du jardin, et lorsque cela se produisait dans la nature, une touffe d’herbe faisait office de papier, hygiénique ou non !

École du Magny, rentrée 1938, classe de cours élémentaire 1ère année, instituteur : Monsieur Verpeau

1 – Paul Moutardier

2 – Youjou (diminutif prénom Polonais)

3 – Yanek Yanouchac

4 – Robert Grillet, fils du fermier

(La barrière en bois nous séparait de l’école des filles et de la classe de maternelle)

(Fonds Moutardier du musée)

 

Le chemin de l’école

 L’hiver, entre la dernière maison de Rouverat et le pont de la rivière, les crassiers s’étendaient de part et d’autre de la route qui nous conduisait et nous ramenait de l’école. Rien n’arrêtait la bise glaciale qui nous giflait et nous transperçait. Les bas, dont j’avais horreur (c’était un attribut de filles, pas de gars !), et le manteau,  nous protégeaient à peine des griffures du vent. Du passe-montagne en laine grise sous le béret, le nez et les yeux étaient les seules parties du corps exposées au froid. Le soleil, tout rond dans le ciel sans nuage nous éclairait sans que ses rayons ne parviennent à nous réchauffer.

(numérisation musée)

  Le sol recouvert de neige nous permettait de réaliser, à force de le damer, des patinoires sur lesquelles nous glissions à qui mieux mieux. Nous ne négligions pas l’étang, qui occupait la partie nord de la place de Rouverat, quand il était gelé.

 Quand, plus tard, j’allais rejoindre, avec mes camarades, le collège « du Montceau », « j’ passins par la carrière ». Depuis que la carrière et le puits Sainte-Hélène avaient été abandonnés, la Mine permettait le libre passage sur son territoire. Pour nous rendre « au Montceau », nous bénéficiions ainsi d’un bon raccourci qui nous emmenait de l’ancien puits Jules Chagot jusqu’au puits de la Maugrand, en passant à quelques distances du puits Saint-Pierre qui dressait toujours son chevalement au haut d’une haute butte de terre retenue par un mur.


Carrière et puits Sainte-Hélène, le puits fut remblayé en 1930 (numérisation musée)



(numérisation musée)

  L’orifice d’accès d’une ancienne galerie, dans ce mur, avait été muré après que la Mine y eût placé des réserves au début de la guerre. Qui avait trahi ? Les Allemands, informés, envoyèrent une escouade de soldats, des Cosaques, qui cantonnèrent au pied du mur, le temps nécessaire à l’évacuation de ce qui se trouvait dans la galerie. Par un matin ensoleillé, « le Jeannot » et moi nous rendions à pied au collège en empruntant ce raccourci. Nous venions de dépasser le puits Saint-Pierre. Me retournant, j’aperçus les soldats. L’un d’eux, me faisant face, épaula son fusil dans ma direction. Je repris la marche sans rien dire à mon camarade. Rien ne se passa, nous continuâmes notre route sans encombre.

Actuel angle de la rue de Roanne et du quai de Moulins (numérisation musée)

 Par temps froid, nous traversions à pied sec le canal gelé. Nous raccourcissions ainsi le chemin, le collège se trouvant face à l’avenue des Puits de laquelle nous débouchions. A la Maugrand, le passage du tacot emmené par la petite locomotive, si caractéristique de la Mine (2), nous arrêtait parfois quelques instants. La neige tombait à gros flocons. Le garde-barrière, un homme jeune encore, était manchot. Il avait été accidenté dans son travail à la Mine et celle-ci lui avait offert un poste de choix. Il sortait de sa cahute peinte en noir qui tranchait sur le blanc de la neige ; il tendait une chaîne en travers de la route, côté cahute, traversait les voies, tendait l’autre chaîne, la casquette à visière le protégeant à peine de la neige qui tombait. Le train passait, le conducteur surveillant la voie, le buste à moitié sortit de la cabine. Le garde-barrière décrochait l’une après l’autre les chaînes et rentrait vite dans sa cahute ; le tuyau de la cheminée, qui sortait du toit, laissait échapper un filet de fumée grise que striaient les flocons de neige.

