Tableaux Rossignol
Une collection de 30 tableaux peu connue
Planche n°1 de la collection
Élocution-Vocabulaire
CE2 illustrée par Yves Thos (collection musée)
Le
chant des « Rossignol »
Au
lendemain de la seconde Guerre Mondiale, Madeleine et André Rossignol font le
constat que les méthodes éducatives n’ont que peu évolué malgré les progrès
timides des Instructions de 1923, d’une part, et, d'autre part, l’arrivée de la
pédagogie Freinet, suivie des propositions du ministre Jean Zay en 1938. Ce couple d’instituteurs invente le concept des « tableaux
pédagogiques » qui va bousculer les traditions austères qui maintenaient
jusqu’alors les enfants dans un rôle de récepteur de la parole du maître. Bien
sûr, l’« enseignement par l’image » existait depuis bien longtemps,
promu par Carpantier et Kergomard (1)
dans les salles d’asile qui allaient devenir écoles maternelles, mais il
n’avait que peu d’impact sur l’école élémentaire. Les séries produites par les
Éditions Rossignol sont bien connues du public, mais pas toutes. Zoomons sur la
peu connue série Vocabulaire-Élocution
de 1966 pour le Cours
élémentaire, illustrée par Thos, commentée par Jean Garagnon, instituteur, et
éditée par Rossignol.
Qui
étaient les « Rossignol » ?
Avec le recul, il est facile
de dire : « tout simplement un
couple de pédagogues qui proposa des tableaux pédagogiques ». Mais, en
réalité, ils inventèrent un superbe matériel didactique, véritable collection
d’images conciliant art et pédagogie, qui remporta rapidement un vif succès
dans toutes les écoles de France, des colonies, voire des pays francophones.
Maîtresses et maîtres ne s’y trompèrent pas, ils adoptèrent la
« méthode » Rossignol que Madeleine et André avaient développée et
expérimentée dans leur propre classe. Le couple d’instituteurs exerçait depuis
le milieu des années 30 et était en poste aux Hérolles. André, était sorti
major de sa promotion d’Ecole Normale.
Leurs leçons deviennent plus
vivantes, les élèves apprennent et
retiennent mieux les représentations devenues enfin concrètes, même chez ceux
jusqu’alors réfractaires aux discours de leurs maîtres… La forme aussi est confortable pour
l’utilisation quotidienne, grâce à l’ingénieux système « de cadres emboîtés, maintenant des gravures sur papier léger, deux
par feuille (recto-verso) interchangeables. »
Série Histoire-Jean Le Bon à Poitiers, N°19, 1951 (collection musée)
C’est en 1946 que la
collection fut commercialisée et le système Rossignol connut un grand succès,
aidé notamment, à partir des années 50, par les crédits nés de la loi Barangé
qui donnèrent aux enseignants certaines facilités pour l’achat du matériel
pédagogique qui leur semblait adapté à leur travail (2). Devant la demande
croissante, la collection se développa dans toutes les matières :
géographie, histoire, sciences, apprentissage de la lecture, et, évidemment,
dans le domaine du vocabulaire et de l’élocution, carences maintes fois
observées dans les milieux ruraux ou défavorisés.
Série La maison, n°1, 1955 (collection musée)
Voici donc Madeleine et
André à la tête d’une entreprise artisanale et autofinancée. Au tout début,
ils n’ont pas encore imaginé que dans la période qui va suivre, les choses vont
prendre une ampleur insoupçonnée… En une décennie à peine, leur outil
pédagogique sera dans toutes les écoles. Au tout départ, il ne s’agissait que
de produire des fascicules pédagogiques sous le nom Durham et le label Coopérative
pédagogique à Nalliers (Vienne). L’impression fut confiée dans un premier
temps à la société Fabrègue de Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne), puis,
après 1962, les tirages furent réalisés par l’imprimerie Aubin de Ligugé
(Vienne). A sa création, l’entreprise était installée à Nalliers. En 1953, elle
s’établit dans la ville voisine de Montmorillon et compta alors 23 salariés.
Toutes ces évolutions expliquent les variations de format et de composition au
fil des années, mais les différentes éditions furent toutes estampillées « Éditions
Rossignol » (3).
Des
créations graphiques innovantes
En 2017, Philippe Rossignol, le plus jeune des fils, a édité un ouvrage de synthèse qui regroupe l’intégralité des 595 tableaux produits par les Éditions Rossignol de 1950 à 1970. Cet ouvrage unique montre au grand jour cette imagerie murale qui fit rêver des générations d’écoliers.
Toutes ces scènes animées
dont les thèmes balayèrent la plupart des matières enseignées, de
l’Histoire-Géographie aux croquis et planches figuratives de Sciences, en
passant par l’Élocution et la Lecture, sont autant de créations caractérisées
par un style graphique reconnaissable entre tous et une coloration expressive qui
marquera les mémoires enfantines à jamais. Comment un enfant, devant le tableau
décrivant l’abeille, n’aurait-il pas été fasciné par la description ?
