mardi 25 avril 2017

Histoire de Jules, écolier de 1900 (VII)


« Petite histoire d’un écolier d’autrefois  expliquée aux enfants d’aujourd’hui »


CHAPITRE VII
 « A chacun son mérite ! »

Quelle histoire ! Comment tout retenir, tout respecter ? La distraction n’est pas de mise, on risque gros à laisser ses pensées vagabonder ou à sortir des sentiers battus de l’instruction. Un arsenal de punitions est là pour le rappeler. Jules ne l’a jamais porté mais le bonnet d'âne en faisait partie au même titre que tapes, oreilles tirées, coups de baguette sur les doigts, mise à genoux ou au coin (même si les châtiments corporels sont strictement interdits dès les premières lois Ferry), tours de cour ("pelote"), cahiers au dos, conjugaisons, retenues à midi ou le soir...



Fabriqué par le maître, le bonnet était habituellement en papier, plié de façon à former deux cornes ou oreilles : l'élève ainsi coiffé devenait "l'âne de la classe". On cherchait quelquefois à se débarrasser de l'infamante coiffure en la faisant disparaître, comme le prouve le bonnet en coton retrouvé sous le plancher d'une classe désaffectée (bonnet qui a servi de modèle pour la confection de celui du musée de la Maison d’Ecole). Le bonnet d'âne était en principe destiné aux garçons.

Quant aux filles - généralement taxées de bavardage - elles étaient souvent affublées d'une langue de bœuf en carton rouge, accrochée dans le dos. A défaut d'accessoires humiliants, certains enseignants ne manquaient pas d'imagination. Ainsi à Marcilly-les-Buxy, vers 1900, la fillette punie était envoyée, bras croisés, dans un angle de la classe; la maîtresse relevait le tablier jupon de la bavarde au-dessus d'elle, enserrant bras et tête dans ce "cabinet noir" improvisé... jusqu'à ce qu'une autre infortunée prenne sa place. Au cours du XXème siècle, les punitions se sont transformées en d'innombrables lignes à copier ou verbes à conjuguer. Et l'humour reprend ses droits quand l'enfant conjugue au futur le plus sérieusement du monde : « bavarder quand le maître a le dos tourné ».

Dessin de Ray-Lambert, illustrateur de manuels scolaires notamment de « Au Pays Bleu », livre de lecture-roman de Edouard Jauffret

Si Jules est bon élève, sage et appliqué, il sera récompensé. Aux débuts de l'école publique, les récompenses étaient des plus platoniques. Les "Témoignages de satisfaction" (très bien, bien ou assez bien, de couleurs différentes) étaient soit neutres, comportant seulement les noms, classe de l'élève et date de l'obtention, soit illustrés de maximes morales ou éducatives.

Témoignage de Satisfaction, école de Mary, 71 (collection musée)

Après les années 20, on attribuait des bons-points à la manière des primes du commerce : 10 bons-points = 1 petite image; 20 petites images = 1 grande image... Quand, à son tour ce système disparaîtra, certains parents en seront fort déroutés. Comme le soulignait avec conviction l'un d'eux s'adressant à l'Inspecteur Primaire : "C'est normal qu'on encourage avec des bons-points puis avec des images; à la Mine, on donne des primes au mineur qui atteint le plus fort rendement"...


Bon-point ville de Paris (collection privée)

Les plus méritants auront droit à la Croix d'Honneur : parfois agrémentée d'un ruban rouge et frappée au sceau du mérite, celle-ci était accrochée à la poitrine du bon élève, souvent en fin de semaine pour que cet écolier promu puisse l'exhiber fièrement auprès de ses proches. Elle était restituée le lundi et remise en compétition afin que d'autres puissent à leur tour faire leurs preuves. 


Bon-point ville de Paris (collection privée)

Les maîtresses et les maîtres, eux non plus, n’échappaient pas aux contraintes de l’évaluation. Un corps d’inspection était chargé du contrôle du bon fonctionnement des écoles. A l’époque, Monsieur l'Inspecteur vit à l'ombre de la sous-préfecture. Il se déplace par chemin de fer, mais il ne craint pas d'aller à bicyclette d'un point à l'autre de sa circonscription, quel que soit le temps, canicule ou frimas.