Le puits Maugrand, avant qu’il ne devienne un « crassier », à l’arrière, l’église de Montceau, en 1867, l’Hôtel de ville n’est pas encore construit et encore moins l’école de la rue de l’Est (actuel musée), ni la caserne de gendarmerie, future École Primaire Supérieure (e.monsite.com)

 En continuant, au-delà de la Bourbince, après avoir traversé d’autres voies, la neige durcie du chemin était trouée par quelques regards d’où s’échappait de la vapeur. L’Avenue des Puits se glissait entre les hauts murs du port du canal et des bâtiments administratifs de la Mine. La benne du chemin de fer aérien, brinqueballant dans un bruit de ferraille, nous accompagnait jusqu’au débouché de l’Avenue, Quai Jules Chagot. Nous longions le canal sur lequel des péniches stationnaient. Devant l’une d’elles, une berrichonne, deux baudets, compagnons de halage, mangeaient placidement, sur le quai, le foin épandu devant eux, sur la neige recouvrant le sol.





(numérisation musée)

Le halage, deux mulets au Pont levant à Montceau, fin des années 40, un monde s’éteint (Musée Nicéphore Niépce-Chalon-sur-Saône-inv.n°1975.19.71306.38)      

 Nous aimions, de temps à autre, délaisser le chemin habituel de la route qui nous emmenait et nous ramenait de l’école primaire du Magny : « j’ passans alors par les prés » disions-nous. Le quartier était construit en bordure de prairies, entrecoupées de « bouchures » qui se traversaient par des « échelées », petites échelles trouant la bouchure sur un espace restreint. Ici, un chêne majestueux se dressait au milieu d’un pré ; là, des vernes et des saules ombrageaient le ruisseau « des Marais ».

Depuis les baraques, nous cheminions en droite ligne jusqu’à ce dernier, nous en dégringolions le talus et le franchissions d’un bond. Quelquefois, nous le suivions à la recherche des « queues d’casse », les têtards, faciles à prendre, que nous retenions quelques instants dans nos mains avant de les relâcher.

 Un jour, « le Jean », se pencha au-dessus de l’eau en s’écriant : « Eh ! R’ gardez don les poissons ! » « Le René » passant à ce moment derrière lui, l’envoya, d’une bourrade, le nez dans la rivière, sous les rires de la troupe de gamins !

(gallica.BnF.fr)

 Nous débouchions sur la route du bas du Magny par une barrière que nous escaladions. Nous rejoignions l’école par la rue côté de « Chez Legain ». En haut de cette rue, l’été, la porte d’une cuisine, ouverte en début d’après-midi, me laissait jeter un regard furtif et étonné au spectacle d’une vieille dame, debout, les mains jointes, priant.


(gallica.BnF.fr)

 Du hameau de « Chez Legain », le chemin serpentait à travers les prés, encaissé entre les bouchures, avant de rejoindre le chemin de la Groseille. À l’abri d’un grand poirier sauvage (dont nous nous régalions de ses poirons, le moment venu), la bouchure, épaisse en cet endroit, nous avait offert le plaisir d’y construire une cabane. Un jour que mon père devait rejoindre Le Creusot pour y passer la semaine, il avait dû m’y venir chercher, je m’étais éclipsé sans tenir compte de ses recommandations.

 

Le « certif »

 Le 4 juin 1943, l’après-midi touchait à sa fin. Devant moi, mon père et mon grand-père, assis sur le siège de la calèche tirée par « le Kiki », rentraient d’une journée passée aux Seux. J’actionnais la sonnette de mon vélo jusqu’à ce que j’arrive à leur hauteur. J’avais la cocarde « bleu, blanc, rouge », avec l’insigne « reçu », accrochée à ma veste : elle témoignait de ma réussite au Certificat de fin d’études primaires. Le sourire de satisfaction de mon père et l’exclamation de mon grand-père : « y est bien, mon p’ tchot ! », saluèrent mon passage. Pourtant, avant la rentrée de janvier de cette année 1943, ma présentation à cet examen était bien compromise (à notre époque, tout le monde n’était pas présenté à l’examen par le maître…). Je n’étais pas un bon élève, me traînant lamentablement au fin fond du classement de la classe : je n’apprenais pas mes leçons ! J’avais un blocage à ce niveau depuis mes premières années d’écolier.

