samedi 12 février 2022

Pauline Kergomard

 Pauline Kergomard

Pédagogue et écrivaine


Pauline Kergomard (Gallica.Bnf)

L’organisatrice méconnue des écoles maternelles

Contre les salles d’asile, « casernes pour enfants », Pauline Kergomard va œuvrer afin que ces dernières deviennent l’école maternelle française et soient un lieu d’épanouissement de l’enfant (1) : « Inutile de bourrer le crâne des jeunes enfants, il faut passer par le jeu ! ». Surprenante pédagogie pour l’époque ! Pauline évoque dès ses débuts une école maternelle qui deviendrait un lieu d’éveil et d’apprentissage. Une idée typiquement française, qu’à 18 ans, jeune institutrice, Pauline Reclus (mariée à 25 ans à Jules Kergomard), va creuser en faveur de l’éducation des tout-petits. Aussi, très tôt, elle devient directrice d’une école privée et va développer cette pédagogie révolutionnaire basée sur l’apprentissage par le jeu.

Une vocation précoce

Le 24 avril 1838 naît Marie Pauline Jeanne Reclus, fille de Jeanne Pauline Philippine Ducos et de Jean Reclus, inspecteur des écoles primaires du département de la Gironde. Jean Reclus, père sévère et rigoureux, perd sa femme et Pauline est confiée, à l’âge de 13 ans, à un oncle pasteur dont l’épouse, qui enseigne à Orthez, aura une influence décisive sur elle. De retour à Bordeaux, à 15 ans, Pauline rentre à l’École supérieure, futur Cours Normal d’Institutrices, où elle obtient son brevet de capacité avant de devenir institutrice à 18 ans.



Page de L’Illustration Journal universel. Gravures : enfants rentrant dans une salle d’asile, enfants priant, enfants devant les tableaux de lecture, 1840 (CANOPE)

Projet de construction d’une salle d’asile à Losne (21) (archives départementales de Côte-d’Or)

A l’époque, la prise en charge des petits se faisait dans les salles d’asile créées pour la première fois à Paris en 1826 et généralisées ensuite par l’ordonnance royale du 27 décembre 1837 dite « Charte des salles d’asile ». Il s’agissait là moins d’une scolarisation que d’une garde d’enfants, visant à libérer les mères pour le travail. Ces salles étaient des établissements charitables chargés d’accueillir des enfants entre 2 et 6 ans, issus de familles pauvres. Pauline Kergomard y déplora immédiatement les conditions matérielles (manque d’air, d’espace, d’hygiène), la discipline proche du « dressage » et la part trop importante de la religion.

Montée à Paris en 1861, mariée en octobre 1863, Pauline Kergomard rencontre les milieux républicains. C’est pour partager ses méthodes novatrices qu’elle ouvre sa propre école. La reconnaissance est immédiate et elle participe à la rédaction du Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson qui l’incite à passer l’examen d’aptitude à la direction, puis à l’inspection des salles d’asile qu’elle réussira en 1877. En 1881, elle entre à la rédaction de Mon journal, journal pédagogique mensuel en direction des enfants de 5 à 10 ans. A la demande d’Armand Templier, neveu de Louis Hachette, elle dirige L’ami de l’enfance à la suite de Marie Pape-Carpantier. Cette revue pédagogique pour les salles d’asile fut publiée de 1835 à 1896. On y trouvait des notes d’inspection, des « causeries familières » (conférences) ou encore de la correspondance. 

Mon journal, 15 octobre 1883 (rakuten)

Influencée par la féministe Caroline de Barrau (1828-1888), inspirée par les travaux de Marie Pape-Carpantier (1815-1878) (2), précurseure de Maria Montessori (1870-1952), Pauline Kergomard sera à l’origine de la transformation des salles d’asile, établissements à vocation uniquement sociale, en véritables écoles maternelles, premières marches du système scolaire moderne. Ses objectifs sont clairs. Tout d’abord, en faire des lieux laïques (3), y introduire le jeu comme méthode pédagogique, y adapter un mobilier scolaire à la taille des petits, y promouvoir les activités artistiques et sportives, et surtout, y prôner, non une instruction, mais une initiation à la lecture, à l’écriture et au calcul, tout cela avant 5 ans. Une révolution des mentalités en somme.



