Première partie
Les
cours d’enseignement ménager
Section d’enseignement
ménager au nouveau Collège moderne et technique de Bel Air (futur lycée nommé Henri Parriat en 1987) qui intègre la section
industrielle féminine de la section professionnelle du Cours Complémentaire de
la rue de l’Hôpital (le « Queque »), cliché de 1958
La couture (collection
musée)
Clin
d’œil aux jeunes filles d’aujourd’hui
A
d’autres temps, d’autres mœurs : afin de clore le Congrès de
l’enseignement primaire de Paris, en 1900, Octave Gréard, vice-Recteur et
éminent pédagogue, fit voter une résolution de principe : « L’enseignement de l’économie
domestique et des devoirs du ménage doit être obligatoire à tous les degrés de
l’enseignement primaire. » La
chose était entendue déjà depuis deux décennies : pendant que les garçons
seraient formés aux exercices militaires et agricoles, les filles le seraient à
la vie domestique et aux tâches ménagères avec la devise « Épouses et mères parfaites ». Parallèlement aux enseignements
ménagers de l’Instruction publique, on vit fleurir ça et là, des « écoles ménagères »
privées, à Montceau et au Creusot comme ailleurs. Historique de cet
enseignement, et vidéo d’époque, dans l’article.
Le repassage (collection
musée)
Une
ambiguïté à lever cependant
L’école
ménagère ne relève pas de l’enseignement ménager public
Il est important de
distinguer deux approches bien différentes dans la formation des « bonnes
ménagères ». La première approche
naît à l’étranger, dans la deuxième moitié du 19e siècle, en Suède,
tout d’abord, en 1865, puis en Norvège, en Russie, en Allemagne, en Angleterre,
dans les années qui suivirent : il s’agit des écoles ménagères d’initiative
privée. Elles n’apparaîtront durablement en France qu’à la fin du même
siècle. Ces écoles, souvent patronales comme à Montceau (école ménagère de la
Mine) ou au Creusot (école ménagère Schneider), feront l’objet de notre
prochain article.
Travaux d’aiguilles à
l’école d’Hellemmes (nord), vers 1890 (l’Histoire par l’image)
La
deuxième approche est beaucoup plus
« institutionnelle », il s’agit de l’Enseignement domestique, qui apparaît dans les programmes scolaires
de l’école publique, dans l’arrêté du
18 janvier 1887, programmes complétés par les arrêtés des 8 août 1890, 4
janvier 1894, 9 mars 1897 et 17 et 20 novembre 1898, qui fixent le contenu du
« travail manuel » enseigné aux écolières. On lit, au fil de ces
textes, que « Le travail manuel des
filles, outre les ouvrages de couture, comporte un certain nombre de leçons, de
conseils, d’exercices, au moyen desquels la maîtresse se proposera, non pas de
faire un cours régulier d’économie domestique, mais d’inspirer aux jeunes
filles par un grand nombre d’exemples pratiques, l’amour et l’ordre, de leur
faire acquérir les qualités sérieuses de la femme de ménage et de les mettre en
garde contre les goûts frivoles et dangereux. » Les instructions de
1923, pourtant novatrices dans nombre de domaines, ne changeront rien à
l’esprit : « Inutile d’insister
sur le caractère à la fois pratique et expérimental que doit revêtir cet
enseignement : la théorie n’y apparaît que pour justifier la pratique.
Elle peut aussi inspirer aux jeunes filles l’amour du foyer, en leur montrant
que les opérations en apparence les plus humbles de la vie domestique se
relient aux principes les plus élevés des sciences de la nature. » Note de Léon Bérard, ministre de
l’Instruction et des Beaux-Arts, dans les instructions de 1923.
Travaux d’aiguilles à
l’école de Dizy, milieu des années 20 (l’Histoire par l’image)
En clair, l’Instruction
publique créait un enseignement ménager dont le but était de ne pas perdre la
main sur cette thématique, face aux écoles ménagères naissantes, toutes
d’initiative privée (sauf peut-être quelques-unes organisées par la Ligue de
l’Enseignement de Jean Macé). Le besoin de formation des jeunes filles était
cependant réel et cet enseignement ménager se fixa pour objectif de compléter,
par des exercices pratiques, les notions théoriques apportées dans les matières
fondamentales aux écolières, à travers des leçons d’« économie
domestique », de leur en montrer l’application et de les ouvrir à la
science du ménage et de la maternité que l’on pensait si nécessaire à toutes
les femmes.
L’Instruction publique et l’Enseignement ménager
Si
l’égalité des sexes est dans tous les esprits de nos jours, il n’en fut pas
ainsi jusque dans un passé sexué pas si lointain. Si, à partir des grandes lois
scolaires, Jules Ferry avait édicté des programmes d’études à peu près
identiques pour les deux sexes, on éduquait cependant filles et garçons dans
des écoles séparées, avec des messages différents en fonction du rôle social
auquel chacun était destiné. Un patriarcat non déguisé cantonnait avant tout les
filles dans un avenir de mères et d’épouses dévouées, dont les familles
bourgeoises exigeraient, en plus, que les compagnes fussent instruites afin de « tenir conversation avec leur mari ».
On considérait alors que « les
femmes n’ont pas le cerveau pour étudier le grec ou le latin », et, il
faut bien le constater, les stéréotypes ayant la vie dure, si elles excellent
de nos jours dans l’étude des langues mortes, les statisticiens font remarquer
que les mathématiques ne seraient pas leur fort !