Les maîtresse et maître de l’école du Magny : Mme Chafotte, M. et Mme Bachelard, M. Régnier, M. et Mme Pernette (fonds Moutardier)

Mais cette rentrée vit arriver un nouvel instituteur, Monsieur Régnier : il remplaçait Monsieur Corneloup qui partait à la retraite. Que se passa-t-il exactement ? Difficile à dire. Monsieur Régnier eut le don de transformer l’atmosphère de la classe. Conquis par ce maître, je me mis à apprendre mes leçons. En deux mois, je réussissais à me hisser à la première place de la classe !

Mais ce qui me fit le plus plaisir, ce fut de résoudre un problème d’arithmétique que les forts en maths habituels ne surent solutionner : à l’étude du soir le maître nous donna ce problème portant sur la capacité en eau d’un étang. Le travail terminé, je me tournai auprès de mes camarades en leur murmurant mon résultat. Leurs dénégations, unanimes, les confortèrent dans leur assurance d’avoir trouvé la solution. L’un suivant l’autre, ils se dirigèrent auprès du maître, assis à son bureau, occupé à corriger des cahiers. Un coup d’œil sur l’ardoise présentée les renvoyait l’un après l’autre à leur place, la mine déconfite. Je me décidai et allai montrer mon ardoise. Signe de tête affirmatif du maître. Avec quel sourire et quelle satisfaction je revins à mon bureau !

(collection musée)

 Les épreuves du certificat avaient lieu à l’école des garçons de la rue de l’Est « du Montceau ». Ce matin-là, de l’école du Magny, nous rejoignîmes, quelques élèves présentés et avec notre maître, en vélo, ce lieu des épreuves d’un jour. Midi nous voyait revenir déjeuner à la maison par le même moyen de locomotion que nous utiliserions pour y repartir, puis terminer cette journée. L’épreuve la plus longue à supporter fut, sans conteste, l’attente des résultats. Nous avions été répartis, le matin, dans les différentes salles de classe. Nos noms, inscrits sur le tableau noir, nous désignaient nos places. Après les épreuves et une récréation, nous regagnâmes nos salles respectives. 

On ne copie pas aux épreuves du Certificat… (archives.fr)

 L’instituteur-surveillant entra le dernier, une liste à la main, rejoignit le tableau et, d’un coup de craie, raya les noms de ceux qui avaient échoué. Devant moi, l’un de mes camarades, un Polonais, se retourna brusquement : « j’ sus r’ çu, j’ su r’ çu » me cria-t-il en gesticulant. Je l’étais aussi. Mais, fut-ce en réaction à cette démonstration de joie intempestive, je restai coi. Ce sera un peu plus tard que je savourerais ma réussite !

(collection musée)

 Vive la « récré »

 Les jeux faisaient partie de notre ordinaire, de notre quotidien. Ils étaient notre respiration ! Les « cinq pierres », prononcez les « cinpierres » et comprenez les osselets, mais aussi les jeux de billes avaient notre préférence. Nous y jouions dès que nous avions un moment et là où nous nous trouvions.

Nous nous contentions de ramasser cinq pierres de même calibre pour jouer aux osselets. Mais nous avions toujours des billes dans notre poche. Il était rare de posséder des billes de verre, les agates, et encore plus rare d’exhiber des billes d’acier ; quand cela arrivait, l’heureux possesseur les montrait au creux de sa main et les remettait dans sa poche sous les regards admiratifs et non dénués d’envie des copains. On jouait soit « au rond », soit « à la piquate ». « Au rond », un cercle était tracé à quelque distance d’une ligne qui nous servait à démarrer le jeu. Nous avions mis, chacun, une ou deux billes dans le cercle qu’il s’agissait de faire sortir en jetant celle que nous tenions dans la main. La « piquate » nous permettait de jouer tout en marchant : l’un d’entre nous lançait sa bille devant lui ; un coup de talon positionnait l’endroit à partir duquel nous devions l’atteindre, soit en la touchant, soit en recourant « aux alpes » : la main étendue, on devait, pour gagner, pouvoir toucher du pouce et de l’auriculaire sa propre bille et la bille visée.