Dès 1835, les inspecteurs de l'enseignement primaire se mettent à arpenter les campagnes : "Il arrivait qu'alors et une fois par an, venait s'abattre au milieu de l'école, comme le grec de Marathon au milieu d'Athènes, un enfant d'une dizaine d'années, les cheveux collés aux tempes, tant la sueur était abondante, les joues écarlates tant la course furieuse avait fouetté le sang». Le grec, c'est-à-dire l'enfant essoufflé, mourant, tendait à l'instituteur du lieu une lettre qui n'était pas toujours scellée d'un cachet noir, mais qui aurait toujours dû l'être, car elle était des plus néfastes que notre maître d'école pût recevoir. 

La lettre contenait rarement plus que cette phrase traditionnelle pour les 30 000 instituteurs de la France d'alors : "L'Inspecteur sort d'ici et va chez vous; prenez vos mesures. Votre collègue affectionné. (..) L'instituteur qui, à la vue de l'enfant, avait ressenti les premières atteintes d'un tremblement convulsif, devenait livide  et se mettait à s'agiter des pieds à la tête, ni plus ni moins que s'il venait de passer dix ans dans les marais pontins... On entendait ses mains et ses dents s'entrechoquer avec un bruit grêle qui donnait la chair de poule aux plus incorrigibles marmots. Cependant, avec un suprême effort, il faisait l'annonce de la nouvelle fatale. Sa voix n'avait plus rien d'humain : "Mes enfants... Monsieur l'Inspecteur... va arriver. Vite ! Préparez vos cahiers et vos livres." (..) Pendant que les uns faisaient couler sur leurs visages et sur leurs mains un fleuve de salive destiné à leur rendre la pureté baptismale, les autres s'emparaient des plumes et des crayons à leur portée et les transformaient en peignes pour les cheveux. L'instituteur un peu remis pensait, lui, à la salle de classe. Il époussetait par ci... il balayait par là... partout il avait l’œil..." ("Scènes de la Vie d’un Instituteur" P.Luiz, 1868). 

Le contrôle de la propreté des mains (collection privée)

On voit bien que même les enseignants étaient soumis à la pression de leur métier, au sein de leur école pour une part, mais aussi à l’extérieur de celle-ci, notamment dans les régions où l’école religieuse était déjà implantée. L’intégration dans la société qui les accueillait ne fut pas toujours facile :

"Les témoignages qui ont le plus marqué mon enfance se rapportent à l'époque des laïcisations, lorsque ma mère fut nommée dans le canton de Charolles, en 1903 ou 1904. Seules les religieuses en habit enseignaient les filles de la localité. Elle y créait donc l'école laïque. Tout de suite ce fut la guerre... En chaire, le curé se déchaîna contre la nouvelle école et tout ce qui s'y rattachait. Maîtres, parents, élèves furent voués à l'enfer. A l'église, le petit groupe des laïques (5 à 10 élèves) fut parqué loin des élues (une trentaine) qui continuaient à aller chez les sœurs. Au catéchisme, mêmes avanies. Bien que je fusse beaucoup plus calé en instruction religieuse que les petits paysans qui m'entouraient, j'étais maintenu dans un rang médiocre. Il ne convenait pas que le fils de la laïque fût reconnu meilleur que les autres ! C'est là que j'ai commencé à douter de la justice divine et à perdre la foi..." (F.C, 1893, Saône-et-Loire). 

Rapport d'inspection de M. Maringue, Directeur d'école à Saint-Vallier, 71 (collection musée)

Dans d’autres bourgades, les choses furent plus faciles : "Nous étions, mes parents et moi, très étroitement mêlés à la vie du village, nous étions invités à tous les mariages, associés à tous les deuils. Nous étions "la dame, le monsieur et la demoiselle". Il faut reconnaître d'ailleurs que les conditions de vie chez les ménages d'instituteurs étaient plus confortables que celles des cultivateurs et des ouvriers qui les entouraient. On y mangeait mieux; on y était mieux vêtu; on était les seuls au village ou à peu près à posséder des lits à sommiers et matelas; chez les autres il y avait des paillasses et des lits de plumes." (Mme F, 1893, Saône et Loire, d'après M. Ozouf, L'école de la France).

Instructions pour l'inspection des maîtres (collection privée)

A suivre…

P.P







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