samedi 15 avril 2017

Trente années d'histoire de l'école : 1960-1990 par Antoine Prost


Les conférences du Musée de la Maison d’Ecole

Photo Mission du Centenaire

Trente ans d’histoire de l’école


Conférence d’Antoine PROST à L’embarcadère de Montceau-les-Mines :

Antoine Prost est ancien élève de l'ENS, agrégé d'histoire et docteur ès-lettres. Il a été professeur à Sciences- Po et à l'université de Paris I dont il a dirigé le Centre d'histoire sociale, laboratoire associé au CNRS. Historien de la société française, il s’est intéressé au rôle qu’y jouent les associations, notamment les syndicats ouvriers et les associations d’anciens combattants. Plus récemment, il a réfléchi à la nature de sa discipline (Douze leçons sur l'histoire, 1996) et à son évolution (Penser la Grande Guerre : un essai d'historiographie, 2004). Dans ce cadre général, il a consacré plusieurs livres à l'enseignement notamment le tome IV (depuis 1930) de l’Histoire de l’enseignement et de l’éducation (réédité en poche, 2004) et Education, société et politiques, une histoire de l’enseignement depuis 1945. Cet intérêt s'est étendu à l'éducation familiale, avec le tome V de l'Histoire de la vie privée (1987), ainsi qu’à la sociologie et à la pédagogie (L'enseignement s'est-il démocratisé ?, 1992 ; Eloge des pédagogues, 1985). A.Prost a participé comme expert à plusieurs rapports officiels dont celui de la commission Joxe sur La fonction enseignante dans le second degré (1972), celui sur Les lycées et leurs études au seuil du XXI° siècle (1983) et en 2001 : Pour un programme stratégique de recherche en éducation. Plus récemment, il fut nommé Président du Conseil scientifique de la Mission du Centenaire 14-18.


Thème de la conférence :
Les réformes des années soixante préfigurent la reconfiguration de l’Education nationale. Le système éducatif dans lequel nous vivons résulte d’une série de réformes, conduites dans les années 1960 et achevées en 1975 et 1985. Ces réformes ont complètement transformé l’Education nationale, pour l’adapter à la prolongation massive des scolarités. Elles ont mis en place un système qui, sur tous les plans, diffère du système républicain, édifié entre 1880 et 1902, auquel il est désormais totalement vain de se référer, tant les différences sont profondes. L’organisation des études et des établissements (écoles, collèges, lycées) n’est que la plus connue de ces transformations. Mais la pédagogie et l’administration ont-elles aussi changé. Les difficultés actuelles du système scolaire s’expliquent en grande partie par les choix  qui ont présidé à cette reconfiguration.
Propos : (Le texte transcrit n’a pas pu être relu par l’auteur.)
« Merci aux organisateurs qui me permettent aujourd’hui de vous présenter les résultats d’un certain nombre de recherches ou de travaux qui ne sont encore pas terminés.
Je veux montrer que le système scolaire dans lequel nous vivons aujourd’hui est nouveau par rapport à celui qui existait avant bien qu’il soit né dans les années 1960  où il y a eu une reconfiguration de notre système d’enseignement.
Dans un deuxième temps, je vous dirai comment les problèmes que nous connaissons aujourd’hui ont pour origine les décisions qui ont été prises à l’époque. Le système a des  problèmes constitutifs et ils datent de son origine.
1 :  La reconfiguration :
Pour l’aborder, je vous ai apporté 3 graphiques qui représentent chaque fois l’ensemble des établissements d’enseignement public français par établissement, par âge des élèves et par nombre d’élèves. Donc : le volume des élèves, leur âge, les établissements dans lesquels ils sont, 3 graphiques à 20 ans d’intervalle.
1958-1959 :
Que constate-t-on sur ce graphique ?
-          On trouve du préscolaire en maternelles et en primaire sous forme de classes enfantines
-          Les écoles primaires ont toutes des classes de fin d’études
-          Les cours complémentaires ont des sections générales et des  sections techniques
Les  Centres d’apprentissage préparent au CAP.                                                         
-          Lycées techniques  avec 1er et 2e cycles                                               
-          Lycées avec la totalité du cycle (maternelles, primaires, 1er et 2e cycles).
                             
