Les
conférences du Musée de la Maison d’Ecole
Éduquer à une citoyenneté démocratique
et solidaire
Conférence de
J.F. VINCENT, Espace Loisirs de Sanvignes-les-Mines :
Instituteur de
1978 à 1987, Directeur d'école de 1987 à 1990, Directeur d'école d'application
de1990 à 1993, Président de la fédération de l'OCCE en 2001, Jean-François
Vincent fut aussi membre du groupe de
travail de la direction de l'évaluation et de la prospective (DEP) chargé de
l'évaluation des pratiques professionnelles des enseignants de 1990 à 1992. Il
occupa aussi d’autres postes parmi lesquels on notera : Conseiller
technique du centre d'études sociologiques du travail et de l'économie sociale
du CNAM, Coordonnateur des associations éducatives complémentaires de
l'enseignement public Administrateur national du CCOMCEN. Membre du conseil
supérieur de la coopération.
Thème de la conférence :
C'est une réflexion aussi
ancienne que l'école de la République
1)
Mes
partis pris idéologiques
2)
Les
caractéristiques de la société du XXIe siècle.
3)
Les
valeurs de l'école.
4)
Les
composantes d'une pédagogie "socialisante".
5)
Des
conditions nécessaires.
Le
propos : (texte rédigé par
l’auteur)
« De
l’enseignement de la morale à l’éducation à la citoyenneté
Les
programmes
L’enseignement moral
« L'enseignement moral
est destiné à compléter et à relier, à relever et à ennoblir tous les
enseignements de l'école. […] Cette éducation n'a pas pour but de faire savoir,
mais de faire vouloir ; elle émeut plus qu'elle ne démontre ; devant agir sur
l'être sensible, elle procède plus du cœur que du raisonnement ; elle
n'entreprend pas d'analyser toutes les raisons de l'acte moral, elle cherche
avant tout à le produire, à en faire une habitude qui gouverne la vie. » ((Léon Bérard, Ministre de l'instruction publique et des cultes
Programmes officiels des écoles primaires élémentaires, 1923-1924
Hachette, 1929, instructions du 20/06/1924)
Morale
La réforme de
l'enseignement, à tous ses degrés, s'inspire de la ferme volonté de préparer comme
il faut à ses devoirs la jeunesse française. […] C'est ainsi que la patrie, la
piété qu'elle inspire, les devoirs qu'elle implique apparaissent comme devant
former ce qu'on peut appeler l'armature de l'éducation morale. […]
L'enseignement des devoirs familiaux servira d'accompagnement à celui du
patriotisme. Le maître n'aura pas de peine à montrer comment dans le milieu
restreint de la famille, les sentiments réciproques créent entre les parents et
les enfants, les frères et les sœurs des liens et des obligations solides.
[…] Sentiment du devoir,
soumission à la discipline, maîtrise de soi, goût de l'effort et de
l'initiative, telles sont donc les dispositions morales qu'à toute occasion de
la vie scolaire le maître s'attachera à développer chez ses élèves ; il aura
dès lors conscience de préparer les hommes de devoir et d'action dont la France
a besoin. (Instructions
du 5/03/1942 commentant les programmes de 1941)
Instruction civique
[…] On voit en définitive à
quoi tend l'enseignement proposé : former des esprits libres et des caractères
droits conscients des fonctions qu'ils ont à exercer à la fois comme citoyens
et comme travailleurs — en un mot former de vrais démocrates. Il ne faut pas
hésiter à le proclamer : après les atroces épreuves que la France a subies,
l'École publique a l'impérieux devoir de travailler en toute clarté, de toutes
ses énergies, à la rénovation de la démocratie. […] On ne craint donc pas de
dire que cette instruction morale et civique, pour remplir complètement son
objet, doit avoir pour fin de lier profondément dans l'âme des enfants le
sentiment national et le sentiment républicain. (Programme d'initiation à la vie sociale
(instruction morale et civique) pour les classes du premier cycle BO n° 43,
30/08/1945)
Éducation civique
L'éducation civique est une pièce maîtresse de l'éducation dans un État
républicain, garant des libertés. Elle a pour objectif de développer chez
l'élève le sens de l'intérêt général, le respect de la loi, l'amour de la
République. Pour cela, l'élève doit être éclairé, c’est-à-dire instruit des
droits et devoirs que le citoyen exerce pleinement à sa majorité.(Ministère de l'Éducation nationale
"Collèges - Programmes et instructions 1985" CNDP)
Éducation civique
L’éducation civique est une formation de
l’homme et du citoyen.
Elle répond à trois finalités
principales :
- L’éducation aux droits de l’homme et
à la citoyenneté, par l’acquisition des principes et des valeurs qui fondent et
organisent la démocratie et la République, par la connaissance des institutions
et des lois, par la compréhension des règles de la vie sociale et politique ;
- L’éducation au sens des
responsabilités individuelles et collectives ;
- L’éducation au jugement notamment
par l’exercice de l’esprit critique et par la pratique de l’argumentation.
Ces trois finalités préparent et
permettent la participation des élèves à la vie de la cité. Ainsi, l’éducation
civique repose à la fois sur des savoirs et sur des pratiques, qui sont
eux-mêmes objets de réflexion. L’éducation civique forme le citoyen dans la
République française, au sein de l’Europe d'aujourd’hui et dans un monde
international complexe. Compte tenu de l’importance de l’éducation familiale,
on s’attachera à ne pas laisser les parents dans l’ignorance de ces objectifs. (Programmes de 6e,
1995):
Éducation
civique, juridique et sociale
Que signifie " éduquer à la
citoyenneté " dans un système scolaire ? Deux réponses sont possibles.
