L’encre et la plume (Deuxième partie)
La
belle écriture
La calligraphie est, étymologiquement,
« la belle écriture », l'art de bien former les caractères d'écriture
manuscrite. Dans des temps plus anciens, cette dernière eut beaucoup en
commun avec le dessin. Si aujourd’hui l’écriture ordinaire se pratique avec des
« outils scripteurs standards » (la plupart du temps des stylos à
bille), les instruments d’écriture traditionnels, souvent différents dans
chaque culture écrite, continuent à être utilisés par des puristes qui
considèrent que les instruments modernes ne peuvent pas produire la même
typographie. Zoom sur l'écriture…
L’invention
de la machine à écrire, de l’ordinateur et de la transmission électronique du
texte (e-mail, chat, messagerie instantanée) a progressivement réduit le nombre
de documents manuscrits. Aujourd’hui, les caractères sont largement saisis
numériquement via un clavier et en partie, moins couramment pour l’instant, via
la reconnaissance vocale. Dans la vie courante, seules quelques notes, cartes
postales et cartes de vœux sont encore écrites à la main. Dans le milieu
professionnel, subsistent des écritures sur des tableaux : tableaux blancs
et tableaux à feuilles mobiles. Reste un bastion : l’école, dont la
majorité des apprentissages se font encore crayon à la main !
Ecriture modèle à l’école d’antan
Le
vieil adage « L’écriture est la
science des ânes » (1)
n’était évidemment pas destiné à l’orthographe et la rédaction mais bien à
l’écriture au premier degré. Il y a un demi-siècle encore, les
« compositions » trimestrielles comportaient toujours une épreuve
d’écriture et cette calligraphie au porte-plume était notée sur dix comme
toutes les autres matières. L’élève devait recopier, en pleins et en déliés, un
court texte écrit au tableau. L’application était de mise et chacun avait la
possibilité d’avoir une très bonne note sans fournir un effort intellectuel
intense, d’où le fameux adage. Mais ne nous y trompons pas, la technique et
l’amour des belles choses étaient nécessaires, jusqu’à devenir la vitrine, un
peu trompeuse probablement, d’une école se voulant la meilleure.
Panneau
calligraphiés, écriture et motifs à la plume, 29cmx42cm, école du Bois-du-Verne
à Montceau-les-Mines, 1886. Chaque panneau portent le nom de l’élève qui l’a
créé, élèves tous différents. (collection musée)
Motifs
de broderie, dessins à la plume, Lucienne Maréchal, portant la mention « Commencé
le 12 janvier 1909, terminé le 20 janvier 1909, 5ème concours,
séance : 5 heures ».
Motifs de broderie, dessins à la plume, Ph. Baudron, portant la mention « 3ème concours, commencé le 18 mai 1906, terminé le 2 juin 1906 ».
Motifs
de broderie, dessins à la plume, V. Bessonneau, portant la mention « 3ème
concours, commencé le 30 novembre 1895, terminé le 7 décembre 1895 ».
Motifs
de broderie, dessins à la plume, M. Varriot, portant la mention « 10ème
concours, commencé le 5 février 1906, terminé le 13 février 1906 ».
Quoi
qu’il en soit, l’institution pédagogique n’accorde plus à l’écriture le respect
qui lui était dû autrefois. Bien sûr, on apprend encore dans les petites
classes à former les lettres mais au fil des sections, on se débarrasse de
cette pratique fastidieuse considérant que l’objectif de pouvoir se lire et
être lu est suffisant. Quid des capacités d’expression qu’offraient l’écriture
et la calligraphie ? Curieuse évolution à une époque où la célébration des
vertus de l’expression corporelle et gestuelle est si importante.
L’écriture
ne sert plus qu’à la lisibilité, à la communicabilité et à l’utilitarisme.
L’écriture est devenue une corvée pour l’élève qui préfère, bien sûr,
l’utilisation du clavier, du téléphone et autres outils numériques.
La « démocratisation » de l’écriture après
les lois Ferry
Lire,
écrire, compter, telle fut la devise de l’école avant et pendant le 19ème
siècle et dans cet ordre s’il-vous-plaît… En effet, tout comme la musique
mettait la maîtrise du solfège avant l’apprentissage de l’instrument, il
fallait savoir lire les mots avant de les écrire ! Au fil du temps, on
passa de l’écriture gothique (formée par une plume à bec carré) à l’écriture
anglaise qui s’imposera à la fin du 19ème siècle (formée par la
plume de fer fendue), en passant par la « bâtarde », la
« ronde » et ses pleins verticaux, la « française, la
« coulée » et son air penché qui évite pleins et déliés. Finies alors
la complexité des lettres et les fioritures de tous ordres.