Cours
de cuisine dans un Cours complémentaire de jeunes filles vers 1900 (CANOPE)
Les
objectifs de l’enseignement ménager étaient de rendre les gestes de la ménagère
plus efficaces, et, ainsi, « rentabiliser son activité ». On
développa donc des cours de cuisine, un peu de mathématique appliquée, afin de
tenir correctement les comptes de la maison, des cours de couture, pour
l’entretien du linge. Un peu plus tard, viendraient la puériculture et
l’hygiène propres à l’enfant. Cet enseignement complet et « utile »
n’était bien sûr enseigné qu’aux filles !
(collection
musée)
Si
toutefois, l’instruction de ces dernières évolua largement durant la Troisième
République, notamment avec leur accession aux collèges et aux lycées à partir
de la fin des années 1880, un retour en arrière fut désastreux sous le Régime
de Vichy. La devise « Travail, Famille, Patrie » renvoya
singulièrement les filles vers leur rôle de mère au foyer (1). On vit alors
l’enseignement ménager renforcé à tous les niveaux de la scolarité, de
l’élémentaire au lycée, cet enseignement fut rendu obligatoire (pour les filles
évidemment) par le décret du 18 mars 1942.
(collection
musée)
Une organisation et des débuts difficiles
Donc,
les programmes de 1882-1887 prévoyaient déjà l’introduction d’un enseignement
ménager dans les écoles élémentaires, mais la diversité et l’étendue des matières
à enseigner dans une courte durée de scolarité rendaient son application
difficile. Dans un premier temps, on se contenta d’appliquer partiellement les
textes en ne favorisant que certaines matières : « L’enseignement primaire dans les écoles de filles comprend les
travaux d’aiguilles » (loi du 28 mars 1882, Art.1er), « Ces travaux figurent également aux
programmes des écoles primaires supérieures » (Décret du 18 janvier
1887, Art.35, modifié par le décret du 21 janvier 1893) « et des écoles normales d’institutrices » (Décret du 18
janvier 1887, Art.82, et arrêté du 4 août 1905, art.1er). Cette
activité portait le nom de « travaux
manuels pour les filles » tandis que les garçons vaquaient à des
activités plus « agricoles » au jardin de l’école et
« militaires » au bataillon scolaire, sous le même vocable.
(collection
musée)
C’est
pourquoi, la plupart du temps, seules des « maîtresses de couture »
étaient employées à cette tâche et sur un temps restreint. Elles n’étaient pas
des enseignantes mais des personnes compétentes dans leur domaine, nommées par
l’inspecteur d’académie (Décret du 18 janvier 1887, Art. 24). Un crédit spécial
était inscrit chaque année au budget du ministère de l’Instruction publique en
vue du paiement de leur indemnité qui ne devait pas dépasser 80 francs annuels.
Ce taux était fixé par le préfet qui les avait mandatées et il était payé semestriellement les 30 juin et
31 décembre (Décret du 2 août 1890, Art. 8 et 9). Ces cours de
« couture » prirent le nom de « travail à l’aiguille » qui
englobait alors de nombreux exercices utiles et variés souvent liés à des
connaissances plus larges (en mathématiques ou en français par exemple). Notons
que ces fonctions de maîtresse de couture étaient parfois (ou souvent) exercées
par l’épouse de l’instituteur… si elle n’était pas elle-même institutrice.
(collection
musée)
Devant
les carences liées à l’enseignement ménager, une organisation fut préconisée au
début du 20e siècle : après accord des autorités académiques,
les filles de 11 à 13 ans pouvaient être groupées en « section
ménagère » dans les écoles de petite ou moyenne importance et en
« classe ménagère » dans les écoles à gros effectifs. Ces élèves
pouvaient alors recevoir un enseignement ménagé théorique et pratique
élémentaire mais complet. Eu égard à
l’âge des filles concernées, ces sections et classes ne virent le jour que dans
les Cours complémentaires qui préparaient au Brevet élémentaire, tandis que,
parallèlement, des Écoles Primaires Supérieures préparaient les garçons au même
examen. Les aspirantes à ce Brevet devaient exécuter les travaux d’aiguille
prescrits par l’Art. 1er de la loi du 28 mars 1882, durant une
épreuve d’une heure, sous la surveillance de dames désignées par le recteur
(Arrêté du 18 janvier 1887, Art. 147, modifié par les arrêtés des 20 janvier
1897 et 9 décembre 1901).
Cours
de couture à l’École Normale de Nîmes, 1905
La formation des institutrices
Il fallut
bientôt former les futures maîtresses des écoles élémentaires et des cours
complémentaires à ce que l’on commença à nommer l’« économie
domestique ». Ce fut chose faite dans les nouveaux programmes du 4 août
1905. La troisième année d’études à l’École Normale verra l’apparition de 30
heures de cours d’économie domestique par an, doublées d’activités
pratiques : une heure d’hygiène par semaine, 3 heures de raccommodage, 2
heures de cuisine, 2 heures de blanchissage, 2 heures de nettoyage en hiver,
remplacées par 2 heures de jardinage en été. Quand on connaît le niveau élevé
de l’enseignement dans les écoles normales, dans tous les domaines des matières
fondamentales, on peut s’interroger sur l’extension de la durée de cours hebdomadaire
subie par les normaliennes dans le cadre de l’économie domestique… à moins que
ces tâches n’aient été effectuées dans le cadre du fonctionnement et de
l’entretien de l’établissement, en dehors des heures légales d’enseignement.
