La
naissance des bibliothèques scolaires
Une
affaire d’Etat
Pendant
le règne de Napoléon III, un arrêté ministériel du 1er juin 1862
organisa pour chaque école primaire publique une bibliothèque scolaire dont
elle avait la propriété et qui était placée sous la surveillance de
l’instituteur.
Dès lors, à la condition de
disposer d’une armoire-bibliothèque conforme à un modèle prescrit, le maître
pouvait recevoir des livres qui lui étaient accordés par le Ministre de
l’Instruction publique, le Préfet, les
particuliers, ou bien qu’il se procurait au moyen des ressources propres à la
bibliothèque scolaire et provenant de subventions municipales, de
souscriptions, ou encore de « cotisations volontaires » des familles (1).
Dressés par une commission ministérielle, des catalogues d’ouvrages de lecture
en offraient un large choix, non limitatif mais, en principe, aucun livre ne
pouvait être accepté par l’instituteur « sans
l’autorisation de l’Inspecteur d’Académie » (2). Ces dispositions devaient être précisées par arrêté du 15
décembre 1915 qui, d’autre part, supprima la cotisation volontaire.
Auparavant déjà, les
instituteurs avaient souvent écarté cette cotisation volontaire à la suite de
la loi du 16 juin 1881 sur la gratuité complète de l’enseignement primaire et
peut-être même dès l’arrêté de 1862 afin de permettre (comme le préconisait
l’Art. 5) que les livres de la bibliothèque scolaire fussent mis à la
disposition de tous les élèves
fréquentant l’école, comme toutes les
familles habitant la commune. Comment les familles modestes auraient-elles pu
en bénéficier sans la gratuité ?
En 1881, la bibliothèque scolaire ne devait plus
garder le nom de « bibliothèque populaire » qu’on sembla lui donner.
Elle allait cependant se muer en celle-ci, par l’intermédiaire des
« grands élèves » auxquels elle était d’abord destinée. C’était à eux
et à leurs parents que l’instituteur de Brandon (71) faisait lire aux veillées Sans famille et En campagne 1870, dans le cours de l’année 1885 (archives musée).
Voilà qui était conforme aux instructions données en introduction au Catalogue d’ouvrages pour bibliothèque
scolaire, en 1881. Celle-ci avait pour but de pallier, au village, la rareté « des livres dont l’ouvrier et le
cultivateur ne pouvaient faire la dépense ». « L’enfant devenant le
lecteur de la famille » y apportait « le goût des distractions saines », même le goût de « lectures scientifiques »
profitables et surtout « ni livres
de combats, ni livres de haine, mais tout ce qui peut faire aimer davantage la
Patrie… » ajoutait-on, sans perdre de vue que « les lectures favorites des illettrés, comme des enfants, sont
celles qui mettent les idées et les sentiments en récits et en images ».
L’instituteur de Brandon fut récompensé par le Ministre.
C’était bien alors contre
l’analphabétisme ou contre un retour à celui-ci qu’on tendait d’abord à
lutter : en 1883, en Saône-et-Loire, il y avait 7,5 % de conscrits d’une
ignorance complète contre 12,5 % dans l’ensemble de la France et pour la population
globale de notre pays, un taux d’illettrés sans doute bien supérieur car, en
1877, encore la moitié des communes ne possédaient pas d’école de filles, par
exemple. Au surplus, pour ceux qui savaient lire, il était indispensable de
développer l’habileté à lire, en faisant aimer la lecture.
Le nombre de bibliothèques
scolaires augmentait peu à peu dans notre département : 265 en 1879 avec
24 720 volumes ; 416 en 1883 avec 41 606 volumes ; 606 en
1893 avec 82 744 volumes. Après que le nombre de conscrits se fut abaissé
à 6,2 % en 1935, à 3,4 % en 1951, alors que le nombre des analphabètes en
France tendait à devenir infime, il importait, par la pratique suivie de la
lecture, d’apprendre vraiment à lire.
Aller au-devant du jeune
lecteur, en tâchant de l’intéresser à « quelques
œuvres de qualité incontestable », telle était, en 1950, la motivation
profonde du concours que l’hebdomadaire L’Education
Nationale avait organisé entre les écoles de France, afin que, d’abord, les
maîtresses et les maîtres avisés réussissent à proposer « soixante meilleurs livres d’une bibliothèque scolaire ».
Trois écoles de Saône-et-Loire obtinrent un prix.
