La mobilisation à Montceau-les-Mines
La mort de Jaurès
Vue par un
collégien montcellien
(26 juillet-4 août
1914)
Ce
témoignage, écrit au jour le jour, l’a été par un élève de l’Ecole
Professionnelle Supérieure de Montceau-les-Mines. L’auteur, âgé de 15 ans à
l’époque, a consigné dans un journal personnel, ses ressentis, les échos de la
presse locale et les réactions de son entourage sur les événements tragiques de
juillet/août 1914 :
« Scrupuleusement tenu à jour au moment
de la mobilisation, il est un peu délaissé à la fin du mois d’août. Deux
hypothèses peuvent être formulées : l’écolier a cessé son œuvre de
chroniqueur au moment de la rentrée des classes ou, les contemporains
s’installant dans la guerre, l’auteur n’a plus éprouvé le même zèle pour se
faire l’écho d’événements envers lesquels l’intérêt de son entourage
s’émoussait », (Léon Griveau, la Physiophile,
n° 89)
Ce journal débute
le 26 juillet dans un contexte de prise de conscience particulièrement tardif,
un mois après l’attentat de Sarajevo. L’événement n’avait pas eu de
retentissement dans la population jusque-là, mais chacun commence de comprendre
qu’il pourrait être à l’origine d’un grave conflit européen entraînant de
nombreux pays dans la guerre et notamment la France, du fait de son alliance
avec la Russie, protectrice de la Serbie, qui est au cœur de la polémique. Nous
n’évoquerons dans les lignes qui suivent, que la période concernant l’annonce
de la guerre et la mobilisation qui suivit.
Ce document
historique apporte des précisions, subjectives certes, mais néanmoins vécues,
sur les réactions des Montcelliens, population laborieuse et de tradition sinon
militante, du moins solidaire. Du reste, les organisations ouvrières
entretiennent toujours, à la veille du conflit, cette idée que la guerre peut
être évitée et que la paix entre les peuples est encore possible. C’est avec
stupeur qu’est vécue l’annonce de l’assassinat de Jaurès qui était en relation
étroite avec nombre de militants syndicalistes ou socialistes locaux et surtout
avec Jean Bouveri, Député-Maire de Montceau-les-Mines. On note aussi le peu
d’enthousiasme qu’a suscité la mobilisation générale contrairement à ce qu’il
en fut à Chalon-sur-Saône par exemple.
D’une manière
générale, on découvre en filigrane le sentiment qui régnait dans les jours
précédents le conflit : l’incrédulité face à la menace (« la mobilisation n’est pas la
guerre »), l’absence de nouvelles (les journaux annonçant la
mobilisation n’arriveront que le 4 août au soir, la propagation des rumeurs et
des « bobards » dont parle
l’auteur.
Plus
particulièrement, on ressent les espoirs déçus d’une ville ouvrière :
l’espérance que la guerre sera évitée entretenue par les organisations
syndicales, la stupeur de la nouvelle de l’assassinat de Jaurès, la douleur de
la mobilisation qui contraste avec la fièvre patriotique décrite dans la région
chalonnaise.
Le témoignage qui suit est livré in extenso,
sans rajout ni commentaire :
Dimanche
26 juillet : « La nouvelle de bruits de guerre entre l’Autriche
et la Serbie a fait diminuer beaucoup les actions en bourse. L’Autriche
voudrait se venger de l’attentat de Sarajevo exécuté par un fou en faisant une
démonstration militaire sur la Serbie. Aussi, l’Autriche et la Serbie ont-elles
commencé leur mobilisation. »
Lundi
27 juillet : « Aujourd’hui
circulent des bruits d’escarmouches. Mais nous ne savons à quoi nous en
tenir. »
Mardi
28 juillet :
« l’Autriche aurait déclaré la guerre à la Serbie. La nouvelle du
bombardement de Belgrade est arrivée. »
Mercredi
29 juillet : « A la nouvelle de la déclaration de guerre, une
crise de la monnaie s’est fait sentir. On ne veut plus changer les billets.
Russie ordonne mobilisation de quatorze corps d’armée.
