vendredi 3 janvier 2025

 

La chasse à l'enfant

De Jacques Prévert



BONNE ANNEE 2025

Nouvelle année, nouveau souhait

On attribue à Victor Hugo la citation « Ouvrir une école, c’est fermer une prison », il aurait pu prononcer ces mots, lui qui disait, en son temps, que la prison ne répondait pas à son objectif principal : l’amendement des condamnés, et que l’instruction par l’école publique était seule capable de jouer un rôle préventif. À la fin du 19e et au début du 20e siècle, La réalité était bien plus cruelle encore pour les enfants délinquants. Jacques Prévert en fit un poème à la suite des événements tragiques qui sont relatés dans cet article. Les valeurs de l’école de la République : éduquer, émanciper, partager la culture, promouvoir la démocratie, restent d’une cruciale actualité. Meilleurs vœux pour 2025.


La chasse à l’enfant

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l'île on voit des oiseaux
Tout autour de l'île il y a de l'eau
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu'est-ce que c'est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Il avait dit j'en ai assez de la maison de redressement
Et les gardiens à coups de clefs lui avaient brisé les dents
Et puis ils l'avaient laissé étendu sur le ciment
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Maintenant il s'est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes les touristes les rentiers les artistes
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Pour chasser l'enfant, pas besoin de permis
Tous les braves gens s'y sont mis
Qu'est-ce qui nage dans la nuit
Quels sont ces éclairs ces bruits
C'est un enfant qui s'enfuit
On tire sur lui à coups de fusil
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Tous ces messieurs sur le rivage
Sont bredouilles et verts de rage
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Rejoindras-tu le continent
Rejoindras-tu le continent !
Au-dessus de l'île on voit des oiseaux
Tout autour de l'île il y a de l'eau.

Jacques Prévert, 1936


Lors d’un repas du soir à la colonie pénitentiaire de Haute-Boulogne de Belle-Île-en-Mer, bagne pour enfants, un jeune garçon, par tentation, par provocation, comme l’affirmèrent les gardiens, mord dans sa part de fromage avant d’avoir terminé sa soupe. Ce geste, interdit par le règlement, lui vaut une sanction immédiate : il est jeté à terre et roué de coups de poing et de pied par deux surveillants qui s’acharnent sur lui. Les autres enfants se révoltent et une émeute éclate, 55 d’entre eux (56 ? selon les sources) tentent l’évasion. Aussitôt, l’administration organise une battue, comment pouvaient-ils s’échapper d’une île perdue au milieu des flots ? Les habitants sont mobilisés ainsi que les touristes présents, 20 francs de prime leur seront versés pour chaque enfant qu’ils ramèneront… Jacques Prévert est présent et assiste, horrifié, au départ de tous ces « braves gens, dira-t-il, y compris les mères de famille et les curés, armés de fusils et de fourches, qui vont traquer dans les buissons, dans les taillis et les grottes, des gamins effrayés. »

De cette sinistre histoire, dont les journaux se feront écho dès septembre 1934 (1), Jacques Prévert tirera une poésie-plaidoyer contre la maltraitance des enfants des colonies pénitentiaires : « La chasse à l’enfant ». Ce poème sera mis en chanson. Prévert et son ami Marcel Carné, tourneront un film sur ce fait divers, à Belle-Île-en-Mer. Jacques en sera le scénariste. Le tournage de cette grosse production (« La Fleur de l’âge »), avec Arletty, Martine Carole, Serge Reggiani et Anouk Aimée (15 ans à l’époque), dura plusieurs années, rencontra maintes difficultés et ne vit finalement jamais le jour… Mais les esprits furent alertés sur la réalité des bagnes pour enfants, « fabrique de bêtes sauvages irrécupérables », « colonies » pour des sans famille souvent victimes des bouleversements engendrés par la révolution industrielle. Enfants perdus dont la société n’a que faire et qui, pour la plupart, furent enfermés pour simple vagabondage.

Cliquez sur l’image pour voir la vidéo

Version très « réaliste », chantée par Marianne Oswald, digne héritière Fréhel et Damia, en 1936

Revoir l’article du blog et son annexe sur la colonie-bagne pour enfant de l’île du Levant : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2021/09/dossier-de-rentree-les-jolies-colonies.html#more

Source des articles de presse :

 - retronews.fr, site de presse de la BnF.

Patrick PLUCHOT

(1) : Articles de journaux choisis parmi d’autres :

L’Intransigeant du 11 septembre 1934 : 









Le Petit Journal du 25 septembre 1934 : 





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