(gallica.Bnf)

Devenue, avec l’appui de Ferdinand Buisson et Jules Ferry, déléguée générale à l’inspection des salles d’asile en 1879, elle va plus loin encore dans sa réflexion sur la citoyenneté républicaine engagée par la Troisième République : elle considère, dans ses écrits, que le terme « asile » est discriminant et enferme le lieu dans une image de charité plutôt que d’accueil pour les enfants. Les familles aisées s’éloignent de ces lieux ce qui, à son sens, ne favorisent pas « la fusion des différentes classes de la société » et elle pose la question : « Comment apprendre à vivre ensemble quand on ne se rencontre jamais, quand on ne partage jamais aucun espace ? ». Quelle modernité et quelle actualité encore ! Du reste, Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts, ne s’y trompera pas et nommera Pauline Kergomard Inspectrice générale des écoles maternelles en 1881. Durant 36 ans, elle fera appliquer ses idées pédagogiques à l’école maternelle.








Journal La Lanterne, 7 décembre 1886, extrait (retronews.fr)

Une vie au service de la femme et de l’enfant

Outre toutes les inspections menées par Pauline Kergomard dans toute la France, elle crée avec Caroline de Barrau, en 1887, l’Union française pour le sauvetage de l’enfance et promeut aussi  diverses initiatives contre la misère enfantine : l’association de protection des enfants maltraités, la Société contre la mendicité des enfants. En 1901, elle devient vice-présidente de la Société libre pour l’étude psychologique de l’enfant fondée par Ferdinand Buisson. Elle prend fait et cause contre les maladies infectieuses qui favorisent la mortalité infantile en imposant l’hygiène et la propreté autant dans les établissements que dans les programmes scolaires. Bien que républicaine dans l’âme, cela ne l’empêche pas d’émettre des critiques appuyées à l’adresse de certains hommes politiques, Gaston Doumergue ou Aristide Brillant notamment. Elle a quelquefois des paroles très dures, comme ses accusations de « crime contre l’enfance » aux maîtresses qui continuent à apprendre à lire et à écrire à des enfants qui ne savent même pas parler.


Elle participe à l’activité féministe de son époque, demandant sans cesse l’augmentation du nombre des inspectrices. Elle est membre du Conseil National des Femmes françaises (section éducation) fondé en 1901, année où elle perd son mari. Elle en deviendra présidente d’honneur avec Marie Curie. En 1914, elle intervient en soutien des femmes dont les maris sont partis à la guerre et organise des cours pour les plus jeunes. Elle prendra sa retraite en 1917 à l’âge de 79 ans, une maladie cérébrale l’éloignera de Paris en 1918 et l’emportera le 13 février 1925. Les autorités lui avaient été reconnaissantes en la nommant Officier de l’Instruction publique en 1890 et Chevalier de la Légion d’honneur en 1895. Ce fut la troisième femme à obtenir cette distinction. C’est Paul Lapie, philosophe, directeur de l’enseignement primaire et défenseur de l’école publique et laïque, qui fit son éloge funèbre : « [..] beaucoup de maîtresses de nos maternelles appliquent depuis de longues années les idées de Mme Kergomard sans se douter que leur ancienne inspectrice générale mérite de trouver place dans l’histoire de la pédagogie ».

Pauline Kergomard écrivaine pour adultes

Bien qu’elle ait suscité moins d’intérêt pour les chercheurs en sciences de l’éducation que Marie Pape-Carpantier, Pauline Kergomard est une auteure qui mérite d’être mise à l’honneur. Elle anima nombre de conférences pédagogiques qui firent l’objet de publications.


Kergomard, Pauline. Leçon de lecture. In L’Ami de l’enfance, 5e série, 5e année, n° 2, 15 octobre 1885. Page 28

En 1877, paraît chez Hachette, l’ouvrage dans lequel Pauline Kergomard énoncera tous les principes qui fonderont sa pédagogie : L’Éducation maternelle dans l’école. Elle y développe sa méthode « cette démonstration claire, tangible qui entre dans le cerveau de l’enfant par les yeux, les narines, l’oreille, tous ses sens ».


