« Les
Instits du Centenaire ! »
Les normaliens mobilisés
Hommage aux
promotions de la guerre
PREAMBULE
Les
élèves et les anciens élèves de l’Ecole Normale de Mâcon ont payé un lourd
tribut et notamment les promotions de 1897 à 1915 qui furent véritablement décimées
(les plus touchées : la promotion 1906-1909 : 10 tués sur 29 élèves
et la promotion 1912-1915 : 12 tués sur 30 élèves). La promotion la plus
âgée appelée fut la 1887/190 (les membres avaient 45 ans ou moins en 1914, âge
maximum pour le service actif).
Le 1er
septembre 1921, on apposa une plaque commémorative dans le hall d’entrée
de l’Ecole Normale. Elle comporte 102 noms, à l’issue de nos recherches dans le
Livre d’Or des instituteurs tués en 14/18, nous avons décidé d’y associer les
noms des 27 instituteurs, morts pour la France eux-aussi, et qui ne figurent
pas sur cette plaque pour diverses raisons (maîtres issues d’autres Ecoles
Normales, maîtres n’étant pas passés par une Ecole Normale ou tout simplement
des maîtres décédés après 1921 des suites de leurs blessures de guerre).
Exposition itinérante « Des
bataillons scolaires aux tranchées »
Médiathèque
de Blanzy du 06/10 au 14/10
Mairie de
Tournus du 16/10 au 23/10
Embarcadère à
Montceau du 03/11 au 11/11 (exposition complète)
Evidemment on regrettera que les ennemis de
l’Ecole de la République, aient toujours été prompts à attribuer les défaites
de 1870 et de 1940 ensuite, à la déficience des instituteurs et qu’ils n’aient
pas plus exalté le sacrifice de ceux de 14/18. En Saône-et-Loire, comme dans
beaucoup de régions de France, leurs pertes représentent plus de 25 % des
effectifs des promotions.
Voici donc présentées ci-dessous, ces
fameuses « promotions de la guerre » qui virent leurs études et leur
jeunesse compromises : les 11/14 à 16/19.
PROMOTION 11/14
Le concours d’entrée de 1911, qui réunissait
55 candidats, contre 66 l’année précédente, s’ouvrit le 25 juillet. 30 places
étaient mises au concours.
A l’issue des épreuves furent proclamés les
trente admis, plus deux sur la liste complémentaire.
Vingt ans en 14 !… Octobre 1911, 30
braves garçons, dont la gaieté cache mal une certaine anxiété, occupent la salle
d’études de l’Ecole Normale de Mâcon. En blouse noire, ils sont accueillis par
un Directeur austère et un réjouissant Econome. (..) La promo 11/14
termine la « Belle Epoque » pour être plongée, à la sortie de
l’école, dans le tragique bouleversement de la « Grande Guerre ».
Cependant, nous sommes fiers de circuler, en
ville, avec le nouvel uniforme, rodé par nos « Civils », reluisant de
ses 14 boutons dorés (8 à la tunique !… 6 au gilet !…). ô
casquette ! Que de mains maladroites manipulent ta visière : une
courbe savante, croyons-nous, attire le regard des jeunes mâconnaises !
Pourquoi ces souvenirs de
« gamins » s’égrènent-ils, d’abord, sur ce papier ? Un
sexagénaire, bien mûr, retomberait-il en enfance ?
Ne serait-ce pas, après les heures studieuses,
sous la coupe de professeurs talentueux, sévères ou débonnaires, dont nous
apprécierons, par la suite, la tâche difficile, ne serait-ce pas pour masquer
les graves douloureux événements qui nous attendent, dès la sortie de l’Ecole Normale, nous, les insouciants gars de 20 ans !
Août 1914 ! La tunique à bouton dorés
fait place, rapidement, à un nouvel uniforme, plus rutilant à l’époque, mais
combien plus dangereux ! (..)