Méthode d’écriture
Dubus-Lemaire, cette Méthode se
compose de 12 numéros dont 7 d'écriture anglaise, 1 de récapitulation
d'anglaise grosse et moyenne, 1 de ronde, 1 de bâtarde, 1 d'écriture commerciale et 1
d'exemples de comptabilité, vers 1890 (collection musée)
Méthode d’écriture
Dubus-Lemaire, détail (collection musée)
Méthode d’écriture
Dubus-Lemaire, détail (collection musée)
On
peut malgré tout retrouver dans les cahiers d’écoliers et jusqu’après la grande
guerre, un mélange des styles et des six tailles de lettres usitées sur une
même page d’écriture. En effet, la taille des caractères relevait d’une
classification stricte : le gros (15 mm), le demi-gros (10 mm), le moyen (5
mm), le petit-moyen (3 mm), le demi-fin (2 mm) et le fin ou écriture dite « cursive
ou expédiée » (1,5 mm).
Cahier
d’élève, leçon d’écriture, 1916 (collection musée)
L’écriture
anglaise penchée, était courante, chez les élèves comme chez les maîtres.
Cahier
d’élève, dictée, 1917 (collection musée)
Cahier
d’élève, appréciation de la directrice, 1917 (collection musée)
L’écriture
cursive s’ajoute à la ronde et la bâtarde dans les Instructions de 1923 tandis
que l’écriture scripte est introduite en 1945 « pour imiter les caractères d’imprimerie et faciliter la
lecture ». Ce modèle était venu des pays anglo-saxons, où il perdura. En
France, il ne sera usité que dans les petites classes, lors de l’apprentissage
de la lecture et ce, malgré la pression des éditeurs de méthode
d’écriture : « Nécessité de
notre temps ! En effet, les caractères de l’écriture SCRIPT conviennent à
la plume du stylo et à la petite bille d’acier qui trace les signes de
l’écriture sans pleins et déliés. La plume d’oie et la plume d’acier ont eu
leurs formes graphiques appropriées ; nos instruments modernes d’écriture
auront à leur tour la leur et sans aucun doute le SCRIPT ira s’imposant de plus
en plus. » Méthode Moderne d’Ecriture, anglaise et script, R. Echard et F.
Auxemery
Edition
1949 (collection musée)
L’école et les nouvelles technologies
Bien
que de multiples recherches pédagogiques aient eu lieu après la Seconde Guerre
mondiale, l’enseignement de l’écriture ne subira aucun changement, conformément
à la mise au point publiée dans le bulletin Officiel n°4 du 28 janvier 1971
concernant l’enseignement du français (dont l’écriture) : « Des informations contradictoires et
souvent fantaisistes ont été répandues concernant l’enseignement du français
dans les classes élémentaires. Je tiens à rappeler que les seuls textes qui
doivent actuellement guider les maîtres sont les instructions officielles en
vigueur, c’est-à-dire celles de 1945 renvoyant aux instructions de 1923 et de
1938 qui n’ont pas vieilli. De nouvelles instructions sont en cours
d’élaboration mais, tant qu’elles n’ont pas paru, aucun texte ne peut se
substituer aux anciennes ni anticiper les nouvelles (..) Seules sont autorisées
les expériences contrôlées par l’Institut national de recherches et de documentation
pédagogiques.» Arrivera la publication, un an plus tard, des instructions
du 4 décembre 1972 (2), il n’y avait pas de fumée sans feu…
Copie
du certificat d’études primaires, 1979 (collection musée)
Rédaction,
1917 (in La Rédaction,
publication musée)
Alors,
les défenseurs des traditions diront que
l’écriture à la main est la réalisation d’une composition manuscrite de gestes
graphiques sur des supports traditionnels et les gestes se faisant avec le
stylo, le crayon, la plume ou tout autre outil d’écriture doivent être
préservés ; que le style d’une écriture
individuelle renvoie l’image du scripteur ; que l’individualité du
manuscrit permet également d’identifier l’auteur d’un document ; que c’est
la signification juridique de la signature.
Cahier
d’écriture, 1916 (collection musée)
Ils
vous diront aussi que l’écriture manuelle est une activité motrice fine et
exigeante dont l’objectif est une bonne lisibilité du texte ; que la calligraphie,
la «belle écriture», est créative et dénote un fort attrait esthétique pour
l’art ou le graphisme.