Edition 1895 (collection musée)

Toujours chez Hachette, elle publia par deux fois un recueil d’articles, parus dans L’Ami de l’enfance sous le titre L’éducation maternelle dans l’école, une série en 1886 et l’autre en 1895. En 1903, elle collabora à une autre revue destinée aux enseignants de maternelle, L’Education enfantine, publiée par Nathan cette fois. Chez ce dernier, elle fait paraître L’enfant de deux à six ans. Notes de pédagogie pratique, en 1910, coécrit avec Suzanne Brès (4), également inspectrice générale des écoles maternelles. Plusieurs rééditions remaniées suivront. Pauline Kergomard a évidemment apporté sa contribution au Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire publié en 1911, rédigeant l’article sur les écoles maternelles.


3e édition revue, remaniée et annotée datée de 1928, page 37


3e édition revue, remaniée et annotée datée de 1928, page 87


 Pauline Kergomard écrivaine pour enfants

Le premier manuel pour écoliers publié par Pauline Kergomard est édité en 1879 chez Sandoz et Fischbacher : Les Biens de la Terre, Causeries enfantines. Il s’agit d’un livre de leçons de choses qui met en scène Mme Lambert, institutrice qui enseigne à deux enfants les choses simples de la vie à travers la découverte de la nature : la plantation du blé et des pommes de terre, la découverte de la canne à sucre, le raisin… beaucoup d’apprentissages qui seront mis dans les programmes de 1881 sous le titre de « Connaissances des objets usuels ».




Les biens de la Terre, édition 1879 (gallica.Bnf)

Concernant l’édition de 1886 de L’Éducation maternelle à l’école, elle déclare que « Les images sont encore ce que nous avons de meilleur pour amener l’enfant à parler ». Elle va donc tout naturellement réaliser un album d’images à visée pédagogique « Cinquante images expliquées : album pour les enfants, publié chez Hachette en 1890. Cet album comporte des exercices destinés à éveiller l’intelligence des enfants et Pauline Kergomard présente dès lors la lecture d’images comme une compétence scolaire : cinquante historiettes agrémentées de cinquante gravures et deux séries de questions avec deux niveaux de réponses attendues pour les institutrices (2 à 4 ans et 4 à 6 ans). Cette démarche particulièrement innovante avait été pratiquée par d’autres avant elle, notamment par Pape-Carpantier et son enseignement « par les yeux » (5).





Cinquante images expliquées, édition 1900 (gallica.Bnf)

Pauline Kergomard, républicaine convaincue, va aussi s’intéresser à l’histoire : « Pour aimer la France, il faut la connaître. » En 1883, Eugène Weill et Georges Maurice vont éditer un ouvrage abondamment illustré : L’Histoire de France des petits enfants, dans lequel Pauline Kergomard retrace l’histoire de France de la Gaule romaine à la troisième République. Cet ouvrage se veut didactique et adapté aux jeunes écoliers, mais il n’évitera pas le moralisme de l’époque ; ainsi écrit-elle sur les chevaliers : « Mais ces hommes violents et injustes avaient pour idéal d’être fidèles à leurs promesses, courageux dans la bataille, humains dans la victoire, de protéger les vieillards, les enfants, les veuves, d’avoir avec les femmes une politesse respectueuse et cordiale ». Vraiment ?…


Les injonctions morales seront aussi de mise dans les deux séries de biographies d’hommes illustres dont Jeanne d'Arc fait partie : Charlemagne, Saint-Louis, Duguesclin, Gutenberg… La première série pour Hachette en 1879 : La galerie des hommes illustres, dans laquelle les grands hommes ont « tous une passion : l’amour de leur pays, la justice, le bien et le progrès de l’humanité » ; la seconde pour la Librairie centrale des publications populaires en 1881 : L’amiral de Coligny, dans laquelle elle se sert du personnage pour promouvoir « Le développement intellectuel de l’individu comme condition du progrès moral de la société ». A noter la particularité de cette dernière maison d’édition dont l’objectif était de diffuser les livres « jusque dans les campagnes ». Elle avait été créée par la Ligue française de l’enseignement, en 1886, sous Jean Macé, ligue qui inspira largement les lois sur l’école gratuite, obligatoire et laïque.