Les voitures étant inexistantes, la route nous appartenait : nous tracions à la craie un parcours plus ou moins sinueux pour jouer au « Tour de France ». Des cailloux faisaient office de coureurs que nous poussions d’une chiquenaude des doigts.

(pinterest.fr)

 Dans la cour de l’école, nous pratiquions différents jeux :

- Dans « le jeu du béret », deux équipes de quatre ou cinq joueurs se faisaient face derrière des lignes tracées à égale distance d’un cercle  au milieu duquel était déposé un béret. Chaque joueur d’une équipe avait un numéro correspondant avec celui d’un joueur de l’autre équipe. À l’appel de leur numéro, les deux joueurs se précipitaient pour essayer, sans se faire toucher par l’adversaire, de ramener le béret derrière sa ligne. Si la décision tardait, deux autres joueurs étaient appelés qui suffisaient dans la plupart des cas à faire gagner une équipe. Je me souviens que notre maître, Monsieur Régnier, participait à ce jeu en s’installant à califourchon sur une chaise et en désignant les numéros qui lançaient les joueurs dans « l’arène ».

- Un jeu rapidement arrêté par les maîtres, « le poutchou » : une équipe formait un cercle, le « poutchou » en se tenant tête contre tête, les bras entourant les épaules voisines. L’équipe adverse devait réussir à sauter, rester sur le « poutchou ». Si l’un des joueurs de cette équipe était touché pendant le saut par celui qui faisait le « chien de garde » du « poutchou », le « poutchou » avait gagné. Au contraire, si l’équipe adverse se retrouvait au complet sur le « poutchou », elle gagnait, à moins que celui-ci ne se soit effondré sous le poids des joueurs !

- Le jeu de « la paume au chasseur », ancêtre de « la balle aux prisonniers », consistait à lancer une balle par le chasseur sur les autres joueurs de l’équipe.

- « Le godo », perché ou non : il fallait le transmettre en touchant l’un des joueurs.

- « Le saute-mouton » : l’un d’entre nous se mettait en position, jambes légèrement pliées, buste penché soutenu par les avant-bras posés sur les genoux, sur la ligne de départ. Il avançait d’un pas après que tous les joueurs aient sauté par-dessus lui. Le premier à ne pas réussir le saut prenait sa place et le jeu recommençait.

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 À la maison, nous apprenions à faire du vélo en empruntant ceux de nos parents : les rues du quartier tenaient lieu de pistes d’essai. Nous débutions en nous exerçant sur les vélos de nos mères. Quand nous étions suffisamment aguerris, nous passions aux vélos d’homme : notre petite taille ne nous permettait pas de les enfourcher correctement ; nous pédalions en passant l’une des jambes en travers du cadre !

© 2024 Musée-école d'Unverre.

Des rituels immuables

Je me souviens qu’à la maison, parmi le linge à laver chaque lundi matin, il y avait les vêtements et parmi eux, ceux que j’avais portés tous les jours de la semaine écoulée protégés par une blouse. Toute la famille obéissait au même principe : la lessive était une tâche rude qu’il convenait de rendre plus aisée en prenant soin d’utiliser, au cours de la semaine, un minimum de linge. 

En ce jour de lessive, on sortait la « sapine », un grand baquet en bois que la grand-mère appelait une « jarle ». On l’installait dans un coin de notre cuisine, près de la porte d’entrée et du « fourneau » à charbon. Une planche à laver en bois, striée, était plongée dans l’eau qui avait été chauffée sur le fourneau et à laquelle on avait ajouté la lessive. Heureusement, mes vêtements qui avaient été protégés par la blouse, aussi bien des salissures que des accrocs, ne nécessitaient qu’un brossage rapide de la brosse ou des mains. On y gagnait de la peine, du temps, mais aussi de l’argent, le linge, ainsi plus « doucettement » lessivé avait une durée de vie plus longue. La blouse, au-delà de sa fonction de protection des habits, permettait, dans bien des familles, de masquer des vêtements trop usagés qui passaient souvent de génération en génération. On se sentait ainsi, l’égal de tous dans une tenue vestimentaire uniformisée.