L'une consiste à faire de la citoyenneté un objet d'étude disciplinaire, au
même titre que les mathématiques, la physique, la littérature etc., la
citoyenneté s'apprendrait à l'école avant de s'exercer dans la vie du citoyen.
Ce choix correspond pour l'essentiel à la conception traditionnelle d'une
" instruction civique ", en tant qu'inculcation de principes à mettre
en actes dans un temps différé plus ou moins lointain. Elle a eu sa place dans
le système éducatif: les missions du lycée, fréquenté par une petite minorité,
n'étaient pas celles qui lui sont assignées aujourd'hui.
L'autre réponse part de l'idée que
l'on ne naît pas citoyen mais qu'on le devient, qu'il ne s'agit pas d'un "
état ", mais d'une conquête permanente ; le citoyen est celui qui est
capable d'intervenir dans la cité : cela suppose, formation d'une opinion
raisonnée, aptitude à l'exprimer, acceptation du débat public. La citoyenneté
est alors la capacité construite à intervenir, ou même simplement à oser
intervenir, dans la cité. (Programme de seconde applicable à la rentrée 1999)
Former
des citoyens : le retour de l'éducation civique et morale
La citoyenneté est un terme, une idée, une valeur, une préoccupation
dont on ne pouvait prévoir la fortune actuelle, et le consensus. C’est, tout
comme la laïcité, une exigence renouvelée, une valeur redécouverte.
Ce n'est pas tout à fait un "enseignement" comme les autres.
Il occupe, aujourd'hui comme hier, une place centrale, au cœur, au carrefour
des finalités de l'école. Il apparaît sous la dénomination "vivre
ensemble" aux cycles 1 et 2, puis éducation civique au cycle 3.
Education civique, éducation à la citoyenneté : de quel
apprentissage parle-t-on ?
Le mot, un peu sorti de l’usage, vient d’être remis au goût du jour.
Que signifie-t-il ? Pour Le Robert, la citoyenneté est “ la qualité de citoyen
”, ce dernier étant,“ dans l’Antiquité, celui qui appartient à une cité, en
reconnaît la juridiction, est habilité à jouir, sur son territoire, du droit de
cité et est astreint aux devoirs correspondants ”.
Dans les temps modernes, le sens évolue, le mot citoyen désigne une
personne “ considérée comme personne civique ”.
Si civique signifie simplement, avant 1781 “ relatif au citoyen ”, il
change ensuite de sens et veut dire “ propre au bon citoyen ”.
De ce détour par le dictionnaire, on peut retenir d’abord, du point de
vue de l’éducation, qu’être citoyen est un statut, auquel sont attachés des
droits et des devoirs, définis dans le cadre d’une cité comme organisation de
la vie commune.
Pour être citoyen, dans ce sens, il fallait connaître la constitution,
les lois, les institutions. Pour les respecter, il fallait encore adhérer aux
valeurs et convictions qui les fondent. La citoyenneté n’était pas pour autant
une obligation. On pouvait vivre sans être citoyen. C’était le statut le plus
enviable, pas le seul possible. La notion de citoyenneté nous vient de la
démocratie antique, qui se limitait au cercle restreint des citoyens.
La Révolution change complètement les données du problème en prétendant
faire de chacun une citoyenne ou un citoyen à part entière. Dès lors, ce n’est
plus un privilège, ni un véritable choix. La citoyenneté est octroyée
automatiquement à l’âge de la “ majorité civique ”. Elle ne peut être refusée.
Elle n’est retirée qu’en cas de grave manquement à la loi commune. La déchéance
des droits civiques est d’ailleurs réversible.
On assiste alors à un renversement de perspectives : alors que la
citoyenneté n’était accordée qu’à ceux qui donnaient des gages suffisant de
civisme, il s’agit désormais de préparer à être de bons citoyens tous ceux qui
n'ont rien demandé.
Plus le cercle s’élargit aux classes populaires, moins on peut faire
confiance à leur éducation familiale. D’où un enjeu d’instruction et de
socialisation qui dépasse la famille et se trouve au principe de l’éducation
civique confiée à l’école. Dans le cadre de l’Etat Nation, censé regrouper des
citoyens, l’école est chargée de les former à ce rôle, c’est même le moteur
principal de son extension au XIXe siècle.
Pourquoi
un engouement renouvelé pour l'éducation civique et l'éducation à la
citoyenneté ?
Le renforcement de cette dimension éducative est notable. En 1997,
l'éducation civique est introduite au lycée (ECJS – éducation civique juridique
et sociale).
Elle est désormais enseignée dans tous les degrés du système scolaire,
du cycle 1 à la terminale.
On peut avancer trois hypothèses complémentaires. On parle de l'intérêt
à "vivre ensemble" et de l'importance de l'éducation civique pour :
• Redonner de la force, en la renommant, à une éducation morale et
civique traditionnelle, un peu tombée en désuétude durant des décennies ;
• Désigner une conception neuve de la citoyenneté, moins formelle, plus
éthique, plus active, plus planétaire ;
• Faire face à une crise de la citoyenneté, annoncée ou actuelle.
L’hypothèse de la crise est évidemment étayée par le discours ambiant
sur l’affaiblissement du lien social, la violence urbaine, le racisme, le mal
de vivre des banlieues. Loin d’être le rempart attendu, l’école serait
elle-même gagnée par le désordre et la violence. (Ex : foulard islamique,
incivilités, actes de violence etc.). Contre les analyses un peu courtes des
media, les sciences sociales montrent que la violence des élèves est souvent
une réponse malheureuse à l’état de la société qui les stigmatise (Debarbieux,
1990 ; Defrance 1992, 1993, Pain, 1992 ; Nizet et Herniaux, 1985).