Citons, pour clore ce chapitre, deux des quatre romans que Pauline Kergomard publia. Le premier : Nouvelles enfantines, 1881, est une suite de nouvelles sans illustrations qui content les aventures de plusieurs enfants, prônant la persévérance, l’étude, le goût de l’effort, l’amour de la patrie ; il fut dédié à Germaine Monod, la fille de Gabriel Monod l’historien qui faisait partie, avec Pauline Kergomard, du cercle d’intellectuels libéraux protestants qui entouraient Ferdinand Buisson. Le second : Un sauvetage, 1879, est l’histoire d’enfants bretons de la région de Locnévé, tirés de leur misérable condition par une famille parisienne, et dont l’un d’eux deviendra instituteur et retournera chez lui pour prendre en charge une école : « Il est tout probable que cette commune, naguère si ignorante et si grossière, sera désormais, marquée en blanc, sur les cartes qui indiquent les progrès de l’instruction et de la moralité en France ».   

Évidemment, d’aucuns trouveront ces derniers ouvrages trop romanesques, trop naïfs ou trop moralisateurs, mais il convient de ne pas oublier que Pauline Kergomard fut une femme de terrain, militante et philanthrope, et que c’est à travers ce prisme que doit passer la lecture de ses écrits.


L'école maternelle, pourquoi ? Pauline KERGOMARD - selon Philippe Meirieu

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Lettre manuscrite signée de la main de Pauline Kergomard à Edmond COTTINET (Journaliste, poète et auteur dramatique, inspecteur des écoles connu pour avoir été le fondateur des colonies de vacances en France : voir article du blog https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2021/09/dossier-de-rentree-les-jolies-colonies.html#more )

"Mes fils, deux de leurs amis et moi, nous avons passé hier une belle soirée, nous avons vibré, frissonné, applaudi. Votre Vercingétorix est beau ! Nous vous remercions et je vous prie d'agréer l'expression de mes sentiments très affectueux et distingués"

[Vercingétorix, drame en 5 actes d'Edmond Cottinet, a été représenté à l'Odéon en 1893, ce qui permet de dater cette lettre]

Sources et bibliographie :

-       Cohen, Suzy : L’enfance au cœur. Marie et Pauline : deux pionnières de l’école maternelle. Paris : L’Harmattan, 2006.

-       Kergomard, Geneviève, Kergomard, Alain : Pauline Kergomard créatrice de la maternelle moderne, correspondances privées, rapports aux ministres. Rodez : Le Fil d’Ariane, 2000.

-       Kergomard, Pauline : L’éducation maternelle dans l’école. Paris : Editions Fabert, 2009.

-       Mutuale, Augustin, Weigand : Les grandes figures de la pédagogie. Paris : Éd. Pétra, cop. 2011.

-       Nelly Kabac : https://bibulyon.hypotheses.org

-       Plaisance, Éric : Pauline Kergomard et l’école maternelle. Paris : Presses universitaires de France, 1996.

-       Vincent-Nkoulou : La fabrication des figures de deux pédagogues en histoire de l’éducation : Jean-Frédéric Oberlin et Pauline Kergomard.  Carrefours de l’éducation 2/2007.

-       Retronews.fr

 

 (1) :



Ecole maternelle, 1895

(2) : Voir article du blog : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2017/10/marie-pape-carpantier-pedagogue-et.html#more

(3) :



Etat indiquant le nombre et la population des salles d’asile, de 1836 à 1881, répartis entre publiques et privées (salles d’asile étant devenues écoles maternelles en 1881)


(4) : voir article du blog : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/06/les-methodes-de-lecture.html#more

(5) : voir article du blog : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2017/12/lenseignement-par-tableau-mural.html

 

Patrick PLUCHOT






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