Pauline Kergomard
Pédagogue et écrivaine
Pauline Kergomard (Gallica.Bnf)
L’organisatrice
méconnue des écoles maternelles
Contre les
salles d’asile, « casernes pour enfants », Pauline Kergomard va œuvrer
afin que ces dernières deviennent l’école maternelle française et soient un
lieu d’épanouissement de l’enfant (1) :
« Inutile de bourrer le crâne
des jeunes enfants, il faut passer par le jeu ! ». Surprenante pédagogie pour l’époque ! Pauline évoque dès
ses débuts une école maternelle qui deviendrait un lieu d’éveil et
d’apprentissage. Une idée typiquement française, qu’à 18 ans, jeune
institutrice, Pauline Reclus (mariée à 25 ans à Jules Kergomard), va creuser en
faveur de l’éducation des tout-petits. Aussi, très tôt, elle devient
directrice d’une école privée et va développer cette pédagogie révolutionnaire
basée sur l’apprentissage par le jeu.
Une vocation
précoce
Le 24 avril 1838 naît Marie Pauline Jeanne Reclus,
fille de Jeanne Pauline Philippine Ducos et de Jean Reclus, inspecteur des
écoles primaires du département de la Gironde. Jean Reclus, père sévère et
rigoureux, perd sa femme et Pauline est confiée, à l’âge de 13 ans, à un oncle
pasteur dont l’épouse, qui enseigne à Orthez, aura une influence décisive sur
elle. De retour à Bordeaux, à 15 ans, Pauline rentre à l’École supérieure,
futur Cours Normal d’Institutrices, où elle obtient son brevet de capacité
avant de devenir institutrice à 18 ans.
Page de L’Illustration Journal universel. Gravures :
enfants rentrant dans une salle d’asile, enfants priant, enfants devant les
tableaux de lecture, 1840 (CANOPE)
Projet de construction d’une salle d’asile à Losne
(21) (archives départementales de Côte-d’Or)
A l’époque, la prise en charge des petits se faisait dans
les salles d’asile créées pour la première fois à Paris en 1826 et généralisées
ensuite par l’ordonnance royale du 27 décembre 1837 dite « Charte des
salles d’asile ». Il s’agissait là moins d’une scolarisation que d’une
garde d’enfants, visant à libérer les mères pour le travail. Ces salles étaient
des établissements charitables chargés d’accueillir des enfants entre 2 et 6
ans, issus de familles pauvres. Pauline Kergomard y déplora immédiatement les
conditions matérielles (manque d’air, d’espace, d’hygiène), la discipline
proche du « dressage » et la part trop importante de la religion.
Montée à Paris en 1861, mariée en octobre 1863,
Pauline Kergomard rencontre les milieux républicains. C’est pour partager ses
méthodes novatrices qu’elle ouvre sa propre école. La reconnaissance est
immédiate et elle participe à la rédaction du Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand
Buisson qui l’incite à passer l’examen d’aptitude à la direction, puis à
l’inspection des salles d’asile qu’elle réussira en 1877. En 1881, elle entre à
la rédaction de Mon journal, journal
pédagogique mensuel en direction des enfants de 5 à 10 ans. A la demande
d’Armand Templier, neveu de Louis Hachette, elle dirige L’ami de l’enfance à la suite de Marie Pape-Carpantier. Cette revue
pédagogique pour les salles d’asile fut publiée de 1835 à 1896. On y trouvait
des notes d’inspection, des « causeries familières » (conférences) ou
encore de la correspondance.
Mon journal, 15 octobre 1883 (rakuten)
Influencée par la féministe Caroline de Barrau
(1828-1888), inspirée par les travaux de Marie Pape-Carpantier (1815-1878) (2),
précurseure de Maria Montessori (1870-1952), Pauline Kergomard sera à l’origine
de la transformation des salles d’asile, établissements à vocation uniquement
sociale, en véritables écoles maternelles, premières marches du système
scolaire moderne. Ses objectifs sont clairs. Tout d’abord, en faire des lieux
laïques (3), y introduire le jeu comme méthode pédagogique, y adapter
un mobilier scolaire à la taille des petits, y promouvoir les activités
artistiques et sportives, et surtout, y prôner, non une instruction, mais une
initiation à la lecture, à l’écriture et au calcul, tout cela avant 5 ans. Une
révolution des mentalités en somme.