Déjà, les bibliothèques
scolaires renouvelaient leurs ouvrages, pour les partager entre les classes de
chaque école, en les mettant au niveau des petits élèves aussi bien que des
grands. Heureuse métamorphose ! Car il faut que le pouvoir de lire soit
conquis « par tous les enfants, y
compris et d’abord par ceux que le milieu familial n’aide ni ne pousse en ce
sens ». Après plus d’un demi-siècle, cette préconisation est toujours
d’une cruelle actualité…
D’autre part, non
mentionnées par les décrets précités, les bibliothèques
pédagogiques avaient, discrètement, un rôle éminent à jouer au service du
personnel enseignant. En 1884, elles étaient au nombre de 42 dans notre
département dont seulement 8 cantons en était dépourvu. Ce fut en 1887 que pour
le canton de Montceau-les-Mines (créé en 1874), une bibliothèque pédagogique
fut appelée à exister, sur la proposition de M. Durlot, Inspecteur primaire et
fut installée à l’école primaire de garçons de la rue de l’Est, actuelle école
Jean Jaurès qui abrite le Musée de la Maison d’Ecole. Cette école fut
brièvement désignée car elle était la seule école publique de la ville avec sa
jumelle, l’école de filles de la rue Carnot. Des concessions du ministère, des
dons d’éditeurs ou de sympathisants permettaient de garnir les rayons de
livres, ainsi que les achats à effectuer grâce à une première cotisation des
membres participants. Cette cotisation était fixée à un franc cinquante
centimes pour les institutrices et instituteurs titulaires et un franc pour les
adjointes et adjoints d’enseignement. Des subventions de l’état ou du
département étaient escomptées, attribuées selon un règlement strict soumis à
l’approbation de Monsieur l’Inspecteur d’académie. Des journaux et des ouvrages
de pédagogie ou d’instruction générale devaient être destinés « au perfectionnement professionnel des
titulaires » et « à la
préparation des jeunes maîtres aux divers diplômes de l’enseignement primaire ».
Pendant plus d’un demi-siècle,
la bibliothèque pédagogique du canton de Montceau semble avoir eu une vie fort
active quand ses lectrices et lecteurs lui demandèrent non seulement des
connaissances nouvelles mais aussi des distractions intellectuelles !
Alors commença bientôt une évolution qui paraît s’être précisée surtout après
la Seconde Guerre Mondiale, vers un choix très éclectique et attrayant
d’ouvrages, y compris de romans…
Aussi, à partir de 1970, il
fallut répartir entre deux salles de l’école d’origine, d’une part, une série
« littérature », qui comptait environ 1800 livres, œuvres de
romanciers, historiens, mémorialistes, philosophes et autres ; d’autre
part, une série « pédagogie-psychologie » qui comprenait environ 350
livres et plusieurs revues, régulièrement complétées, d’intérêt pédagogique,
scientifique ou historique. En 1988, cette bibliothèque pédagogique passa sous
la tutelle de l’association APPRENDRE qui en renouvela le fond et la forme en y
incluant des spécimens de manuels scolaires à l’usage des enseignants ainsi que
du matériel didactique et informatique de démonstration. Créée sous la
présidence de M. Charles, Inspecteur de l’Education Nationale de la
circonscription de Montceau, l’association perdura jusqu’en 2013, sous la
présidence cette fois de votre serviteur (2000-2012). A la dissolution, le
Conseil d’administration octroya le nombreux matériel aux communes et écoles
adhérentes et la bibliothèque pédagogique au Musée de la Maison d’Ecole (3).
Désormais, bien en vue
derrière les portes vitrées de l’ancienne bibliothèque, s’alignent des rangées
de livres reliés, couverts partiellement ou complètement de toile noire. Leur
aspect assez austère ne déplaît pas, dans ce meuble de chêne massif agrémenté
de moulures, et qui s’harmonise avec l’ensemble quelque peu sévère du préau
couvert et nouveau hall d’accueil du musée, auquel on a voulu l’intégrer.
(1) : L’arrêté du 1er juin
1862 est signé par « son excellence Gustave Rouland le Ministre de
l’Instruction publique et des Cultes » (1856-57 et 1860-63). Il établit
dans chaque école primaire publique, une bibliothèque scolaire. Il stipule
qu’aucun ouvrage ne peut être acquis par la bibliothèque sans l’autorisation de
l’Inspecteur d’Académie (Art. 6) et que les livres sont prêtés non seulement
aux élèves mais aussi aux familles (Art. 5).
L’objectif de ce projet est
double. En premier lieu, il s’agit de faciliter
matériellement l’instruction et l’éducation par le prêt de livres
scolaires aux élèves. Ensuite, la bibliothèque scolaire devient un puissant
moyen "d’éducation populaire", elle donne aux familles un accès à des ouvrages techniques et de
culture générale. La bibliothèque scolaire doit aussi faire office de
bibliothèque publique dans les communes qui n’en possèdent pas. Ainsi, en 1870,
un recensement fait apparaître que 25 % des communes sont dotées d’une
bibliothèque scolaire contenant de 50 à 150 livres en moyenne. Les lois Ferry
de 1881 et 1882 vont amplifier ce mouvement et renforcer le rôle de l’école
dans la lutte pour l’alphabétisation, le pourcentage relevé lors du recensement
de 1870 passera alors à 64 % en 1900. Pour ce faire, les communes avaient pu
demander une concession de livres au ministère de l’Instruction, mais aussi lui
faire subventionner l’achat de livres ou accepter des dons. Ce n’est que
progressivement qu’elles vont inscrire cette dépense à leur budget.