Quoi qu’il en soit, il est stipulé que ce nouveau programme « doit s’adapter particulièrement à
l’éducation féminine et au rôle social de l’institutrice »
« L’institutrice, qui a besoin de pratiquer cet art multiple pour
elle-même, doit pouvoir l’enseigner à l’école
et contribuer autant par son exemple que par ses leçons à en inspirer le goût
autour d’elle » (2).
Les programmes de l’enseignement ménager au Cours
complémentaire
À
son origine, l’enseignement ménager est divisé en deux cours : le cours de
cuisine, confié à une monitrice-cuisinière et le cours ménager (blanchissage,
repassage, couture, nettoyage) confié à une monitrice-blanchisseuse. Les
institutrices (ou l’institutrice en classe unique) dirigent et surveillent les
leçons données par les monitrices. Les horaires attribués à ces leçons doivent
être soumis à l’approbation de l’inspecteur primaire et doivent être organisés
de telle sorte qu’ils correspondent aux leçons d’enseignement général dispensées
par l’institutrice.
1929
À
l’origine, chaque élève doit participer à 16 leçons de cuisine et 16 leçons d’« entretien
ménager » dont la couture. Le cours de cuisine comprend : « 1° L’achat des provisions nécessaires
au déjeuner, provisions dont la liste est fixée d’avance par le menu du
jour : quelques élèves, à tour de rôle, accompagnées par la
monitrice-cuisinière, vont faire les provisions. 2° La tenue du carnet de
dépenses. 3° La préparation et la cuisson des aliments. 4° La mise du couvert.
5° Des conseils sur le nettoyage et le rangement de la cuisine. » Les
cours d’entretien ménager seront détaillés de la même manière. Il est notoire
que l’enseignement des sciences, physique, chimie, histoire naturelle, dispensé,
lui, par l’institutrice, doit être orienté vers l’économie domestique et
l’hygiène, en relation étroite avec l’enseignement ménager.
Un
exemple de manuel d’application des sciences appliquées à l’enseignement
ménager :
En 9
leçons
En 8
leçons
En 5
leçons
8
leçons
5
leçons
7
leçons
8leçons
6
leçons
12
leçons
La
création et le développement du CAP
C’est
la loi Astier du 25 juillet 1919 qui va remplacer le CCP (Certificat de
Capacité Professionnelle) institué en 1911, par la création du CAP (Certificat
d’Aptitude Professionnelle). Le peu de candidats des premières années va vite
augmenter pour atteindre, en 1930, 15 000 jeunes diplômés dans 3 500
spécialités différentes.
Mme
Suzanne Zwiller, fut nommée enseignante dans les classes ménagères du cours
complémentaire de Montceau en 1952. Ce cours complémentaire avait été créé au
sein de l’école de filles de la rue Centrale (actuelle rue Carnot) en 1890, peu
de temps après l’ouverture de cette école flambant neuve, en 1882. Mme Besseige
en fut la première directrice jusqu’en 1911, assurant aussi la direction du
Cours complémentaire (3). Les directrices de l’école de
filles qui se succédèrent occupèrent donc la double fonction jusqu’en 1960.
École
de filles de la rue Centrale (actuelle rue Carnot) qui accueillit le cours
complémentaire jusqu’en 1947 (collection musée)
C’est à cette date que le Cours complémentaire
prit son indépendance par rapport à l’école élémentaire et se nomma CEG
(Collège d’Enseignement Général), dans l’attente d’un nouveau statut (4).
Entre temps, les choses avaient évolué et, entre les deux guerres, on
commençait de parler de « Sciences domestiques » ou « Sciences
appliquées ». Si la nomination de Suzanne Zwiller s’était faite sous la
direction de Mme Thomas en 1952, depuis, l’enseignement ménager avait déserté
le Cours complémentaire en 1957, pour occuper une place de choix au nouveau
collège de Bel-Air, futur lycée Henri Parriat, au sein duquel, les filles avaient
rejoint les garçons du vieux collège de la place de l’Hôtel de ville (ex-École
Primaire Supérieure).
Ancienne école de filles de la Mine qui abrita le Cours complémentaire à
partir de 1947 et jusqu’en 1957, avenue de l’Hôpital
Comme le précise Suzanne Zwiller dans son
témoignage, à ses débuts, deux CAP étaient passés à l’issue des cours d’enseignement
ménager : un CAP cuisine et un CAP couture qui depuis 1944, constituaient
les CAP « Arts ménagers ». La formation se faisait en trois ans et
comportait différentes matières, générales ou spécialisées : français,
calcul, sport, cuisine, couture, puériculture… La plupart des élèves passaient
les deux CAP, mais, peu à peu, les enseignements se sont modernisés et
spécialisés après le déménagement au futur lycée. A l’instar des
« ateliers », la section « Enseignement ménagers » était
équipée de matériel moderne et de salles dédiées qui favoriseraient les
apprentissages pratiques. Ainsi, Mme Hassiba énumère dans un témoignage tout ce
qu’elle a appris durant sa formation au CAP d’Arts ménagers qu’elle obtint en
1974 : « J’ai appris comment
les machines fonctionnent, comment les réparer, comment t’occuper de la maison,
comment raccommoder quelque chose qui est déchiré, comment bien repasser les
vêtements, comment s’occuper d’un bébé, comment faire la cuisine, faire des
économies pour ne pas trop gaspiller, comment enlever les taches sur les
vêtements, comment les laver, à quel degré. Tout ce qui concerne la maison, le
foyer, un enfant, tout ce dont une femme a besoin dans la vie de tous les
jours. »
Les
CAP « Arts ménagers » du début, notamment concernant la couture, devinrent « Couture flou »,
« Couture industrielle », « Industrie de l’habillement »,
avant que dans les années 1965-1966, une nouvelle section de CAP : Aide
maternelle, ne soit créée, précurseure d’un BEP (Brevet d’Études
Professionnelles) Sanitaire et Social. Suzanne Zwiller et ses collègues durent
alors effectuer des stages de formation à l’ENNA (École Normale Nationale
d’apprentissage) qui comportait une section « économie domestique »,
ou bien encore à l’ENSET (École Normale Supérieure d’Enseignement Technique),
ce qui ouvrit les portes d’un véritable professorat d’Enseignement ménager à
ces anciennes monitrices de formation. L’arrivée des notions de puériculture, à
leur tour, conduisirent ces enseignantes à participer à de nombreux stages
auprès du corps médical, notamment à l’hôpital de Montceau.