Alice Miller (1984), dans “ C’est pour ton bien. ” avait déjà identifié
les racines de la violence dans l’éducation de l’enfant. Le contrat pédagogique
et le contrat didactique sont impuissants à reconstituer un contrat social plus
global, parce qu’ils le présupposent (Develay, 1996 ; Meirieu, 1996).
Même si cela est vrai, il est vrai aussi que les sociétés
contemporaines placent la barre de plus en plus haut. Il s’agit aujourd’hui de
faire coexister dans une société des gens qui appartiennent à des ethnies, des
nationalités, des cultures différentes, ne parlent pas la même langue, n’ont
pas les mêmes valeurs et les mêmes modes de vie. Dans le même temps, le respect
des différences a progressé et l’appareil étatique n’a plus les moyens de
couler chacun dans le même moule civique. S’il y a un moule, lié à la
production et de la communication de masse, il s’organise dans le monde du
travail, de la consommation et des loisirs plus que de la participation à la
vie collective. Les frontières deviennent poreuses, les continents
s’organisent, le village planétaire devient une réalité.
Cette situation n’est pas propre à la France. Le problème a une
dimension européenne, occidentale. La tentation est de demander à l’école de
panser les plaies sociales d’une société malade du chômage et de l’incivilité.
En effet, l’école apparaît comme l’un des derniers lieux de constitution et de
préservation du lien social, où l’ensemble de la société se trouve réuni dans
sa pluralité et ses différences sous une même loi.
L’éducation
civique, entre école et société
La formation du citoyen - condition de la démocratie - est bien la tâche
de l’école. Et même sa raison d’être. Mais l’école ne peut être responsable de
tous les maux de la société. L’éducation civique dans
l’école d’aujourd’hui demande une réflexion sur la citoyenneté dans le monde
d’aujourd’hui. Elle ne peut reprendre ce qui se faisait au début du siècle.
Pourquoi ? Le civisme de cette époque renvoie à un républicanisme étroit,
privilégiant l’idée de nation, de colonialisme etc. Il s’accorde mal à
l’individualisme et à l’hédonisme des sociétés contemporaines. La morale et ses leçons sont devenues
désuètes. De plus, la citoyenneté d’aujourd’hui est en crise (manque
d’engagement dans la cité, coloration éthique plus que politique des
engagements, perte de confiance dans l’univers politique, etc.)
Le paradoxe est d’attendre de l’éducation civique une réponse urgente
aux problèmes de l’école et de la société alors que nous ne savons plus très
bien ce qu’est la citoyenneté.
L’école républicaine a la mission de mettre en œuvre une éducation
prônant le civisme, des valeurs morales, la laïcité. Il faut un civisme
d’aujourd’hui, pour la société d’aujourd’hui.
Regard
historique : la transformation de l'éducation civique et morale du début du
siècle à aujourd'hui
L'éducation morale n'est plus
nommée comme telle aujourd'hui. Que signifiait-elle ?
Morale : Partie de l'éducation qui vise à susciter
ou développer chez l'enfant une disposition durable à la moralité, c'est-à-dire
une disposition à subordonner ses conduites à un ensemble de règles, de
principes ou de valeurs susceptibles d'être considéré (à un moment donné et
dans le cadre d'une société ou d'une doctrine donnée) comme s'imposant
catégoriquement. Cette éducation peut intervenir dans le milieu familial, à
l'école ou dans n'importe quel autre contexte. Le développement de la
scolarisation a été intimement lié à une préoccupation d'édification morale des
masses, à une entreprise de contrôle des âmes et des corps (Foucault, 1975).
Comme l'écrivait Kant dans ses Réflexions sur ['éducation, "on envoie tout
d'abord les enfants à l'école non dans l'intention qu'ils y apprennent quelque
chose, mais afin qu'ils s'habituent à demeurer tranquillement assis et à
observer ponctuellement ce qu'on leur ordonne".
L’idée d'une morale laïque et
universelle enseignée dans les écoles triomphe sous la IIIe République. La loi
du 28 mars 1882 place « l'instruction morale et civique» en tête de toutes les
matières enseignées à l'école primaire. Elle va y faire l'objet d'un cours
spécifique, distinct de tous les autres, régi par des programmes et des
instructions qui demeureront remarquablement stables durant près d'un siècle
(1887, 1923, 1945).
Enseignement explicite et systématique, appuyé sur des entretiens
familiers à partir de lectures et de faits vécus et donnant lieu à la
mémorisation de maximes, cette morale est aussi présente, à l'état plus ou
moins implicite, dans tous les contenus d'enseignement et dans tous les aspects
de la vie scolaire.
Comment
était enseignée l'éducation civique et morale à l'école publique ?
Enjeu de l'époque : prouver qu'une véritable éducation morale était
possible indépendamment de la religion et de l'enseignement religieux.
(Cf. Gracia, J.-C. (1997) (dir.) Éducation, citoyenneté, territoire,
Actes du séminaire national de l’enseignement agricole, Toulouse, ENFA, pp.
32-54)
Les directives
L’action éducative dépend surtout des principes qui éclairent la
volonté et des habitudes qui la fortifient. Pour assurer l’action éducative de
l’école, il nous faut donner de bons principes par notre enseignement moral, et
en même temps, faire contracter à nos élèves de bonnes habitudes découlant des
principes enseignés.
Il faut que notre cours de morale ait un principe directeur, un idéal
et aussi de l’unité.
Coopération et solidarité, telle est l’idée directrice de ce cours de
morale ; et son idéal est dans l’affranchissement et le développement de la
dignité humaine.