(2) : Cette fin de XIXe siècle va
être marquée par la séparation nette entre manuels purement scolaires et
littérature enfantine. Cette dernière va connaitre un essor
considérable dans les décennies suivantes et c’est à partir de 1887 qu’une
rubrique "ouvrages destinés aux enfants" va s’inscrire dans les
catalogues officiels. Mais là encore, la prudence est de mise, l’instruction
populaire doit être encadrée et correspondre aux orientations politiques. Les
livres sont choisis et agréés par la Commission permanente des bibliothèques
scolaires créée en juillet 1862 et instituée définitivement par un arrêté
ministériel du 15 juin 1863. Elle est chargée de déterminer les
ouvrages susceptibles d’être achetés par l’État pour distribution dans les
bibliothèques scolaires et elle publie un catalogue de livres désignés au choix
des instituteurs, dans lequel plus de 2 000 ouvrages sont proposés. Ce
catalogue est décliné en quatorze rubriques :
Série A : Ouvrages généraux, grammaires et dictionnaires ;
Série B : Morale et Pédagogie ;
Série C : Histoire et Biographies ;
Série D : Géographie et Voyages ;
Série E : Classiques ;
Série F : Littérature, Poésie, Romans, Contes et Théâtre ;
Série G : Ouvrages destinés aux enfants ;
Série H : Économie politique, Législation usuelle et Connaissances utiles ;
Série J : Sciences physiques et naturelles ;
Série K : Hygiène ;
Série L : Industrie ;
Série M : Agriculture, Horticulture, Sylviculture, Pisciculture, etc. ;
Série N : Beaux-arts et Musique.
(3) : Le Conseil
d’administration de l’association APPRENDRE mit fin à ses activités et procéda à la liquidation de ses biens fin
juin 2013. L’association disposait alors de matériels nouveaux et innovants,
tant dans le cadre de la lecture et des apprentissages scientifiques, que dans
celui de l’audio-vidéo ou de la musique. De plus, la bibliothèque pédagogique
(livres d’élève, livres du maître, livres de pédagogie, revues) comptait plus
de 2500 livres.
Elle avait vocation à
informer, guider les enseignants, tant au niveau du prêt de valises
pédagogiques, que dans la mise à disposition de manuels ou de supports
pédagogiques divers qu’elle avait en dépôt. Placée dès 1989 sous le haut
patronage de Monsieur l’Inspecteur d’Académie, gérée par des instituteurs et
soutenue par les communes de la circonscription scolaire de Montceau,
l’association APPRENDRE a été au
service des 50 écoles primaires adhérentes et des 350 maîtres qui les composaient,
investissant pour eux près de 90 000 euros en 25 années d’existence.
APPRENDRE a participé
activement, durant de longues années, à la formation continue des enseignants,
en partenariat avec l’inspection primaire, notamment autour de conférences
pédagogiques qu’elle finança. Les aides qu’elle obtint des communes conditionnèrent
la réussite de ses projets et prouvèrent, s’il était besoin, l’engagement des
élus au côté de l’école publique. C’est pourquoi le Conseil d’administration
d’APPRENDRE prit la décision d’attribuer un lot de matériel aux activités
périscolaires de chaque municipalité dans la cession des biens. Ce furent des
valises pédagogiques qui trouvèrent un nouveau souffle dans l’utilisation qui en
fut faite par les accompagnements scolaires et les autres structures qui en
bénéficièrent. Cinq communes qui finançaient l’association depuis 25 ans furent
ainsi destinataires d’un lot de matériel, juste retour des choses.
Les avoirs financiers et la
bibliothèque pédagogique, quant à eux, furent cédés à l’association sœur :
la Maison d’Ecole, avec l’engagement pour les premiers d’être utilisés au
bénéfice des écoliers de la circonscription et pour la seconde, de trouver une
pérennité historique et une mise en valeur dans le cadre du musée. Nous avons
respecté notre engagement en mêlant le projet scientifique du musée et le
financement APPRENDRE autour du thème de la commémoration du Centenaire de la
Grande Guerre sur la période 2014-2018. C’est ainsi que 600 élèves en 2014-2015
et près de 700 en 2016-2017 ont pu être transportés pour visiter les
expositions du Centenaire (Label National du Centenaire), le tout gratuitement.
Il en sera de même pour la dernière exposition de 2018.
Les présidents de
l’association APPRENDRE :
1988-90 : M. Charles,
Inspecteur
1990-1999 : M. Salesse,
Inspecteur
1999-2000 : M. Jaillot,
Animateur TICE
2000-2013 : M. Pluchot,
Directeur/Coordonnateur ZEP/IMF
Dernier Conseil
d’administration APPRENDRE :
DURANDIN Valérie, LABAUNE
Agnès, MALTAVERNE Claire (secrétaire), MEDALLE Nadège, PLUCHOT Marie-Claire,
PREUSSE Martine (trésorière), BURTIN Gérard, GAGNE Pierre, GAUMET Jacqueline,
GILLOT André, MALSOT Daniel, MARCELIN Vincent, PLUCHOT Patrick.
P.P
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