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 Mes vêtements étaient ceux qui couraient le plus de risques, que la blouse que je portais avait permis de limiter en prenant sur elle tous les aléas d’un écolier. Je les avais posés lors de la grande toilette du dimanche car, ce jour-là, je me lavais de la tête aux pieds dans un baquet d’eau, eau qu’il avait fallu aller tirer au puits à l’aide d’un seau, car il n’y avait pas l’eau courante. Les autres jours de la semaine, je me contentais d’un lavage « à la chat », le matin, qui consistait à me savonner le visage et les mains avec un gant de toilette, et à les rincer dans une cuvette remplie d’eau disposée sur une chaise.

 Les beaux jours

Juin 1940, les alertes étaient peu fréquentes, mais toujours présentes à l’esprit. Pour toute protection contre un raid aérien, nous n’avions que les caves, sauf chez les mineurs du hameau de La Grange, sur la route du Magny : ils avaient creusé une galerie près de la route qui passait en tranchée en cet endroit. Les instituteurs avaient l’ordre de nous relâcher dès que les sirènes retentissaient. En 1939 et 1940, Montceau avait accueilli des réfugiés Alsaciens-Lorrains. À l’école, maîtresses et maîtres nous avaient demandé de collecter dans nos quartiers tous les objets et ustensiles susceptibles d’aider ces réfugiés dans leur vie quotidienne. Un jeudi, en fin de matinée, nous ramenions à l’école notre collecte dans un char à main. Nous nous étions arrêtés devant la maison d’un camarade, à quelques deux cents mètres de l’école. Sa mère était venue voir ce que nous avions collecté, elle était remontée chez elle, en était ressortie avec une pile d’assiettes dans les bras… assiettes qu’elle échangea contre celles qui nous avaient été données, qui n’étaient certes pas de premier choix, mais qui devaient présenter, à ses yeux, un plus bel aspect que celles qu’elle possédait !

Par la fenêtre ouverte… (archives.fr)

Il faisait beau, ce matin de juin 40, une des fenêtres de la classe, en regard du bureau de notre maîtresse, Mademoiselle Montchanin, était ouverte. Elle nous avait donné un travail que je devais trouver passionnant, puisque, tout à ce travail, je faisais… la sirène !

J’aurais pu tout aussi bien chantonner ! Mais pour moi, l’air du jour, c’était la sirène ! Je m’apercevais bien, en relevant la tête de temps à autre, de l’air inquiet de la maîtresse qui se dirigeait vers la fenêtre et écoutait. Mais je ne faisais pas le rapprochement entre son inquiétude et le hululement que j’émettais et que je croyais suffisamment bas pour qu’il soit inaudible.

La maîtresse finit par se rendre compte que le hululement ne pouvait provenir que de la classe. Elle se promena dans les allées et arriva près de moi. Une paire de gifles retentissantes arrêta instantanément la sirène, au grand soulagement, j’imagine, de la maîtresse !

Mademoiselle Montchanin qui menait sa classe de main de maître ! Si on peut dire…

Paul Moutardier : assis au 1er rang, 2ème en partant de la droite (fonds Moutardier)

Malgré tout, à l’arrivée de l’été, c’était la fête, car c’en était une pour nous, quand commençaient les fenaisons. Bien que nous étions toute l’année au travers des prairies, le remue-ménage qu’impliquaient les fenaisons faisait de nous, telles les mouches du coche, des spectateurs passionnés et encombrants. Il en allait de même pour les moissons et le battage à la machine. Je me revois un matin, muni d’un bon casse-croûte, suivre les allées et venues « du Bepi », le domestique italien de la ferme de Rouverat, assis sur le siège de la faucheuse mécanique tirée par le cheval.

