vendredi 26 octobre 2018

L'école en Algérie



Mon école en Algérie
Souvenirs de Jeannine  Fréty






    « Je suis née en 1944 à Cap Matifou, petite ville tout près d’Alger, dans la villa même qui alors servait d’école au lieu-dit La Pérouse. Mon père était officier au centre de formation de la Marine, le Centre Sirocco. Ma mère a ensuite enseigné dans l’enceinte du Centre aux enfants du personnel. C’était, bien sûr une classe unique mixte dans laquelle j’ai pu bénéficier d’un apprentissage précoce qui m’a permis d’être très en avance tout au long de ma scolarité. »





« Je figure dans la rangée du haut, au milieu, avec un col blanc  …et l’air triste de toutes mes photos vient de  ma longue absence due à la typhoïde dont j’ai souffert comme beaucoup d’autres à cette époque. C’est une classe de Cours Moyen dont ma mère, Francine Azoug née Nacquin, était l’institutrice. IL s’agit, je pense, de l’année 1953. L’école est l’école des filles de la petite ville d’EL KSEUR, à une trentaine de kilomètres de Bougie/Béjaïa (Kabylie). » (Jeannine Fréty)


« Je vous fais parvenir une photo de mon frère, Jean-Claude Azoug, à l’école de garçons d’El Kseur. Il pourrait s’agir de l’année 1952/1953  mais je ne suis pas certaine. Mon frère est assis dans la deuxième rangée en partant du bas. C’est le deuxième garçon. On voit son genou. Et il fait la tête, comme sa sœur !!! » (Jeannine Fréty)



« Puis, mon père a quitté la Marine et ma mère a eu un poste à l’Ecole de Filles d’El Kseur, non loin de Bougie/Béjaïa. Dans les classes primaires, il n’y avait que des filles, des « indigènes » comme on disait alors et des françaises, très peu. A l’école, nous travaillions, jouions, faisions du sport ensemble. Mais l’école finie, plus d’activités communes, chacune dans son groupe d’origine. J’ai honte d’avouer que cela ne me choquait pas ; en fait, je ne le remarquais pas, d’autant que je passais le plus gros de ce temps avec mes frères et les fils des instituteurs qui habitaient aussi dans l’école.



Carte postale d’El Kseur, 1955 (Delcampe)



  Les jeunes filles « indigènes » étaient certainement plus conscientes du problème car je me souviens d’un incident parlant. Après une longue absence pour maladie (typhoïde et rhumatismes articulaires !), je n’ai été que 2ième au classement suivant. Des élèves sont allées voir ma mère (qui continuait à être mon institutrice) pour lui dire que ce n’était pas normal, que cela ne se passait pas comme ça avec les autres maîtresses dont la fille ne pouvait être que première !



L’école d’El Kseur, début du siècle (Delcampe)

Ecole de filles désaffectée d'El Kseur, fréquentée par Jeannine autrefois (photo 1996)




 Et je suis entrée en 6ième  au Lycée Mixte Classique et Moderne de Bougie. Bien sûr, j’étais dans la filière classique et je crois me rappeler qu’il n’y avait pas de filles en moderne. Là aussi, nous nous côtoyions sur les mêmes bancs, les françaises et les quelques filles de « notables » indigènes. Les filles étaient généralement orientées vers les CEG où, de la 6ième  à la 3ième, elles apprenaient la couture et la cuisine en plus des matières académiques. A nouveau, études communes mais loisirs distincts. Donc, pas de plage, de tennis ou de surprises-parties avec des « indigènes » …



Ecole supérieure de Béjaïa, 1955 (Delcampe)



C’était si injuste ! Mais je ne le ressentais pas ainsi parce qu’il ne s’agissait pas de mépris ni de méfiance, juste l’habitude ! En partie parce que ces loisirs mixtes n’étaient pas dans les mœurs de tout le monde. Et puis, l’indifférence ! Que j’ai tant regrettée une fois partie. Je suis sûre que cela m’a privée de rencontres enrichissantes.



Ecole professionnelle de Béjaïa, 1954 (http://bejaialaperle.blogspot.com)



Lorsque j’ai eu mon premier poste de professeur dans un lycée de Jeunes Filles en France, quelle ne fut pas ma surprise de constater que les cours « pesaient » à beaucoup d’élèves, qu’ils n’avaient pas ce désir féroce d’apprendre, cette persévérance que j’avais remarqués chez les élèves en Algérie.

Quand je me souviens de l’Algérie, c’est surtout les souvenirs d’école primaire qui me reviennent. Les promenades pour observer la nature, les cours de sport où nous riions beaucoup de notre maladresse à grimper à la corde (même à nœuds ! ), ou à lancer le poids, les travaux « pratiques » comme mesurer la cour avec la chaîne d’arpenteur, les jeux de récréation, corde à sauter, noyaux d’abricots (en guise de billes ), marelle, balle au mur. Et la ronde où nous portions « la galette au four » (et non pas « la clef de Saint Georges ». Et la dégustation des gâteaux de l’Aïd offerts à la maîtresse en remerciement de ses attentions!



Buvard publicitaire, années 1950 (collection musée)



C’est peut-être inconsciemment ce qui m’a fait choisir, bien plus tard, d’enseigner dans des quartiers difficiles où j’ai trouvé chez les enfants travail et enthousiasme dès lors qu’on était à l’écoute de leurs besoins. »

Jeannine FRETY



Texte transmis à la Maison d’Ecole par l’auteure, texte que vous pourrez prochainement retrouver avec de nombreux autres textes-souvenirs dans un ouvrage sur les instituteurs de Saône-et-Loire mobilisés durant le conflit algérien.
Renseignements et collecte de témoignages : 


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