Jeudi
30 juillet : « la Russie a ordonné hier la mobilisation. Des
pourparlers sont engagés pour éviter une guerre européenne. »
Vendredi
31 juillet : « la Russie continue la mobilisation et nous
apprenons maintenant que l’Allemagne mobilise. Aussitôt, les racontars sont
nombreux et circulent à leur aise (on aurait notamment mobilisé quatre classes
en France) ; il n’en est heureusement rien, et il nous parvient
(sic !) que ce sont seulement les maréchaux-ferrants et le génie, mesures
préventives, un point c’est tout. Je suis très optimiste ! »
Samedi
1er août : « Triste réveil. En me levant, j’apprends la
mort de Jaurès. Je cours en ville pour m’en assurer ; ce n’est que trop
vrai. Quelle perte pour le parti socialiste, pour la France, pour
l’humanité ! Le plus grand apôtre de la paix, le seul homme qui eut pu
empêcher la guerre est mort ! Oui, il est bien mort ! Hier soir, à 9
heures 45, alors qu’il soupait, il fut tué par un fanatique, un fou (Raoul
Villain, fils d’un greffier de tribunal) (1).Il donna pour motif
de son crime : « Jaurès avait fait campagne contre la loi de trois
ans (2) ; il était traître à
son pays ; c’est pour cela que je l’ai tué ». Simple prétexte !
Car derrière cet homme se cache un parti politique qu’il faudra découvrir après
la crise. Que feront les socialistes ? Essaieront-ils de venger leur chef
dès maintenant ou attendront-ils ? D’eux dépend la tranquillité de la
capitale ; mais ils feront leur devoir en attendant la fin de la crise
actuelle. Nous sommes ainsi dans la perplexité jusqu’à 5 heures du soir. A
cette heure-là, nous entendons tout à coup le clairon sonner la générale,
tandis qu’on colle de grosses (sic !) affiches. Nous nous
précipitons : c’est l’ordre de mobilisation générale ; le premier
jour de la mobilisation est le dimanche 2 août ! Alors toutes les femmes
présentes pleurent et moi-même je deviens triste ; mais je raisonne
bientôt et me dis que la mobilisation ce n’est pas la guerre et qu’il y a
encore de l’espoir. J’espèrerai toujours jusqu’à la fin. »(3)
Dimanche
2 août :
« Pendant que tout le monde pleure et s’affole, les organisations ne
perdent pas la tête et cherchent à empêcher la guerre. Ces dites organisations
ont lancé ce matin un manifeste. (4) Il y eut donc meeting le soir à 2
heures. Les orateurs y furent MM. Barrault, Merzet, Meulien, C. Forest et
Bouveri. (5) Tous glorifièrent la
mémoire de Jaurés et tous parlèrent contre la guerre. Le citoyen Bouveri,
remplissant son devoir de maire, avisa la population que des commerçants peu
scrupuleux avaient vendu leur marchandise à un prix excessif (le sucre
notamment à 1 franc 50 et plus) mais il assura que des mesures seraient prises
et empêcheraient tout excès. Il rendit enfin compte de la crise des moissons et
invita tous les gens de bonne volonté à aider les fermiers à rentrer les blés.
De cette façon, la ville sera bien pourvue en farine et nous ne manquerons pas
de pain. M. Merzet flétrit certains commerçants de la rue Carnot et de la rue
de la République qui ont pris part à une manifestation en faveur de la guerre
et glorifiant l’assassin de Jaurès, faite vendredi dernier dans la nuit. Enfin
bref, cette réunion donna du courage à ceux qui y avaient assisté et nous
remonta fortement le moral.
Les allemands ont violé la neutralité du
Luxembourg et la frontière française. Etat de siège en France.
Lundi
3 août :
« C’est aujourd’hui le deuxième jour de la mobilisation. Des trains partent
bondés à tout instant, emportant à l’un un frère, à l’autre un mari. C’est un
spectacle déchirant : les femmes pleurent, les hommes maudissent la
guerre, ils jurent et tempêtent. Les trains étant tous mobilisés (sic !),
il n’arrive aucune lettre, aucun journal. Pas de nouvelles ! Toutes les
relations sont coupées ! La ville est inquiète, on s’énerve. Et toujours
des bruits, des faux bruits. Garros, l’aviateur, aurait crevé un Zeppelin
contenant vingt-huit officiers, mais y aurait trouvé la mort. Souhaitons que
cette nouvelle soit fausse, car la vie de Garros est plus précieuse qu’un
Zeppelin n’est dangereux.
Mardi
4 août :
« Toujours pas de nouvelles. Mais ce soir, des
« Humanité » et des « Courrier de Saône-et-Loire » sont
arrivés. D’après ces journaux, des violations de territoire ont été commises
par les allemands, notamment en deux endroits. Les troupes françaises étant à
huit kilomètres de la frontière, nous ne pourrons pas être accusés d’avoir
suscité des incidents. » (6)
ANNEXES
(1) : Le 29 juillet
1914, Jean JAURES improvise un discours au Cirque royal de Bruxelles lors de la
réunion du Bureau socialiste international (BSI), la veille l'Autriche avait
déclaré la guerre à la Serbie.
