vendredi 1 novembre 2019

Monsieur l'Inspecteur



Monsieur l’Inspecteur Primaire
Ou le triomphe de l’Instruction publique


Registre des conférences pédagogiques, Inspection de Montceau-les-Mines (collection musée)


Monsieur l'Inspecteur vit à l'ombre de la sous-préfecture. Il se déplace par chemin de fer, mais il ne craint pas d'aller à bicyclette d'un point à l'autre de sa circonscription, quel que soit le temps, canicule ou frimas.



Ecole de campagne (CANOPE)



"Il arrivait qu'alors et une fois par an, venait s'abattre au milieu de l'école, comme le grec de Marathon au milieu d'Athènes, un enfant d'une dizaine d'années, les cheveux collés aux tempes, tant la sueur était abondante, les joues écarlates tant la course furieuse avait fouetté le sang.

Le grec, c'est-à-dire l'enfant essoufflé, mourant, tendait à l'instituteur du lieu une lettre qui n'était pas toujours scellée d'un cachet noir, mais qui aurait toujours dû l'être, car elle était des plus néfastes que notre maître d'école pût recevoir. La lettre contenait rarement plus que cette phrase traditionnelle pour les 30 000 instituteurs de la France d'alors : "L'Inspecteur sort d'ici et va chez vous; prenez vos mesures. Votre collègue affectionné." (..)

L'instituteur qui, à la vue de l'enfant, avait ressenti les premières atteintes d'un tremblement convulsif, devenait livide  et se mettait à s'agiter des pieds à la tête, ni plus ni moins que s'il venait de passer dix ans dans les marais pontins... On entendait ses mains et ses dents s'entrechoquer avec un bruit grêle qui donnait la chair de poule aux plus incorrigibles marmots. Cependant, avec un suprême effort, il faisait l'annonce de la nouvelle fatale. Sa voix n'avait plus rien d'humain : "Mes enfants... Monsieur l'Inspecteur... va arriver. Vite ! Préparez vos cahiers et vos livres." (..) Pendant que les uns faisaient couler sur leurs visages et sur leurs mains un fleuve de salive destiné à leur rendre la pureté baptismale, les autres s'emparaient des plumes et des crayons à leur portée et les transformaient en peignes pour les cheveux. L'instituteur un peu remis pensait, lui, à la salle de classe. Il époussetait par ci... il balayait par là... partout il avait l'œil..."

("SCENES DE LA VIE D'UN INSTITUTEUR" P.LUIZ, 1868)



(collection musée)



La série T des Archives départementales de Saône-et-Loire, liasse 72, renferme quelques rapports que les Inspecteurs primaires devaient faire à l’Inspecteur d’Académie. Un de ses rapports, rédigé par l’Inspecteur primaire de Charolles en 1880, dans lequel il donne son avis sur l’état de l’enseignement dans sa circonscription, est particulièrement intéressant puisqu’il est suivi d’un rapport de même nature, rédigé par un autre inspecteur 22 ans plus tard (en 1902), pour la même circonscription. Bien plus loquace que son précédent confrère, il y note l’évolution de la situation, sans triomphalisme, mais non sans une satisfaction certaine du chemin parcouru.

Premier témoignage

En 1880, à la veille des lois laïques, le premier Inspecteur écrit : « Sur ces 41 écoles primaires, 10 sont bonnes, 15 assez bonnes, 11 médiocres et 5 mauvaises. Les maîtres de nos écoles cherchent à se familiariser de plus en plus  avec les bonnes méthodes mais il est encore quelques points sur lesquels il est important d’appeler leur attention :

La lecture est généralement négligée. Quand les instituteurs ont obtenu des élèves toutes les liaisons, ils croient avoir tout fait. Ils ne s’occupent ni du ton, ni de la prononciation. L’explication est insuffisante. Les livres de lecture dans quelques écoles laïques et dans toutes les écoles congréganistes sont mal choisis. Ils ne sont ni intéressants, ni instructifs.

L’écriture n’est pas assez soignée. Pour que ces enseignements donnent de meilleurs résultats, il est nécessaire que les maîtres corrigent régulièrement les cahiers et qu’ils fassent remarquer aux enfants les lettres les plus défectueuses.



Leçon d’écriture, 1908 (collection musée)



Les cahiers de mise au net ne sont pas toujours exempts de fautes. L’instituteur doit les revoir attentivement et marquer les corrections à l’encre rouge afin de frapper les yeux des enfants.

En leçon de grammaire et en leçon de calcul, les enfants ne parlent qu’accidentellement. On ne cultive pas assez le raisonnement.

Dans l’enseignement de la géographie, on ne fait pas assez souvent usage de la carte et du tableau noir. La mémoire seule des enfants est en jeu. Il en est de même pour l’enseignement de l’histoire. Ici, c’est le maître qui parle trop peu. Quand il aura pris l’habitude de faire des récits, les enfants étudieront l’histoire de France avec plaisir et les progrès seront moins lents qu’aujourd’hui.