Témoignage
écrit de Suzanne Zwiller
Au
début des années 60, époque où le lycée de Montceau s’appelait encore collège,
pour entrer « en B.E.P (Brevet d’Études Professionnelles) », il
fallait satisfaire aux épreuves d’un concours d’entrée de niveau Certificat
d’études primaires ou de niveau B.E.P.C (Brevet d’Études du Premier Cycle) à 14
ou 15 ans. L’entrée en C.A.P, section Arts ménagers et couture était plus
simple, mais l’organisation des cours tout aussi rigoureuse.
Toujours
nommé collège à ses débuts…
Et
son enseignement ménager :
Cliquez sur cette image pour voir la vidéo
Comme
le montre le film de 1958 ci-dessus, les sections dites
« techniques » se trouvaient à l’entresol et premier sous-sol, au bas
de l’escalier principal du hall d’entrée. Les élèves y accédaient par l’arrière
du collège, regroupés dans une cour particulière. Pour les filles et les
garçons concernés, ces lieux austères aux allures d’usine, qui composait le
Centre d’apprentissage bardé de machines modernes, auguraient de l’avenir qui les attendait.
Évidemment,
aucun garçon n’intégrait le C.A.P Arts ménagers, pas plus qu’une fille n’aurait
pu passer un C.A.P Mécanique… L’effectif des C.A.P Arts ménagers ne dépassait
que rarement les 40 élèves et il était divisé en 2 sections (CET F1 et CET F2).
Leur emploi du temps était de 8 heures par jour plus 4 heures le samedi matin
réservées au sport au gymnase et au stade Jean Bouveri. Cours techniques le
matin et cours généraux l’après-midi étaient au programme, on en retrouve la
description détaillée dans les témoignages consignés dans l’ouvrage de Jean
Marchandiau : « La vie
quotidienne des élèves du Montceau, des années 50 à 1968 » (5).
L’option « enseignement ménager » du
baccalauréat fut supprimée en 1984.
Quelques exemples de manuels
Livre
donné à Michèle Pluchot par la directrice, Mme Guittet, à son départ de l’école
élémentaire de filles de Bellevue pour le Cours complémentaire. Elle a vraisemblablement
utilisé ce livre durant son Cours moyen
2e année, à la fin des années 40, édition 1930 (collection musée)
Edition
1942 (collection musée)
Edition
1921 (collection musée)
(collection
musée)
Edition
1906 (collection musée)
Edition
1925 (écomusée grandorlyseinebievre.fr)
Conclusion
La
génération des « apprenties ménagères » est maintenant éteinte ou le
sera bientôt. Le côté désuet de l’enseignement ménager, dont personne ne
regrette vraiment la disparition, transparaît dans cet article et peut prêter à
sourire. Durant des décennies, le rôle de la femme fut réduit aux tâches
ménagères du foyer, ce qu’elles acceptaient bon an mal an. Mais, avec le temps,
la réalité devint beaucoup plus complexe et le ressenti social des fillettes
fut souvent ignoré sous couvert d’une pseudo voie de professionnalisation
féminine. Le témoignage de Jacqueline S., née en 1940, est édifiant : « Quand on n’était pas très douée, on
allait à l’école ménagère. », elle raconte dans son témoignage, sans
plus de rancune, le rôle subalterne assigné aux femmes et le mépris social de
ces écolières pour lesquelles il était difficile de poursuivre des études
au-delà de l’école primaire. Marquées par un milieu souvent modeste,
campagnardes ou citadines, elles furent nombreuses à atterrir dans les cours
ménagers bientôt frappés d’obsolescence, tandis que les filles de familles plus
aisées commençaient d’investir l’enseignement secondaire général.
Il
est notable que le rôle de l’enseignement technique, à travers les taux de
réussite des C.A.P Arts ménagers (services divers et aide maternelle) est
clairement établi dans cette période de baby-boom, d’explosion scolaire, de
croissance économique des années 50 qui voit la forte augmentation de la
scolarisation des filles. Mais bientôt, la mise en place d’un système scolaire
unifié dans les années 1960, va porter un coup fatal à cet enseignement, en
commençant par l’effet des lois Debré de 1960-1961 qui entraînent la
disparition de l’enseignement ménager agricole, le laissant cependant ouvert au
secteur privé. La rupture se confirme à la suite des réformes Berthoin et
Fouchet. Filles et garçons entrent alors dans le monde du collège unique qui
fera voler en éclat les différences sexuées avec la rénovation des contenus
scolaires. L’enseignement ménager était alors inévitablement appelé à
disparaître.
