Création,
organisation et fonctionnement
des
bataillons scolaires
La
préparation des corps
La loi du 28 mars 1882 met la gymnastique et les exercices
militaires au nombre des matières d’enseignement des écoles primaires publiques
de garçons :
« Art. 1
L’enseignement primaire comprend :
1°)
l’instruction morale et civique
2°) la lecture et l’écriture
………
9°) la
gymnastique
10°) pour
les garçons : les exercices militaires pour
les filles, les travaux d’aiguilles ».
L’existence légale des
bataillons scolaires est reconnue par un décret en date du 6 juillet 1882. Un
arrêté du 27 juillet 1882 précise leur constitution dans les communes. Les
exercices des bataillons ne pourront avoir lieu que le jeudi et le dimanche, le
temps à y consacrer sera déterminé par l’instructeur militaire de concert avec
le directeur de l’école. L’engouement est certain parmi la population en
général. A partir de 1889, l’instructeur militaire désigné par l’autorité
militaire pourra être l’enseignant qui sera souvent un sous-officier ou un officier
de réserve.
Aux instituteurs, le 15 avril 1884, Paul Bert dira :
« Nous devons faire, par une éducation à l’école commencée par vous,
continuée au régiment avec vous, de tout enfant un citoyen, de tout citoyen un
soldat. »
Le
bataillon est organisé militairement, les élèves portent un uniforme qui est
une copie de celui des bataillons parisiens (le béret à pompon est emprunté aux
marins). Le matériel préconisé par le ministère de la Guerre est spécialement
fabriqué et adapté pour les jeunes garçons de 12 à 14 ans : mini clairons,
petits tambours et répliques réduites des fusils GRAS et LEBEL de l’époque.
Certains sont en bois pour l’apprentissage du maniement d’arme et les défilés,
d’autres peuvent tirer des projectiles de petits calibres pour les exercices de
tir des élèves.
Ces soldats en herbe obtiennent
des récompenses (médailles de vermeil, d’or, d’argent ou de bronze) décernées
par le ministre de la Guerre, et défilent à l’occasion sous le regard attendri
des badauds. Badauds qui devaient conserver un souvenir ému du premier de ces
défilés à Paris, le 14 juillet 1882 (redevenu Fête Nationale en 1880). Il est
vrai que ce fut un énorme succès populaire. La presse républicaine était
enthousiaste : « Les petits soldats portent une vareuse et un pantalon
bleu sombre et sont coiffés d’un béret de même couleur à pompon rouge,
l’ensemble commode et élégant, rappelant le costume des mousses de la marine.
(On n’oublie pas que les marins ont défendu Paris en 1870-1871, ni qu’ils sont
les principaux héros des conquêtes coloniales de la 3ème
République). Dans l’après-midi, le bataillon s’était réuni au square Monge et,
précédé d’une escouade de sergents de ville qui faisait ouvrir la foule, il est
arrivé, tambours et clairons en tête, vers 5 heures sur la place de l’Hôtel de
Ville. Des masses énormes de curieux entouraient la place et les fenêtres et
les balcons étaient surchargés ; une immense acclamation et des
applaudissements ont salué l’entrée de la jeune troupe (…). Les petits soldats
ont exécuté divers exercices, puis ils ont défilé. Ce qu’on a pu obtenir d’eux
en trois mois d’exercices a émerveillé tout le monde ». Les
campagnes ne sont pas en reste et les républicains exultent, l’un d’eux écrit à
son député, M. Turquet : « Nous avons fêté le 14 juillet et le
buste de la République a été promené, par le régiment scolaire, par tout le
village. Revue, jeux, exercices, illuminations, bal : nos enfants ont bien
payé de leur peine. La République doit être fière de sa jeune génération.
Encore 10 ans et elle sera invincible. Que c’est beau la fête de la
Patrie ! Comme le cœur est touché ! ».
Avec l’apprentissage et l’utilisation du fusil scolaire, les
fabricants d’armes essaient d’emporter le marché lucratif de leur vente. Des
théories militaires sont imprimées, qui permettent aux instructeurs et aux
instituteurs d’entraîner correctement leurs troupes. Les bataillons participent
à toutes les grandes manifestations publiques. Mais ils se préparent surtout,
comme à Paris, au défilé du 14 Juillet qui constitue l’apothéose de la
préparation. Les bataillons scolaires sont en marche, ils chantent des chansons
patriotiques composées spécialement pour eux : les paroles de ces airs
sont souvent tirés d’un manuel de musique édité en 1886 dont les paroles
sont de H. CHANTAVOINE et la musique de
MARMONTEL : « À la Patrie, nous donnerons dans dix ans une
jeune armée AGUERRIE. Bataillons de l’ESPERANCE, nous exerçons nos petits
bras à venger l’honneur de la France. »
En 1886, année où on
enregistre les effectifs les plus élevés, 146 bataillons sont constitués et
reconnus par le ministère de l’Instruction, 49 départements sur 87 ont un ou
plusieurs bataillons, 43326 élèves sont incorporés dans ces bataillons. Ce
nombre de 49 départements est trompeur, il ne signifie pas qu’aucun bataillon
n’existe ailleurs. En effet, chaque année, les Préfets demandent aux autorités
académiques de chaque département de signaler les bataillons constitués selon
les instructions (notamment le respect du nombre de 200 élèves, peu souvent
atteint), souvent, les Inspecteurs renvoient un état néant car aucune commune
ne répond aux exigences. C’est le cas de la Saône-et-Loire malgré les
nombreuses délibérations de Conseils municipaux républicains qui demandent la
reconnaissance de leur bataillon et l’obtention du drapeau, en vain… On trouve
malgré tout, aux archives départementales de Mâcon, la presque totalité des
récépissés de réception des trois fusils de tir réel dont sont dotées toutes
les communes. Il ne s’agit cependant pas de décevoir les ruraux
républicains et un arrêté est promulgué le 20 décembre 1882 en faveur des
enfants des petites écoles dispersées dans les campagnes. Autorisation leur est
donnée de recevoir l’instruction militaire même s’ils ne sont pas assez
nombreux pour former un bataillon.
La question du dépôt aux bataillons scolaires d’un drapeau
officiel venu du Ministère est primordiale. Jules Ferry en personne, vient
apporter la bonne parole aux 650 élèves du premier bataillon scolaire de Paris,
le 13 juillet 1882 en leur disant : « Sous l’apparence d’une chose
bien amusante, vous remplissez un rôle profondément sérieux : vous
travaillez à la force militaire de la France de demain ». Le drapeau
est le symbole de la République et, à ce titre, les plus hautes autorités
gouvernementales ne veulent pas dévaloriser le geste de sa remise. Une
circulaire aux Préfets, en 1883, rappelle que c’est un honneur de recevoir le
drapeau de la France au nom du chef de l’Etat, à l’occasion de la Fête
Nationale et que la distribution doit se faire avec une sage réserve. Pour le
14 juillet 1882, 39 bataillons recevront leur drapeau. Etonnant quand on pense
que le décret de formation de ces derniers ne date que du 2 juillet 1882,
c’est-à-dire huit jours avant ! Des initiatives locales auraient-elles
précédé la loi ?
Donner une éducation
morale, physique et militaire dans les écoles est ce que recherche
l'institution de ces bataillons scolaires. Dans les écoles primaires,
l'enthousiasme est certain, mais on constate avec le temps, un essoufflement du
patriotisme scolaire dont les manifestations avaient été d'une grande ferveur
jusque vers 1884-1885. De plus, ces bataillons ne remportent pas un grand
succès dans l'enseignement secondaire.
L’esprit guerrier et de sacrifice, lui,
restera présent dans les écoles de la
République jusqu’à la fin de la Grande Guerre. Cet idéal que l’on pourrait
qualifier de spartiate, était relayé par la majorité des pédagogues, hommes et
femmes confondus, convaincus de la nécessité absolue du départ de leurs enfants
au combat :
«
France ! Veux-tu mon sang ?
Il est à toi ma France !
S’il te faut ma souffrance,
Souffrir sera ma foi.
S’il te faut ma mort, mort à moi
Et vive toi,
Ma France !
Il est à toi ma France !
S’il te faut ma souffrance,
Souffrir sera ma foi.
S’il te faut ma mort, mort à moi
Et vive toi,
Ma France !
Extrait repris d’un texte de Delaprade dans « Jean
et Lucie, histoire de deux jeunes réfugiés. La Guerre racontée aux enfants. »
Livre de lecture pour les cours moyen et supérieur, par Mme Dès. Paris, F.
Nathan, (1919), « La France Immortelle ».
Cet appel au sacrifice suprême, si présent
pendant les quatre années du conflit 1914-1918 fut l’aboutissement d’une longue
préparation commencée dès la naissance de l’école publique. Cette idée ainsi
bien ancrée dans les esprits, a peut-être permis l’acceptation de cette Guerre
si dévoreuse d’hommes.
Un manuel, paru en 1896, insiste sur les
bienfaits des exercices physiques : « en s’y livrant…on est bon pour tous
les métiers, sans parler de celui de soldat, que tout le monde doit être
capable de faire et dans lequel on court le risque de se faire tuer quand on
n’est pas leste et fort ». Ainsi se crée le mythe de l’invincibilité des
guerriers.
P.P
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