De
leur côté, les tenants de la modernité mettent en avant que l’utilisation des
médias numériques permet une composition manuscrite de gestes graphiques tout à
fait acceptable ; que les gestes graphiques peuvent être effectués à
l’aide d’un stylet sur une « interface tactile résistive analogique » ;
que l’on peut dire adieu à la contrainte de l’outil, du papier et de l’encre
et saluer la technologie capacitive ! On touche alors d’un doigt
l’interface tactile et les signaux électroniques font le reste… ; que la
fenêtre technologique ouvre aussi des horizons nouveaux aux handicaps qui, pour
diverses causes de santé peuvent conduire à des difficultés dans l’écriture
manuelle bien que la motricité fine de la main et de l’intellect soit toujours
présente, notamment en matière scolaire : la dyspraxie, la dysgraphie, ou la
perte totale de capacité d’écriture : l’agrafie.
Chacun
se forgera un avis.
Un peu d’histoire pour terminer
La
première écriture « systématique » est l’écriture cunéiforme
(« en forme de coin »), emprunte laissée sur une tablette d’argile
grâce à un roseau aiguisé. Elle est d’abord pictographique (écriture
sumérienne) : les signes sont des dessins stylisés, puis elle devient
idéographique : un signe représente une idée.
(dinosoria.com)
Cette
première forme d’écriture évolue rapidement vers un système syllabique :
un signe représente une syllabe et les mots sont formés par une succession de
syllabes. Sensiblement, à la même époque apparaissent les hiéroglyphes
égyptiens.
(fr.wikipedia.org)
Ce
sont les phéniciens qui inventeront le premier système alphabétique de 22
lettres sans voyelle autour du 11ème siècle avant JC. Vers le 8ème
siècle avant JC, cet alphabet sera repris par les grecs qui y ajouteront 8
voyelles et supprimeront quelques consonnes. Quoi qu’il en soit, les premières
écritures ont souvent un fondement pratique indéniable : « Quand nous
regardons quels ont été les premiers usages de l’écriture, il semble bien que
ces usages aient d’abord été ceux du pouvoir : inventaires, catalogues,
recensements, lois et amendements, dans tous les cas qu’il s’agisse de contrôle
des biens matériels ou de celui des êtres humains, manifestation de puissance
de certains hommes sur d’autres hommes et sur des richesses. » (Entretiens avec Lévi-Strauss, UGE, coll. « 10/18 », 1969).
(fr.wikipedia.org)
Les
Romains ont finalement adopté l’alphabet grec modifié par les Étrusques pour
développer l’écriture latine. Le style d’écriture utilisé alors comprenait,
notamment, des onciales et des demi-onciales. L’écriture cursive romaine fut
dérivée des majuscules. La recherche de la rapidité
d’écriture impliqua une simplification des tracés, des ligatures entre les
lettres, et très souvent des abréviations.
D’autres
combinaisons d’écriture semi-onciale et cursive se sont développées dans toute
l’Europe, y compris chez les Wisigoths et les Mérovingiens. Autour de l’an 800,
Charlemagne chargea Alcuin d’York de créer une écriture nouvelle et ordonna que
tous les écrits de l’empire soient transcrits dans cette écriture, peu nouvelle
en réalité. Cette dernière fut appelée minuscule carolingienne et s’inspira
surtout des manuscrits romains. Elle sera utilisée pour la rédaction des livres
pieux jusqu’au 11ème siècle.
A
partir du 12ème siècle et jusqu’à la Renaissance, une écriture
dérivée du carolingien dominera : l’écriture gothique aussi nommée
écriture noire. La rareté et la cherté du parchemin conduisirent à une écriture
plus compacte, plus étroite, plus dense, économisant ainsi de l’espace.
Quelques modifications furent alors nécessaires : un point fut ajouté au
« i » pour le différencier d’autres traits similaires, de même, la
lettre « u » fut créée séparément de la lettre « v » qui
désignait les deux sons. L’écriture gothique fut retenue par Gutenberg
lorsqu’il inventa la typographie mobile.
Une
autre variante de minuscule carolingienne a été créée par les humanistes
italiens au XVe siècle, appelés par eux « littera antiqua ». Cette
écriture manuscrite, appelée « cursive humaniste », est devenue une
police italique utilisée dans toute l’Europe. Elle combinait les chapiteaux
romains et la version arrondie de la minuscule carolingienne. La rapidité avec
laquelle elle pouvait être écrite en fit le succès.
RAPPEL : Première partie de
l’article : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2019/06/le-taille-plume.html#more
(1) : l’histoire raconte que Napoléon (dont les écrits
n’étaient pas des exemples de rigueur orthographique) aurait transformé l’adage
original de Voltaire « L’écriture
est la science des ânes », pour sa
défense, en « L’orthographe est la science des ânes ». Dont acte !