Dans un prochain article
Deuxième partie
Les écoles ménagères
Les écoles ménagères patronales de Montceau et du Creusot
Patrick
PLUCHOT
Sources, pour aller plus
loin :
-
Documentation et illustrations :
archives du musée.
-
La
Fabrique des Filles, Françoise
Thébaud et Rebecca Rogers
- L’Enseignement ménager en France :
sciences et techniques au féminin, 1880-1980, Joël
Lebaume, 2014.
- Cours d’Enseignement ménager, Galica.Bnf.fr
- Entre morale, enseignement
technique et tâches ménagères : les écoles ménagères agricoles publiques
du Doubs (1910-1960), Fabien Knittel et Adeline Divoux-Bonvalot,
journals.openeditions, 2020.
- Témoignage
de Jacqueline et Hassiba, in
slate .fr.
-
« La vie quotidienne des élèves du Montceau, des
années 50 à 1968 », Jean Marchandiau.
- Extraits
du film produit dans le cadre du Cinquantenaire
du lycée H. Parriat de Montceau sous l’égide des Anciens Élèves du Lycée,
présidente Dominique Gautheron.
(1) : Une plaquette éditée par la Délégation
Régionale à la Famille de Lyon, non
datée, est édifiante sur la place de la femme dans la société. Au regard de son
illustrateur, Liliane Christen, et de la teneur des commentaires (dont l’auteur
n’est pas mentionné), on peut en déduire que ce document fut produit entre 1941
et 1944, sous le Régime de Vichy. On note, par ailleurs que ces délégations
régionales de la famille ont connu une très courte existence. Liées au régime
de Pétain et créées au début de la Seconde Guerre mondiale, elles ont disparu à
la Libération.
(collection privée-lesbeauxdimanches.com)
(2) : On voit bien, en ce début de siècle, que même si les
compétences professionnelles de la femme commencent à être reconnues dans
l’Instruction publique, celle-ci ne doit pas oublier la place qui est la sienne
dans l’organisation patriarcale de la société de l’époque. En définitive, ce
nouveau programme ne sert-il pas qu’au développement des applications ménagères
que les filles feront à la cuisine, à la buanderie et au jardin, tâches
indispensables à leur rôle d’épouses et de mères de famille ?
Programme.
ECOLES NORMALES D'INSTITUTRICES (3e
année).
« Principes
généraux d'économie domestique.
« La science du ménage, ce qu'elle comprend, son
importance. — Qualités d'esprit et de caractère de la bonne ménagère.
« L'ordre : bonne disposition des objets, du temps, du
travail.
« L'ordre dans la dépense : les livres de la ménagère.
« Entretien
de la maison, du mobilier, des vêtements.
« La propreté dans la maison : planchers, murs,
vitres, literie, cuisine, privés, etc.
« Le choix et l'entretien des appareils de chauffage,
d'éclairage.
« Choix et entretien des principaux meubles.
« Le linge : lessive, blanchissage, repassage.
« Les vêtements : achat, entretien, confection,
détachage et raccommodage.
« Conseils généraux sur la toilette : les robes, les
chapeaux, les chaussures.
« L'alimentation.
« L'alimentation, les principales denrées, les
provisions.
« La cuisine : ustensiles de cuisine, le fourneau,
l'évier, la vaisselle.
« Le pot-au-feu, les soupes, les condiments gras, les
sauces.
« Viandes de boucherie : choix des morceaux, modes de
cuisson.
« Volailles, lapin, poisson.
« La pomme de terre, les légumes secs, pâtes
alimentaires.
« Les œufs : diverses manières de les préparer ; les
entremets.
« Les fruits, les compotes, les confitures.
« Les boissons : eau potable, vin, cidre, bière.
« Le lait, le thé,
le café, le chocolat. « Exemples de la préparation simultanée de la soupe, de
la viande et du légume.
« Le
jardin.
« Le jardin : emplacement, disposition des diverses cultures,
défoncement, irrigation, engrais.
« Culture potagère : les principaux légumes de la
maison.
« Arboriculture : plantation, taille et greffe des
arbres fruitiers. — Maladies des arbres.
« Culture florale : semis, bouturage, écussonnage,
disposition des corbeilles et des plates-bandes.
« Rôle
de la femme en agriculture.
« Administration intérieure, alimentation de la
famille, vêtements, hygiène rurale.
« La basse-cour, le poulailler et le pigeonnier, le
clapier, la laiterie, la porcherie, le rucher.
« Mode d'action et avantage des sociétés coopératives
de production.
« L'épargne. —
Principaux modes de placement de l'argent. ».