(gallica.Bnf)
Devenue, avec l’appui de Ferdinand Buisson et Jules
Ferry, déléguée générale à l’inspection des salles d’asile en 1879, elle va
plus loin encore dans sa réflexion sur la citoyenneté républicaine engagée par
la Troisième République : elle considère, dans ses écrits, que le terme
« asile » est discriminant et enferme le lieu dans une image de
charité plutôt que d’accueil pour les enfants. Les familles aisées s’éloignent
de ces lieux ce qui, à son sens, ne favorisent pas « la fusion des différentes classes de la société » et elle
pose la question : « Comment
apprendre à vivre ensemble quand on ne se rencontre jamais, quand on ne partage
jamais aucun espace ? ». Quelle modernité et quelle actualité
encore ! Du reste, Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique et des
Beaux-arts, ne s’y trompera pas et nommera Pauline Kergomard Inspectrice
générale des écoles maternelles en 1881. Durant 36 ans, elle fera appliquer ses
idées pédagogiques à l’école maternelle.
Journal
La Lanterne, 7 décembre 1886, extrait (retronews.fr)
Une vie au
service de la femme et de l’enfant
Outre toutes les inspections menées par Pauline
Kergomard dans toute la France, elle crée avec Caroline de Barrau, en 1887,
l’Union française pour le sauvetage de l’enfance et promeut aussi diverses initiatives contre la misère
enfantine : l’association de protection des enfants maltraités, la Société
contre la mendicité des enfants. En 1901, elle devient vice-présidente de la
Société libre pour l’étude psychologique de l’enfant fondée par Ferdinand
Buisson. Elle prend fait et cause contre les maladies infectieuses qui
favorisent la mortalité infantile en imposant l’hygiène et la propreté autant
dans les établissements que dans les programmes scolaires. Bien que
républicaine dans l’âme, cela ne l’empêche pas d’émettre des critiques appuyées
à l’adresse de certains hommes politiques, Gaston Doumergue ou Aristide
Brillant notamment. Elle a quelquefois des paroles très dures, comme ses
accusations de « crime contre l’enfance » aux maîtresses qui
continuent à apprendre à lire et à écrire à des enfants qui ne savent même pas
parler.
Elle participe à l’activité féministe de son époque,
demandant sans cesse l’augmentation du nombre des inspectrices. Elle est membre
du Conseil National des Femmes françaises (section éducation) fondé en 1901,
année où elle perd son mari. Elle en deviendra présidente d’honneur avec Marie
Curie. En 1914, elle intervient en soutien des femmes dont les maris sont
partis à la guerre et organise des cours pour les plus jeunes. Elle prendra sa
retraite en 1917 à l’âge de 79 ans, une maladie cérébrale l’éloignera de Paris
en 1918 et l’emportera le 13 février 1925. Les autorités lui avaient été
reconnaissantes en la nommant Officier de l’Instruction publique en 1890 et
Chevalier de la Légion d’honneur en 1895. Ce fut la troisième femme à obtenir
cette distinction. C’est Paul Lapie, philosophe, directeur de l’enseignement primaire
et défenseur de l’école publique et laïque, qui fit son éloge funèbre : « [..] beaucoup de maîtresses de nos
maternelles appliquent depuis de longues années les idées de Mme Kergomard sans
se douter que leur ancienne inspectrice générale mérite de trouver place dans
l’histoire de la pédagogie ».
Pauline
Kergomard écrivaine pour adultes
Bien qu’elle ait suscité moins d’intérêt pour les
chercheurs en sciences de l’éducation que Marie Pape-Carpantier, Pauline
Kergomard est une auteure qui mérite d’être mise à l’honneur. Elle anima nombre
de conférences pédagogiques qui firent l’objet de publications.
Kergomard,
Pauline. Leçon de lecture. In L’Ami de l’enfance, 5e série, 5e année, n° 2, 15
octobre 1885. Page 28
En
1877, paraît chez Hachette, l’ouvrage dans lequel Pauline Kergomard énoncera
tous les principes qui fonderont sa pédagogie : L’Éducation maternelle dans l’école. Elle y développe sa méthode « cette démonstration claire, tangible
qui entre dans le cerveau de l’enfant par les yeux, les narines, l’oreille,
tous ses sens ».
