Les
conférences du Musée de la Maison d’Ecole
Photo Mission du Centenaire
Trente
ans d’histoire de l’école
Conférence d’Antoine PROST à L’embarcadère de Montceau-les-Mines :
Antoine Prost est ancien élève de
l'ENS, agrégé d'histoire et docteur ès-lettres. Il a été professeur à Sciences-
Po et à l'université de Paris I dont il a dirigé le Centre d'histoire sociale,
laboratoire associé au CNRS. Historien de la société française, il s’est intéressé
au rôle qu’y jouent les associations, notamment les syndicats ouvriers et les
associations d’anciens combattants. Plus récemment, il a réfléchi à la nature
de sa discipline (Douze leçons sur l'histoire, 1996) et à son évolution (Penser
la Grande Guerre : un essai d'historiographie, 2004). Dans ce cadre général, il
a consacré plusieurs livres à l'enseignement notamment le tome IV (depuis 1930)
de l’Histoire de l’enseignement et de l’éducation (réédité en poche, 2004) et
Education, société et politiques, une histoire de l’enseignement depuis 1945.
Cet intérêt s'est étendu à l'éducation familiale, avec le tome V de l'Histoire
de la vie privée (1987), ainsi qu’à la sociologie et à la pédagogie
(L'enseignement s'est-il démocratisé ?, 1992 ; Eloge des pédagogues, 1985). A.Prost a participé comme expert à plusieurs
rapports officiels dont celui de la commission Joxe sur La fonction enseignante
dans le second degré (1972), celui sur Les lycées et leurs études au seuil du
XXI° siècle (1983) et en 2001 : Pour un programme stratégique de recherche
en éducation. Plus récemment, il fut nommé Président du Conseil scientifique de
la Mission du Centenaire 14-18.
Thème
de la conférence :
Les
réformes des années soixante préfigurent la reconfiguration de l’Education
nationale. Le système éducatif dans lequel nous vivons résulte d’une série de
réformes, conduites dans les années 1960 et achevées en 1975 et 1985. Ces
réformes ont complètement transformé l’Education nationale, pour l’adapter à la
prolongation massive des scolarités. Elles ont mis en place un système qui, sur
tous les plans, diffère du système républicain, édifié entre 1880 et 1902,
auquel il est désormais totalement vain de se référer, tant les différences
sont profondes. L’organisation des études et des établissements (écoles,
collèges, lycées) n’est que la plus connue de ces transformations. Mais la
pédagogie et l’administration ont-elles aussi changé. Les difficultés actuelles
du système scolaire s’expliquent en grande partie par les choix qui ont présidé à cette reconfiguration.
Propos : (Le
texte transcrit n’a pas pu être relu par l’auteur.)
« Merci aux
organisateurs qui me permettent aujourd’hui de vous présenter les résultats
d’un certain nombre de recherches ou de travaux qui ne sont encore pas
terminés.
Je veux montrer que le
système scolaire dans lequel nous vivons aujourd’hui est nouveau par rapport à
celui qui existait avant bien qu’il soit né dans les années 1960 où il y a eu une reconfiguration de notre
système d’enseignement.
Dans un deuxième temps, je
vous dirai comment les problèmes que nous connaissons aujourd’hui ont pour origine
les décisions qui ont été prises à l’époque. Le système a des problèmes constitutifs et ils datent de son
origine.
1 : La reconfiguration :
Pour l’aborder, je vous ai
apporté 3 graphiques qui représentent chaque fois l’ensemble des établissements
d’enseignement public français par établissement, par âge des élèves et
par nombre d’élèves. Donc : le volume des élèves, leur âge, les
établissements dans lesquels ils sont, 3 graphiques à 20 ans d’intervalle.
1958-1959 :
Que constate-t-on sur ce
graphique ?
-
On trouve du préscolaire en maternelles et en
primaire sous forme de classes enfantines
-
Les écoles primaires ont toutes des classes de fin
d’études
-
Les cours complémentaires ont des sections générales et
des sections techniques
Les Centres d’apprentissage préparent au CAP.
-
Lycées techniques
avec 1er et 2e cycles
-
Lycées avec la totalité du cycle (maternelles, primaires,
1er et 2e cycles).
20 après 1978-1979 :
-
Les classes enfantines existent toujours, mais les
maternelles sont en nette augmentation
-
Plus de chevauchement à 6 ans dans le primaire.