« Par-delà les enfants des écoles
primaires, les jeunes filles des cours complémentaires manuels et ménagers, les
élèves-maîtresses des écoles normales, c'est la famille qu'on entrevoit, c'est
le foyer domestique qu'on veut fortifier en donnant une culture spéciale à
celles qui en sont l'âme, à celles qui, suivant l'expression de Fénelon, «
ruinent ou soutiennent les maisons, règlent tout le détail des choses
domestiques, et par conséquent décident de ce qui touche de plus près à tout le
genre humain ». (http://www.inrp.fr/edition-electronique)
(3) : En 1890, un Cours complémentaire est
créé à Montceau pour les filles, sans nomination de maîtresses supplémentaires
(les cours complémentaires avaient été créés par la loi Goblet en 1886). La
Directrice, Mme Besseige, en assume la responsabilité, recevant une vingtaine
d’élèves désireuses d’obtenir le Brevet élémentaire ou de se présenter au
concours d’entrée à l’École Normale. En 1902, l’école de filles de la rue
Centrale compte 585 élèves, pour 12 classes et la Directrice est déchargée de
cours. 6 classes fonctionnent rue Carnot (on s’est servi du hall d’entrée pour
ouvrir la 6e classe) :
2 classes fonctionnent à l’Hôtel de ville,
1 classe fonctionne à la
maison Delhomme (plus tard magasin André),
1 classe fonctionne à la
maison Ligeron (rue St Eloi aujourd’hui rue Pierre Vaux),
1 classe fonctionne à l’École
Primaire Supérieure (place de l’Hôtel de ville, bâtiment démoli en 1956),
1 classe fonctionne à la
maison Giroux (rue de Chalon).
En juin 1902, les
constructions de 2 classes et de 2 préaux extérieurs sont envisagés pour chacun
des groupes scolaires. Les travaux sont adjugés au sieur J. B. Besseige
(entrepreneur, époux de Mme Besseige) pour la somme de 36 287,10 francs et
la commune reçoit une autorisation d’emprunt au Crédit Foncier de France au
taux de 3,75 %.
En 1904, on enregistre la
cession de matériel scolaire démodé par la Compagnie des Mines, à la suite des
fermetures de ses écoles.
En 1905, on construit, à
l’extrémité de la cour de chacune des 2 écoles, un bâtiment pour abriter 6
salles de classe qui permettront le regroupement des élèves dispersés dans la
ville.
En 1946, à la suite de la
nationalisation des houillères, les écoles appartenant encore à la Compagnie
des Mines (notamment les écoles dites « polonaises ») deviennent
propriété de la commune. Le cours complémentaire de filles, dont les effectifs
n’ont cessé de croître, s’installe alors dans les locaux de l’ancienne école
des Mines, dite école de l’Hôpital, en 1947. Rénové et doublé d’une
construction nouvelle, il est maintenant
le collège Saint-Exupéry. Seul subsistera rue Carnot un groupe primaire de 7
classes pour les élèves de 6 à 13 ans (du Cours Préparatoire à la classe de Fin
d’études).
Liste des directrices qui se
sont succédé à l’école de filles de Montceau-centre de 1881 à 1972 :
Madame Besseige :
Née Pierrette Roy en 1852.
Diplôme : « un modeste brevet élémentaire » écrit-elle elle-même
sur le registre matricule. Directrice de 1881 à 1911.
Madame Guinand :
Née Marie Carillon, en 1872.
Diplôme : brevet supérieur obtenu à l’École Normale de filles de Mâcon.
Directrice de 1911 à 1921.
Madame Lardery :
Née Françoise Larieppe en
1871. Diplôme : brevet supérieur obtenu à l’École Normale de filles de
Mâcon. Directrice de 1921 à 1928.
Madame Guérouet :
Née Jeanne Pernin en 1893.
Diplôme : brevet supérieur obtenu à l’École Normale de filles de Mâcon.
Directrice de 1928 à 1929.
Mademoiselle Gonniaud
Gabrielle :
Née en 1887. Diplôme :
brevet supérieur obtenu à l’École Normale de filles de Mâcon. Directrice de
1929 à 1941.
Madame Thomas :
Née Hélène Chevrot en 1901.
Diplôme : brevet supérieur obtenu à l’École Normale de filles de Mâcon.
Directrice de 1941 à 1957. À la rentrée 1947, lorsque le Cours complémentaire
fut transféré dans les locaux de l’ex-école des Mines, avenue de l’Hôpital,
Madame Thomas resta Directrice des 2 groupes : école primaire rue Carnot
et Cours complémentaire avenue de l’Hôpital.
Mademoiselle Lordon
Jeanne :
Née en 1915. Diplôme :
brevet supérieur obtenu à l’École Normale de filles de Mâcon. Directrice des 2
groupes de 1957 à 1960. (3)
Madame Ballot :
Née Bouffière Elise en 1908.
Diplôme : brevet supérieur obtenu à l’École Normale de filles de Mâcon.
Directrice du seul groupe primaire de la rue Carnot de 1960 à 1964.
Mademoiselle Servy
Alice :
Née en 1921. Diplôme :
brevet supérieur obtenu à l’École Normale de filles de Mâcon. Directrice du
groupe primaire de 1964 à son décès en 1969.
Madame Matrat :
Née Perraud Germaine en
1915. Diplôme : brevet élémentaire, ancienne institutrice de l’école des
Mines. Directrice de 1969 jusqu’au transfert de l’école de filles à l’école de
garçons rue Jean Jaurès en 1972. Madame Matra resta Directrice du groupe filles
jusqu’à sa retraite en 1973, conjointement avec Monsieur Moreau, directeur du
groupe garçons. En 1973, Monsieur Moreau sera Directeur du groupe mixte et il
ne sera plus question d’école de filles.