Leçon de géographie, 1891 (collection musée)



Je n’ai rencontré que quelques écoles où les enfants apprennent et récitent des fables. Encore cette étude n’est-elle pas régulière. J’insiste vivement pour que dans toutes les écoles communales il y ait au moins une demi-heure de récitation littérale chaque semaine. »

Deuxième témoignage

En 1902, le deuxième Inspecteur écrit ; « L’éducation physique n’est pas négligée. La revue de propreté est régulièrement faite ; les mouvements d’entrée et de sortie ont lieu en ordre ; les salles de classes sont soigneusement balayées et aérées ; les récréations sont surveillées, très animées.

Le travail manuel, dans les écoles de garçons, se borne, et j’estime que cela est suffisant, a des exercices de pliage ou de découpage de papiers diversement coloriés. Ces exercices – en usage surtout dans les cours élémentaires – forment un utile complément des exercices de dessin. Dans les écoles de filles, l’enseignement de la couture et du tricot donne des résultats satisfaisants. L’épreuve de couture au Certificat d’études primaires en a fourni presque partout une preuve convaincante. Il y a un progrès sensible dans l’enseignement de la lecture, de l’histoire de France, de la composition française.



(collection musée)



La lecture est plus distincte. Les élèves articulent mieux, lisent moins vite. Les explications sont devenues plus précises.

En histoire, les leçons mieux préparées, complétées par des lectures choisies, sont plus vivantes, plus intéressantes. Sans négliger les temps antérieurs à 1789, on a étudié avec un certain développement l’histoire contemporaine et le cours a été fait dans un esprit réellement démocratique.



Cahier de composition française, 1912 (collection musée)



Le progrès, en composition française, porte à la fois sur le choix des sujets et sur la correction des devoirs écrits. On donne surtout, comme exercices, des descriptions d’objets et de spectacles vus, des narrations faciles, des lettres de caractère pratique. Les corrections écrites, plus soignées et plus précises qu’autrefois, portent non seulement sur la forme mais encore sur le fond, et, souvent, les élèves sont invités à recopier leur devoir en tenant compte des observations et des corrections du maître. [Voir à ce sujet l’article : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/03/la-redaction-lecole-primaire-de-1878.html]



Leçon de dessin, vers 1900 (collection musée)



Le dessin est enseigné d’une manière satisfaisante, surtout le dessin à vue et à main levée. Dans un certain nombre d’écoles, les élèves y ont acquis une réelle sûreté de main et une grande justesse de coup d’œil.
On pourrait souhaiter des améliorations en ce qui concerne l’enseignement du calcul, des sciences et même de l’écriture. Il y aurait lieu de faire une place plus importante au calcul mental, d’en étudier et d’en enseigner les procédés spéciaux.

L’enseignement de l’écriture n’est pas toujours méthodique. On oublie trop facilement les principes. On ne fait plus assez attention à la tenue de la plume et du corps. S’il est un grand nombre d’écoles où tous les devoirs sont écrits avec soin, il en est quelques-unes aussi où l’écriture est généralement médiocre, où le maître lui-même, dans ses annotations de devoirs donne l’exemple de l’écriture négligée. Je voudrais que tous les élèves eussent une écriture ferme, nette et régulière.



(collection musée)



L’enseignement des sciences physiques et naturelles n’est trop souvent qu’un enseignement de mots. On enseigne les sciences comme l’histoire : on fait un exposé, un récit. Cependant, la notice publiée en 1897 par les soins du ministre de l’Instruction Publique contient, sur l’enseignement des sciences appliquées à l’agriculture les instructions les plus précises ; cet enseignement devrait être donné sous forme d’entretiens ou d’interrogations prenant pour base les choses ou les faits qui auront frappé les sens des élèves. On devrait invoquer les phénomènes naturels connus, instituer des expériences simples, montrer des objets, des images, des dessins empruntés au musée scolaire de l’école : bref rendre cet enseignement vivant et concret.
Au cours général de sciences devraient être rajoutées six ou huit leçons environ sur l’agriculture locale : son état et les améliorations dont elle est susceptible.

L’enseignement ménager donné dans la plupart des écoles de filles comprend : 1° des notions d’hygiène ; 2° des notions d’économie domestique ; 3° des notions de cuisine. On y joint des exercices pratiques – pour l’économie domestique : le dégraissage des étoffes, l’enlèvement des taches, le nettoyage des ustensiles de cuisine, etc. ; pour la cuisine, la confection sous la direction de l’institutrice de quelques aliments : pot-au-feu, fritures, pâtisseries pour dessert, etc. – Cet enseignement est très apprécié des élèves et des familles.



Cahier de morale, vers 1900 (collection musée)



L’éducation morale donnée dans nos écoles est bonne. Les maîtres agissent à la fois par leurs leçons et par leur exemple, et – quoi qu’en disent les ennemis de nos écoles – cet enseignement donne des résultats satisfaisants. Les enfants sont des plus polis, plus serviables, plus affectueux, moins durs les uns pour les autres et sont convenablement préparés à devenir un jour des citoyens honnêtes et laborieux. »



Rapport d’inspection de Mme Sylvie Perrussot, Directrice de l’école de Saint-Emiland, 14 mai 1900 (source Michel Guironnet http://www.stleger.info/eugene/71d.perrussot)


Rapport d’inspection de Mme Sylvie Perrussot, Directrice de l’école de Saint-Emiland, 14 mai 1900 (source Michel Guironnet http://www.stleger.info/eugene/71d.perrussot)



P.P

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