Edition
1895 (collection musée)
Toujours
chez Hachette, elle publia par deux fois un recueil d’articles, parus dans L’Ami de l’enfance sous le titre L’éducation maternelle dans l’école, une
série en 1886 et l’autre en 1895. En 1903, elle collabora à une autre revue
destinée aux enseignants de maternelle, L’Education
enfantine, publiée par Nathan cette fois. Chez ce dernier, elle fait
paraître L’enfant de deux à six ans.
Notes de pédagogie pratique, en 1910, coécrit avec Suzanne Brès (4), également
inspectrice générale des écoles maternelles. Plusieurs rééditions remaniées
suivront. Pauline Kergomard a évidemment apporté sa contribution au Nouveau dictionnaire de pédagogie et
d’instruction primaire publié en 1911,
rédigeant l’article sur les écoles maternelles.
3e
édition revue, remaniée et annotée datée de 1928, page 37
3e
édition revue, remaniée et annotée datée de 1928, page 87
Pauline
Kergomard écrivaine pour enfants
Le premier manuel
pour écoliers publié par Pauline Kergomard est édité en 1879 chez Sandoz et
Fischbacher : Les Biens de la Terre,
Causeries enfantines. Il s’agit d’un livre de leçons de choses qui met en
scène Mme Lambert, institutrice qui enseigne à deux enfants les choses simples
de la vie à travers la découverte de la nature : la plantation du blé et
des pommes de terre, la découverte de la canne à sucre, le raisin… beaucoup
d’apprentissages qui seront mis dans les programmes de 1881 sous le titre de « Connaissances des objets
usuels ».
Les
biens de la Terre, édition 1879 (gallica.Bnf)
Concernant l’édition de 1886 de L’Éducation maternelle à l’école, elle déclare que « Les images sont encore ce que nous
avons de meilleur pour amener l’enfant à parler ». Elle va donc tout
naturellement réaliser un album d’images à visée pédagogique « Cinquante images expliquées :
album pour les enfants, publié chez Hachette en 1890. Cet album comporte
des exercices destinés à éveiller l’intelligence des enfants et Pauline Kergomard
présente dès lors la lecture d’images comme une compétence scolaire :
cinquante historiettes agrémentées de cinquante gravures et deux séries de
questions avec deux niveaux de réponses attendues pour les institutrices (2 à 4
ans et 4 à 6 ans). Cette démarche particulièrement innovante avait été
pratiquée par d’autres avant elle, notamment par Pape-Carpantier et son
enseignement « par les yeux » (5).
Cinquante
images expliquées, édition 1900 (gallica.Bnf)
Pauline
Kergomard, républicaine convaincue, va aussi s’intéresser à l’histoire : « Pour aimer la France, il faut la
connaître. » En 1883, Eugène Weill et Georges Maurice vont éditer un
ouvrage abondamment illustré : L’Histoire
de France des petits enfants, dans lequel Pauline Kergomard retrace
l’histoire de France de la Gaule romaine à la troisième République. Cet ouvrage
se veut didactique et adapté aux jeunes écoliers, mais il n’évitera pas le
moralisme de l’époque ; ainsi écrit-elle sur les chevaliers : « Mais ces hommes violents et injustes
avaient pour idéal d’être fidèles à leurs promesses, courageux dans la
bataille, humains dans la victoire, de protéger les vieillards, les enfants,
les veuves, d’avoir avec les femmes une politesse respectueuse et cordiale ».
Vraiment ?…
Les
injonctions morales seront aussi de mise dans les deux séries de biographies
d’hommes illustres dont Jeanne d'Arc fait partie : Charlemagne, Saint-Louis, Duguesclin, Gutenberg… La première série pour Hachette en 1879 : La galerie des hommes illustres, dans laquelle les grands hommes
ont « tous une passion :
l’amour de leur pays, la justice, le bien et le progrès de
l’humanité » ; la seconde pour la Librairie centrale des
publications populaires en 1881 : L’amiral
de Coligny, dans laquelle elle se sert du personnage pour promouvoir « Le développement intellectuel de
l’individu comme condition du progrès moral de la société ». A noter
la particularité de cette dernière maison d’édition dont l’objectif était de
diffuser les livres « jusque dans les campagnes ». Elle avait été
créée par la Ligue française de l’enseignement, en 1886, sous Jean Macé, ligue
qui inspira largement les lois sur l’école gratuite, obligatoire et laïque.
