Monsieur
l’Inspecteur Primaire
Ou
le triomphe de l’Instruction publique
Monsieur
l'Inspecteur vit à l'ombre de la sous-préfecture. Il se déplace par chemin de
fer, mais il ne craint pas d'aller à bicyclette d'un point à l'autre de sa
circonscription, quel que soit le temps, canicule ou frimas.
"Il
arrivait qu'alors et une fois par an, venait s'abattre au milieu de l'école,
comme le grec de Marathon au milieu d'Athènes, un enfant d'une dizaine
d'années, les cheveux collés aux tempes, tant la sueur était abondante, les
joues écarlates tant la course furieuse avait fouetté le sang.
Le
grec, c'est-à-dire l'enfant essoufflé, mourant, tendait à l'instituteur du lieu
une lettre qui n'était pas toujours scellée d'un cachet noir, mais qui aurait
toujours dû l'être, car elle était des plus néfastes que notre maître d'école
pût recevoir. La lettre contenait rarement plus que cette phrase traditionnelle
pour les 30 000 instituteurs de la France d'alors : "L'Inspecteur sort d'ici
et va chez vous; prenez vos mesures. Votre collègue affectionné." (..)
L'instituteur
qui, à la vue de l'enfant, avait ressenti les premières atteintes d'un
tremblement convulsif, devenait livide
et se mettait à s'agiter des pieds à la tête, ni plus ni moins que s'il
venait de passer dix ans dans les marais pontins... On entendait ses mains et
ses dents s'entrechoquer avec un bruit grêle qui donnait la chair de poule aux
plus incorrigibles marmots. Cependant, avec un suprême effort, il faisait
l'annonce de la nouvelle fatale. Sa voix n'avait plus rien d'humain : "Mes
enfants... Monsieur l'Inspecteur... va arriver. Vite ! Préparez vos cahiers et
vos livres." (..) Pendant que les uns faisaient couler sur leurs visages
et sur leurs mains un fleuve de salive destiné à leur rendre la pureté
baptismale, les autres s'emparaient des plumes et des crayons à leur portée et
les transformaient en peignes pour les cheveux. L'instituteur un peu remis
pensait, lui, à la salle de classe. Il époussetait par ci... il balayait par
là... partout il avait l'œil..."
("SCENES
DE LA VIE D'UN INSTITUTEUR" P.LUIZ, 1868)
La série T des Archives
départementales de Saône-et-Loire, liasse 72, renferme quelques rapports que
les Inspecteurs primaires devaient faire à l’Inspecteur d’Académie. Un de ses
rapports, rédigé par l’Inspecteur primaire de Charolles en 1880, dans lequel il
donne son avis sur l’état de l’enseignement dans sa circonscription, est
particulièrement intéressant puisqu’il est suivi d’un rapport de même nature,
rédigé par un autre inspecteur 22 ans plus tard (en 1902), pour la même
circonscription. Bien plus loquace que son précédent confrère, il y note
l’évolution de la situation, sans triomphalisme, mais non sans une satisfaction
certaine du chemin parcouru.
Premier
témoignage
En
1880, à la veille des lois laïques, le premier Inspecteur écrit : « Sur ces 41 écoles primaires, 10 sont
bonnes, 15 assez bonnes, 11 médiocres et 5 mauvaises. Les maîtres de nos écoles
cherchent à se familiariser de plus en plus
avec les bonnes méthodes mais il est encore quelques points sur lesquels
il est important d’appeler leur attention :
La lecture est généralement négligée. Quand les
instituteurs ont obtenu des élèves toutes les liaisons, ils croient avoir tout
fait. Ils ne s’occupent ni du ton, ni de la prononciation. L’explication est
insuffisante. Les livres de lecture dans quelques écoles laïques et dans toutes
les écoles congréganistes sont mal choisis. Ils ne sont ni intéressants, ni
instructifs.
L’écriture n’est pas assez soignée. Pour que ces
enseignements donnent de meilleurs résultats, il est nécessaire que les maîtres
corrigent régulièrement les cahiers et qu’ils fassent remarquer aux enfants les
lettres les plus défectueuses.
Les cahiers de mise au net ne sont pas toujours exempts de fautes.
L’instituteur doit les revoir attentivement et marquer les corrections à
l’encre rouge afin de frapper les yeux des enfants.
En leçon de grammaire et en
leçon de calcul, les
enfants ne parlent qu’accidentellement. On ne cultive pas assez le
raisonnement.
Dans l’enseignement de la
géographie, on
ne fait pas assez souvent usage de la carte et du tableau noir. La mémoire
seule des enfants est en jeu. Il en est de même pour l’enseignement de
l’histoire. Ici, c’est le maître qui parle trop peu. Quand il aura pris
l’habitude de faire des récits, les enfants étudieront l’histoire de France
avec plaisir et les progrès seront moins lents qu’aujourd’hui.
