La
leçon de choses
De l’esprit d’observation au catéchisme
républicain.
La
leçon de choses s’inscrit dans la droite ligne de cet enseignement pratique et
concret des « connaissances usuelles » chères à Guizot et Ferry. C’est
une leçon d’information qui deviendra même un genre de la littérature
pédagogique comme les Récits
et leçons de choses qui,
de Marie Pape Carpantier à Paul Bert marqueront de leur empreinte l’édition
scolaire.
A partir des années 1880,
les manuels scolaires fleurissent et font de la culture de l’observation leur
principal objectif. Cette démarche porte cependant en elle sa contradiction :
la leçon montre les choses mais n’instruit pas par les choses, contrairement
aux attentes de Ferdinand Buisson dans sa Conférence
sur l’enseignement intuitif en 1878.
Dans leur rôle, les éditeurs
y trouvent plus leur compte que la cohérence pédagogique, mais qu’importe. Marie
Pape Carpantier n’échappe pas non plus à la contradiction en parlant « d’enseignement par les yeux » (1).
Buisson, entend bien faire
de la leçon de choses la base même de l’esprit d’observation, thème déjà lié à
la rénovation pédagogique entreprise par Duruy. Avec l’inscription de l’enseignement
des sciences dans les programmes obligatoires de l’école, l’esprit d’observation
va devenir le leitmotiv de tout discours pédagogique (2).
L’enseignement intuitif de Buisson
s’appuie notamment sur le « musée scolaire », c’est-à-dire les
collections naturelles de roches, de plantes, d’insectes, faites par les élèves
et leur maître. Dorénavant la leçon de sciences doit rejoindre la science
elle-même puisque cette dernière est censée reposer sur l’observation des faits.
Ainsi, en demandant aux élèves de savoir bien observer le monde qui les
entoure, le discours pédagogique inscrit les apprentissages scientifiques dans
une logique inductive qui était celle reconnue, à l’époque, à la science
expérimentale. C’est en éduquant l’écolier à l’observation qu’on le forme à l’esprit
de la science (même si les conclusions théoriques pourront bien être différées,
voire différées à un autre ordre d’enseignement auquel les élèves de primaire n’ont
pas socialement accès) (3).
De manière générale, l’enseignement
des sciences a pu être conçu et pratiqué de manières très différentes. On
trouve encore aujourd’hui, dans les écoles, plus ou moins reléguées dans les
couloirs, les greniers ou les salles annexes, les petites armoires contenant le
matériel de mesures et le matériel destiné à réaliser des expériences
scientifiques.
Largement utilisé dès sa diffusion
dans les années 1880, ce compendium fut le support du « catéchisme
républicain », à l’époque d’Emile Combes en particulier, quand il s’agit
de montrer aux instituteurs anticléricaux comment utiliser la science pour
lutter contre la superstition et l’obscurantisme. De manière moins marquée, les
directives officielles voient dans l’étude des sciences à l’école élémentaire
une « étude libératrice de l’esprit » :
elle habitue à ne rien accepter sans contrôle, elle « écarte le surnaturel et le miracle » elle montre
comment passer toute affirmation au crible de la raison.
Mais plusieurs forces
viennent s’opposer à une telle orientation. Tout d’abord la vision que l’école
entretient des rapports entre classes sociales : l’école primaire a surtout
affaire a des enfants d’origine modeste, qui ne poursuivront pas d’études et
qui ont besoin principalement, dit-on, de connaissances pratiques. L’enseignement
scientifique sera donc orienté vers les connaissances « usuelles ».
D’autre part, il ne faut pas
que cet enseignement aboutisse soit à une idolâtrie de la science (qui ferait
elle-même renaître les rêves de l’alchimie, susciterait l’espoir déraisonnable
de supprimer la maladie et la misère), soit à une sorte d’excès de la raison. Qui
sait, en effet, jusqu’où peut aller la recherche de la vérité et la remise en
question des préjugés ?
C’est sans doute pourquoi l’enseignement
des sciences accorde tant de place à l’observation de la nature et prend la
forme de leçon de choses. Ce que l’écolier doit d’abord apprendre, c’est qu’il
y a des lois de la nature et qu’il faut s’y soumettre. Ainsi le « citoyen
éclairé » devient-il le « bon citoyen », respectueux des lois et
de l’ordre. Un enseignement est aussi une discipline, en ce sens que l’écolier
apprend à se soumettre à la règle…
(1) : Pour
rappel, L’Enseignement
par les yeux est le titre
générique de ses cinq volumes de la Zoologie des salles d’asiles, des
écoles et des familles [paradoxal
quand il s’agit de livres] mais
aussi de ses récits d’histoire sainte destinés aux enfants telles L’Histoire
de Jésus (Paris, Hachette, 1873) ou L’Histoire
de la Sainte Vierge (Paris, Hachette,
1872). Voir l’article du blog : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2017/12/lenseignement-par-tableau-mural.html#more
(2) : Plus tard, après l’adoption
des lois Ferry et la naissance de l’école de la République, le territoire se
couvrira de maison d’école-mairie et on imposera « la présence, derrière chaque bâtiment, d’un
potager et d’un verger, induisant l’existence de « leçons de choses »
(d’agronomie ou de botanique), qui élèvent le niveau des connaissances
agricoles des petits villageois, tout en améliorant l’ordinaire du maître,
émule de Candide malgré lui ». (in Cent ans d’école, publication
musée)
(3) : Le cas des musées
scolaires est symptomatique de cette intrication du réel et de l’imaginaire qui
travaille la question de l’enseignement primaire des sciences. Il est manifeste
que l’intérêt qu’on leur porte est corrélatif de celui porté depuis le
ministère Duruy, à l’enseignement primaire des sciences comme aux leçons de
choses. Le musée scolaire est défini comme « l’auxiliaire
de la leçon de choses ». Beaucoup
partagent l’idéal pédagogique d’une instruction par les choses, c’est ce
qu’écrit l’inspecteur général Augustin Boutan : « Un enseignement
scientifique élémentaire n’a de valeur que s’il se transforme en enseignement
par les yeux ? Cette nécessité a été si bien comprise qu’on voit aujourd’hui
les musées scolaires s’organiser partout : et ici, il n’y a ni grands
efforts à faire, ni grandes dépenses à prévoir : le maître qui a de la
bonne volonté peut facilement, avec le concours de ses élèves et celui des
familles, réunir en peu de temps tous les éléments d’un musée scolaire sinon
complet, au moins suffisant. » « Les musées scolaires peuvent
apparaître en ce sens comme le laboratoire des enfants, la traduction pédagogique
idoine de la science vivante. Les herbiers, les collections d’insectes ou de
cailloux devraient permettre en effet au travail d’observation de s’effectuer
in vivo, dans des conditions aussi réelles que possible. Mais d’autre part, les
musées scolaires permettent à l’enseignement des sciences d’être pratique et
usuel, en étant nécessairement approprié à la région, à la localité dans
laquelle se trouve l’école. Il ne sera donc pas le même pour une population
rurale que pour une population citadine. »
P.P
Toujours très bien documenté et de grand intérêt.
RépondreSupprimerJ. Pirou