Série Sciences-Leçons de choses, n°22, 1954 (collection musée)
Le couple Rossignol, à
travers leur imagerie révolutionnaire, fraîche et novatrice, n’avait pas omis
de rester fidèle aux instructions officielles. Ainsi, en permettant à leurs
collègues de disposer d’un outil performant, avait-il séduit les autorités qui le conseillèrent dans toutes les académies. Outre les écoles
des 36 000 communes de France, les tableaux Rossignol furent distribués
dans nos colonies, mais aussi dans de nombreux pays francophones, et ce, grâce
à un réseau de représentants très important. Les cartes d’Histoire-Géographie
et de Sciences, pratiques par leur dimension et leurs deux œillets métalliques
pour les accrocher, pouvaient être « muettes » ou
« parlantes », recto verso, une nouveauté. D’autres, planches, plus
réduites, furent présentées dans des cadres…
Une
nouvelle invention : les cadres Rossignol
Quelle facilité de rangement
et d’utilisation pour les enseignants ! Ces cadres en bois furent réalisés
en quatre formats pour les principales séries : 36x52 cm pour la méthode
de lecture, 56x75 cm, 15x90 cm et 77x88 cm pour les autres. Ces formats étaient tributaires des stocks de papier de l’imprimeur à différentes périodes.
Série Histoire-Les soldats du roi, n°41, 1951(collection musée)
Dans un premier temps en
« croûte de pin » avec un fond en « carton bouilli » de 3
mm d’épaisseur (ce que l’on a appelé « Isorel » qui composait les
coffres de radio), réalisation économique mais peu fiable dans le temps, les
cadres furent rapidement fabriqués en hêtre, avec un fond en contreplaqué de
peuplier, beaucoup plus sûr. L’usine qui les fabriquait sur place emploiera 78
personnes à la fin des années 50 et en produira quelques 450 000 durant
ses dix années de collaboration avec les Éditions Rossignol.
Série Les animaux-La grenouille, n°13, 1953 (collection musée)
Cadre Rossignol, détail
(collection musée)
Quatre trous permettaient de
pousser les planches du bout du doigt pour les sortir du cadre sans les
« corner ». Deux crochets servaient à accrocher le cadre au mur ou au
tableau. Chaque cadre contenait généralement une série de 24 planches
numérotées dont on pouvait retrouver les commentaires dans un livret d’accompagnement.
Elocution
au Cours élémentaire en 1966
Une
collection peu connue
En 1966, une série de 30
planches De l’Image à l’Expression
est éditée sous la forme de deux fichiers. Le premier renferme les planches n°1
à n°15 et le second les planches n°16 à n°30 Modernité oblige, la série n’est
pas sous cadre mais les tableaux de 70x50 cm sont reliés entre eux par une
spirale métallique.
(collection musée)
Les objectifs sont bien
définis : « Apprendre à
l’enfant à s’exprimer oralement, contrôler, préciser, enrichir son vocabulaire,
lui donner les premières notions d’expression écrite. » 30 centres
d’intérêt sont représentés et composés d’une scène de vie familière à l’enfant.
Cette série fut illustrée par Yves Thos, dessinateur célèbre pour ses affiches
de cinéma (plus de 200 de films très connus de grandes compagnies
cinématographiques (4)), ses couvertures d’album, et ses publicités. Il aurait,
dit-on, dissimulé des visages de vedettes de cinéma connues dans les tableaux de
la série De l’Image à l’Expression au
cours élémentaire, à vous de les démasquer…
Les éditions Rossignol
produiront un manuel d’accompagnement des tableaux de cette série, écrit par
Jean Garagnon, instituteur. Cet ouvrage de 132 pages contient 30 vignettes
identiques aux affiches de la série.
Un
exemple d’exploitation des tableaux par Garagnon
La
fin d’une belle aventure
Les Éditions Rossignol ont
désormais fermé leurs portes. En 1958, quand l’entreprise est reprise par Hachette, les époux Rossignol
y restent employés comme cadres jusqu’en 1963. La production continuera
jusqu’en 1972. En 1986, Philippe Rossignol, le fils, relancera la production
uniquement de cartes de géographie pour le primaire et les collèges avant de
fermer définitivement le 31 décembre 2020 non sans avoir préalablement déposé
la marque « Éditions Rossignol Montmorillon » dont il assurera le
contrôle.
In A l’école de Rossignol de Philippe Rossignol
Conclusion
Les
affiches scolaires furent des supports d’enseignement remarquables et
s’avérèrent indispensables aux leçons de géographie, d’histoire, de sciences
naturelles, de lecture et d’élocution, pendant la période 1948-1968. De
nombreuses écoles les utilisèrent même jusque dans les années 80. Ce matériel
didactique illustra les cours de maîtresses et des maîtres avec l’avantage de
focaliser l’attention des élèves sur un même panneau et donc de favoriser le
travail en commun.