Toutes les notions morales sont ramenées à l’idée de solidarité et de
dignité. Il doit en être de même pour notre enseignement moral, si nous voulons
avoir l’unité et l’harmonie nécessaires.
Il faut que l’école soit le milieu dans lequel se développent toutes
les idées morales.
- La propreté
- L’application au travail, qui sera plus tard probité,
- La tolérance,
- La gaieté qui crée des esprits travailleurs,
- L’émulation, qui est nécessaire comme stimulant, et qui prépare à la
lutte pour la vie.
Et toujours, nous apercevrons qu’une harmonie complète est nécessaire
entre notre enseignement et la vie de l’école, et qu’une application immédiate
et exacte des principes enseignés est indispensable.
De cette façon, notre enseignement aura créé des hommes d’initiative,
en même temps que des hommes sincères.
Un exemple : la notion de
propreté
Ainsi, prenons la notion de propreté. Il faut montrer comment elle se
rattache aux principes de solidarité, de dignité et d’affranchissement. Pour
cela, demandons-nous pourquoi il faut être propres : c’est pour nous rendre
meilleurs et plus forts.
Meilleurs, puisque la propreté est un signe du respect de soi et du
respect d’autrui. Plus forts, puisque la propreté favorise la bonne santé.
Par la propreté, nous serons plus dignes, ayant le souci du respect de
nous-mêmes, et en même temps, nous ferons preuve de solidarité, en respectant
la dignité des autres. Jouissant d’une bonne santé, nous serons plus forts, et,
par là-même, capables de remplir nos devoirs sociaux, nos devoirs de
solidarités.
Autre exemple : l'idée de la
solidarité
Pour donner aux élèves une idée de la solidarité, prenons un exemple
dans leur vie d’écolier : l’enfant qui a déchiré son livre.
Ce livre avait coûté de l’argent ; qui avait donné cet argent ? les
parents ; or, le père n’avait pas trouvé les gros sous sur la route ; il avait
d- travailler, fatiguer. Maintenant, le livre ne vaut plus rien, il faudra en
acheter un autre ; et, pour cela, le père devra travailler encore. Si cet
enfant n’avait pas déchiré son livre, cet argent, que l’on est obligé de
dépenser par sa faute, aurait servi à d’autres achats plus nécessaires à la vie
de la famille. Par sa négligence, l’enfant fait souffrir son père, et aussi les
siens.
Et ainsi, on amènerait les élèves à songer à ce qui se passe autour
d’eux ; on les habituerait à penser aux autres, et non toujours à eux.
À
quel moment situer la disparition des cours d'éducation morale à l'école
élémentaire ?
Faute d'études historiques et sociologiques approfondies, on dispose au
moins de quelques repères « réglementaires ».
Trois dates importantes méritent d'être relevées.
En 1969, avec l'avènement du« tiers-temps pédagogique », la morale se
trouve absorbée au sein des « activités d'éveil ».
Avec les Instructions de 1978, la leçon de morale quotidienne, la
prédication des devoirs et des vertus disparaissent officiellement au profit
d'une « éducation morale et civique» qui met l'accent sur «le style de vie de
la classe et le climat des échanges et des relations ».
Avec les Instructions de 1985, les savoirs font retour, mais la notion
même d'éducation morale disparaît, réduite au rang de composante de l'éducation
civique. Une nouvelle approche beaucoup plus souple et plus inductive, centrée
sur la tolérance et le respect des personnes, succède aux anciennes approches
rigides et autoritaires visant à "éduquer le caractère" et
transmettre les vertus traditionnelles. (Évolution analogue dans certains pays
étrangers comme la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis)
Comment
interpréter cette évolution ?
Parmi les approches théoriques qui ont le plus contribué à orienter le
débat sur l'éducation morale à l'école, on doit citer au moins celle,
sociologique, de Durkheim et celle inspirée par la psychologie du développement
(illustrée successivement par Piaget et par Kohlberg).
Pour Durkheim, la morale existe comme un fait empiriquement observable
dans la vie des sociétés, du fait que tout groupe humain est régi par des
règles qui délimitent le permis et le défendu. La morale est un «système de
règles d'action qui prédéterminent la conduite. Elles disent comment il faut
agir dans des cas donnés ; et bien agir, c'est bien obéir». À l'école,
l'éducation morale s'effectue donc en grande partie par le biais de la
discipline. Durkheim insiste aussi sur le rôle que peuvent jouer dans cette
construction le milieu scolaire en tant que lieu de vie collective, ainsi que
les contenus intellectuels des diverses disciplines enseignées,
particulièrement les sciences expérimentales et l'histoire.
A la théorie sociologique de la morale et de l'éducation morale
proposée par Durkheim s'oppose l'approche des psychologues du développement. Se
fondant sur de nombreuses observations empiriques d'enfants, Piaget met en
évidence l'existence de véritables « stades» dans la formation du jugement
moral, parallèles aux stades qui caractérisent le développement des opérations
intellectuelles (Le Jugement moral chez l'enfant, 1932). Il en ressort une
opposition fondamentale entre deux sortes de morales, une morale de la
contrainte (ou de l'hétéronomie) et une morale de la coopération (ou de
l'autonomie), celle-ci étant amenée à succéder en quelque sorte naturellement à
celle-là à la faveur des interactions que l'enfant développe avec son
entourage, particulièrement dans les situations de jeux.
Une approche du même genre se trouve développée chez Kohlberg, dont
l'œuvre a fortement marqué la réflexion sur l'éducation morale dans les pays
anglophones depuis les années 60. Pour cet auteur, comme pour Piaget, il existe
des étapes caractéristiques dans l'élaboration du jugement moral, qui
s'organisent selon des lois de successivité, irréversibilité et universalité.