La guerre, hélas, nous enlève successivement
cinq jeunes braves et parmi les revenants, souvent diminués physiquement par
blessure ou captivité, huit camarades nous quittent définitivement.
D’après la chronique du Cinquantenaire,
« un vieux de la vieille de la 12/15, Bulletin n° 82, 1961
Collègues de la promotion morts pour la France
(visages cerclés sur la photographie) :
FAVRE James-Edouard, JOBLOT André, MARMILLOT Georges-Henri, RICHARD
Alphonse-Eugène, SEGUIN Marcel.
PROMOTION 12/15
Le concours d’entrée de 1912 s’ouvrit le 29
juillet et 56 candidats s’y disputaient 30 places d’élèves-maîtres. (..) La
promotion 1912/1915 fut parmi celles qui payèrent le plus lourd tribut au cours
de la guerre, qui devait d’ailleurs interrompre le cours de ses études dès la
fin de la deuxième année. Tous ses membres furent en effet délégués comme
intérimaires de guerre pour combler les vides creusés par la mobilisation parmi
les maîtres du département.
Appartenant pour la plupart aux classes 1915
et 1916, les Roupanards de la 12/15 ne demeurèrent que bien peu de temps en fonction,
et, rapidement incorporés, ils furent bien vite envoyés au front.
Neuf camarades de la 12/15 devaient trouver
la mort sur les champs de bataille, et trois autres – BOISSON, GUILLAUME, SPAY
– ne devaient pas longtemps survivre aux blessures ou maladies qui avaient
définitivement compromis leur santé.
La guerre de 39-45 voyait la fin tragique de
Claude FORÊT et devait causer, à longue échéance, la mort de notre camarade
LAGNEAU, usé par les souffrances d’une inhumaine captivité. (..)
Cette première année se termina, comme il se
doit, par l’ « enterrement du 1 » (..) je nous revoie encore,
défilant en monôme, une fois passée La Coupée, précédés par Tacnet et Châtelet
avec leur piston, par Lagneau portant avec respect un immense « 1 »
qu’il avait lui-même confectionné avec le bois de l’atelier. (..) Cette
deuxième année se passa donc dans le travail de préparation du Brevet Supérieur
(..) et puis vint le Brevet Supérieur, puis la « décale ». C’était en juillet
1914 et l’on parlait sérieusement de guerre ; mais, avec l’insouciance de
nos 19 ans nous refusions de croire à la possibilité d’un pareil malheur !
Hélas ! Peu de jours après, le coup de
tonnerre du 2 août 1914 vint dissiper nos illusions et réduire à néant tous nos
beaux projets. L’Ecole Normale, transformée en hôpital, fut fermée et, en guise
de troisième année et de doux farniente, nous dûmes tous partir, les uns après les autres, au
« casse-pipes ». Trois d’entre nous de la classe 14, partirent en
septembre 14 ; ceux de la classe 15 en décembre ; ceux de la classe
16 en avril 15 et enfin les deux benjamins de la 17 en janvier 16. Beaucoup ne
sont pas revenus…
D’après la chronique du Cinquantenaire, J. B.
BOULETREAU (11/14) Bulletin de l'Amicale n° 83, 1962
En juillet 1914, Brevet Supérieur !
Aussitôt l’examen terminé nous fûmes renvoyés dans nos familles. Et, à la
grande surprise de la plupart d’entre nous, peu soucieux des événements
extérieurs, c’était la guerre en août.
Bientôt, ceux qui appartenaient à la classe
1914 (20 ans) furent mobilisés.
Le 1er octobre, les non-appelés –
au lieu de revenir à l’EN pour leur troisième année – furent nommés en
remplacement des instituteurs sous les drapeaux dont certains étaient déjà
tués, blessés ou prisonniers.
A la fin de l’année, la classe 15 (19 ans)
fut mobilisé ; puis, en 1915, appel de la classe 16 (18 ans).