Il
intervient dans une salle bondée :
... « Quand
vingt siècles de christianisme ont passé sur les peuples, quand depuis cent ans
ont triomphé les principes des Droits de l’homme, est-il possible que des
millions d’hommes puissent, sans savoir pourquoi, sans que les dirigeants le
sachent, s’entre-déchirer sans se haïr? »...
Le 31
juillet 1914, Jaurès dine avec quelques-uns de ses collaborateur au « Café
du Croissant » il prépare son éditorial du lendemain, il est soucieux,
Dans la soirée il avait prévenu Abel Ferry (sous-secrétaire d'Etat aux Affaires
étrangères) : « Vous êtes
victimes d'une intrigue russe, nous vous dénoncerons, ministres à la tête
légère, dussions-nous être fusillés ! » Il comprend que le
gouvernement Viviani n'acceptera pas la médiation avec Londres, et qu'ils sont
décidés à la guerre.
Deux coups de feu
sont tirés, Jaurès s'écroule... Le lendemain c'est la mobilisation
générale en France.
Il sera inhumé le 4 août, ils seront plus de
12000 à défiler derrière son cercueil, la veille l'Allemagne avait déclaré la
guerre à la France et le 4 août ses troupes avaient violé la neutralité de la
Belgique. Toutes les grandes nations européennes entrent dans le conflit.
Son
assassin Raoul Villain aussitôt arrêté dit avoir voulu « supprimer un
ennemi de son pays ». Doté, dit-on, d’un esprit confus, il serait tombé de
son berceau étant bébé et, une autre fois, sa mère l’aurait jeté par la
fenêtre, ce qui aurait valu à cette dernière d’aller terminer ses jours dans un
asile. Dès lors, son père sombre dans l’alcool alors que sa grand-mère vivra
trente-cinq ans enfermée, clamant qu’elle était immortelle…
Son
procès d'abord prévu en 1915, n'eut lieu qu'en 1919. Par délibération du 29
mars, les jurés estimèrent qu'il n'était pas coupable. Il fut donc acquitté
dans un contexte de ferveur nationaliste... Bien que sa
culpabilité ne fasse aucun doute, de son propre aveu.
En effet, dans une lettre adressée à son
frère de la prison de la Santé le 10 août 1914, il affirme : « j'ai
abattu le porte-drapeau, le grand traître de l'époque de la loi de trois ans,
la grande gueule qui couvrait tous les appels de l'Alsace-Lorraine. Je l'ai
puni, et c'était le symbole de l'ère nouvelle, et pour les Français et pour
l'Étranger ».
L'enquête fut dirigée par le juge
d'instruction Drioux. Après cinquante-six mois de détention préventive, le
procès s'ouvre le 24 mars 1919 devant la cour d'assises de la Seine, dans un
contexte patriotique. L'accusé a pour défenseurs Maître Henri Géraud, et Maitre
Alexandre Bourson dit « Zévaes », ancien député socialiste. Le dernier jour des
débats, Villain déclare : « Je demande pardon pour la victime et pour
mon père. La douleur d'une veuve et d'une orpheline ne laisseront plus de
bonheur dans ma vie ». Le jury populaire doit répondre à deux
questions : « Villain est-il coupable d'homicide volontaire sur
Jaurès ? » et « Cet homicide a-t-il été commis avec
préméditation ? ». Après une courte délibération, par onze voix contre
une, le 29 mars 1919, il se prononce par la négative. Raoul Villain est
acquitté. Le président ordonne sa mise en liberté et
l'honore d'être un bon patriote. La Cour prend un arrêt accordant un
franc de dommages et intérêts à la partie civile, et condamne cette dernière
aux dépens du procès envers l'État. Madame Jaurès devra donc payer les frais de
justice.
En réaction à ce verdict, Anatole France
adressera, de sa propriété de La Béchellerie, une brève lettre à la rédaction
de L'Humanité parue le 4 avril :
« Travailleurs, Jaurès a vécu pour vous, il est mort pour vous. Un verdict
monstrueux proclame que son assassinat n’est pas un crime. Ce verdict vous met
hors la loi, vous et tous ceux qui défendent votre cause. Travailleurs, veillez ! ».
Extrait
de l'Humanité du dimanche 30 mars 1919 :
« Dans la rue,
Je descends du journal. Dans la rue Montmartre, les camelots, criant les
feuilles du soir, crient ainsi :
- Demandez le verdict
!
Et sur le trottoir,
une vieille femme, qui tenait un journal à la main, le tend à un homme qui
vient d'allumer un réverbère et dit :
- C'est ainsi à
présent : le coupable est acquitté et c'est l'innocent qui est puni.