-
Primaire nettement délimité.
-
Le collège a pris tout le 1er cycle
-
Lycées à 1 million
d’élèves.
20 ans après
1998-1999 :
-
Même type de schéma
-
Emboîtements plus faibles.
-
Les limites d’âge pour passer du collège
au lycée ou du primaire au lycée sont beaucoup plus prégnantes et augmentation
des lycées et des LP. On a plus d’élèves dans un système qui existait déjà
depuis 20 ans.
Entre 1958 et 1978 il s’est
passé quelque chose d’essentiel : la substitution d’une logique de
niveau → école – collège – lycée, à une logique de filière →
primaire, technique, secondaire. Ce système a changé fondamentalement dans les
années 1960.
1er
changement par rapport à établissement et scolarité :
- Ordonnance du 6 janvier
1959 qui prolonge à 16 ans la scolarité obligatoire car le gouvernement a pris
conscience que le niveau de formation de
la population était insuffisant. Simultanément on crée un cycle d’observation
de 2ans, 6e et 5e pour permettre aux élèves de choisir
leur orientation ultérieure. Car les travaux des sociologues de l’époque ont
montré que les orientations des élèves sont le résultat d’un choix purement
social et qui ne correspond en rien aux qualités intellectuelles et de réussite
scolaire, aux désirs ni aux aptitudes des élèves. A réussite égale en primaire,
les enfants des classes supérieures passent massivement au lycée tandis que les
enfants des classes défavorisées modèrent leurs ambitions et l’on a des
différences de taux de fréquentation en 6e de lycée nettement
inférieures à niveau de réussite égale (2/3 pour 1/3). Ce cycle
d’observation, au bout duquel on doit en principe choisir son orientation, est
prévu pour lutter contre ces inégalités scolaires. L’administration s’aperçoit
très vite que les élèves continuent là où ils sont doués. Le cycle
d’observation ne permet pas une véritable orientation. Pour remédier à cela
parution du décret du 4/08/1963 : on crée les CES (collèges d’enseignement
secondaire) et l’on conçoit le processus d’observation et d’orientation sur 4
années qui sera développé soit en CEG
(collège d’enseignement général) (primaire supérieur) ou en CES. La différence
essentielle est dans la carte scolaire car ces établissements sont prévus pour avoir
à chaque niveau 3 classes différentes de
manière à permettre l’orientation sans changer d’établissement mais de
filière à l’intérieur d’un même établissement. Le CES de 1963 c’est déjà le
collège unique de Monsieur Haby. Cette rationalisation de la carte scolaire est
l’œuvre de Jean Ferrez (Inspecteur Général).
Autres
évolutions notables :
- Les lycées et les facultés sont touchés par la
restructuration de 1960.
- Au lycée : problème
de sélection : Il y a trop de monde, en conséquence de quoi le passage du
baccalauréat et les facultés vont être submergés par des élèves qui n’ont pas
le niveau. Le niveau baisse déjà. On parle de démagogie ambiante et de
faiblesse des exigences des jurys d’examen.
- Sous les gouvernements «
De Gaulle » : on élargit la base, on démocratise l’accès aux études,
mais au fur et à mesure, on sélectionne notamment à l’université qui est conçue
pour une élite et dont ceux qui n’ont pas le niveau sont immédiatement exclus.
- Fouchet, Ministre de
l’Education Nationale dit : « si on veut les exclure il faut qu’ils aient la possibilité d’avoir
des filières de dérivation en particulier dans l’enseignement technique ».
- On est dans une logique de
renforcement des examens et il ne faut pas admettre à l’université tous les
bacheliers.
- La faculté, en 1960,
adopte le cursus suivant : 1 an de propédeutique, puis licence en 2 ans.
Personne n’est satisfait du déroulement de la 1e année (littéraires
et sciences) et les problèmes de crédits s’accumulent.
- Peu à peu, o remédie à la
situation en organisant le cursus différemment : l’enseignement supérieur est
divisé en 3 cycles de 2 ans et l’on supprime propédeutique. La réforme du
second cycle des lycées, qui reste trop général, s’impose donc : bac en
2ans, Philo, Math Elem, et sciences ex.
- Le 1er bac est
de fait un palier d’orientation.