Notre promo est donc la première de celles
dont les études furent interrompues par la première guerre mondiale. Nous avons
été dispersés dans les régiments d’infanterie, dans les « pelotons »
ou les écoles d’aspirants alors que certains d’entre nous étaient encore
presque des enfants, jugeant l’armée d’après Les Gaîtés de l’Escadron ou
L’Adjudant Flick, des œuvres de Courteline qu’un professeur nous avait
fait connaître en « lecture libre ».
Quand nous sommes rentrés fin 1919, nous
avions de 23 à 25 ans ; nous étions des « hommes », mais il en
manquait 12 sur 30 : BOISSON, CLAIR, DEHEZ, GUILLAUME, LAFORËT, LHENRY,
MERLIN, POTHIN, SEGUIN, SEREAU, SPAY, TACNET ont été tués ou sont décédés des
suites de blessures de guerre.
Les survivants ont presque tous été blessés.
Réadaptés à la vie civile, ils ont poursuivi une carrière normale ;
cependant, quelques-uns mettaient en cause le régime « qui porte en lui la
guerre comme la nuée porte l’orage » (Jaurès).
En 1939, certains furent encore mobilisés.
Puis le gouvernement dit de Vichy en suspendit, déplaça ou révoqua
quelques-uns : PAGNEUX, DESVEAUX, CHATELET, LAGNEAU.
En 1944, FORÊT, alors directeur du Cours
complémentaire de Saint-Germain-du-Bois, fut tué par les allemands.
A la libération, les « brimés »
retrouvèrent leurs postes.
Maintenant, nous sommes tous retraités et
nous pouvons méditer sur la phrase célèbre : « Ainsi, comme nous en
voyons passer d’autres devant nous, d’autres nous verrons passer, qui doivent à
leurs successeurs le même spectacle ». Mais, en ce qui concerne la
nouvelle vague des générations, un souhait personnel pour finir !
Que se réalise « l‘avenir
consolateur » évoqué dans le poème Lux [Victor Hugo], lequel fut supprimé
de notre programme en 1913 :
Oh !
Voyez ! La nuit se dissipe.
Sur le
monde qui s’émancipe,
Oubliant
Césars et Capets ;
Et sur
les nations nubiles,
S’ouvrent
dans l’azur, immobile,
Les
vastes ailes de la Paix.
D’après la chronique du Cinquantenaire, Henri
DESVAUX (12/15) Bulletin de l'Amicale n° 83, 1962
Collègues de la promotion morts pour la
France :
CLAIR Stéphane-Raymond, DEHEZ Jean-Marie, LAFORET Henri-Jean-Marie, LHENRY
Jacques-Marius, MERLIN Albert, SEREAU
Noël-Camille-Jules, TACNET Antonin-Jean-Marie,
POTHIN Jean-Hyacinthe (mort en 1916 d’une
maladie contractée au front), GUILLAUME Eugène (mort en 1920 des suites
de ses blessures), BOISSON Paul-Léon-Stéphane (mort en 1921 d’une
maladie contractée au front), SPAY Louis-Antonin (mort en 1926 des
suites de ses blessures).
PROMOTION 13/16
Le concours d’entrée de 1913 s’ouvrit le 27
juillet. 63 candidats s’y disputaient 27 places. (..)
Comme toutes les promotions de guerre – et
plus que d’autres peut-être – la 13/16 vit ses études gravement perturbées,
puis bientôt interrompues. A la rentrée de 1914, alors qu’elle devait entamer
sa deuxième année d’études pour préparer le Brevet Supérieur d’alors, elle dut
abandonner l’Ecole au personnel et aux
blessés d’un hôpital temporaire. Tous ses membres furent aussitôt appelés à
remplacer , à travers le département, les maîtres mobilisés, et ils ne devaient
d’ailleurs guère tarder à les rejoindre au front. Appartenant aux classes 16 et
17, les Roupanards de la 13/16 ont payé un lourd tribu à la guerre. Si deux
d’entre eux seulement furent tués au combat, beaucoup furent gravement blessés
et plusieurs sont morts par la suite, victime de la guerre.