Je
n’ai rencontré que quelques écoles où les enfants apprennent et récitent des
fables. Encore cette étude n’est-elle pas régulière. J’insiste vivement pour
que dans toutes les écoles communales il y ait au moins une demi-heure de récitation littérale chaque
semaine. »
Deuxième
témoignage
En
1902, le deuxième Inspecteur écrit ; « L’éducation physique n’est pas négligée. La revue de propreté
est régulièrement faite ; les mouvements d’entrée et de sortie ont lieu en
ordre ; les salles de classes sont soigneusement balayées et aérées ;
les récréations sont surveillées, très animées.
Le travail manuel, dans les écoles de garçons, se borne,
et j’estime que cela est suffisant, a des exercices de pliage ou de découpage
de papiers diversement coloriés. Ces exercices – en usage surtout dans les
cours élémentaires – forment un utile complément des exercices de dessin. Dans
les écoles de filles, l’enseignement de la couture et du tricot donne des
résultats satisfaisants. L’épreuve de couture au Certificat d’études primaires
en a fourni presque partout une preuve convaincante. Il y a un progrès sensible dans l’enseignement de la lecture, de l’histoire de France, de la
composition française.
La lecture est plus distincte. Les élèves
articulent mieux, lisent moins vite. Les explications sont devenues plus
précises.
En histoire, les leçons mieux préparées, complétées
par des lectures choisies, sont plus vivantes, plus intéressantes. Sans
négliger les temps antérieurs à 1789, on a étudié avec un certain développement
l’histoire contemporaine et le cours a été fait dans un esprit réellement
démocratique.
Le progrès, en composition
française, porte
à la fois sur le choix des sujets et sur la correction des devoirs écrits. On
donne surtout, comme exercices, des descriptions d’objets et de spectacles vus,
des narrations faciles, des lettres de caractère pratique. Les corrections
écrites, plus soignées et plus précises qu’autrefois, portent non seulement sur
la forme mais encore sur le fond, et, souvent, les élèves sont invités à
recopier leur devoir en tenant compte des observations et des corrections du
maître. [Voir à ce sujet l’article : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/03/la-redaction-lecole-primaire-de-1878.html]
Le dessin est enseigné d’une manière
satisfaisante, surtout le dessin à vue et à main levée. Dans un certain nombre
d’écoles, les élèves y ont acquis une réelle sûreté de main et une grande
justesse de coup d’œil.
On
pourrait souhaiter des améliorations en ce qui concerne l’enseignement du
calcul, des sciences et même de l’écriture. Il y aurait lieu de faire une place
plus importante au calcul mental, d’en étudier et d’en enseigner les procédés
spéciaux.
L’enseignement de l’écriture
n’est pas toujours
méthodique. On oublie trop facilement les principes. On ne fait plus assez
attention à la tenue de la plume et du corps. S’il est un grand nombre d’écoles
où tous les devoirs sont écrits avec soin, il en est quelques-unes aussi où
l’écriture est généralement médiocre, où le maître lui-même, dans ses
annotations de devoirs donne l’exemple de l’écriture négligée. Je voudrais que
tous les élèves eussent une écriture ferme, nette et régulière.
L’enseignement des sciences
physiques et naturelles n’est
trop souvent qu’un enseignement de mots. On enseigne les sciences comme
l’histoire : on fait un exposé, un récit. Cependant, la notice publiée en
1897 par les soins du ministre de l’Instruction Publique contient, sur
l’enseignement des sciences appliquées à l’agriculture les instructions les
plus précises ; cet enseignement devrait être donné sous forme
d’entretiens ou d’interrogations prenant pour base les choses ou les faits qui
auront frappé les sens des élèves. On devrait invoquer les phénomènes naturels
connus, instituer des expériences simples, montrer des objets, des images, des
dessins empruntés au musée scolaire de l’école : bref rendre cet
enseignement vivant et concret.
Au
cours général de sciences devraient être rajoutées six ou huit leçons environ
sur l’agriculture locale : son état et les améliorations dont elle est
susceptible.
L’enseignement ménager donné dans la plupart des écoles de
filles comprend : 1° des notions d’hygiène ; 2° des notions
d’économie domestique ; 3° des notions de cuisine. On y joint des
exercices pratiques – pour l’économie domestique : le dégraissage des
étoffes, l’enlèvement des taches, le nettoyage des ustensiles de cuisine,
etc. ; pour la cuisine, la confection sous la direction de l’institutrice
de quelques aliments : pot-au-feu, fritures, pâtisseries pour dessert,
etc. – Cet enseignement est très apprécié des élèves et des familles.
L’éducation morale donnée dans nos écoles est bonne. Les
maîtres agissent à la fois par leurs leçons et par leur exemple, et – quoi
qu’en disent les ennemis de nos écoles – cet enseignement donne des résultats
satisfaisants. Les enfants sont des plus polis, plus serviables, plus affectueux,
moins durs les uns pour les autres et sont convenablement préparés à devenir un
jour des citoyens honnêtes et laborieux. »
P.P
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire