vendredi 23 mai 2025

Les Editions Rossignol

 

Tableaux Rossignol

Une collection de 30 tableaux peu connue

Planche n°1 de la collection Élocution-Vocabulaire CE2  illustrée par Yves Thos (collection musée) 

Le chant des « Rossignol »

Au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, Madeleine et André Rossignol font le constat que les méthodes éducatives n’ont que peu évolué malgré les progrès timides des Instructions de 1923, d’une part, et, d'autre part, l’arrivée de la pédagogie Freinet, suivie des propositions du ministre Jean Zay en 1938. Ce couple d’instituteurs invente le concept des « tableaux pédagogiques » qui va bousculer les traditions austères qui maintenaient jusqu’alors les enfants dans un rôle de récepteur de la parole du maître. Bien sûr, l’« enseignement par l’image » existait depuis bien longtemps, promu par Carpantier et Kergomard (1) dans les salles d’asile qui allaient devenir écoles maternelles, mais il n’avait que peu d’impact sur l’école élémentaire. Les séries produites par les Éditions Rossignol sont bien connues du public, mais pas toutes. Zoomons sur la peu connue série Vocabulaire-Élocution de 1966 pour le Cours élémentaire, illustrée par Thos, commentée par Jean Garagnon, instituteur, et éditée par Rossignol.

Qui étaient les « Rossignol » ?

Avec le recul, il est facile de dire : « tout simplement un couple de pédagogues qui proposa des tableaux pédagogiques ». Mais, en réalité, ils inventèrent un superbe matériel didactique, véritable collection d’images conciliant art et pédagogie, qui remporta rapidement un vif succès dans toutes les écoles de France, des colonies, voire des pays francophones. Maîtresses et maîtres ne s’y trompèrent pas, ils adoptèrent la « méthode » Rossignol que Madeleine et André avaient développée et expérimentée dans leur propre classe. Le couple d’instituteurs exerçait depuis le milieu des années 30 et était en poste aux Hérolles. André, était sorti major de sa promotion d’Ecole Normale.   

Leurs leçons deviennent plus vivantes, les élèves apprennent  et retiennent mieux les représentations devenues enfin concrètes, même chez ceux jusqu’alors réfractaires aux discours de leurs  maîtres… La forme aussi est confortable pour l’utilisation quotidienne, grâce à l’ingénieux système « de cadres emboîtés, maintenant des gravures sur papier léger, deux par feuille (recto-verso) interchangeables. »

Série Histoire-Jean Le Bon à Poitiers, N°19, 1951 (collection musée)

C’est en 1946 que la collection fut commercialisée et le système Rossignol connut un grand succès, aidé notamment, à partir des années 50, par les crédits nés de la loi Barangé qui donnèrent aux enseignants certaines facilités pour l’achat du matériel pédagogique qui leur semblait adapté à leur travail (2). Devant la demande croissante, la collection se développa dans toutes les matières : géographie, histoire, sciences, apprentissage de la lecture, et, évidemment, dans le domaine du vocabulaire et de l’élocution, carences maintes fois observées dans les milieux ruraux ou défavorisés.

Série La maison, n°1, 1955 (collection musée)

Voici donc Madeleine et André à la tête d’une entreprise artisanale et autofinancée. Au tout début, ils n’ont pas encore imaginé que dans la période qui va suivre, les choses vont prendre une ampleur insoupçonnée… En une décennie à peine, leur outil pédagogique sera dans toutes les écoles. Au tout départ, il ne s’agissait que de produire des fascicules pédagogiques sous le nom Durham et le label Coopérative pédagogique à Nalliers (Vienne). L’impression fut confiée dans un premier temps à la société Fabrègue de Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne), puis, après 1962, les tirages furent réalisés par l’imprimerie Aubin de Ligugé (Vienne). A sa création, l’entreprise était installée à Nalliers. En 1953, elle s’établit dans la ville voisine de Montmorillon et compta alors 23 salariés. Toutes ces évolutions expliquent les variations de format et de composition au fil des années, mais les différentes éditions furent toutes estampillées « Éditions Rossignol » (3)

Des créations graphiques innovantes

En 2017, Philippe Rossignol, le plus jeune des fils, a édité un ouvrage de synthèse qui regroupe l’intégralité des 595 tableaux produits par les Éditions Rossignol de 1950 à 1970. Cet ouvrage unique montre au grand jour cette imagerie murale qui fit rêver des générations d’écoliers. 

Toutes ces scènes animées dont les thèmes balayèrent la plupart des matières enseignées, de l’Histoire-Géographie aux croquis et planches figuratives de Sciences, en passant par l’Élocution et la Lecture, sont autant de créations caractérisées par un style graphique reconnaissable entre tous et une coloration expressive qui marquera les mémoires enfantines à jamais. Comment un enfant, devant le tableau décrivant l’abeille, n’aurait-il pas été fasciné par la description ?

Série Sciences-Leçons de choses, n°22, 1954 (collection musée)

Le couple Rossignol, à travers leur imagerie révolutionnaire, fraîche et novatrice, n’avait pas omis de rester fidèle aux instructions officielles. Ainsi, en permettant à leurs collègues de disposer d’un outil performant, avait-il séduit les autorités qui le conseillèrent dans toutes les académies. Outre les écoles des 36 000 communes de France, les tableaux Rossignol furent distribués dans nos colonies, mais aussi dans de nombreux pays francophones, et ce, grâce à un réseau de représentants très important. Les cartes d’Histoire-Géographie et de Sciences, pratiques par leur dimension et leurs deux œillets métalliques pour les accrocher, pouvaient être « muettes » ou « parlantes », recto verso, une nouveauté. D’autres, planches, plus réduites, furent présentées dans des cadres…

Une nouvelle invention : les cadres Rossignol

Quelle facilité de rangement et d’utilisation pour les enseignants ! Ces cadres en bois furent réalisés en quatre formats pour les principales séries : 36x52 cm pour la méthode de lecture, 56x75 cm, 15x90 cm et 77x88 cm pour les autres. Ces formats étaient tributaires des stocks de papier de l’imprimeur à différentes périodes. 


Série  Histoire-Les soldats du roi, n°41, 1951(collection musée)

Dans un premier temps en « croûte de pin » avec un fond en « carton bouilli » de 3 mm d’épaisseur (ce que l’on a appelé « Isorel » qui composait les coffres de radio), réalisation économique mais peu fiable dans le temps, les cadres furent rapidement fabriqués en hêtre, avec un fond en contreplaqué de peuplier, beaucoup plus sûr. L’usine qui les fabriquait sur place emploiera 78 personnes à la fin des années 50 et en produira quelques 450 000 durant ses dix années de collaboration avec les Éditions Rossignol.

Série Les animaux-La grenouille, n°13, 1953 (collection musée)

Cadre Rossignol, détail (collection musée)

Quatre trous permettaient de pousser les planches du bout du doigt pour les sortir du cadre sans les « corner ». Deux crochets servaient à accrocher le cadre au mur ou au tableau. Chaque cadre contenait généralement une série de 24 planches numérotées dont on pouvait retrouver les commentaires dans un livret d’accompagnement.

Elocution au Cours élémentaire en 1966

Une collection peu connue

En 1966, une série de 30 planches De l’Image à l’Expression est éditée sous la forme de deux fichiers. Le premier renferme les planches n°1 à n°15 et le second les planches n°16 à n°30 Modernité oblige, la série n’est pas sous cadre mais les tableaux de 70x50 cm sont reliés entre eux par une spirale métallique.





(collection musée)

Les objectifs sont bien définis : « Apprendre à l’enfant à s’exprimer oralement, contrôler, préciser, enrichir son vocabulaire, lui donner les premières notions d’expression écrite. » 30 centres d’intérêt sont représentés et composés d’une scène de vie familière à l’enfant. Cette série fut illustrée par Yves Thos, dessinateur célèbre pour ses affiches de cinéma (plus de 200 de films très connus de grandes compagnies cinématographiques (4)), ses couvertures d’album, et ses publicités. Il aurait, dit-on, dissimulé des visages de vedettes de cinéma connues dans les tableaux de la série De l’Image à l’Expression au cours élémentaire, à vous de les démasquer…
































Les éditions Rossignol produiront un manuel d’accompagnement des tableaux de cette série, écrit par Jean Garagnon, instituteur. Cet ouvrage de 132 pages contient 30 vignettes identiques aux affiches de la série.






Un exemple d’exploitation des tableaux par Garagnon





La fin d’une belle aventure

Les Éditions Rossignol ont désormais fermé leurs portes. En 1958, quand l’entreprise  est reprise par Hachette, les époux Rossignol y restent employés comme cadres jusqu’en 1963. La production continuera jusqu’en 1972. En 1986, Philippe Rossignol, le fils, relancera la production uniquement de cartes de géographie pour le primaire et les collèges avant de fermer définitivement le 31 décembre 2020 non sans avoir préalablement déposé la marque « Éditions Rossignol Montmorillon » dont il assurera le contrôle.


In A l’école de Rossignol de Philippe Rossignol

Conclusion

Les affiches scolaires furent des supports d’enseignement remarquables et s’avérèrent indispensables aux leçons de géographie, d’histoire, de sciences naturelles, de lecture et d’élocution, pendant la période 1948-1968. De nombreuses écoles les utilisèrent même jusque dans les années 80. Ce matériel didactique illustra les cours de maîtresses et des maîtres avec l’avantage de focaliser l’attention des élèves sur un même panneau et donc de favoriser le travail en commun.