Sacrifiée, non sur les champs de batailles,
encore que trois des siens : CHASSAGNE, LECHERE et MOUTARDIER aient
été victimes des deux conflits mondiaux, mais bel et bien sacrifiée, du fait de
la guerre, dans sa formation professionnelle et dans ses études, puisque
celle-ci se limitèrent à la première année.
Si une photo de notre promotion peut, aujourd’hui, illustrer cette chronique, c’est parce que – fait extraordinaire –
aucun de nous n’étant « collé » un certain dimanche de février, nous
décidâmes de nous faire photographier. Bien entendu, nous nous serions cru
déshonorés si nous avions quitté notre casquette ! Il nous fallut même,
pendant une étude, discuter, puis voter, pour savoir si nous la conserverions.
Et les partisans de la tête nue se révélèrent plutôt rares ! Grâce à ce
cliché, la promotion 13/16 possède tout de même un témoignage tangible,
documentaire, de son séjour à l’école et nous pouvons nous féliciter d’avoir
songé à le faire établir. (..)
Le printemps de 1914 fut particulièrement
maussade, froid, brumeux et pluvieux, et notre troisième trimestre ne fut guère
ensoleillé. (..) en ces temps lointains, la Fête Nationale ne marquait pas
encore le départ en vacances et, après trois jours passés dans nos familles, il
nous fallut revenir à Mâcon jusqu’au 24 juillet, date de la sortie. (..)
Vint ensuite le départ, et nous ne devions
plus nous revoir. Dix jours après, la guerre éclatait. En octobre, nous fûmes
chargés de remplacer des maîtres mobilisés, puis, les uns après les autres,
nous partîmes pour la caserne, en attendant le front et nous ne revînmes plus
jamais à l’école. Nous n’avons donc connu, ni les leçons modèles, ni les
émotions du Brevet Supérieur, ni les stages à « l’Annexe », ni les
agréments du voyage de fin d’études. (..)
En octobre 1919, le Ministre offrit aux
normaliens qui se trouvaient dans notre cas de retourner à l’école ou de
solliciter un poste immédiatement. Il s’agissait donc de reprendre des études
interrompues depuis 5 ans ? Et, comme il n’était pas question ni de
programmes condensés, ni de formation accélérée, c’était , pour nous qui étions
tous de familles modestes, la perspective de revenir à l’Ecole pour deux ans,
soit jusqu’à 24 ou 25 ans. Aussi, deux ou trois seulement optèrent-ils pour la
reprise des études, en compagnie d’une dizaine de camarades des promotions
postérieures (celles de l’ « Orangerie ») qui avaient été
appelés sous les drapeaux en cours de scolarité. Ils formèrent la promotion des
« récupérés ». (..)
En mars 1920, le Ministre décida brusquement
d’organiser, à la fin du mois, une cession spéciale du Brevet Supérieur,
réservée à tous les anciens mobilisés (et pas uniquement aux anciens
normaliens). Mais cette décision ne fut notifiée officiellement, ni par
l’Inspecteur d’Académie à son personnel, ni par le directeur de l’Ecole Normale
à ses anciens élèves et les membres de la 13/16 ne furent même pas prévenus
officieusement. (..)
Fils de nos œuvres, entrés dans la carrière
sans préparation ni conseils, avons-nous été inférieurs à notre tâche ?
Fûmes-nous moins bons éducateurs que nos aînés et nos cadets, qui bénéficièrent
d’une formation complète ? Il ne m’appartient pas de répondre à ces
questions, mais je crois que, si l’on consulte la liste des nôtres qui sont
titulaires de distinctions ou de récompenses honorifiques, elle ne paraît pas
beaucoup plus courte que bien d’autres. Et, de cela, nous avons le droit d’être
fiers, car, si nous fûmes, dans nos études, des « sacrifiés », nous
eûmes à cœur de ne pas en faire pâtir les élèves qui nous furent confiés.