Ce mot-là, dit par
une anonyme à un autre anonyme, semble exprimer par avance le sentiment qui
poignera tout à l'heure le cœur de milliers et de milliers d'hommes et de
femmes en France, quand ils apprendront à leur tour le prononcé du jugement
qui, en acquittant Villain, semble avoir voulu tuer Jaurès pour la seconde
fois.
F.C. »
Après une vie
d’errance et de condamnations diverses, Villain s'installe en
1932 dans l’île d’Ibiza, dans les Baléares, au large de l’Espagne. Peu après le
début de la guerre d’Espagne, le 20 juillet 1936, la garnison militaire et les
gardes civils de l'île se rallient aux franquistes. Les républicains de
Barcelone envoient un détachement, sous la direction du commandant Bayo, pour
reprendre les Baléares. Il débarque à Ibiza le 8 août. Les 9 et 10 septembre
1936, une colonne de près de cinq cents anarchistes, sous la bannière de « Cultura
y Acción », arrive à Ibiza. Les anarchistes arrêtent Raoul Villain, il
sera fusillé le 14 septembre, rattrapé par son passé.
(2) : Le service militaire
d’une durée de deux ans est institué par
la loi du 21 mars 1905 et chaque français reste mobilisable de 21 à 56 ans, ce
temps de service de 25 ans comprend :
-
2 ans dans l’armée active
-
11 ans dans la réserve de l’armée active
-
6 ans dans l’armée territoriale
-
6 ans dans la réserve de l’armée territoriale.
Les citoyens des trois dernières
catégories étaient astreints à des périodes d’exercices. Le général Joffre
alerta Poincaré, Président de la République en exercice, sur la menace que
représentait l’Allemagne qui, en 1913, avait augmenté les effectifs de son
armée en temps de paix de 200 000 hommes. Il préconisait de porter le service
militaire en France à trois ans. Jaurès fit campagne contre cette « loi de
trois ans », en vain, la loi ramena l’âge d’incorporation à 20 ans au lieu
de 21. On appela simultanément les classes de 1912 et de 1913 et on atteignit
ainsi un effectif de 850 000 hommes. Jaurès et les députés du Parti Socialiste
Unifié votèrent contre cette loi mais le Parlement l’adopta le 17 août 1913. La
CGT continua par la suite sa campagne d’opposition à cette loi. Cette
confédération était puissante à
Montceau, ce qui peut expliquer la crainte des autorités quant à la
mobilisation dans cette ville.
(3) : Le 1er
août, le Président Poincaré s’adresse au
peuple français dans une proclamation qui sera affichée le lendemain dans
toutes les communes de France en même temps que le décret de mobilisation, il
dit : « La mobilisation n’est pas la guerre. Dans les circonstances
présentes elle apparaît, au contraire, comme le meilleur moyen d’assurer la
paix dans l’honneur ». Propagande ou incrédulité ? Une gageure
sûrement puisque l’espoir n’aura tenu que deux jours ! La phrase est
reprise par le jeune homme dans son journal, preuve s’il en est de l’impact des
déclarations officielles sur les citoyens… Quoi qu’il en soit, les bureaux de
poste reçoivent vers 17 heures, ce 1er août, la dépêche officielle
par télégramme, du décret ordonnant la mobilisation générale. Auparavant, Monsieur le Préfet de Saône-et-Loire avait
lui-même reçu un télégramme officiel, comme tous les Préfets du reste. Ces
messages avaient été conservés sous plis fermés dans les bureaux de poste,
prêts à être complétés par la date fatidique… Celui que reçut notre Préfet
avait été imprimé en 1905. Dans les faits, la mobilisation avait deux
objectifs, elle permettait, d’une part, de compléter les unités d’active et
d’autre part, de passer des « effectifs de temps de paix » aux
« effectifs de temps de guerre ». La mobilisation de 1914 dura du
dimanche 2 août au dimanche 16 août. Il n’y a, en principe, pas eu de convocation
individuelle. Dès la proclamation de la mobilisation, chaque réserviste devait
consulter son livret militaire et plus particulièrement le fascicule de
mobilisation. C'est grâce à ce document de 4 pages, à l'intérieur de chaque
livret, que chaque homme savait exactement quoi faire une fois la
mobilisation décrétée.
Les premières quarante-huit heures
virent partir les réservistes des deux dernières classes libérées du service
militaire qui allèrent rejoindre les régiments d’active. Puis, progressivement,
on appela les autres réservistes.