Les foins, prêts à être rentrés, voyaient s’égayer dans la prairie hommes et bêtes affairés à leur ramassage. Ils étaient mis « en andains » par une râteleuse sur le siège de laquelle était assis un voisin de la ferme. Il était Italien lui aussi, mais il y avait aussi des Polonais, tous ouvriers mineurs que le fermier s’adjoignait pour pallier le surcroît de travail qu’entraînaient les fenaisons. Ce voisin, assis sur la râteleuse, petit de taille, en chemise à carreaux dans un pantalon de velours brun, la casquette sur la tête, tenait les rênes, penché en avant à la manière d’un jockey. De la voix, il encourageait le cheval qui marchait bon train. Il actionnait la pédale de la râteleuse au moment opportun. Nous le regardions faire en riant aux éclats ! La moisson laissait derrière elle nombre d’épis de blé : c’était pour nous l’occasion de glaner. Chacun surveillait les autres dans l’espoir d’emporter la plus grosse gerbe.

Panneau Rossignol, le battage à la ferme (collection musée)

 Mais la vraie fête, celle que nous n’aurions pas manquée pour un empire, était le battage. Nous en étions avertis par le ronronnement bruyant s’échappant de la cour de ferme. La batteuse, installée près du « fouaneau » où était engrangée la moisson, s’activait depuis une heure ou deux avant notre arrivée. Nous admirions l’énorme tracteur aux « teuf-teuf » puissants qui animait la batteuse au moyen d’une courroie positionnée en X. Sous le soleil, la poussière volait alentour. Du « fouaneau », les gerbes étaient balancées sur le dessus de la machine. Des deux hommes, debout sur le marchepied installé à mi-hauteur de la batteuse, l’un coupait la ficelle de la gerbe et étalait la paille que le second poussait doucement dans la gueule de la batteuse. Le grain tombait dans des sacs disposés sur l’un des côtés. Les hommes préposés à les transporter devaient être costauds : ils avaient cent kilos sur les épaules à monter au grenier sur une échelle de meunier ! La « boffe » était soufflée au travers de gros tuyaux et entreposée dans un local. Il nous arrivait de sauter sur le tas et de nous y rouler. La paille était expulsée sur un brancard au rythme de la presse qui la bottelait. Elle était mue par de longs bras qui se baissaient et se relevaient en émettant un « wouff-wouff » scandant l’avancement du train de bottes.  A la réception, un homme, sous le brancard, piquait sa fourche dans la botte, en attendait la chute pour la transporter, en la maintenant au-dessus de lui, jusqu’à la « matte » (meule) qui s’élevait en bordure du pré jouxtant la cour. Deux hommes, bons connaisseurs de ce travail, la construisait au gré du va-et-vient incessant de ceux chargés du transport de ces bottes.

(pinterest.fr)

  La « matte » se terminait en deux pentes rappelant le toit d’une maison. Au milieu de cette agitation, la fermière, une bouteille de vin dans une main, un verre dans l’autre, passait de temps à autre pour permettre aux hommes de se désaltérer. Il y avait une pause en milieu de matinée et d’après-midi pour une collation rapide sans arrêter le travail. Les repas étaient pris vers midi et le soir très tard. Je me souviens avoir été invité à l’un de ces soupers : une grande table permettait à chacun d’y prendre place.

Nous quittions la ferme fatigués, la tête bruissant du ronronnement de la batteuse, du « wouff-wouff » de la presse, du halètement du tracteur, émerveillés et heureux des journées que nous venions de passer.

 Déjà, le parfum des troènes en fleur annonçait la fin de l’année scolaire. Le soleil avait réchauffé l’eau du « creux » de l’étang, au pied de l’ancien puits Jules Chagot : il avait pris la place d’une ancienne carrière. Au fond de pentes assez abruptes, l’eau reposait, limpide sur une grande profondeur. Le côté nord-est présentait un étage où l’eau, sur plusieurs mètres de longueur, nous arrivait à mi-hauteur. C’est ici que j’ai appris à nager, avec mes copains : d’abord la « nage des chiens », la tête sous l’eau, puis les plongeons maladroits, finalement, plus assurés et n’ayant plus aucune peur de l’eau, nous nous lancions à la brasse. Voici comment j’ai pu apprécier les plaisirs de l’eau sans devenir un excellent nageur. 