(4) : « L’ouverture au 15 septembre 1970
du nouveau collège Saint-Exupéry fut problématique, les travaux n’étant pas terminés
à temps. C’est donc dans le bâtiment de l’ancien CEG que les premiers cours ont
eu lieu, surveillés par une administration qui, elle aussi, avait été obligée
de s’installer dans ces mêmes locaux. La principale nommée pour ouvrir le
nouveau collège, Alice Besseyrias, fut remarquablement aidée par Jeanne Forest,
dernière directrice du Cours complémentaire devenu CEG. Jeanne Forest termina
du reste sa carrière comme principale adjointe du collège Saint-Exupéry. Le
personnel enseignant était composé d’anciennes enseignantes du CEG qui ne
reconnaissaient que l’autorité de Jeanne Forest, leur « patronne », ainsi
que de nouveaux professeurs nommés pour l’ouverture et qui eux se référaient à
l’autorité officielle de la principale. Cette situation a donné parfois lieu à
des quiproquos assez savoureux ! Mais petit à petit, tout le monde
fonctionna au mieux, la retraite de Jeanne Forest et l’augmentation du nombre
d’enseignant professeurs ou PEGC mit finalement tout le monde d’accord. » in https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2021/02/un-quinquagenaire-qui-cache-bien-des.html#:~:text=Le%20coll%C3%A8ge%20s'est%20construit,int%C3%A9rieur%20une%20cour%20de%20r%C3%A9cr%C3%A9ation.
Article du blog rédigé par Michel Billard, 2021.
(5) :
Témoignage de Mmes Forbault et Buob :
« Ces
profs nous dispensaient les cours techniques dans des locaux spacieux pour nous
apprendre le repassage, la coupe des tissus, la couture en général. Elles nous
faisaient préparer des patrons (modèles pour les vêtements) sur du papier
quadrillé, en nous installant sur de grandes et hautes tables. Ces patrons, une
fois posés sur le tissu bien à plat, permettaient de réaliser les dimensions
exactes grâce à une coupe aux ciseaux.
Nous
utilisions des machines à coudre « normales », puis des plus rapides,
destinées au travail en usine, comme les DAFR Style TURBO, trônant sur de
petites tables pour deux personnes assises.
Nous
en avons fait et refait, des points, des coutures, sur des « canés »
de calicot blancs apprêtés, des poches, des boutonnières passepoilées ou du
passepoil, tout simplement. Et des coutures à la machine, coutures plates,
rabattues, anglaises, parisiennes… N’oublions pas les points de bouclettes, des
points de croix, etc. (..)
Plus
tard, on nous apprit à confectionner nos vêtements et depuis je n’ai plus
quitté la machine à coudre ou une aiguille. N’oublions pas le repassage, comme
les garçons l’apprenaient à l’armée, avec le pliage au centimètre près… Nos
vêtements ? Jupe froncée, jupe droite ou légèrement évasée, peu de robes vu
notre âge. Nous n’étions pas encore entrées dans la « mode » ou dans
« l’élégance », mais bien plus dans la propreté, la correction, sans
pourtant négliger une grande part de coquetterie. La jeunesse n’était pas
encore débraillée, et pas un pauvre ne serait venu au Collège avec un pantalon
déchiré. Les Gueules noires ont leur fierté !
Les
cours de cuisine me passionnaient moins, les souvenirs se sont estompés, à part
un moment plutôt regrettable: le jour du C.A.P., avec comme épreuve la
préparation de tartelettes au citron avec une pâte brisée. Elle fut tellement
brisée, cette pâte, que je présentais un résultat nul, pourtant le goût plut à
l’examinatrice qui m’accorda le bénéfice de la partie pratique de l'examen.
En
revanche, pour les matières générales, la page s’écrivit autrement ! Mon point
faible, les matières générales, je ne le cache pas. Le prof aux beaux yeux
bleus ne se gêna pas pour me flanquer un zéro pointé en législation, ce qui ne
pardonne pas. Adieu le C.A.P.
Ces
profs, je m’en souviens comme si c’était hier : Madame Boulisset enseignait l’histoire et la géographie. Une
personne douce et très distinguée. À Madame Guinet revenait la lourde tâche de
nous initier aux mathématiques, à la physique chimie, aux sciences naturelles,
et une anecdote me revient à l’esprit. Dans l’amphithéâtre réservé à la chimie,
rempli de paillasses (grosses et longues
tables carrelées de blanc) il lui prend l’idée de requérir une élève volontaire
pour un "bandage de la tête ". Pourquoi ai-je levé le
doigt ? Bon, elle me bande la tête, et une fois cette opération terminée,
elle lance haut et fort « Que vous
êtes donc vilaine avec ce bandage ! ». J’étais vexée, mortifiée, mais on
ne m’y reprendra plus. Plus jamais je ne me porterai volontaire !
Je
me souviens aussi de Madame Portrat,
Mademoiselle Cabosse en
coupe-couture. Elle s’appellera bientôt Madame
Georges, deviendra Chef des Travaux. Je n'oublie pas Madame Swiller pour le repassage et la cuisine, ni Mlle Cabaton, future Madame
Turotowski, une prof de gym à l’expression sévère et autoritaire, assez
sèche. (..)
À
part ces matières, on nous donnait aussi des cours de dessin d'art. Madame Clouzot officiait dans un
préfabriqué implanté dans la cour des filles, derrière la loge du concierge.