Série 1 Élocution, tableau n°19, 1953 (collection musée)

Il nous reste aujourd’hui un souvenir de ces panneaux scolaires, un souvenir qui semble s’être inscrit dans la mémoire collective, au-delà des générations. Les cartes et les tableaux muraux, de toutes origines (Rossignol, Bourrelier, Deyrolle, Armand Colin, Sudel, MDI-Maison Des Instituteurs, Nathan, Brunhes, Deffontaines, Delagrave…), sont revenus à la mode ! Leur côté « vintage » et nostalgique leur procure un charme décoratif incontestable.


Série Sciences-Leçons de choses, tableau n°19, 1954

L’imagerie scolaire, longtemps composée de gravures sinistres en noir et blanc, a véritablement évolué dans une modernité sans retour, à partir des années 30, sous le pinceau des illustrateurs. Le plus connu et reconnu fut incontestablement Raylambert (Raymond Lambert de son vrai nom) qui, évidemment, travailla pour les Éditions Rossignol. Cet artiste eut une influence sur l’imaginaire de plusieurs générations d’écoliers en révolutionnant l’illustration de nombreux livres et manuels scolaires. Le « grand » Picasso dira de lui : « Raylambert est l’un des plus grands illustrateurs de manuel scolaires de tous les temps ». Un article lui étant consacré dans le Monde.fr renchérira : « Trente ans durant, Raylambert a illustré des manuels de français et de calcul, mais aussi des romans scolaires et des bons points, en déployant un style unique qui exaltait l’humanisme et la sérénité d’une France éternelle. » L’éducation par les yeux est celle qui fatigue le moins l’intelligence, mais elle ne peut avoir de bons résultats que si les représentations qui se gravent dans l’esprit des enfants sont d’une rigoureuse exactitude. Le couple Rossignol en fut le promoteur.



Série Géographie, Les marais salants, illustration Raylambert, 1953 (collection musée)

Sources :

-       Collection musée

-       https://manuelsanciens.blogspot.com

-       https://alaric83.free.fr

-       À l’école de Rossignol, l’intégrale des cartes de notre enfance, Laurence Bulle et Philippe Rossignol, 2017.

Patrick PLUCHOT

(1) : Voir l’article du blog L’enseignement par tableau mural : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2017/12/lenseignement-par-tableau-mural.html#more

 (2) : Loi Barangé du 28 septembre 1951.

Loi très controversée qui ouvrit, pour la première fois, la porte du financement public aux écoles privées. Elle instituait une allocation scolaire de 1 000 anciens francs (10 NF en 1960) par trimestre, pour tout élève de l’enseignement élémentaire du public (versée à un fonds départemental géré par le Conseil général) ou du privé (versé aux associations de parents gestionnaires des écoles privées pour améliorer le salaire des enseignants) ; Le Conseil général répartissait l’essentiel des fonds reçus pour financer d’importantes réparations de locaux et en laissait une petite partie aux communes pour l’amélioration des équipements pédagogiques.

Considérée comme la première entorse au principe républicain de Écoles publiques, fonds publics, Écoles privées, fonds privés cette loi déclencha pétitions et manifestations et engendra la création du Comité National d’Action Laïque (CNAL).

Nous reviendrons, dans un prochain article, sur les causes politiques et les conséquences de cette loi.

(3) : Chronologie des éditions Rossignol :

1946 : création des premières éditions à Nalliers : Coopération pédagogique.

1953 : Emménagement à Montmorillon.

1954 : la dénomination devient Éditions Rossignol.

1958 : Vente des actions au groupe Hachette.

1969 : Les Éditions Rossignol appartenant à Hachette s’appellent alors L.P.C-Librairie Pédagogique du Centre.

1972 : Le groupe Hachette abandonne les Éditions Rossignol et le nom Éditions Rossignol est complètement abandonné au profit de L.P.C.

1986 : Philippe Rossignol, le plus jeune fils du couple, reprend une partie de l’activité (impression et conditionnement des éditions scolaires par la S.A.R.L Rossignol).

1997 : Philippe Rossignol crée ses propres éditions de cartes scolaires grands formats plastifiées, sous le nom de P.P.R-Productions Philippe Rossignol.

2016 : Ouverture du musée des Éditions Rossignol à Cissé (Vienne).

2020 : Fermeture de l’entreprise.

(4) : Affiches de films par Yves Thos : 



1 commentaire:

  1. De tout cœur, merci pour ce très bel article qui nous fait regretter la disparition de ces tableaux formidablement modernes. Les dames sont très élégantes ; elles ont des tailles de mannequins; les enfants ont des visages d'adultes... les bons cinéphiles devraient reconnaître des acteurs de l'époque. ..

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