Il
reste que les
belles lettres seront toujours les belles lettres, pour preuve ce mot d’esprit
du poète français Léon-Paul Fargues qui fit cette réponse à une lettre
d’insultes comportant de nombreuses fautes d’orthographe : « Monsieur,
je suis l’offensé, j’ai le choix des armes, je choisis l’orthographe. Donc,
vous êtes mort. »
(2) : Instructions
du 4 décembre 1972 (extrait) :
« L'apprentissage de l'écriture met en jeu de
façon si complexe des facteurs si divers, que des instructions spéciales en
traiteront. Quelques indications sont toutefois nécessaires.
L'écriture-dessin peut mener à la calligraphie, qui a
sa valeur propre comme travail d'ornementation ; mais son étude doit être bien
distinguée de l'apprentissage courant, auquel nous limiterons notre propos, et
qu'il serait absurde de mépriser. L'enfant qui apprend à écrire, à bien
conduire les mouvements de sa main, s'exerce au contrôle de soi. La liaison, la
sûreté, la légèreté des gestes qu'exige une «bonne écriture» sont des éléments
de l'éducation que l'on ne peut négliger sans dommage ; l'élève qui écrit
péniblement sera gêné dans ses études, et dans sa vie.
Le progrès de l'écriture dépend des possibilités
psychomotrices de l'enfant. La préparation déjà reçue à l'école maternelle ou
dans la classe enfantine est d'un grand secours au C.P. ; mais il arrive
qu'elle doive y être prolongée.
Associé à l'enseignement de la lecture, qui fait
apparaître les mots comme des assemblages autonomes de caractères déterminés,
celui de l'écriture apprend à bien former les caractères manuscrits ; l'enfant
s'aperçoit vite que leur déformation l'empêche de se relire et de retrouver le
sens de ce qu'il vient pourtant d'écrire.
L'enseignement au C.P. de l'écriture dite «script»
restera facultatif. Le script, imitant les caractères d'imprimerie, facilite la
lecture ; le dessin de ses lettres est simple ; il ajourne les
difficultés, nombreuses pour le débutant, de la liaison des lettres. En
revanche, il impose une étape supplémentaire, à laquelle il peut être paradoxal
de soumettre ceux des enfants qui, à l'école maternelle, ont déjà appris
l'écriture liée. Au surplus, il présente les inconvénients d'une écriture
hachée : les intervalles entre les lettres, qui doivent être plus petits que
les intervalles entre les mots, font difficulté. C'est pourquoi tout en
recourant au script pour des titres ou des étiquettes, les maîtres peuvent
juger bon d'économiser l'étape du script dans l'apprentissage de l'écriture.
Le crayon à bille et la pointe mousse seront les instruments
préférés. Des instructions de 1965 ont déjà signalé les avantages du premier
dans l'apprentissage d'une écriture cursive «qui ne nécessite à aucun moment
une pression différenciée de la main. Les traits sont d'une largeur uniforme et
sont tracés d'un mouvement continu». Mieux vaut désormais s'épargner les
difficultés de la plume à bec.
On rappellera enfin que les écritures droite et
penchée sont autorisées l'une comme l'autre depuis longtemps.
Si les occasions d'écrire ne sont saisies qu'à l'occasion
d'exercices appelant l'attention sur d'autres soins que celui de l'écriture -
travaux d'expression écrite, d'orthographe, etc. - on ne s'attendra pas à des
chefs-d'œuvre de graphisme. Or, il est nécessaire que l'écriture devienne
aisée, régulière et bien lisible. Le goût du dessin et le désir de produire un
travail propre et plaisant pourront faire aimer les exercices spéciaux auxquels
il faut recourir, sans mépriser les modèles ni les surimpositions.
Ce qu'il faut éviter dans ce travail, c'est que
l'enfant, en s'efforçant à la régularité, perde cette aisance sans laquelle la
lisibilité ne tarde pas à disparaître. L'exercice a des effets négatifs si
l'enfant se crispe. La raideur, l'attitude contrainte, les contorsions
trahissent une pédagogie qui éveille la répugnance de l'élève. Le remède sera
souvent de reprendre les exercices d'initiation graphique de l'école maternelle
dont l'exécution sera progressivement accélérée.
Les exercices spéciaux seront continués au C.E. 1.
Mais les soins apportés à l'écriture dans les deux premières années de la
scolarité élémentaire ne dispenseront pas d'en prendre d'autres dans les trois
années suivantes. Le geste, il est vrai, devient plus rapide et plus vigoureux,
mais ce peut être au détriment de la précision et de la propreté auxquelles le
maître doit veiller. Il ne comptera pas trop sur l'efficacité des réprimandes :
celle d'exercices de transcription bien faits est meilleure. En revanche, les
«lignes» à titre de pensum sont - en toute classe - fatales à l'écriture. Les
pensums ne sont d'ailleurs pas autorisés. »
(3) : https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01392506/document
P.P
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