vendredi 2 mars 2018

Les bibliothèques scolaires



La naissance des bibliothèques scolaires




Bibliothèque du préau couvert (collection musée)

Une affaire d’Etat

Pendant le règne de Napoléon III, un arrêté ministériel du 1er juin 1862 organisa pour chaque école primaire publique une bibliothèque scolaire dont elle avait la propriété et qui était placée sous la surveillance de l’instituteur.





Dès lors, à la condition de disposer d’une armoire-bibliothèque conforme à un modèle prescrit, le maître pouvait recevoir des livres qui lui étaient accordés par le Ministre de l’Instruction  publique, le Préfet, les particuliers, ou bien qu’il se procurait au moyen des ressources propres à la bibliothèque scolaire et provenant de subventions municipales, de souscriptions, ou encore de « cotisations volontaires » des familles (1). Dressés par une commission ministérielle, des catalogues d’ouvrages de lecture en offraient un large choix, non limitatif mais, en principe, aucun livre ne pouvait être accepté par l’instituteur « sans l’autorisation de l’Inspecteur d’Académie » (2). Ces dispositions devaient être précisées par arrêté du 15 décembre 1915 qui, d’autre part, supprima la cotisation volontaire.

Auparavant déjà, les instituteurs avaient souvent écarté cette cotisation volontaire à la suite de la loi du 16 juin 1881 sur la gratuité complète de l’enseignement primaire et peut-être même dès l’arrêté de 1862 afin de permettre (comme le préconisait l’Art. 5) que les livres de la bibliothèque scolaire fussent mis à la disposition de tous les élèves fréquentant l’école, comme toutes les familles habitant la commune. Comment les familles modestes auraient-elles pu en bénéficier sans la gratuité ?


La veillée, manuel de lecture (collection musée)


En 1881, la bibliothèque scolaire ne devait plus garder le nom de « bibliothèque populaire » qu’on sembla lui donner. Elle allait cependant se muer en celle-ci, par l’intermédiaire des « grands élèves » auxquels elle était d’abord destinée. C’était à eux et à leurs parents que l’instituteur de Brandon (71) faisait lire aux veillées Sans famille et En campagne 1870, dans le cours de l’année 1885 (archives musée). Voilà qui était conforme aux instructions données en introduction au Catalogue d’ouvrages pour bibliothèque scolaire, en 1881. Celle-ci avait pour but de pallier, au village, la rareté « des livres dont l’ouvrier et le cultivateur ne pouvaient faire la dépense ». « L’enfant devenant le lecteur de la famille » y apportait « le goût des distractions saines », même le goût de « lectures scientifiques » profitables et surtout « ni livres de combats, ni livres de haine, mais tout ce qui peut faire aimer davantage la Patrie… » ajoutait-on, sans perdre de vue que « les lectures favorites des illettrés, comme des enfants, sont celles qui mettent les idées et les sentiments en récits et en images ». L’instituteur de Brandon fut récompensé par le Ministre.  


Catalogue des bibliothèques populaires en 1887.  (Source bibliothèque municipale de Saint-Etienne (Cliché: A. Bertrand)


C’était bien alors contre l’analphabétisme ou contre un retour à celui-ci qu’on tendait d’abord à lutter : en 1883, en Saône-et-Loire, il y avait 7,5 % de conscrits d’une ignorance complète contre 12,5 % dans l’ensemble de la France et pour la population globale de notre pays, un taux d’illettrés sans doute bien supérieur car, en 1877, encore la moitié des communes ne possédaient pas d’école de filles, par exemple. Au surplus, pour ceux qui savaient lire, il était indispensable de développer l’habileté à lire, en faisant aimer la lecture.