D’après la chronique du Cinquantenaire, Jean
BOEUFGRAS (13/16) Bulletin de l'Amicale n° 84, 1963
PROMOTION 14/17
Le concours d’entrée de 1914 s’ouvrit le 27
juillet, alors que l’Europe retentissait déjà du bruit des armes et que la paix
vivait ses derniers jours. 59 candidats s’y affrontaient pour la conquête de 29
places offertes.
L’examen venait juste de se terminer quand
éclata la guerre, qui allait gravement perturber les études de nos camarades.
Après des vacances prolongées – la rentrée n’eut lieu qu’en novembre -, les 29
sauvages de la 14/17 ne purent s’installer, comme leurs aînés, dans la vieille
maison de l’Héritan, au portail de laquelle flottait depuis le début d’août le
drapeau de la croix Rouge. Ce fut donc l’Orangerie de la Préfecture, berceau de
notre Ecole annexe, qui accueilli les nouveaux Roupanards. Parodiant Vigny, on
peut dire que, durant ces années terribles, la guerre était debout dans la
Roupane. Au fil des jours, l’effectif s’amenuisait, les élèves quittant un à un
les bancs de l’Ecole pour entrer dans la guerre. Trop souvent hélas ! la
nouvelle de la mort d’un aspirant de vingt ans, dont les yeux, hier encore,
riaient sous la casquette dorée, venait apporter la tristesse parmi ceux qui
attendaient…
Ce fut le mois de mars 1917 qui vit partir
les plus jeunes de la promotion, demeurés les derniers. Engagés dans les
derniers combats de 1918, particulièrement meurtriers, nos camarades devaient
voir trois des leurs mourir au front, tandis que plusieurs autres étaient
grièvement blessés, certains dans les tout derniers jours de la guerre. (..)
Mais octobre arriva. Bien avant lui, la guerre était venue… Mâcon, alors, était
plein de soldats qui traînaient leur lassitude au long des rues. Plein de
blessés douloureux, aussi. Tant même qu’on avait tout sorti, là-haut, dans
l’Ecole Normale, tout emporté, je ne sais où. « Abrutis » et
« Civils » [termes désignant des normaliens] étaient partis, qu’on
avait envoyé jusqu’au fond des campagnes lointaines, tenir la place de ceux que
la guerre avait pris et tenter, là-bas, d’y faire oublier leur toute jeune
inexpérience.(..)
La guerre faisait rage. Les autres étaient
là-bas, « …assis dans les terres ténébreuses et à l’ombre de la
mort… », ainsi qu’il est écrit au Livre de Job. Et nous ?… Mais nous
avions seize ans . Et personne, alors, ne songeait à nous rappeler que le temps
n’était plus de rire et de se gausser de tout. (..)
La
guerre était là, toujours, et qui déjà nous avait pris Jean DESBOIS, si doux,
si timide, et qui avait voulu s’engager. POMMIER, venu avec moi de Nolay,
l’année d’avant. Demain, CHALUMEAU, qui savait tout avant même de l’avoir
appris… Ceux-là que nous ne reverrions jamais plus… Et puis, les uns après les
autres, nous étions tous partis. Dix-huit ans, à peine.
Un jour de 1919, j’étais revenu à Mâcon pour
y retrouver GUILARD. Il achevait là de soigner une douloureuse blessure. Et
nous étions allés par les rues qui descendent vers la Saône, jusqu’à cette
Orangerie où, nous avait-on dit, le Paul, ce soir-là, surveillait une étude.
Sans hâte, nous avions retrouvé l’escalier
familier et le vestibule, là-haut, où pendaient les casquettes des
« Sauvages ». Et nous avions frappé à la porte fermée.
« Entreye ! » Trente têtes curieuses, d’un coup, s’étaient
retournées vers nous.
Lui, le crâne enfoncé dans un placard, le
postérieur haut levé, n’avait point bronché. Quand, se redressant, nous le
vîmes là, devant nous, immobile, debout et muet. Un instant seulement. Et,
s’approchant : « Guilard,.. promotion 14/17… petit ! Fargeton,…
promotion 14/17… Ah ! oui petits !… »
Et tout de suite, il nous entraîna vers sa
chaire. Et nous étions là, devant lui, devant toute la classe, aussi, attendant
je ne sais quoi. « Debout tous ! » cria-t-il soudain. Et dans le
brouhaha qui s’éteignait, le voilà hurlant à tous ces Sauvages qui, déjà, souriaient,
« Je vous présente deux survivants de la dernière promotion qui ne fut pas
une promotion de crétins !… »
« Deux héros, aussi !… » Et
dans l’instant, il me regarda des pieds jusqu’à la tête une fois, deux fois. Il
avait vu mes bottes de cuir fauve, haut lacées et, sur ma tunique noire, les
ailes d’or déployées. « Oh ! oh !…une aviateur petit !… La
Chasse petit ?… »
Non, pas la Chasse, seulement le Bombardement
de nuit. Alors, parce qu’il en était curieux, je lui disais, parmi tous,
quelques uns de mes raids heureux d’où j’étais revenu, le vol aveugle dans la
nuit noire, et, les obus qui montaient, pour éclater au bout des ailes, et
qu’on n’attendait pas. (..)
Pourquoi, dans ce moment, me vint-il à
l’esprit de raconter à Paul que j’était allé sur Ludwigshafen et, qu’après
avoir jeté mes bombes au bord du Rhin, sur la Badische Aniline, j’avais vu
monter les flammes, haut dans le ciel ?
Le Paul me regarda longtemps, longtemps, et ,
soudain, je sentis dans ses yeux l’immense contentement qui les remplissait.
Car il savait, maintenant que, lui aussi, avait une part dans la victoire de
nos armes.
« La Badische Aniline, petit !…
Vous l’aveye facilement trouveye, hein !… Je vous en avais parleye dans
mon cours de Chimiye !… »
Cinquante années, déjà… Et voilà que je me
surprends encore à rire et à me gausser de tout…
D’après
la chronique du Cinquantenaire, Alphonse FARGETON (14/17) Bulletin n° 85, 1964
Collègues de la promotion morts pour la
France :
CHALUMEAU
André-Henri-Félix-Ernest, DESBOIS Jean-Henri,
POMMIER Jean-Marie-Georges.
PROMOTION
15/18
C’est le 27 juillet que s’ouvrit le concours
d’entrée de 1915, auquel prirent part 50 candidats pour 35 places offertes. Sur
les 35 admis, l’un, BERTHILIER Marcel,
reçu n° 25, n’entra pas à l’Ecole en octobre, et la promotion compta donc à la
rentrée 34 élèves seulement.
La guerre qui faisait rage exigeait toujours
plus de combattants et dès décembre 1915, les deux premiers appelés quittaient
la Roupane, le premier trimestre à peine terminé. L’année 1916 voyait partir
deux nouveaux camarades, puis six autres répondaient en avril 1917 à l’appel de
la classe 1918. En janvier 1918, sept camarades contractaient un engagement
volontaire et en avril, les quinze derniers partaient avec la classe 1919.
C’est dire qu’aucun Roupanard de la 15/18 ne
put passer ses trois années à l’Ecole et y terminer normalement ses études. Les
dernières offensives de l’automne 1918 virent mourir trois camarades de la
promotion, tués tout trois en l’espace d’un mois. Par la suite, dix autres sont
décédés, ce qui laisse à vingt-et-un le nombre des survivant d’une promotion
prématurément éprouvée. Promotion qui fut à l’origine de l’hymne de la Roupane
à travers des paroles de Roger Boeufgras et une musique de Claudius Pariat même
si elle fut baptisée avec humour « Promotion des Crétins » (voir Bric-à-Brac,
de Roger Denux, Bulletin de l'Amicale n° 83).
« Comment après cela ne pas s’inscrire
en faux contre l’infâme calomniateur qui baptisa icelle « Promotion des
Crétins » ? Qu’il se montre donc, bonne mère ! le
« clerc » en question, s’il ne craint pas toutefois qu’on lui taille
les oreilles en pointe… Le fait est bien
aux vacances de 1917 que cet Hymne des Normaliens naquit de la
collaboration de deux gars de notre Promo et qui, d’ailleurs, depuis, ont
quelque peu fait parler d’eux.
Promotion des Crétins, si vous voulez,
mais qui néanmoins, surent faire leur devoir en des périodes troublées,
tragiques…
Comme les promotions précédentes, nous fûmes
tous mobilisés, très tôt, avant la fin des études. Appartenant aux classes 1917,
18 et 19, certains d’entre nous ont leur nom gravé sur la pierre du souvenir…
GIRAULT, LAMBERTET, classe 1918, POTHIER, classe 1919, tués à l’ennemi en 1918.
Le capitaine VAUPRE fut blessé en 1940. NAVOIZAT, déporté en 1941, mourut par
la suite. HENRY, ROUX furent emprisonnés par les autorités d’occupation. (..)
Tout deux victimes de la
dureté des temps [JOBEY et SIGNORET] et des lois d’exception du Régime de
Vichy, on nous en a sortis… [de l’enseignement], nous invitant aimablement à
tirer nos grègues et à filer vers d’autres cieux… L’ami BOUDOT Gilbert, lui, fut
inquiété pour d’autres raisons (demi-porc mis au saloir sans état civil
régulier), puis dut disparaître dans la verdure pour sa sécurité personnelle,
et par la suite ne rentrera pas dans l’enseignement. Voici d’ailleurs certains
passages d’une lettre qu’il m’écrivit naguère à ce sujet, où on reconnaîtra la
marque de son esprit caustique :
« j’ai été effectivement révoqué de mes
fonctions de secrétaire de mairie pour avoir salé abusivement la moitié d’un
élève de Saint-Antoine. C’était sans doute dans cette moitié que s’était logé
le Diable, car l’heureux bénéficiaire de la deuxième moitié ne fut pas
inquiété. Après ce tour de demi-cochon, je fus frappé d’une mesure de
déplacement d’office en raison de mon « attitude politique ». (..)
Voilà où peut conduire un cochon. Je dois dire d’ailleurs que dans cette
histoire, il y eut plusieurs fameux cochons, dont le seul respectable fut celui
qui baignait dans le saloir. J’adresse à sa mémoire un souvenir ému et
reconnaissant… et j’espère qu’il est au Paradis des Cochons. Quand aux autres,
qui étaient, je crois, de fervents « bien pensants », je suppose
qu’ils ont dû rendre des comptes au Juge Suprême, car ils doivent être, pour la
plupart, « salés » eux aussi depuis un certains temps. » Tout ceci, bien sûr,
n’a rien à voir avec la chronique du Cinquantenaire, mais révèle par quelles
alternatives très peu réjouissantes sont passés certains de nos collègues
pendant la période d’occupation.
D’après la chronique du
Cinquantenaire, Joseph SIGNORET (15/18) Bulletin de l'Amicale n° 86, 1965
Collègues de la promotion morts pour la
France :
GIRAUD René-Fernand, LAMBERTET François
Félix, POTHIER Claude.
