Le « jeu éducatif » et l’ « imaginaire »
Illustrations de Georges Dascher
Jeanne
Girard, une Inspectrice des maternelles oubliée
A la suite des lois Ferry et de la reconnaissance d’une véritable école maternelle, un innovant essai de pédagogie est proposé par Mme Jeanne Girard, longtemps directrice d’Ecole maternelle, et devenue inspectrice des Ecoles maternelles. Au début du 20e siècle, dans l’Education de la première enfance, elle crée et explique la notion de « jeux éducatifs », des exercices, certes, mais sous forme de jeux. On y voit l’influence de l’Ecole nouvelle et sa pédagogie n’est pas très éloignée de celle mise en œuvre par Maria Montessori, dans le même temps, en Italie. Publiés dans différents ouvrages, les travaux de Jeanne Girard seront repris jusqu’entre les deux guerres et ses rapports, mémoires, articles de revue et de journal servent aussi la cause d’une autre pédagogue de renom : Pauline Kergomard (1). Point de bavardage, elle appuie sa doctrine sur l’expérience de terrain et sur les faits.
Edition 1908
Cet ouvrage aurait tout
aussi bien pu s’appeler « l’Ecole heureuse » tant le droit au bonheur
de l’enfant y est exprimé, mais il reste aussi un guide pour les éducatrices,
qui développe, en 10 chapitres, le moyen d’y parvenir : « Oui, le rôle unique, le seul qui
convienne à l’Ecole maternelle, c’est le rôle éducatif avec le plus de liberté
possible, avec des jeux qui maintiennent l’enfant dans son cadre à lui. Le jeu
et le travail ont plus d’un point commun : le jeu, c’est l’effort accompli
librement (...) Grâce à l’Ecole maternelle comprise ainsi, avec le concours
intelligent et dévoué de nos institutrices, nous rendrons à nos pauvres petits
« maternels » cette part de joie à laquelle tout être a droit. »
Edition 1911
Jeanne Girard rêve d’une
école de plein air où les enfants laisseraient vagabonder leur imaginaire, elle
multiplie les conseils pratiques aux jeunes maîtresses : l’utilité des
mouchoirs en papier, la préconisation des bains-douches. Elle s’élève contre la
mise à la rue des enfants, contre la marche au pas régimentaire des petits,
contre le pas « emboîté » et cadencé. Elle vante la cantine scolaire
qui serait un « restaurant » pour les petits, avec une nourriture
appropriée dont elle décline les menus. La pédagogie n’est pas absente de ses
propos : elle demande à ce que tout soit expliqué à l’enfant, sur les
résultats d’expérience, sur le travail manuel, sur les leçons de choses, sur la
discipline, sur l’obéissance. Elle exige que la lecture soit retardée jusqu’à
la cinquième année.
La lecture de contes, les scènettes et les représentations ne
sont pas non plus à bannir :
« Il veut jouer, je dis qu’il doit jouer. Il veut rire, donc son rire doit
s’élever clair et joyeux. Il veut faire quelque chose, n’importe quoi. Si ce
n’importe quoi n’est pas contraire ni à la santé ni au bien-être de son voisin,
de son camarade, dans le cas où on l’a transformé en écolier, laissez-le faire.
Vous n’avez pas le droit de le tenir courbé sur son livre ; vous n’avez
pas le droit de l’empêcher de respirer, de l’empêcher de se tenir comme il
l’entend pour l’obliger à appliquer ses petits doigts malhabiles à tracer des
lignes sur une feuille de papier, pour faire une belle page d’écriture. Je vous
refuse absolument le droit de faire couler ses larmes parce qu’il est incapable
d’attention et qu’il ne s’attache pas aux belles choses qu’on lui raconte sur
la morale ou l’histoire, alors qu’un conte bleu ferait bien mieux son affaire.
La force primerait-elle donc encore le droit ? ». Du
reste, en cette fin de 19e siècle, les spectacles de marionnettes ou
d’ombres chinoises vont faire leur apparition dans les écoles maternelles à la
suite des lanternes magiques, bien avant que l’utilisation de ce support
pédagogique ne soit reconnu par les pédopsychiatres (2).