Série
1 Élocution, tableau n°19, 1953
(collection musée)
Il
nous reste aujourd’hui un souvenir de ces panneaux scolaires, un souvenir qui
semble s’être inscrit dans la mémoire collective, au-delà des générations. Les
cartes et les tableaux muraux, de toutes origines (Rossignol, Bourrelier,
Deyrolle, Armand Colin, Sudel, MDI-Maison Des Instituteurs, Nathan, Brunhes,
Deffontaines, Delagrave…), sont revenus à la mode ! Leur côté
« vintage » et nostalgique leur procure un charme décoratif
incontestable.
Série Sciences-Leçons de choses, tableau n°19, 1954
L’imagerie
scolaire, longtemps composée de gravures sinistres en noir et blanc, a
véritablement évolué dans une modernité sans retour, à partir des années 30,
sous le pinceau des illustrateurs. Le plus connu et reconnu fut
incontestablement Raylambert (Raymond Lambert de son vrai nom) qui, évidemment,
travailla pour les Éditions Rossignol. Cet artiste eut une influence sur
l’imaginaire de plusieurs générations d’écoliers en révolutionnant l’illustration
de nombreux livres et manuels scolaires. Le « grand » Picasso dira de
lui : « Raylambert est l’un des plus
grands illustrateurs de manuel scolaires de tous les temps ». Un
article lui étant consacré dans le
Monde.fr renchérira : « Trente
ans durant, Raylambert a illustré des manuels de français et de calcul, mais
aussi des romans scolaires et des bons points, en déployant un style unique qui
exaltait l’humanisme et la sérénité d’une France éternelle. » L’éducation
par les yeux est celle qui fatigue le moins l’intelligence, mais elle ne peut
avoir de bons résultats que si les représentations qui se gravent dans l’esprit
des enfants sont d’une rigoureuse exactitude. Le couple Rossignol en fut le
promoteur.
Sources :
-
Collection musée
-
https://manuelsanciens.blogspot.com
-
https://alaric83.free.fr
-
À
l’école de Rossignol, l’intégrale des cartes de notre enfance, Laurence Bulle et Philippe Rossignol, 2017.
Patrick PLUCHOT
(1) :
Voir l’article du blog L’enseignement
par tableau mural : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2017/12/lenseignement-par-tableau-mural.html#more
(2) : Loi
Barangé du 28 septembre 1951.
Loi très controversée qui
ouvrit, pour la première fois, la porte du financement public aux écoles privées.
Elle instituait une allocation scolaire de 1 000 anciens francs (10 NF en
1960) par trimestre, pour tout élève de l’enseignement élémentaire du public
(versée à un fonds départemental géré par le Conseil général) ou du privé
(versé aux associations de parents gestionnaires des écoles privées pour
améliorer le salaire des enseignants) ; Le Conseil général répartissait
l’essentiel des fonds reçus pour financer d’importantes réparations de locaux
et en laissait une petite partie aux communes pour l’amélioration des
équipements pédagogiques.
Considérée comme la première
entorse au principe républicain de Écoles
publiques, fonds publics, Écoles privées, fonds privés cette loi déclencha pétitions et manifestations et engendra la création
du Comité National d’Action Laïque (CNAL).
Nous reviendrons,
dans un prochain article, sur les causes politiques et les conséquences de
cette loi.
(3) : Chronologie des
éditions Rossignol :
1946 : création des
premières éditions à Nalliers : Coopération
pédagogique.
1953 : Emménagement à
Montmorillon.
1954 : la dénomination
devient Éditions
Rossignol.
1958 : Vente des
actions au groupe Hachette.
1969 : Les Éditions
Rossignol appartenant à Hachette s’appellent alors L.P.C-Librairie Pédagogique du Centre.
1972 : Le groupe
Hachette abandonne les Éditions Rossignol et le nom Éditions Rossignol est complètement abandonné au profit de L.P.C.
1986 : Philippe
Rossignol, le plus jeune fils du couple, reprend une partie de l’activité
(impression et conditionnement des éditions scolaires par la S.A.R.L Rossignol).
1997 : Philippe
Rossignol crée ses propres éditions de cartes scolaires grands formats
plastifiées, sous le nom de P.P.R-Productions
Philippe Rossignol.
2016 : Ouverture du
musée des Éditions Rossignol à Cissé (Vienne).
2020 : Fermeture de
l’entreprise.
(4) :
Affiches de films par Yves Thos :
De tout cœur, merci pour ce très bel article qui nous fait regretter la disparition de ces tableaux formidablement modernes. Les dames sont très élégantes ; elles ont des tailles de mannequins; les enfants ont des visages d'adultes... les bons cinéphiles devraient reconnaître des acteurs de l'époque. ..
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