(4) : L’ « Union
Sacrée » est déjà en route et semble acquise à la suite de la proclamation
de Poincaré qui se terminait sans équivoque : « A cette heure, il n’y
a plus de partis, il y a la France éternelle, la France pacifique et résolue, il y a la Patrie du Droit et de la
Justice, toute entière unie dans le calme, la vigilance et la dignité. »
Cependant, trois organisations Montcelliennes veulent encore donner l’illusion
d’une fraternité des peuples et d’une
opposition internationale à la guerre en lançant un appel à la population à
travers un manifeste distribué au matin du dimanche 2 août et une invitation à un grand meeting salle du Syndicat, rue de
l’est, à 2 heures du soir. Voici le texte de ce manifeste :
« APPEL
À la
population du Bassin de Montceau-les-Mines
Contre
la guerre ! Pour la paix !
Les
organisations suivantes : les Syndicats Ouvriers, la Section Socialiste,
la Section de la Ligue des Droits de l’Homme, la Libre-Pensée, par l’organe de
leurs Conseils d’administration, ont décidé d’adresser à la population la ( ?)
manifeste ci-dessous :
MANIFESTE
Au
moment où la lutte pour la vie devient plus âpre, voilà que les gouvernants des
différentes nations « dites civilisées » dressent le spectacle hideux
d’une conflagration européenne effroyable.
Le
péril, subitement accru par l’attitude agressive de la monarchie
Austro-Hongroise, semble vouloir grandir encore.
Il
ne s’agit pas de s’affoler devant cette situation tragique, mais d’agir.
Dans
tous les pays les travailleurs manifestent pour montrer d’une façon nette et
pressante leurs sentiments pacifiques, leur horreur de la guerre et leur
volonté de la prévenir.
Au
nom de la raison, au nom de la confraternité des peuples, au nom du Droit à la
Vie pour une Société plus belle et plus heureuse, nous vous demandons de vous
associer à cette protestation contre la GUERRE, pour la PAIX.
A
vous tous ! À vous MERES de familles nous adressons ce pressant
appel !
Songeons
à l’irréparable malheur que serait la guerre avec son cortège de RUINES, de
DEUIL, de MISERE et de VIOLENCES.
Réfléchissons
que ce serait la destruction de nos familles, la crainte de voir compromettre
l’effort social de 40 années de PAIX.
Il
faut que nos efforts correspondent à ceux de nos camarades allemands qui
manifestent courageusement leurs sentiments à notre égard.
Il
faut que, sur tous les points du territoire, soit par nos réunions, soit par
nos manifestes, par notre presse, nous agissions sur les POUVOIRS PUBLICS pour
qu’ils continuent d’intervenir énergiquement en faveur de la Paix.
Rappelons-
nous que tous les peuples sont FRERES et que pas un de nous ne peut, sans
trahir la cause de l’HUMANITE, rester indifférent à cet horrible Carnage, qui
serait un DEFI au monde civilisé.
Les
organisations
NOTA : Nous informons la population qu’à 2 heures précises du soir, un GRAND MEETING aura lieu salle du Syndicat, rue de l’Est, à Montceau-les-Mines »
Original du Manifeste :
La réalité des faits ralliera
rapidement tout le monde au sein de l’Union Sacrée, à en croire, tout du moins,
un rapport du commissaire spécial de Chalon en date du 19 août 1914, il
écrit : « (...) MONTCEAU-LES-MINES : à Montceau-les-Mines, où
depuis 1899, les militants socialistes et syndicalistes chantaient
« l’Internationale », prêchaient l’Internationalisme, criaient
« à bas la guerre » et manifestaient véhémentement contre la loi de 3
ans, il ne s’est produit aucune manifestation antipatriotique, aucune
protestation contre la guerre. Au contraire, l’entrain et l’enthousiasme y ont
été très grands. Toute la population, sans aucune exception, socialistes,
syndicalistes, municipalité, réactionnaires, haut personnel de la houillère,
s’est confondue dans un même élan patriotique. Les mobilisés sont tous partis
avec entrain, sans défaillance, tandis que le reste de la population s’est
prodiguée pour ravitailler en rafraîchissements et victuailles les trains de
troupes de passage. Cet accueil de la population montcellienne a été à un tel
point chaleureux que M. Bouveri, maire et député socialiste a reçu le
télégramme suivant : « Etat-major du 13ième corps d’armée.