- L’idée est que, puisqu’on
supprime propédeutique, on puisse concevoir le second cycle de manière beaucoup
plus spécialisé avec des filières depuis la seconde. Donc on crée de nouveaux
bacs et l’on réforme tout l’enseignement des lycées en 1965.
- Parallèlement, en 1966, on
crée les IUT (instituts universitaires de technologie) comme filière de
dérivation pour les bacheliers qui n’iront pas en faculté. Conseil restreint du
4 avril 1966 décide que le bac ne donnera plus systématiquement le droit de
s’inscrire en faculté. On met en place une sélection pour aller en faculté de
sciences, il faudra une bonne note au bac scientifique.
Les événements de Mai 1968
vont de fait annuler cette décision et il ne sera plus question de sélection. L’organisation générale du premier cycle, du
second cycle et du supérieur va subsister. Dans ce système, il était prévu que
l’orientation décisive se fasse à la sortie de la 3e et c’est
pourquoi on créa des baccalauréats de techniciens et le BEP (brevet d’études
professionnelles), on avait en perspective la suppression du CAP. Mais le
marché du travail continue à proposer des offres au niveau du CAP et la
préparation de ce dernier résiste, et avec elle, conjointement, le pallier
d’orientation de la fin de 5ième.
On
constate également toute une série d’autres transformations :
- En primaire : la
mixité s’institutionnalise en 1958-1959 : en 1959, 73000 écoles dont 51000
non mixtes et en 1972, 53000 écoles dont 8875 non mixtes.
- On a lutté contre la traditionnelle
classe unique de nos campagnes qui va progressivement rentrer dans des
RPI (regroupements pédagogiques intercommunaux). La doctrine
devient : « chaque âge = un niveau ».
- La Circulaire de
1965 fixe le groupe scolaire à partir de 5 classes.
- L’organisation du primaire
s’aligne sur le secondaire.
- La baisse du nombre de
classes uniques affirme la distinction très nette entre les écoles maternelles
et les écoles primaires (fin des classes enfantines).
- Au niveau des
enseignements, apparition du 1/3 temps pédagogique et des disciplines d’éveil.
L’école primaire réalise qu’elle n’est plus la seule école pour assurer la
formation des enfants du peuple, après elle, il y a le collège qui devra
s’adapter à de nouvelles tâches.
L’administration
aussi évolue :
- En 1945 : dans
l’ensemble des rectorats français, il y a 300 fonctionnaires.
- En 1969 : il y en a
3000.
Devant la croissance énorme
des effectifs scolarisables, on n’a pas pu continuer à diriger l’Education
Nationale depuis le ministère. En 1962, les rectorats reçoivent la tutelle
administrative et financière des
établissements secondaires. On organise aussi, à cette époque, les corps
d’administrateurs de l’Education Nationale : les CASU sont créés en
1962 et en 1973, on crée les corps d’orientation.
Pourquoi
la reconfiguration est-elle à l’origine de nos problèmes ? :
Le nœud décisif est le
collège avec la prolongation de la scolarité à 16 ans. La société
française de cette époque demande bien
un prolongement de la scolarité (les gens ayant plus de moyens ne sont plus
pressés de mettre leurs enfants au travail). Mais cette demande sociale de
scolarité supplémentaire est une demande de type « primaire
supérieur » comme on les a connus dans les collèges communaux et pas de
type secondaire comme on l’aurait voulu.
Pourquoi
a-t-on répondu de cette façon-là ?
1963, La direction des
programmes du ministère pense créer le corps de professeur de collège, formé en
2 ans après le bac : les PEGC (professeurs d’enseignement général de
collège), tous issus du corps des instituteurs.
On met donc dans les mêmes
collèges des professeurs d’enseignement long et des professeurs d’enseignement court.
En 1986, on arrête le
recrutement des PEGC.
On n’a pas su mettre en
place ce corps d’enseignants spécifiques du collège qui devait être conçu
comme un métier ayant des compétences
particulières.
On fit face à des oppositions
catégorielles (PEGC/Certifiés) certes, mais aussi à des oppositions au
changement pédagogique. Ce changement programmé avant les événements de 1968
sera refusé par la suite. Le débat autour de la rénovation pédagogique a
toujours engendré des clivages politiques et catégoriels. Nous avons besoin
d’un programme durable pour la pédagogique des collèges. »
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