Citons, pour clore ce chapitre, deux des quatre romans
que Pauline Kergomard publia. Le premier : Nouvelles enfantines, 1881, est une suite de nouvelles sans
illustrations qui content les aventures de plusieurs enfants, prônant la
persévérance, l’étude, le goût de l’effort, l’amour de la patrie ; il fut
dédié à Germaine Monod, la fille de Gabriel Monod l’historien qui faisait
partie, avec Pauline Kergomard, du cercle d’intellectuels libéraux protestants
qui entouraient Ferdinand Buisson. Le second : Un sauvetage, 1879, est l’histoire d’enfants bretons de la région
de Locnévé, tirés de leur misérable condition par une famille parisienne, et dont
l’un d’eux deviendra instituteur et retournera chez lui pour prendre en charge
une école : « Il est tout
probable que cette commune, naguère si ignorante et si grossière, sera
désormais, marquée en blanc, sur les cartes qui indiquent les progrès de
l’instruction et de la moralité en France ».
Évidemment, d’aucuns trouveront ces derniers ouvrages
trop romanesques, trop naïfs ou trop moralisateurs, mais il convient de ne pas
oublier que Pauline Kergomard fut une femme de terrain, militante et
philanthrope, et que c’est à travers ce prisme que doit passer la lecture de
ses écrits.
L'école maternelle, pourquoi
? Pauline KERGOMARD - selon Philippe Meirieu
Lettre
manuscrite signée de la main de Pauline Kergomard à Edmond COTTINET (Journaliste,
poète et auteur dramatique, inspecteur des écoles connu pour avoir été le
fondateur des colonies de vacances en France : voir article du blog https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2021/09/dossier-de-rentree-les-jolies-colonies.html#more )
"Mes fils, deux de leurs amis et moi, nous avons
passé hier une belle soirée, nous avons vibré, frissonné, applaudi. Votre Vercingétorix est beau ! Nous
vous remercions et je vous prie d'agréer l'expression de mes sentiments très
affectueux et distingués"
[Vercingétorix, drame en 5 actes
d'Edmond Cottinet, a été représenté à l'Odéon en 1893, ce qui permet de
dater cette lettre]
Sources et bibliographie :
-
Cohen, Suzy : L’enfance au cœur. Marie et
Pauline : deux pionnières de l’école maternelle. Paris :
L’Harmattan, 2006.
-
Kergomard, Geneviève, Kergomard, Alain : Pauline Kergomard créatrice de
la maternelle moderne, correspondances privées, rapports aux ministres.
Rodez : Le Fil d’Ariane, 2000.
-
Kergomard, Pauline : L’éducation
maternelle dans l’école. Paris : Editions Fabert, 2009.
-
Mutuale, Augustin, Weigand : Les grandes figures de la pédagogie.
Paris : Éd. Pétra, cop. 2011.
- Nelly
Kabac : https://bibulyon.hypotheses.org
- Plaisance,
Éric : Pauline Kergomard et l’école maternelle.
Paris : Presses universitaires de France, 1996.
-
Vincent-Nkoulou : La fabrication des figures
de deux pédagogues en histoire de l’éducation : Jean-Frédéric Oberlin et
Pauline Kergomard. Carrefours
de l’éducation 2/2007.
- Retronews.fr
(1) :
Ecole maternelle, 1895
(2) :
Voir article du blog : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2017/10/marie-pape-carpantier-pedagogue-et.html#more
(3) :
Etat
indiquant le nombre et la population des salles d’asile,
de 1836 à 1881, répartis entre publiques et privées (salles
d’asile étant devenues écoles maternelles en 1881)
(4) :
voir article du blog : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/06/les-methodes-de-lecture.html#more
(5) : voir article du blog : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2017/12/lenseignement-par-tableau-mural.html
Patrick PLUCHOT
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