Dans cette perspective, l'éducation morale peut jouer un rôle d'accélération,
de facilitation du processus de passage d'un stade à l'autre. La construction
théorique proposée par Kohlberg a suscité à la fois beaucoup d'admiration et
beaucoup de critiques. Parmi celles-ci, une paraît décisive du point de vue
d'une problématique de l'éducation morale : il ne suffit pas de bien juger pour
bien agir. À coup sûr, cette question du passage du jugement à l'action
constitue la difficulté essentielle de toute pédagogie morale rationnelle.
Une partie importante de la recherche et de la réflexion tourne
aujourd'hui, dans les pays anglophones, autour de la notion de « curriculum
caché », c’est-à-dire l'idée que la transmission des valeurs et des attitudes
morales à l'école passe davantage par le biais de processus informels ou
implicites, par les contraintes, les rituels, les routines, les types
d'interaction sociale propres aux situations de scolarisation, que par le canal
de programmes explicites et d'activités pédagogiques délibérées.
La conséquence de ces multiples recherches a conduit à privilégier les
approches par les expériences de vie à l'école (Cf. BO du 14 février 2002).
Est-ce
la garantie d'une plus grande efficacité ?
On risque d’être fort déçu si l’on imagine que tout individu aspire
spontanément à la démocratie et n’a rien de plus pressé que de mettre ses
compétences et son intelligence au service du bien commun. L’attitude
démocratique est une conquête sur l’égocentrisme, l’individualisme, la
recherche de son propre intérêt, l’indifférence à la misère du monde.
L’instruction et l’intelligence ne s’accompagnent pas ipso facto de générosité,
de solidarité, d’un souci du bien public.
Pratiquer la démocratie, c’est - pour les plus favorisés - renoncer à
une partie de leurs avantages et de leur pouvoir. Elle représente une valeur en
soi et l’on peut trouver une satisfaction profonde à la défendre, même contre
ses intérêts immédiats. Mais la démocratie est aussi un moyen de conserver
durablement des privilèges appréciables. Elle relève alors en quelque sorte
d'une stratégie, elle évite les explosions et les retournements de situation.
Ces deux logiques peuvent coexister au sein d’une même personne…
C’est à la fois une raison de croire au développement d’une éducation à
la citoyenneté et une raison d’en douter. Tout dépend de la lucidité de ceux
qui exercent le pouvoir dans la société et à l’école.
LES TEXTES DE RÉFÉRENCE
Arrêté du 27 juillet 1882 réglant
l'organisation pédagogique et le plan d'études des écoles primaires publiques
III. Éducation morale
Programmes
de 1882
1° :
OBJET DE L’ENSEIGNEMENT MORAL
L’éducation morale se distingue
profondément par son but et par ses caractères essentiels des deux autres
parties du programme.
But
et caractères essentiels de cet enseignement. - L’enseignement
moral est destiné à compléter et à relier, à relever et à ennoblir tous les
enseignements de l’école. Tandis que les autres études développent chacune un
ordre particulier d’aptitudes et de connaissances utiles, celle-ci tend à
développer dans l’homme l’homme lui-même c’est-à-dire un cœur, une
intelligence, une conscience.
Par là même l’enseignement moral se
meut dans une tout autre sphère que le reste de l’enseignement. La force de
l’éducation morale dépend bien moins de la précision et de la liaison logique
des vérités enseignées que de l’intensité du sentiment, de la vivacité des
impressions et de la chaleur communicative de la conviction. Cette éducation
n’a pas pour but de faire savoir, mais de faire vouloir ; elle émeut plus
qu'elle ne démontre ; devant agir sur l’être sensible, elle procède plus du
cœur que du raisonnement ; elle n’entreprend pas d’analyser toutes les raisons
de l’acte moral, elle cherche avant tout à le produire, à le répéter, à en
faire une habitude qui gouverne la vie. À l’école primaire surtout, ce n’est
pas une science, c’est un art, l’art d'incliner la volonté libre vers le bien.
Rôle de l’instituteur. Dans cet enseignement. - L’instituteur est chargé de cette partie de
l’éducation, en même temps que des autres, comme représentant de la société :
la société laïque et démocratique a en effet l’intérêt le plus direct à ce que
tous ses membres soient initiés de bonne heure et par des leçons ineffaçables
au sentiment de leur dignité et à un sentiment non moins profond de leur devoir
et de leur responsabilité personnelle.
Pour
atteindre ce but, l’instituteur n'a pas à enseigner de toutes pièces une morale
théorique suivie d'une morale pratique, comme s’il s’adressait à des enfants
dépourvus de toute notion préalable du bien et du mal : l’immense majorité lui
arrive au contraire ayant déjà reçu ou recevant un enseignement religieux qui
les familiarise avec l’idée d’un Dieu auteur de l’univers et père des hommes,
avec les traditions, les croyances, les pratiques d'un culte chrétien ou
israélite. Au moyen de ce culte et sous les formes qui lui sont particulières, ils ont déjà reçu les notions fondamentales
de la morale éternelle et universelle ; mais ces notions sont encore chez
eux à l’état de germe naissant et fragile, elles n’ont pas pénétré profondément
en eux-mêmes ; elles sont fugitives et confuses, plutôt entrevues que
possédées, confiées à la mémoire bien plus qu’à la conscience à peine exercée
encore. Elles attendent d’être mûri et développées par une culture convenable.
C’est cette culture que l’instituteur public va leur donner.