(archives.fr)

 Un quartier animé

 Le terre-plein enherbé devant la maison de la Louise accueillait de temps à autre les Romanichels de passage. Certains possédaient un « cinéma ». Ils élevaient une grande tente sous laquelle ils disposaient un écran et des bancs. Les séances avaient lieu en soirée : toutes les places étaient occupées. Un soir, assis à côté de notre voisin René, je lui demandais de m’expliquer comment on projetait, une question qu’il ne s’était, certes, jamais posée. Mais il ne fut pas embarrassé pour répondre : l’image faisait le tour des côtés de la tente pour venir s’animer sur l’écran !

(archives.fr)

 Quelquefois, par des soirées d’été, les séances de cinéma, toujours organisées par des Romanichels, se tenaient en plein air, rue de Tours, les bancs étaient disposés le long du mur de la maison de l’oncle Émile.

Les cirques s’installaient aussi sur la place du quartier, en face de l’oncle Émile. Dès l’arrivée des roulottes, nous nous y précipitions pour assister au montage du chapiteau. Les artistes se produisaient en soirée : acrobates et clowns, chevaux dressés, lion dressé, offraient un spectacle apprécié d’un public qui ne ménageait pas ses applaudissements.

La fête du quartier voyait la place se remplir de baraques foraines et d’un manège de chevaux de bois. L’angle de la rue de Péronne et de la rue de Nancy, était réservé au manège du « cri-cri », le « tape-cul », comme nous l’appelions familièrement. Les jeunes s’y pressaient sous le regard envieux des gamins trop petits pour participer à la joie des garçons balançant les filles. Nous suivions d’un œil attentif celui qui réussissait à lancer le plus haut la fille qui était devant lui. L’air retentissait des rires des garçons et des cris apeurés des filles. Le bal se tenait sous un parquet monté rue d’Angers, à l’aplomb de notre cour. Après la guerre, quelques forains ont bien essayé de relancer la fête, mais ne trouvant peut-être plus le public qu’ils espéraient, la fête disparut du quartier.

(archives.fr)

 La fête patronale « du Montceau » avait lieu le dernier dimanche d’août. Tout le quai de l’Hôtel de Ville était réservé aux baraques foraines. Parmi celles-ci, des spectacles de cirque et de lutteurs. Les manèges occupaient la place de l’Hôtel de Ville, la place de l’église et la cale. Dès l’après-midi, la foule, les jeunes en particulier, était au rendez-vous. Mais la fête ne battait vraiment son plein que le soir, dans la nuit illuminée par les lumières des baraques et des manèges. Il était difficile d’avancer tellement les gens se pressaient les uns contre les autres. 

La chanson du Paris-Montceau (numérisation musée)

 Le « lundi de la fête du Montceau » était chômé et était réservé au Critérium cycliste. Le vélodrome voyait arriver la foule des Montcelliens et des amateurs de la « petite reine » qui venaient apprécier, la vélocité des Robic, Bobet, Kubler, Koblet, Gimondi, Coppi, Bartali et autres champions. Les courses se succédaient et les coureurs locaux associés aux champions rivalisaient de vitesse et d’adresse.

Mais bientôt les vacances se terminaient avec les derniers jours de septembre. Les frimas des premiers jours d’octobre nous accompagnaient sur la route de l’école. Une nouvelle année scolaire commençait.