« Les livres »,  Ernest Breuil. Leçons illustrées de français. Paris, Librairie Larousse, vers 1910, (CANOPE)


Le nombre de bibliothèques scolaires augmentait peu à peu dans notre département : 265 en 1879 avec 24 720 volumes ; 416 en 1883 avec 41 606 volumes ; 606 en 1893 avec 82 744 volumes. Après que le nombre de conscrits se fut abaissé à 6,2 % en 1935, à 3,4 % en 1951, alors que le nombre des analphabètes en France tendait à devenir infime, il importait, par la pratique suivie de la lecture, d’apprendre vraiment à lire.


Jean Geoffroy, Le Travail des Petits, 1889, détail


Aller au-devant du jeune lecteur, en tâchant de l’intéresser à « quelques œuvres de qualité incontestable », telle était, en 1950, la motivation profonde du concours que l’hebdomadaire L’Education Nationale avait organisé entre les écoles de France, afin que, d’abord, les maîtresses et les maîtres avisés réussissent à proposer « soixante meilleurs livres d’une bibliothèque scolaire ». Trois écoles de Saône-et-Loire obtinrent un prix.


La lecture, manuel de lecture (collection musée)


Déjà, les bibliothèques scolaires renouvelaient leurs ouvrages, pour les partager entre les classes de chaque école, en les mettant au niveau des petits élèves aussi bien que des grands. Heureuse métamorphose ! Car il faut que le pouvoir de lire soit conquis « par tous les enfants, y compris et d’abord par ceux que le milieu familial n’aide ni ne pousse en ce sens ». Après plus d’un demi-siècle, cette préconisation est toujours d’une cruelle actualité…


D’autre part, non mentionnées par les décrets précités, les bibliothèques pédagogiques avaient, discrètement, un rôle éminent à jouer au service du personnel enseignant. En 1884, elles étaient au nombre de 42 dans notre département dont seulement 8 cantons en était dépourvu. Ce fut en 1887 que pour le canton de Montceau-les-Mines (créé en 1874), une bibliothèque pédagogique fut appelée à exister, sur la proposition de M. Durlot, Inspecteur primaire et fut installée à l’école primaire de garçons de la rue de l’Est, actuelle école Jean Jaurès qui abrite le Musée de la Maison d’Ecole. Cette école fut brièvement désignée car elle était la seule école publique de la ville avec sa jumelle, l’école de filles de la rue Carnot. Des concessions du ministère, des dons d’éditeurs ou de sympathisants permettaient de garnir les rayons de livres, ainsi que les achats à effectuer grâce à une première cotisation des membres participants. Cette cotisation était fixée à un franc cinquante centimes pour les institutrices et instituteurs titulaires et un franc pour les adjointes et adjoints d’enseignement. Des subventions de l’état ou du département étaient escomptées, attribuées selon un règlement strict soumis à l’approbation de Monsieur l’Inspecteur d’académie. Des journaux et des ouvrages de pédagogie ou d’instruction générale devaient être destinés « au perfectionnement professionnel des titulaires » et « à la préparation des jeunes maîtres aux divers diplômes  de l’enseignement primaire ».


Manuels scolaires (archives musée)


Pendant plus d’un demi-siècle, la bibliothèque pédagogique du canton de Montceau semble avoir eu une vie fort active quand ses lectrices et lecteurs lui demandèrent non seulement des connaissances nouvelles mais aussi des distractions intellectuelles ! Alors commença bientôt une évolution qui paraît s’être précisée surtout après la Seconde Guerre Mondiale, vers un choix très éclectique et attrayant d’ouvrages, y compris de romans…

Aussi, à partir de 1970, il fallut répartir entre deux salles de l’école d’origine, d’une part, une série « littérature », qui comptait environ 1800 livres, œuvres de romanciers, historiens, mémorialistes, philosophes et autres ; d’autre part, une série « pédagogie-psychologie » qui comprenait environ 350 livres et plusieurs revues, régulièrement complétées, d’intérêt pédagogique, scientifique ou historique. En 1988, cette bibliothèque pédagogique passa sous la tutelle de l’association APPRENDRE qui en renouvela le fond et la forme en y incluant des spécimens de manuels scolaires à l’usage des enseignants ainsi que du matériel didactique et informatique de démonstration. Créée sous la présidence de M. Charles, Inspecteur de l’Education Nationale de la circonscription de Montceau, l’association perdura jusqu’en 2013, sous la présidence cette fois de votre serviteur (2000-2012). A la dissolution, le Conseil d’administration octroya le nombreux matériel aux communes et écoles adhérentes et la bibliothèque pédagogique au Musée de la Maison d’Ecole (3).