Sa
mission est donc bien délimitée ; elle consiste à fortifier, à enraciner dans
l’âme de ses élèves, pour toute leur vie, en les faisant passer dans la
pratique quotidienne, ces notions essentielles de moralité humaine communes à
toutes les doctrines et nécessaires à tous les hommes civilisés. Il peut
remplir cette mission sans avoir à faire personnellement, ni adhésion, ni
opposition à aucune des diverses croyances confessionnelles auxquelles ses
élèves associent et mêlent les principes généraux de la morale.
Il
prend ces enfants tels qu’ils lui viennent, avec leurs idées et leur langage,
avec les croyances qu'ils tiennent de la famille, et il n’a d'autre souci que
de leur apprendre à en tirer ce qu'elles contiennent de plus précieux au point
de vue social, c’est-à-dire les préceptes d'une haute moralité.
Objet propre et limites de cet enseignement. - L’enseignement moral laïque se distingue donc de
l'enseignement religieux sans le contredire. L’instituteur ne se substitue ni au prêtre, ni au père de famille ; il
joint ses efforts aux leurs pour faire de chaque enfant un honnête homme.
Il doit insister sur les devoirs qui rapprochent les hommes et non sur les
dogmes qui les divisent. Toute
discussion théologique et philosophique lui est manifestement interdite par le
caractère même de ses fonctions, par l’âge de ses élèves, par la confiance des
familles et de l’État : il concentre tous ses efforts sur un problème d’une
autre nature, mais non moins ardu, par cela même qu’il est exclusivement
pratique : c’est de faire faire à tous ces enfants l’apprentissage effectif de
la vie morale.
Plus
tard, devenus citoyens, ils seront peut-être séparés par des opinions
dogmatiques, mais du moins ils seront d’accord dans la pratique pour placer le
but de la vie aussi haut que possible, pour avoir la même horreur de tout ce
qui est bas et vil, la même admiration de ce qui est noble et généreux, la même
délicatesse dans l’appréciation du devoir, pour aspirer au perfectionnement
moral, quelques efforts qu'il coûte, pour se sentir unis dans ce culte général
du bien, du beau et du vrai qui est aussi une forme, et non la moins pure, du
sentiment religieux.
2° : MÉTHODE
Caractères de la méthode en ce
qui concerne l’élève - Pour que
la culture morale, entendue comme il est dit plus haut, soit possible et soit
efficace dans l’enseignement primaire, une condition est indispensable : c’est
que cet enseignement atteigne au vif de l'âme, qu’il ne se confonde, ni par le
ton ni par le caractère, ni par la forme, avec une leçon proprement dite. Il ne
suffit pas de donner à l’élève des notions correctes et de le munir de sages
maximes, il faut arriver à faire éclore en lui des sentiments assez vrais et
assez forts pour l’aider un jour, dans la lutte de la vie, à triompher des
passions et des vices. On demande à l’instituteur non pas d'orner la mémoire de
l’enfant, mais de toucher son cœur, de lui faire ressentir, par une expérience
directe, la majesté de la loi morale ; c'est assez dire que les moyens à
employer ne peuvent êtres semblables à ceux d’un cours de science ou de
grammaire. Ils doivent êtres non seulement plus souples et plus variés mais
plus intimes, plus émouvants, plus pratiques, d’un caractère tout ensemble
moins didactique et plus grave.
L’instituteur ne saurait trop se représenter qu’il s’agit pour lui de
former, chez l'enfant, le sens moral, de l’aiguiser, de le redresser parfois,
de l’affermir toujours : et, pour y parvenir, le plus sûr moyen dont dispose un
maître qui n'a que si peu de temps pour une œuvre si longue, c’est d’exercer
beaucoup, et avec un soin extrême, ce délicat instrument de la conscience.
Qu'il se borne aux points essentiels, qu’il reste élémentaire, mais clair, mais
simple, mais impératif et persuasif tout ensemble. Il doit laisser de côté les
développements qui trouveraient leur place dans un enseignement plus élevé ;
pour lui la tâche se borne à accumuler, dans l'esprit et dans le cœur de
l'enfant qu’il entreprend de façonner à la vie morale, assez de beaux exemples,
assez de bonnes impressions, assez de saines idées, d’habitudes salutaires et
de nobles aspirations pour que cet enfant emporte de l’école, avec son petit
patrimoine de connaissances élémentaires, un trésor plus précieux encore, une
conscience droite.
Caractères de la méthode en ce
qui concerne le maître. - Deux
choses sont expressément recommandées aux maîtres. D'une part, pour que l'élève
se pénètre de ce respect de la loi morale qui est à lui seul toute une éducation,
il faut premièrement que par son caractère, par sa conduite, par son langage,
il soit lui-même le plus persuasif des exemples. Dans cet ordre d’enseignement,
ce qui ne vient pas du cœur ne va pas au cœur. Un maître qui récite des
préceptes, qui parle du devoir sans conviction, sans chaleur, fait bien pis que
perdre sa peine, il est en faute : un cours de morale régulier, mais froid,
banal et sec, n’enseigne pas la morale, parce qu’il ne la fait pas aimer. Le
plus simple récit où l’enfant pourra surprendre un accent de gravité, un seul
mot sincère, vaut mieux qu’une longue suite de leçons machinales.
D’autre part, - et il est à peine besoin de formuler cette prescription
- le maître devra éviter comme une
mauvaise action tout ce qui dans son langage ou dans son attitude blesserait
les croyances religieuses des enfants confiés à ses soins, tout ce qui
porterait le trouble dans leur esprit, tout ce qui trahirait de sa part envers
une opinion quelconque un manque de respect ou de réserve.