8 août 1914. A Monsieur le Maire de Montceau-les-Mines. Très touché de
l’accueil chaleureux fait en gare au passage des troupes, nous vous prions de
porter à la connaissance de la population nos remerciements les plus cordiaux,
ainsi que l’assurance de notre dévouement pour la Patrie. Espoir en nos armes
et vive la France ! ». La direction des mines de Blanzy et la
municipalité socialiste de Montceau marchent la main dans la main. La mine a
tout d’abord pris l’engagement de subvenir aux besoins des familles des
militaires et mobilisés appartenant à son personnel. Elle a remis des secours à
la municipalité et mis à sa disposition locaux, hangars, chevaux, voitures,
etc… dont elle pourrait avoir besoin. ETRANGERS, ANARCHISTES, ANTIMILITARISTES
ET INDIVIDUS SUSPECTS : conformément aux instructions de M. le Préfet, il
n’a pas été procédé aux arrestations des individus inscrits au carnet. Seul un
nommé Buatois, habitant Chalon et insoumis à la loi militaire a été arrêté par
le commissaire de police de Chalon et ses agents après une violente rébellion.
Tous les autres anarchistes de Chalon et de Montceau-les-Mines étroitement
surveillés se sont tenus cois et n’ont fait l’objet d’aucune remarque. Les syndicalistes
et antimilitaristes militants de Montceau-les-Mines, Merzet, Meulien et autres,
après quelques hésitations, ont suivi le mouvement patriotique de la population
montcellienne et ont aidé au ravitaillement des trains de troupes passant en
gare de Montceau (...) »
(5) : (Source :
« Dictionnaire du Mouvement Ouvrier »)
BARRAULT : membre de la section
locale de la Ligue des Droits de l’Homme.
MERZET dit « le
Porion » : né à Montchanin le 13 janvier 1869, décédé à
l’hôpital de Saint-Vallier le 14 février 1934. Ouvrier mineur à la Compagnie
des Mines de Blanzy. Il passait pour avoir déclenché la grève de 1899. Cette
dernière réussit et Merzet devient secrétaire du syndicat des mineurs de
Montceau. Il est élu au Conseil Municipal de Montceau en 1900, sur la liste de
Jean Bouveri et sous l’étiquette socialiste. Il est Membre du Conseil National
de la Fédération des mineurs, de France, mais il n’obtiendra pas le soutien de
cette dernière lors de la grève de 1901
qui dura 106 jours et qui sera, elle, perdue. Il fut à la tête du Syndicat des
Mineurs de Montceau et de l’Union des Syndicats de Saône-et-Loire jusqu’en 1920
puis, à la scission, resta à la S.F.I.O.
MEULIEN Jean-Baptiste : né le 12 janvier
1867 à Ecuisses, décédé le 17 mars 1925 à l’hospice de Mont-Saint-Vincent.
Ouvrier mineur. Activiste pendant les grèves de 1899 et 1900, il fut renvoyé de
la mine. Secrétaire-trésorier du groupe socialiste de Montceau en février 1913,
il ne fut jamais candidat à aucune fonction électorale. Il fut connu pour ses
positions antimilitaristes. A la scission de 1920, il adhéra à la IIIe
Internationale.
FOREST Claude : né le 13 septembre
1869 à Montceau, décédé le 5 novembre 1934 à Montceau. Ouvrier mineur. Il fut
élu à la fonction de délégué mineur en 1899 et devint Conseiller Municipal
socialiste en 1900, il le resta jusqu’à sa mort. Premier adjoint au maire Jean
Bouveri, il fut élu Conseiller Général en 1901. Il fut un modéré proche des
radicaux, le parti radical ne présenta aucun candidat contre lui jusqu’en 1913.
En 1920, il resta à la S.F.I.O comme la majorité des socialistes de Montceau.
Il était le secrétaire de rédaction du « Socialiste de
Saône-et-Loire ».
BOUVERI Jean : né le 10 juillet
1865 à Charolles, décédé le 3 juillet 1927 à Montceau. Il fut député socialiste
de Saône-et-Loire et maire de Montceau. Ouvrier mineur dès 12 ans. Sa famille
fut victime de la répression de Léonce Chagot : deux de ses oncles furent
chassés de la mine en raison de leurs activités socialistes. Il inaugura en
tant que maire, la maison du syndicat des mineurs et fut à l’origine de la
tenue du premier congrès de la S.F.I.O à Chalon du 29 octobre au 1er
novembre 1905. Député en 1901, il prend position pour la journée de 8 heures
pour les mineurs ainsi que pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Il
rallia l’Union Sacrée pendant la guerre. Il fut battu aux élections
législatives de 1919 mais élu sénateur de Saône-et-Loire en 1920. Il n’assista
pas au congrès de Tours mais fut favorable à la position de Léon Blum et resta
à la S.F.I.O. Il redevint député en 1924 sur la liste du Cartel des Gauches et
décéda pendant la législature.