Bibliothèque pédagogique de Montceau (collection musée)


Désormais, bien en vue derrière les portes vitrées de l’ancienne bibliothèque, s’alignent des rangées de livres reliés, couverts partiellement ou complètement de toile noire. Leur aspect assez austère ne déplaît pas, dans ce meuble de chêne massif agrémenté de moulures, et qui s’harmonise avec l’ensemble quelque peu sévère du préau couvert et nouveau hall d’accueil du musée, auquel on a voulu l’intégrer.


(1) : L’arrêté du 1er juin 1862 est signé par « son excellence Gustave Rouland le Ministre de l’Instruction publique et des Cultes » (1856-57 et 1860-63). Il établit dans chaque école primaire publique, une bibliothèque scolaire. Il stipule qu’aucun ouvrage ne peut être acquis par la bibliothèque sans l’autorisation de l’Inspecteur d’Académie (Art. 6) et que les livres sont prêtés non seulement aux élèves mais aussi aux familles (Art. 5).


Arrêté du 1er juin 1862 (http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique)


L’objectif de ce projet est double. En premier lieu, il s’agit de faciliter matériellement l’instruction et l’éducation par le prêt de livres scolaires aux élèves. Ensuite, la bibliothèque scolaire devient un puissant moyen "d’éducation populaire", elle  donne aux familles un accès à des ouvrages techniques et de culture générale. La bibliothèque scolaire doit aussi faire office de bibliothèque publique dans les communes qui n’en possèdent pas. Ainsi, en 1870, un recensement fait apparaître que 25 % des communes sont dotées d’une bibliothèque scolaire contenant de 50 à 150 livres en moyenne. Les lois Ferry de 1881 et 1882 vont amplifier ce mouvement et renforcer le rôle de l’école dans la lutte pour l’alphabétisation, le pourcentage relevé lors du recensement de 1870 passera alors à 64 % en 1900. Pour ce faire, les communes avaient pu demander une concession de livres au ministère de l’Instruction, mais aussi lui faire subventionner l’achat de livres ou accepter des dons. Ce n’est que progressivement qu’elles vont inscrire cette dépense à leur budget.


Livre de la réserve de la bibliothèque populaire d’Arès (Cliché I. Antonutti)


(2) : Cette fin de  XIXe siècle va être marquée par la séparation nette entre manuels purement scolaires et littérature enfantine. Cette dernière va connaitre un essor considérable dans les décennies suivantes et c’est à partir de 1887 qu’une rubrique "ouvrages destinés aux enfants" va s’inscrire dans les catalogues officiels. Mais là encore, la prudence est de mise, l’instruction populaire doit être encadrée et correspondre aux orientations politiques. Les livres sont choisis et agréés par la Commission permanente des bibliothèques scolaires créée en juillet 1862 et instituée définitivement par un arrêté ministériel du 15 juin 1863. Elle est chargée de déterminer les ouvrages susceptibles d’être achetés par l’État pour distribution dans les bibliothèques scolaires et elle publie un catalogue de livres désignés au choix des instituteurs, dans lequel plus de 2 000 ouvrages sont proposés. Ce catalogue est décliné en quatorze rubriques :

Série A : Ouvrages généraux, grammaires et dictionnaires ;
Série B : Morale et Pédagogie ;
Série C : Histoire et Biographies ;
Série D : Géographie et Voyages ;
Série E : Classiques ;
Série F : Littérature, Poésie, Romans, Contes et Théâtre ;
Série G : Ouvrages destinés aux enfants ;
Série H : Économie politique, Législation usuelle et Connaissances utiles ;
Série J : Sciences physiques et naturelles ;
Série K : Hygiène ;
Série L : Industrie ;
Série M : Agriculture, Horticulture, Sylviculture, Pisciculture, etc. ;
Série N : Beaux-arts et Musique.