La seule obligation à laquelle il soit tenu, - et elle est compatible
avec le respect de toutes les croyances -, c’est de surveiller d’une façon
pratique et paternelle le développement moral de ses élèves avec la même
sollicitude qu’il met à suivre leurs progrès scolaires ; il ne doit pas se
croire quitte envers aucun d’eux s’il n’a fait autant pour l’éducation du
caractère que pour celle de l’intelligence. À ce prix seulement l’instituteur
aura mérité le titre d’éducateur, et l’instruction primaire le nom d’éducation
libérale.
3° : PROGRAMME
Cours élémentaire (de 7 à 9 ans)
Entretiens familiers. Lectures avec explications (récits, exemples,
préceptes, paraboles et fables). Enseignement par le cœur.
Exercices pratiques tendant à mettre la morale en action dans la classe
même :
1° Par l'observation individuelle des caractères (tenir compte des
prédispositions des enfants pour corriger leurs défauts avec douceur ou
développer leurs qualités).
2° Par l’application intelligente de la discipline scolaire comme moyen
d'éducation (distinguer soigneusement le manquement au devoir de la simple
infraction au règlement, faire saisir le rapport de la faute à la punition,
donner l'exemple dans le gouvernement de la classe d'un scrupuleux esprit
d'équité, inspirer l’horreur de la délation, de la dissimulation, de
l'hypocrisie, mettre au-dessus de tout la franchise et la droiture et pour cela
ne jamais décourager le franc-parler des enfants, leurs réclamations, leurs
demandes, etc. ).
3° Par l'appel incessant au sentiment et au jugement moraux de l'enfant
lui-même (faire souvent les élèves juges de leur propre conduite, leur faire
estimer surtout, chez eux et chez les autres, l’effort moral et intellectuel,
savoir les laisser dire et les laisser faire, sauf à les amener ensuite à
découvrir par eux-mêmes leurs erreurs ou leurs torts).
4° Par le redressement des notions grossières (préjugés et
superstitions populaires, croyances aux sorciers, aux revenants, à l'influence
de certains nombres, terreurs folles, etc. ).
5° Par l'enseignement à tirer des faits observés par les enfants
eux-mêmes (à l'occasion, leur faire sentir les tristes suites des vices dont
ils ont parfois l’exemple sous les yeux : de l’ivrognerie, de la paresse, du
désordre, de la cruauté, des appétits brutaux, etc.) , en leur
inspirant autant de compassion pour les victimes du mal que d'horreur pour le
mal lui-même - procéder de même par voie
d'exemples concrets et d'appels à l’expérience immédiate des enfants pour les
initier aux émotions morales, les élever, par exemple, Au sentiment
d'admiration pour l'ordre universel et au sentiment religieux en leur faisant
contempler quelques grandes scènes de la nature ; au sentiment de la charité en
leur signalant une misère à soulager, en leur donnant l'occasion d'un acte
effectif de charité à accomplir avec discrétion; aux sentiments de la reconnaissance et de la
sympathie par le récit d'un trait de courage, par la visite à un établissement
de bienfaisance, etc.).
Cours moyen (de 9 à 11 ans)
Entretiens, lectures avec
explications, exercices pratiques. - Même mode et mêmes moyens d'enseignement
que précédemment, avec un peu plus de méthode et de précision. - Coordonner les
leçons et les lectures de manière à n'omettre aucun point important du
programme ci-dessous :
L'enfant dans la
famille :
- Devoirs envers les
parents et les grands-parents : obéissance, respect, amour,
reconnaissance. Aider les parents dans leurs travaux ; les soulager dans leurs
maladies ; venir à leur aide dans leurs vieux jours.
- Devoirs des frères et
sœur : s’aimer les uns les autres, protection des plus âgés à l’égard des
plus jeunes, action de l'exemple.
- Devoirs envers les
serviteurs : les traiter avec politesse, avec bonté.
L'enfant dans
l’école : assiduité, docilité, travail, convenance
- Devoirs envers l'instituteur
- Devoirs envers les camarades.
- Devoirs envers la
patrie : la France, ses grandeurs et ses malheurs.
- Devoirs envers la patrie
et la société.
- Devoirs envers
soi-même : le corps, propreté, sobriété et tempérance, dangers de
l'ivresse ; gymnastique.
- Les biens
extérieur : économie ; éviter les dettes : funestes effets de la passion
du jeu ; ne pas trop aimer l'argent et le gain ; prodigalité, avarice.
- Le travail (ne pas perdre
de temps, obligation du travail pour tous les hommes), noblesse du travail
manuel.
- L’âme : véracité et
sincérité ; ne jamais mentir. Dignité personnelle, respect de soi-même.
Modestie : ne point s'aveugler sur ses défauts, éviter l’orgueil, la vanité, la
coquetterie, la frivolité, avoir honte
de l'ignorance et de la paresse, courage dans le péril et dans le malheur ;
patience, esprit d’initiative : dangers de la colère. Traiter les animaux
avec douceur ; ne point les faire souffrir inutilement, Loi Grammont, sociétés
protectrices des animaux.
- Devoirs envers les autres
hommes. - Justice et charité (ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez
pas qu’on vous fît ; faites aux autres ce que vous voudriez qu'ils vous
fissent. ) - Ne porter atteinte ni à la vie, ni à la personne, ni aux biens, ni
à la réputation d'autrui. - Bonté, fraternité, tolérance ; respect de la
croyance d'autrui. N. B. : Dans tout ce cours, l’instituteur prend pour point
de départ l’existence de la conscience, de la loi morale et de l’obligation. Il
fait appel au sentiment et à l’idée du devoir ; au sentiment et à l'idée de la
responsabilité, il n’entreprend pas de les démontrer par exposé théorique.