PROMOTION 16/19
Le 1er octobre 1916, nous étions trente
à faire notre entrée à l’Ecole Normale. La troisième année de guerre était
entamée et depuis sept mois le canon tonnait sans relâche à Verdun. Comme nos
camarades des deux promotions précédentes, nous ne connûmes pas les locaux de
l’Ecole, occupés par un hôpital militaire. En première année, les cours étaient
donnés à la Chambre des Notaires et en deuxième et troisième année, à
l’Orangerie, dépendance de la Préfecture. Lorsque nous fûmes en possession de
notre uniforme et que nos anciens nous eurent baptisé au vin blanc dans la
salle de la Patte d’Oie, nous devînmes de vrais Roupanards.
Nos deux premières années de l’Ecole Normale
s’écoulèrent dans l’atmosphère d’une guerre atroce. A tout moment, l’un de nous apprenait qu’un de ses proches
était tué, ou grièvement blessé, ou porté disparu. Nos camarades des deux
promotions précédentes et quelques uns de notre promotion nous quittèrent en
avril 1917, en avril et août 1918. Une des morts qui nous frappèrent le plus
fut, en juin 1918, celle de CHALUMEAU, que tout le monde admirait pour son
intelligence exceptionnelle.
Pendant nos récréations de 16 à 17 heures,
nous allions souvent à la gare pour lire les gros titres et les manchettes des
journaux du soir. Parfois, notre Directeur, M. LAURENCIN, se joignait en ville
à l’un de nos groupes et nous commentait les dernières nouvelles.
La majeure partie de notre promotion passa le
conseil de révision pendant l’été de 1918. CLEMENCEAU pensant avoir besoin de
la classe 20 au printemps suivant. En attendant, nous faisions régulièrement de
la préparation militaire ; nous nous rendions au stand au pas cadencé, en
chantant la Madelon ou les airs martiaux qu’entonnaient nos aïeux de 1792. (..)
Nous n’étions pas toujours envahis par des
pensées tristes. La jeunesse ne perd jamais ses droits. (..) Le règlement était
sévère. Il était défendu de fumer et d’entrer dans un café, même à la campagne ;
sans doute nous dérogions parfois à ces interdictions, mais c’était toujours
modérément : notre argent de poche était si modique ! (..) Le jeudi
après-midi, nous sortions par petits groupes sous la responsabilité d’un
normalien de 3ème année, qui indiquait par avance au Directeur
l’itinéraire choisi. Le dimanche, nous sortions librement jusqu’à cinq
heures ; en cela, nous étions plus favorisés que les normaliennes,
conduites par un professeur vigilant en dehors de la ville. Ceux qui avaient une amie parmi elles parvenaient à croiser le
groupe, et des regards et des sourires chargés de tendresse s’échangeaient
pendant quelques secondes.
Au début de notre troisième
année, la victoire des alliés s’affirmait sur tous les fronts. Nous
apprîmes au début de novembre que les allemands avaient demandé un armistice.
Le 11 novembre, à midi, les cloches de Mâcon sonnèrent à toute volée ;
tout le monde comprit. Nous quittâmes aussitôt nos pensions, nous mêlant à la
foule qui envahissait les rues. C’était une extraordinaire explosion de
joie : s’en était fini de l’hécatombe ! Nous allions revoir ceux qui
avaient couru tant de périls et montré tant de courage ; la paix saurait
écarter tout risque d’une nouvelle guerre… La marée humaine nous entraîna vers
la Préfecture, où s’organisait un immense défilé ; notre Directeur, nos
professeurs étaient parmi nous. Journée unique, journée inoubliable.
D’après la chronique du Cinquantenaire,
Joseph JUREDIEU* (16/19) Bulletin de l'Amicale n° 87, 1966
* Auteur de la
fameuse série de manuels « Rémi et Colette » avec Eugénie Mourlevat
Collègues de la promotion morts pour la
France :
CACHOT Claude-François-Joseph.
Le contenu de cet article est proposé dans la brochure
« Défendre la Patrie ! Période 1914-1918 » en vente au musée.
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