Nous peignions nos productions sur de grandes feuilles de papier, avec une
peinture à l’eau de couleur prune, comme le tableau. Très à l’aise dans cette
matière, j’obtins la note de 14 au
C.A.P., une note inscrite juste à côté de mon zéro en législation. Pendant les
cours, Madame Clouzot peignait
également de grands tableaux, assise sur un tabouret. J’aimais ses
réalisations, elle appelait cela du pointillisme. À partir de modèles, nous
dessinions les femmes du siècle passé, dans leurs longues robes, coiffées d’une
manière superbe. J’ai conservé cet amour pour le dessin, l’admiration pour les
œuvres d’artistes. (..)
Nous
arrivons au seul homme de cette troupe, il s’agit de Monsieur Massal qui dispensait les cours de français, législation
et instruction civique. Très agréable, souriant, un visage rond et jovial, des
yeux bleu clair. Ah, ses yeux bleu clair ne l’ont pas empêché de me coller un
zéro en législation, me barrant la route du
C.A.P. À l’âge de 14 ans, je me tenais toujours au fond de la classe.
Une fois, à la fin d'un cours, Monsieur
Massal sort en laissant son paquet de cigarettes sur son bureau. Il fumait
beaucoup, des Marlboro, un paquet rouge. Il tourne les talons, je regarde dans
le paquet, il reste une cigarette. Un oubli de sa part, sans doute. Le tabac ne
m’a jamais tentée, je n’ai pas fumé cette cigarette, je l'ai donnée à une
camarade. (..).
Pendant
mes trois années de Collège nous avons quitté Montceau en bus pour des visites
intéressantes, ce qu’on appelait les sorties scolaires. Monsieur Pichon, le
surveillant général, nous a accompagnées à Lyon où nous avons visité les canuts
du quartier de la Croix Rousse à une grande période du travail de la soie. Je
découvrais un univers d’un autre temps, avec ses souffrances et ses révoltes,
des ouvriers dont l’action demeura fameuse furent les premiers peut-être à se
révolter. Ils s’insurgèrent contre un salaire de misère, comme les gilets
jaunes d’aujourd’hui, sans rien de comparable dans leur condition.
Nous
avons assisté à quelques démonstrations de tissage. Il me semble avoir vu
l’élevage des vers à soie, mais peut-être seulement sur des gravures. Je me
souviens des feuilles vertes de mûrier, des cocons jaunes, des chenilles blanches.
Une
autre fois le car nous a conduites à la fabrique d’allumettes de la S.E.I.T.A à
Mâcon. Débités par des machines, les troncs des grands peupliers se
transformaient en bâtonnets qui, une fois trempés dans le soufre, devenaient
des allumettes. Par la suite la législation interdit le soufre, trop dangereux.
Le
voyage à Dijon nous révéla chez AMORA les secrets de la fabrication de la
moutarde et la confection du chocolat LANVIN nous mit en appétit avant
d’arpenter les salles du palais des ducs de Bourgogne. »
Témoignage de Mme
Gonçalvez :
« En
section couture, j'étais une bonne élève, mais cela ne me plaisait pas
beaucoup. La couture ne m'a jamais emballée, pourtant j'étais douée, d'ailleurs
je faisais tous mes vêtements et ceux de ma sœur, à partir de patrons dessinés à nos mesures personnelles. C'était
top, car une fois le tissu coupé, pas besoin de retouches puisqu'il était à nos
mesures.
J'ai
fait une première année avec Madame Portrat, très sympa. Nous avions également
des cours de cuisine, repassage, couture, plus les autres cours
" normaux" de français, math, chimie, etc.
La
première année terminée, j'ai entamé la deuxième sans aucune conviction, mais
je l'ai menée à bien avec d'autres profs: Madame Georges et Madame Mielkorek.
Ces
années au lycée m'ont laissé les meilleurs souvenirs. Je parlais parfaitement
le français, j'avais pris de l'âge, j'avais des amies, ma mère ne pleurait
plus. La discipline était assez stricte, mais tout le monde était logé à la
même enseigne. J'ai été punie une seule fois. À l'atelier nous portions une
blouse de nylon couleur jaune, et au mois de juin, sous le grand marronnier de
la cour du lycée, je la déboutonne un peu. Tout à coup le hautparleur résonne,
M. Pichon, le surveillant général, crie au micro: « Mlle Gonçalves, au bureau ! » Le
résultat? Trois jours d'exclusion... (..)
Parfois
je pense à ce temps passé, les bons et les mauvais moments mais c'est la vie.
Mon père a cru bien faire en quittant son pays pour un autre. Mais sommes-nous
prêts à tout sacrifier pour une soi-disant liberté? Quand j'étais au C.P. je
faisais les devoirs en pensant à mes années au Portugal. Dans ma tête le
français se mélangeait au portugais et c'est comme ça que je me suis
construite, deux nationalités si différentes et pourtant je me suis bien
approprié mon nouveau pays et aujourd'hui je suis un mélange des deux pays, le
Portugal qui m'a vu naître et la France où j'ai grandi et vécu la liberté. Mais
au fond de moi, j'ai cette nostalgie qui ne me quitte pas, en portugais cela
s'appelle "Sandades". Joséphine Baker chantait: "J'ai deux amours, mon pays et Paris".
Moi aussi je pourrais chanter : j'ai deux amours, mon pays et la France (avec
un petit plus pour mon pays, c'est normal). Mes racines sont là-bas. Je dis
souvent que je suis une enfant déracinée, et mon corps le vit tel quel. France
terre d'asile, d'accueil, mais autrefois c'était plus dur qu'aujourd'hui ou
alors, étant enfant, je ne voyais pas les choses comme aujourd’hui. »
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