« Petite histoire d’un écolier
d’autrefois expliquée aux enfants
d’aujourd’hui »
CHAPITRE
VII
« A chacun son mérite ! »
Quelle histoire !
Comment tout retenir, tout respecter ? La distraction n’est pas de mise,
on risque gros à laisser ses pensées vagabonder ou à sortir des sentiers battus
de l’instruction. Un arsenal de punitions est là pour le rappeler. Jules ne l’a
jamais porté mais le bonnet d'âne en faisait partie au même titre que tapes,
oreilles tirées, coups de baguette sur les doigts, mise à genoux ou au coin
(même si les châtiments corporels sont strictement interdits dès les premières
lois Ferry), tours de cour ("pelote"), cahiers au dos, conjugaisons,
retenues à midi ou le soir...
Fabriqué par le maître, le
bonnet était habituellement en papier, plié de façon à former deux cornes ou
oreilles : l'élève ainsi coiffé devenait "l'âne de la classe". On
cherchait quelquefois à se débarrasser de l'infamante coiffure en la faisant
disparaître, comme le prouve le bonnet en coton retrouvé sous le plancher d'une
classe désaffectée (bonnet qui a servi de modèle pour la confection de celui du
musée de la Maison d’Ecole). Le bonnet d'âne était en principe destiné aux
garçons.
Quant aux filles -
généralement taxées de bavardage - elles étaient souvent affublées d'une langue
de bœuf en carton rouge, accrochée dans le dos. A défaut d'accessoires
humiliants, certains enseignants ne manquaient pas d'imagination. Ainsi à
Marcilly-les-Buxy, vers 1900, la fillette punie était envoyée, bras croisés,
dans un angle de la classe; la maîtresse relevait le tablier jupon de la
bavarde au-dessus d'elle, enserrant bras et tête dans ce "cabinet
noir" improvisé... jusqu'à ce qu'une autre infortunée prenne sa place. Au
cours du XXème siècle, les punitions se sont transformées en d'innombrables
lignes à copier ou verbes à conjuguer. Et l'humour reprend ses droits quand
l'enfant conjugue au futur le plus sérieusement du monde : « bavarder
quand le maître a le dos tourné ».
Si Jules est bon élève, sage
et appliqué, il sera récompensé. Aux
débuts de l'école publique, les récompenses étaient des plus platoniques. Les
"Témoignages de satisfaction" (très bien, bien ou assez bien, de
couleurs différentes) étaient soit neutres, comportant seulement les noms,
classe de l'élève et date de l'obtention, soit illustrés de maximes morales ou
éducatives.
Après les années 20, on
attribuait des bons-points à la manière des primes du commerce : 10 bons-points
= 1 petite image; 20 petites images = 1 grande image... Quand, à son tour ce
système disparaîtra, certains parents en seront fort déroutés. Comme le
soulignait avec conviction l'un d'eux s'adressant à l'Inspecteur Primaire : "C'est
normal qu'on encourage avec des bons-points puis avec des images; à la Mine, on
donne des primes au mineur qui atteint le plus fort rendement"...
Les plus méritants auront
droit à la Croix d'Honneur : parfois agrémentée d'un ruban rouge et frappée au
sceau du mérite, celle-ci était accrochée à la poitrine du bon élève, souvent en
fin de semaine pour que cet écolier promu puisse l'exhiber fièrement auprès de
ses proches. Elle était restituée le lundi et remise en compétition afin que
d'autres puissent à leur tour faire leurs preuves.
Les maîtresses et les
maîtres, eux non plus, n’échappaient pas aux contraintes de l’évaluation. Un
corps d’inspection était chargé du contrôle du bon fonctionnement des écoles. A
l’époque, Monsieur l'Inspecteur vit à l'ombre de la sous-préfecture. Il se
déplace par chemin de fer, mais il ne craint pas d'aller à bicyclette d'un
point à l'autre de sa circonscription, quel que soit le temps, canicule ou
frimas.
Dès 1835, les inspecteurs de
l'enseignement primaire se mettent à arpenter les campagnes : "Il
arrivait qu'alors et une fois par an, venait s'abattre au milieu de l'école,
comme le grec de Marathon au milieu d'Athènes, un enfant d'une dizaine
d'années, les cheveux collés aux tempes, tant la sueur était abondante, les
joues écarlates tant la course furieuse avait fouetté le sang». Le grec,
c'est-à-dire l'enfant essoufflé, mourant, tendait à l'instituteur du lieu une
lettre qui n'était pas toujours scellée d'un cachet noir, mais qui aurait
toujours dû l'être, car elle était des plus néfastes que notre maître d'école
pût recevoir.