(6) : Les journaux
arrivent bien tardivement en cette période troublée mais dépeigne, malgré tout,
les diverses atmosphères qui règne le même jour, dans différentes régions du
département. Les idées véhiculées sont généralement favorable à la guerre et se
justifient par la conviction que cette dernière était « inévitable »,
que l’ « on ne peut rester éternellement sur le qui-vive » et
qu’il faut en finir, par la conviction que nos dirigeants n’ont pas voulu la
guerre et que l’agression vient de l’Allemagne, par la conviction que la guerre
sera courte et victorieuse. Aucun chroniqueur n’imagine que cette guerre ne fût
autre chose qu’une guerre continentale, personne ne soupçonne qu’elle pût être
un conflit mondial…
Sources :
-
« La
Saône-et-Loire pendant la guerre de 14-18 », dossier établi par Michelle
Marguin (Arch. Dép.), Suzanne Régnier (Maison d’Ecole), Jean Michel (Equipe
d’Animation Pédagogique d'Histoire-Géographie), CDDP (Juillet 1984)
-
L. Griveau, « Souvenirs de mil neuf cent
quatorze », La Physiophile n° 89 (Décembre 1978)
-
Les Archives Départementales de Saône-et-Loire
Pour en savoir plus
A voir :
·
« Jean RABAUT interviewe GEORGES WEILL,
dernier témoin vivant de l'assassinat ». http://www.ina.fr/video/CPF86649216
·
« Jean Jaurès » http://www.ina.fr/video/CPF86623054/jean-jaures-video.html
·
« Reconstitution de l'assassinat de Jean
Jaurès » http://www.lemonde.fr/centenaire-14-18-videos/video/2014/03/12/reconstitution-de-l-assassinat-de-jaures_4381193_4366959.html
·
« Jaurès, la naissance d'un
géant ». Téléfilm français (2005) réalisé par Jean-Daniel Verhaeghe pour
France 2, produit par Jacques Kirsner, sur un scénario de Jean-Michel Gaillard
et Jacques Kirsner. http://boutique.arte.tv/f1919-jeanjauresnaissancedungeant
·
« Qui a tué Jaurès » http://culturebox.francetvinfo.fr/tendances/tele/qui-a-tue-jaures-le-docu-fiction-avec-torreton-149029
D’autres sources :
·
Fondation Gabriel
Péri
http://www.gabrielperi.fr/Discours-de-Jean-Jaures
Rallumer tous les soleils, Jaurès ou la nécessité du combat http://www.jaures.eu/qui-sommes-nous/
·
Assemblée nationale http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/jaures/discours/syveton_0607041903.asp
·
Archives nationales :
cycle de conférences dans le cadre de l'exposition Jaurès https://www.archives-nationales.culture.gouv.fr/sia/web/guest/cycle-de-conferences
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L'Humanité.fr
« Jean Jaurès une vie pour changer le monde » http://www.humanite.fr/jean-jaures-une-vie-pour-changer-le-monde-520514
·
L'Humanité.fr
« 110 ans d'Humanité », par Patrick Le Hyaric http://www.humanite.fr/110-ans-dhumanite-520516
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L'Humanité.fr
« Jean Jaurès, l’actualité d’un engagement » http://www.humanite.fr/jean-jaures-lactualite-dun-engagement-520483
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Archives nationales
« Jean Jaurès fonde l'Humanité » http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/action-culturelle/celebrations-nationales/recueil-2004/vie-politique-et-institutions/jean-jaures-fonde-l-humanite
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Gallica bibliothèque
numérique « Les deux méthodes ». Conférence Jean Jaurès et Jules
Guesde à l'Hippodrome Lillois http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5812947b/f7.image
·
Archives nationale. -
Naissance de la SFIO http://www..archivesdefrance.culture.gouv.fr/action-culturelle/celebrations-nationales/2005/vie-politique-et-institutions/naissance-de-la-sfio-congrès-de-le-sall-du-globe/
·
Archives nationale. -
Tragédie chez les mineurs http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/action-culturelle/celebrations-nationales/2006/vie-politique-et-institutions/tragedie-chez-les-mineurs
·
Humanité.fr. - Lucie
Servin «La mémoire de la tragédie de la mine », 11 mars 2013. http://www.humanite.fr/culture/la-memoire-de-la-tragedie-de-la-mine-517105
·
Les Cahiers de
l'institut CGT d'histoire sociale. « La grève des cheminots d'octobre 1910 », Pierre Vincent,
André Narritsens http://www.ihs.cgt.fr/IMG/pdf_1726_CIHS_115.pdf
·
L'armée
nouvelle http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k81579h.image.f1.langFR
·
Dernier discours à
Vaise sur les responsabilités internationales http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/jaures/discours/responsables-guerre_25071914.asp
A
lire :
-
L'Humanité Hors-série Jean Jaurès 120
photographies et documents d’époque...