20 après 1978-1979 :                                                                                           
-          Les classes enfantines existent toujours, mais les maternelles sont en nette augmentation
-          Plus de chevauchement à 6 ans dans le primaire.
-          Primaire nettement délimité.
-          Le collège a pris tout le 1er cycle
-          Lycées  à 1 million d’élèves.

20 ans après 1998-1999 :
-          Même type de schéma
-          Emboîtements plus faibles.
-          Les limites d’âge pour passer du collège au lycée ou du primaire au lycée sont beaucoup plus prégnantes et augmentation des lycées et des LP. On a plus d’élèves dans un système qui existait déjà depuis 20 ans.
Entre 1958 et 1978 il s’est passé quelque chose d’essentiel : la substitution d’une logique de niveau → école – collège – lycée, à une logique de filière → primaire, technique, secondaire. Ce système a changé fondamentalement dans les années 1960.
1er changement par rapport à établissement et scolarité :
- Ordonnance du 6 janvier 1959 qui prolonge à 16 ans la scolarité obligatoire car le gouvernement a pris conscience que le  niveau de formation de la population était insuffisant. Simultanément on crée un cycle d’observation de 2ans, 6e et 5e pour permettre aux élèves de choisir leur orientation ultérieure. Car les travaux des sociologues de l’époque ont montré que les orientations des élèves sont le résultat d’un choix purement social et qui ne correspond en rien aux qualités intellectuelles et de réussite scolaire, aux désirs ni aux aptitudes des élèves. A réussite égale en primaire, les enfants des classes supérieures passent massivement au lycée tandis que les enfants des classes défavorisées modèrent leurs ambitions et l’on a des différences de taux de fréquentation en 6e de lycée nettement inférieures à niveau de réussite égale (2/3 pour 1/3). Ce cycle d’observation, au bout duquel on doit en principe choisir son orientation, est prévu pour lutter contre ces inégalités scolaires. L’administration s’aperçoit très vite que les élèves continuent là où ils sont doués. Le cycle d’observation ne permet pas une véritable orientation. Pour remédier à cela parution du décret du 4/08/1963 : on crée les CES (collèges d’enseignement secondaire) et l’on conçoit le processus d’observation et d’orientation sur 4 années  qui sera développé soit en CEG (collège d’enseignement général) (primaire supérieur) ou en CES. La différence essentielle est dans la carte scolaire car ces établissements sont prévus pour avoir à chaque niveau 3 classes différentes de  manière à permettre l’orientation sans changer d’établissement mais de filière à l’intérieur d’un même établissement. Le CES de 1963 c’est déjà le collège unique de Monsieur Haby. Cette rationalisation de la carte scolaire est l’œuvre de Jean Ferrez (Inspecteur Général).
Autres évolutions notables :
- Les lycées  et les facultés sont touchés par la restructuration de 1960.
- Au lycée : problème de sélection : Il y a trop de monde, en conséquence de quoi le passage du baccalauréat et les facultés vont être submergés par des élèves qui n’ont pas le niveau. Le niveau baisse déjà. On parle de démagogie ambiante et de faiblesse des exigences des jurys d’examen.
- Sous les gouvernements « De Gaulle » : on élargit la base, on démocratise l’accès aux études, mais au fur et à mesure, on sélectionne notamment à l’université qui est conçue pour une élite et dont ceux qui n’ont pas le niveau sont immédiatement exclus.
- Fouchet, Ministre de l’Education Nationale dit : « si on veut les exclure  il faut qu’ils aient la possibilité d’avoir des filières de dérivation en particulier dans l’enseignement technique ».
- On est dans une logique de renforcement des examens et il ne faut pas admettre à l’université tous les bacheliers.
- La faculté, en 1960, adopte le cursus suivant : 1 an de propédeutique, puis licence en 2 ans. Personne n’est satisfait du déroulement de la 1e année (littéraires et sciences) et les problèmes de crédits s’accumulent.
- Peu à peu, o remédie à la situation en organisant le cursus différemment : l’enseignement supérieur est divisé en 3 cycles de 2 ans et l’on supprime propédeutique. La réforme du second cycle des lycées, qui reste trop général, s’impose donc : bac en 2ans, Philo, Math Elem, et sciences ex.