(3) : Le Conseil d’administration de l’association APPRENDRE mit fin à ses activités et  procéda à la liquidation de ses biens fin juin 2013. L’association disposait alors de matériels nouveaux et innovants, tant dans le cadre de la lecture et des apprentissages scientifiques, que dans celui de l’audio-vidéo ou de la musique. De plus, la bibliothèque pédagogique (livres d’élève, livres du maître, livres de pédagogie, revues) comptait plus de 2500 livres.

Assemblée Générale APPRENDRE 2004

Elle avait vocation à informer, guider les enseignants, tant au niveau du prêt de valises pédagogiques, que dans la mise à disposition de manuels ou de supports pédagogiques divers qu’elle avait en dépôt. Placée dès 1989 sous le haut patronage de Monsieur l’Inspecteur d’Académie, gérée par des instituteurs et soutenue par les communes de la circonscription scolaire de Montceau, l’association APPRENDRE a été au service des 50 écoles primaires adhérentes et des 350 maîtres qui les composaient, investissant pour eux près de 90 000 euros en 25 années d’existence.

APPRENDRE a participé activement, durant de longues années, à la formation continue des enseignants, en partenariat avec l’inspection primaire, notamment autour de conférences pédagogiques qu’elle finança. Les aides qu’elle obtint des communes conditionnèrent la réussite de ses projets et prouvèrent, s’il était besoin, l’engagement des élus au côté de l’école publique. C’est pourquoi le Conseil d’administration d’APPRENDRE prit la décision d’attribuer un lot de matériel aux activités périscolaires de chaque municipalité dans la cession des biens. Ce furent des valises pédagogiques qui trouvèrent un nouveau souffle dans l’utilisation qui en fut faite par les accompagnements scolaires et les autres structures qui en bénéficièrent. Cinq communes qui finançaient l’association depuis 25 ans furent ainsi destinataires d’un lot de matériel, juste retour des choses.

Catalogue APPRENDRE 2001


Les avoirs financiers et la bibliothèque pédagogique, quant à eux, furent cédés à l’association sœur : la Maison d’Ecole, avec l’engagement pour les premiers d’être utilisés au bénéfice des écoliers de la circonscription et pour la seconde, de trouver une pérennité historique et une mise en valeur dans le cadre du musée. Nous avons respecté notre engagement en mêlant le projet scientifique du musée et le financement APPRENDRE autour du thème de la commémoration du Centenaire de la Grande Guerre sur la période 2014-2018. C’est ainsi que 600 élèves en 2014-2015 et près de 700 en 2016-2017 ont pu être transportés pour visiter les expositions du Centenaire (Label National du Centenaire), le tout gratuitement. Il en sera de même pour la dernière exposition de 2018.

Les présidents de l’association APPRENDRE :
1988-90 : M. Charles, Inspecteur
1990-1999 : M. Salesse, Inspecteur
1999-2000 : M. Jaillot, Animateur TICE
2000-2013 : M. Pluchot, Directeur/Coordonnateur ZEP/IMF

Dernier Conseil d’administration APPRENDRE :
DURANDIN Valérie, LABAUNE Agnès, MALTAVERNE Claire (secrétaire), MEDALLE Nadège, PLUCHOT Marie-Claire, PREUSSE Martine (trésorière), BURTIN Gérard, GAGNE Pierre, GAUMET Jacqueline, GILLOT André, MALSOT Daniel, MARCELIN Vincent, PLUCHOT Patrick.    

P.P  










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