« Jean
Jaurès une vie pour changer le monde ».
http://boutique.humanite.fr/netful-presentation-press/site/humanite/default/fr/abonnement/publicationDetail.html?prodref=HU.VPC.HS0026&noAdd=true
-
« Les grands discours
parlementaires de la Troisième République de Victor Hugo à Clémenceau,
1870-1914».
La peine de mort : séance du 3 juillet 1908, p. 181 et séance du 18
novembre 1908, p. 187 « Parmi ces têtes qui tombent, il y
aura des têtes d'innocents », p. 187.
Textes présentés par
Jean Garrigues, préface Jean-Louis Debré.
Edition Armand Colin
-
"Jean Jaurès un prophète socialiste". Le Monde (hors-série), une vie une œuvre mars-avril 2014
-
« Jaurès le socialisme du
possible ». L'Histoire, n°397, mars 2014.
-
CANDAR Gilles,
DUCLERT Vincent. - "Jean Jaurès"
Edition Fayard, 5
février 2014.
-
DUCLERT Vincent. -
"Jaurès 1859-1914 : la politique et la légende".
Editions Autrement,
collection Vies parallèles, 2013.
-
FULIGNI Bruno. -
"Le monde selon Jaurès"
Editions Taillandier,
2014.
A
écouter :
-
BREL Jacques. -
« Pourquoi ont-ils tué Jaurès ».
http://lhumainavanttoutcantondepontduchateau.over-blog.com/article-pourquoi-ont-ils-tue-jaures-la-version-j-109093253.html
-
Michel Marie
PERRAUDIN. - « A Jean Jaurès »
http://www.youtube.com/watch?v=FpAZlzQf4TM
« Quatre cent cinquante pages pour résoudre une
énigme : comment l’assassin de Jaurès, Raoul Villain, a-t-il pu être acquitté
le 29 mars 1919 ?
L’ouvrage n’est pas un roman policier, il donne à lire l’intégralité des débats
qui se sont déroulés du 24 au 29 mars 1919 dans la salle d’audience
des assises de la
Seine. Ce scandaleux verdict,
on peut et on a pu
l’attribuer au jury composé exclusivement de « bourgeois » mais le mal était
plus profond, plus
politique, plus moral. On peut le résumer en quelques mots : puisque tous les
débats tournèrent autour du patriotisme, celui de la victime et celui de
l’assassin, Villain pouvait être présenté
par ses défenseurs
comme un patriote sujet à un « moment d’égarement ».
L’institution judiciaire elle-même a permis
cette manipulation. D’abord en acceptant le report du procès prévu en 1915, à
la demande de l’accusé lui-même. Et que dit Villain, dans sa lettre, qui se
donne déjà, avec perversité, le beau rôle patriotique ? Que le procès risque de
troubler l’union sacrée de la guerre en cours. À l’ouverture des assises, le
président dira au prévenu : « Vous êtes un patriote Villain », lui reprochant
de ne pas avoir « pensé »
aux conséquences de
son geste pour un pays
qui avait besoin
d’union. L’idée est reprise jusque dans le réquisitoire par l’avocat général,
demandant « une condamnation, mais une condamnation atténuée ».
Le vice du procès vint aussi, paradoxalement,
du « camp » de Jaurès. On était en 1919,
au lendemain de la
guerre « victorieuse » contre « l’ennemi » allemand. René Viviani, le président
du Conseil de juillet 1914, dans son témoignage, enrôle Jaurès dans l’union
sacrée. Et même Pierre Renaudel, désormais à la tête de l’Humanité, dit de son prédécesseur :
« Il eût fait rayonner notre politique de guerre. » L’important était, face
à la calomnie du
« traître » opposé à la guerre, de rendre à Jaurès et aux siens leur « honneur de
Français » !
Il restait à Alexandre Zévaes, l’avocat de
Villain,
le « renégat
socialiste », à glisser cette perfidie :
si les socialistes
eux-mêmes ne s’accordent pas sur
le patriotisme de
Jaurès, au titre de son refus de la guerre, pourquoi son client n’aurait-il pas
eu droit, sous la pression d’une presse déchaînée contre
le pacifisme, à sa
propre « interprétation » ?
Ainsi Jaurès fut-il
tué symboliquement une deuxième fois. Avec cette chose incroyable : en six
jours d’audience, personne pratiquement ne rappela
les millions de
pauvres morts. Après « l’union », c’est la guerre qui était devenue sacrée. Il
ne faudra pas longtemps pour que le réveil s’avère douloureux, confirmant la
mise en garde de Jaurès : « Si la patrie ne périssait pas dans la défaite, la
liberté pourrait périr dans la victoire. »
P.P
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