- Le 1er bac est de fait un palier d’orientation.
- L’idée est que, puisqu’on supprime propédeutique, on puisse concevoir le second cycle de manière beaucoup plus spécialisé avec des filières depuis la seconde. Donc on crée de nouveaux bacs et l’on réforme tout l’enseignement des lycées en 1965.
- Parallèlement, en 1966, on crée les IUT (instituts universitaires de technologie) comme filière de dérivation pour les bacheliers qui n’iront pas en faculté. Conseil restreint du 4 avril 1966 décide que le bac ne donnera plus systématiquement le droit de s’inscrire en faculté. On met en place une sélection pour aller en faculté de sciences, il faudra une bonne note au bac scientifique.
Les événements de Mai 1968 vont de fait annuler cette décision et il ne sera plus question de sélection.  L’organisation générale du premier cycle, du second cycle et du supérieur va subsister. Dans ce système, il était prévu que l’orientation décisive se fasse à la sortie de la 3e et c’est pourquoi on créa des baccalauréats de techniciens et le BEP (brevet d’études professionnelles), on avait en perspective la suppression du CAP. Mais le marché du travail continue à proposer des offres au niveau du CAP et la préparation de ce dernier résiste, et avec elle, conjointement, le pallier d’orientation de la fin de 5ième.
On constate également toute une série d’autres transformations :
- En primaire : la mixité s’institutionnalise en 1958-1959 : en 1959, 73000 écoles dont 51000 non mixtes et en 1972, 53000 écoles dont 8875 non mixtes.
- On a lutté contre la traditionnelle classe unique de nos campagnes qui va progressivement rentrer dans des RPI (regroupements pédagogiques intercommunaux). La doctrine devient : « chaque âge = un niveau ».
- La Circulaire de 1965 fixe le groupe scolaire à partir de 5 classes.
- L’organisation du primaire s’aligne sur le secondaire.
- La baisse du nombre de classes uniques affirme la distinction très nette entre les écoles maternelles et les écoles primaires (fin des classes enfantines).
- Au niveau des enseignements, apparition du 1/3 temps pédagogique et des disciplines d’éveil. L’école primaire réalise qu’elle n’est plus la seule école pour assurer la formation des enfants du peuple, après elle, il y a le collège qui devra s’adapter à de nouvelles tâches.
L’administration aussi évolue :
- En 1945 : dans l’ensemble des rectorats français, il y a 300 fonctionnaires.
- En 1969 : il y en a 3000.
Devant la croissance énorme des effectifs scolarisables, on n’a pas pu continuer à diriger l’Education Nationale depuis le ministère. En 1962, les rectorats reçoivent la tutelle administrative  et financière des établissements secondaires. On organise aussi, à cette époque, les corps d’administrateurs de l’Education Nationale : les CASU sont créés en 1962 et en 1973, on crée les corps d’orientation.
Pourquoi la reconfiguration est-elle à l’origine de nos problèmes ? :
Le nœud décisif est le collège avec la prolongation de la scolarité à 16 ans. La société française de cette  époque demande bien un prolongement de la scolarité (les gens ayant plus de moyens ne sont plus pressés de mettre leurs enfants au travail). Mais cette demande sociale de scolarité supplémentaire est une demande de type « primaire supérieur » comme on les a connus dans les collèges communaux et pas de type secondaire comme on l’aurait voulu.
Pourquoi a-t-on répondu de cette façon-là ?
1963, La direction des programmes du ministère pense créer le corps de professeur de collège, formé en 2 ans après le bac : les PEGC (professeurs d’enseignement général de collège), tous issus du corps des instituteurs.
On met donc dans les mêmes collèges des professeurs d’enseignement long et des professeurs d’enseignement court.
En 1986, on arrête le recrutement des PEGC.
On n’a pas su mettre en place ce corps d’enseignants spécifiques du collège qui devait être conçu comme  un métier ayant des compétences particulières.
On fit face à des oppositions catégorielles (PEGC/Certifiés) certes, mais aussi à des oppositions au changement pédagogique. Ce changement programmé avant les événements de 1968 sera refusé par la suite. Le débat autour de la rénovation pédagogique a toujours engendré des clivages politiques et catégoriels. Nous avons besoin d’un programme durable pour la pédagogique des collèges. »



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