Dans ses essais, Jeanne
Girard attire l’attention des maîtresses débutantes sur « la jolie vaillante de l’Ecole maternelle « à la française »
qui emporte les adhésions et fera naître dans l’esprit des lectrices
l’intention de les adopter, de se les assimiler », et leur donne des
pistes pédagogiques marquées au coin d’une ferme raison et d’une sage
expérience. Pour elle, l’éducation de la première enfance passe par l’éducation
des maîtresses.
Concluons avec cette
dernière pensée de Jeanne Girard, dans une de ses publications du début du 20e
siècle, conseil qui aurait pu s’adresser à nos chaînes d’information en continu
contemporaines : « Enfin, pour
éveiller leur pitié, ne leur racontez pas des histoires banales, sottes ;
n’éveillez pas en eux les émotions faciles, afin que, plus tard, ils soient
moins accessibles à l’effet des romans larmoyants, afin qu’ils aient horreurs
de ces refrains, de ces dictons ou formules populaires, dont la bêtise va
jusqu’à l’odieux. Tout cela sera de la bonne éducation sociale, de l’éducation
démocratique. » A bon
entendeur…
Guignol
à l’école
Les
illustrations de Georges Dascher
Dans l’esprit des nouvelles
méthodes pédagogiques naissantes fut éditée une série de 16 protège-cahiers issus
de planches intitulées « Encyclopédie enfantine recommandée pour les
écoles » dont l’illustration fut confiée à Georges Dascher, bien sûr.
Illustrations de Georges
Dascher
Découpages et constructions,
Images d’Epinal (imagesdepinal.com)
(1) :
Voir les articles du blog : Pauline
Kergomard, pédagogue et écrivaine : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2022/02/pauline-kergomard.html#more ; En marge des tableaux de lecture
https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/06/les-methodes-de-lecture.html#more
(2) : C’est Madeleine Rambert qui a publié en 1938, dans
la Revue
française de psychanalyse, le premier article sur les
marionnettes en France, intitulé « Une nouvelle technique en psychanalyse
infantile : le jeu des guignols ». Elle s’est intéressée aux marionnettes après
avoir lu L’homme de neige de George Sand. Cette
dernière y faisait le portrait de Guignol, en disant de lui : « Il obéit à mon
caprice, à mon inspiration, à mon entrain, […] tous ses mouvements sont la
conséquence des idées qui me viennent et des paroles que je lui prête […] il
est moi, enfin, c’est à dire un être et non pas une poupée. » Pour Madeleine Rambert, la marionnette est
« un être mi-vivant, mi-irréel, assez vivant pour donner l’illusion
d’un être avec lequel on parle »,
sur lequel l’enfant peut projeter ses sentiments, la marionnette étant comme
une sorte de « corps matériel dans lequel l’enfant projette son
âme ».
Elle a alors choisi un dispositif
thérapeutique s’appuyant sur le jeu de Guignol avec des marionnettes à gaines,
et l’a utilisé dans le cadre de consultations psychopédagogiques comme une
méthode de psychanalyse infantile en individuel, en complément du dessin et
de la plasticine. Elle met à disposition des enfants des personnages immuables
comme le gendarme, le diable, la sorcière, la mort, quelques animaux, des
dames, des hommes et quelques vêtements.
Cette
méthode se révèle pour elle une bonne indication pour des enfants âgés de 7 à
14 ans présentant des symptômes névrotiques, bégaiement, culpabilité
œdipienne, symptômes de résistance, d’inhibition, ou encore des difficultés
d’accès au langage.
Suivant
les travaux de Jean Piaget sur la pensée et la logique de l’enfant, elle a vu
dans la marionnette un mode d’expression adapté à la nature de l’enfant, à son
langage et à sa pensée, mais aussi une méthode d’investigation rapide de ses
mobiles inconscients et des drames familiaux qui le troublent. Enfin, elle a
fait remarquer la valeur émotive du transfert avec Guignol, ainsi que la valeur
cathartique du geste, provoquant une libération intérieure.
( in https://www.cairn.info/revue-la-psychiatrie-de-l-enfant-2015-1-page-23.htm )
Patrick PLUCHOT
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