(numérisation musée)

 Le travail rythmait la vie. Chez les mineurs, les mieux rémunérés étaient les mineurs du fond, travaillant au charbon et principalement au rocher. Ces mineurs « au rocher », s’y engageaient pour une durée de six mois. Aussi payés à la tâche, ils devaient travailler « à l’eau » mais pour aller plus vite et gagner plus, ils travaillaient « à sec », s’exposant à respirer les poussières engendrées par le fonçage, et donc à la silicose. Gagnant mieux leur vie, quelques-uns, au mépris du risque encouru, reconduisaient leur engagement à ce travail.  Pour tous les autres ouvriers, du jour comme du fond, la paie de chaque quinzaine n’était pas très élevée, mais les avantages en nature gratuits, que dispensait la Mine à tout son personnel (logement, « chauffe », jardin, soins médicaux et pharmaceutiques) venaient compléter un salaire qui, chez beaucoup, suffisait à peine à satisfaire les besoins.

(delcampe.fr)

 Le niveau des salaires pouvait donc difficilement amener à une consommation excessive, surtout au sein d’une population en grande partie issue du monde rural où l’on n’achetait que ce que l’on ne pouvait pas produire et qui avait, peu ou prou, conservé ses us et coutumes. Quant au revenu familial de la population étrangère nouvellement arrivée, il ne dépendait du quasi seul salaire du mineur chef de famille. Pour améliorer la situation, certaines familles hébergeaient des pensionnaires, en général de même nationalité, ils devaient payer leur écot. 

Manuscrit de Paul Moutardier

Chanson apprise à l’école primaire du Magny (collection musée)

 

 (1) :  histoire Paul Constant Moutardier, écolier du Magny, élève de l’Ecole Primaire Supérieure de Montceau, normalien à Mâcon, instituteur au Bois-du-Verne, mort pour la France en 1918 : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/09/2018-derniere-annee-de-commemoration-du.html#more

 

(2) : Souvenirs du tacot de la mine, récit d’Aline Bosiacki, in Les Mémoires de Sanvignes, 1978.

 

« Dans  les  années  1950, les  transports  scolaires n’existaient pas encore. Pour  se  rendre  au  collège  (cours complémentaire à cette époque) à Montceau, à l’école ménagère, au lycée, à l’école des mines pour les garçons, ou simplement au travail, les meilleurs moyens étaient le train à la gare de Galuzot, le tacot des mines ou encore la bicyclette.

Tacot de la mine, wagon de voyageurs et fourgon de marchandises


Les jeunes avaient une préférence pour le tacot qui était gratuit ! Au début de sa mise en route, il était destiné à convoyer le charbon du puits de Rozelay jusqu’au lavoir des Chavannes. Ce n’est qu’à partir des années 1950, après l’extension de la cité que les Houillères ont ajouté plusieurs wagons supplémentaires en bois pour le transport des voyageurs.

Puits Saint-Amédée, 1927 (numérisation musée)

(E-monsite.fr)


Pour ma part, je prenais le tacot à Saint-Amédée. Là, il y avait un petit cabanon où l’on s’abritait en cas de pluie ou de neige qui d’ailleurs donnait parfois l’occasion de batailles de boules de neige. Le tacot venait de Rozelay avec arrêt aux Baudras, à Saint-Amédée, aux Chavannes où l’on sentait une forte odeur due aux émanations de gaz de charbon... Le terminus était à la Maugrand (aujourd’hui, derrière l’Atelier du Coin).

Parcours du tacot de la Mine

 

Dans le tacot, l’ambiance était joyeuse surtout que filles et garçons étaient mélangés ce qui donna lieu à quelques amourettes !  Mais c’était aussi pour se serrer, ce qui nous tenait chaud l’hiver car les fenêtres étaient cassées et il n’y avait pas de chauffage. Le beau temps revenu, je reprenais ma bicyclette. Ma sœur et moi allions chercher notre père qui travaillait au puits Saint-Amédée et notre plaisir était de nous mettre sur le pont au-dessus du chemin de fer quand le tacot passait. Cela faisait des vibrations et nous amusait beaucoup, j’avais alors 6 ans ! » 

Vestige du pont du tacot, rue de Lucy (direction le Magny)


2 commentaires:

  1. Félicitations pour ce morceau d’histoire !
    Alain Mougniotte

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  2. Ah, souvenirs, lorsque vous ressurgissez...merci pour le partage de cette très belle promenade dans le temps revécue par des yeux d'enfant.

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