La lettre contenait rarement plus que cette phrase traditionnelle pour les 30 000 instituteurs de la France d'alors : "L'Inspecteur sort d'ici et va chez vous; prenez vos mesures. Votre collègue affectionné. (..) L'instituteur qui, à la vue de l'enfant, avait ressenti les premières atteintes d'un tremblement convulsif, devenait livide et se mettait à s'agiter des pieds à la tête, ni plus ni moins que s'il venait de passer dix ans dans les marais pontins... On entendait ses mains et ses dents s'entrechoquer avec un bruit grêle qui donnait la chair de poule aux plus incorrigibles marmots. Cependant, avec un suprême effort, il faisait l'annonce de la nouvelle fatale. Sa voix n'avait plus rien d'humain : "Mes enfants... Monsieur l'Inspecteur... va arriver. Vite ! Préparez vos cahiers et vos livres." (..) Pendant que les uns faisaient couler sur leurs visages et sur leurs mains un fleuve de salive destiné à leur rendre la pureté baptismale, les autres s'emparaient des plumes et des crayons à leur portée et les transformaient en peignes pour les cheveux. L'instituteur un peu remis pensait, lui, à la salle de classe. Il époussetait par ci... il balayait par là... partout il avait l’œil..." ("Scènes de la Vie d’un Instituteur" P.Luiz, 1868).
La lettre contenait rarement plus que cette phrase traditionnelle pour les 30 000 instituteurs de la France d'alors : "L'Inspecteur sort d'ici et va chez vous; prenez vos mesures. Votre collègue affectionné. (..) L'instituteur qui, à la vue de l'enfant, avait ressenti les premières atteintes d'un tremblement convulsif, devenait livide et se mettait à s'agiter des pieds à la tête, ni plus ni moins que s'il venait de passer dix ans dans les marais pontins... On entendait ses mains et ses dents s'entrechoquer avec un bruit grêle qui donnait la chair de poule aux plus incorrigibles marmots. Cependant, avec un suprême effort, il faisait l'annonce de la nouvelle fatale. Sa voix n'avait plus rien d'humain : "Mes enfants... Monsieur l'Inspecteur... va arriver. Vite ! Préparez vos cahiers et vos livres." (..) Pendant que les uns faisaient couler sur leurs visages et sur leurs mains un fleuve de salive destiné à leur rendre la pureté baptismale, les autres s'emparaient des plumes et des crayons à leur portée et les transformaient en peignes pour les cheveux. L'instituteur un peu remis pensait, lui, à la salle de classe. Il époussetait par ci... il balayait par là... partout il avait l’œil..." ("Scènes de la Vie d’un Instituteur" P.Luiz, 1868).
On voit bien que même les
enseignants étaient soumis à la pression de leur métier, au sein de leur école
pour une part, mais aussi à l’extérieur de celle-ci, notamment dans les régions
où l’école religieuse était déjà implantée. L’intégration dans la société qui
les accueillait ne fut pas toujours facile :
"Les témoignages qui
ont le plus marqué mon enfance se rapportent à l'époque des laïcisations,
lorsque ma mère fut nommée dans le canton de Charolles, en 1903 ou 1904. Seules
les religieuses en habit enseignaient les filles de la localité. Elle y créait
donc l'école laïque. Tout de suite ce fut la guerre... En chaire, le curé se
déchaîna contre la nouvelle école et tout ce qui s'y rattachait. Maîtres,
parents, élèves furent voués à l'enfer. A l'église, le petit groupe des laïques
(5 à 10 élèves) fut parqué loin des élues (une trentaine) qui continuaient à
aller chez les sœurs. Au catéchisme, mêmes avanies. Bien que je fusse beaucoup
plus calé en instruction religieuse que les petits paysans qui m'entouraient,
j'étais maintenu dans un rang médiocre. Il ne convenait pas que le fils de la
laïque fût reconnu meilleur que les autres ! C'est là que j'ai commencé à
douter de la justice divine et à perdre la foi..."
(F.C, 1893, Saône-et-Loire).
Dans d’autres bourgades, les
choses furent plus faciles : "Nous étions, mes parents et moi,
très étroitement mêlés à la vie du village, nous étions invités à tous les
mariages, associés à tous les deuils. Nous étions "la dame, le monsieur et
la demoiselle". Il faut reconnaître d'ailleurs que les conditions de vie
chez les ménages d'instituteurs étaient plus confortables que celles des
cultivateurs et des ouvriers qui les entouraient. On y mangeait mieux; on y
était mieux vêtu; on était les seuls au village ou à peu près à posséder des
lits à sommiers et matelas; chez les autres il y avait des paillasses et des
lits de plumes." (Mme F, 1893, Saône et Loire, d'après M. Ozouf,
L'école de la France).
A suivre…
P.P
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