- Devoirs envers Dieu -
L’instituteur n’est pas chargé de faire un cours ex professo sur la nature et
les attributs de Dieu ; l’enseignement qu’il doit donner à tous indistinctement
se borne à deux points: d'abord il leur apprend à ne pas prononcer légèrement
le nom de Dieu ; il associe étroitement dans leur esprit à l’idée de la Cause
première et de l’Être parfait un sentiment de respect et de vénération ; et il
habitue chacun d'eux à environner du même respect cette notion de Dieu, alors
même qu'elle se présenterait à lui sous des formes différentes de celles de sa
propre religion.
Ensuite, et sans s’occuper
des prescriptions spéciales aux diverses communions, l'instituteur s’attache à
faire comprendre et sentir à l'enfant que le premier hommage qu'il doit à la
divinité, c'est l’obéissance aux lois de Dieu telles que les lui révèlent sa
conscience et sa raison.
Cours supérieur (de 11 à 13 ans)
Entretiens, lectures,
exercices pratiques, comme dans les deux cours précédents. Celui-ci comprend de
plus, en une série régulière de leçons dont le nombre et l’ordre pourront
varier, un enseignement élémentaire de la morale en général et plus particulièrement
de la morale sociale, d’après le programme ci-après :
La Famille - Devoirs des
parents et des enfants. Devoirs réciproques des maîtres et des serviteurs.
La Société. - Nécessité et
bienfaits de la société. La justice, condition de toute société. La solidarité,
la fraternité humaine.
Applications et
développements de l’idée de justice : respect de la vie et de la liberté
humaine, respect de la propriété, respect de la parole donnée, respect de
l’honneur et de la réputation d'autrui. La probité, l’équité, la délicatesse.
Respect des opinions et des croyances.
Applications et
développements de l’idée de charité ou de fraternité. Ses divers degrés,
devoirs de bienveillance, de tolérance, de clémence, etc. Le dévouement, forme
suprême de la charité ; montrer qu’il peut trouver place dans la vie de tous
les jours.
La patrie. - Ce que l’homme
doit à la patrie ; l'obéissance aux lois, le service militaire (discipline,
dévouement, fidélité au drapeau) ;
- L'impôt (condamnation de
toute fraude envers l’État) ;
- Le vote (il est
moralement obligatoire ; il doit être libre, consciencieux, désintéressé,
éclairé).
- Droits qui correspondent
à ces devoirs : liberté individuelle, liberté de conscience, liberté de
travail, liberté d'association. Garantie de la sécurité de la vie et des biens
de tous. La souveraineté nationale. Explication de la devise républicaine :
Liberté, Égalité, Fraternité.
Dans chacun de ces
chapitres du cours de morale sociale, on fera remarquer à l’élève, sans entrer
dans des discussions métaphysiques :
1° La différence entre le
devoir et l’intérêt, même lorsqu’ils semblent se confondre, c'est-à-dire le
caractère impératif et désintéressé du devoir.
2° La distinction entre la
loi écrite et la loi morale : l’une fixe un minimum de prescriptions que la
société impose à tous ses membres sous des peines déterminées, l'autre impose à
chacun dans le secret de sa conscience un devoir que nul ne le contraint à
remplir, mais auquel il ne peut faillir sans se sentir coupable envers lui-même
et envers Dieu. [Journal Officiel du 2 août 1882]
Instructions officielles du 20 juin
1923
INSTRUCTIONS RELATIVES AU NOUVEAU PLAN
D'ÉTUDES DES ÉCOLES PRIMAIRES ÉLÉMENTAIRES
I : Objet de l'enseignement moral
"But et caractères
essentiels de cet enseignement.
- L'enseignement moral est destiné à compléter et à relier, à relever
et à ennoblir tous les enseignements de l'école. Tandis que les autres études
développent chacune un ordre particulier d'aptitudes et de connaissances
utiles, celle-ci tend à développer dans l'homme, l'homme lui-même, c'est-à-dire
un cœur, une intelligence, une conscience.
"Par là même, l'enseignement moral se meut dans une tout autre
sphère que le reste de l'enseignement. La force de l'éducation morale dépend
bien moins de la précision et de la liaison logique des vérités enseignées que
de l'intensité du sentiment, de la vivacité des impressions et de la chaleur
communicative de la conviction. Cette éducation n'a pas pour but de faire
savoir, mais de faire vouloir ; elle émeut plus qu'elle ne démontre ;
devant agir sur l'être sensible, elle procède plus du cœur que du
raisonnement ; elle n'entreprend pas d'analyser toutes les raisons de
l'acte moral, elle cherche avant tout à le produire, à le répéter, à en faire
une habitude qui gouverne la vie. À l'école primaire surtout, ce n'est pas une
science, c'est un art, l'art d'incliner la volonté libre vers le bien.
Rôle de l'instituteur dans cet
enseignement.
- L'instituteur est chargé de cette partie de l'éducation, en même
temps que des autres, comme représentant de la société : la société a, en
effet, l'intérêt le plus direct à ce que tous ses membres soient initiés de
bonne heure et par des leçons ineffaçables au sentiment de leur dignité et à un
sentiment non moins profond de leur devoir et de leur responsabilité
personnelle.
"Pour atteindre ce but, l'instituteur n'a pas à enseigner de
toutes pièces une morale théorique suivie d'une morale pratique, comme s'il
s'adressait à des enfants dépourvus de toute notion préalable du bien et du mal :
l'immense majorité lui arrive, au contraire, ayant déjà reçu ou recevant un
enseignement religieux qui les familiarise avec l'idée d'un Dieu auteur de
l'univers et père des hommes, avec les traditions, les croyances, les pratiques
d'un culte chrétien ou israélite ; au moyen de ce culte et sous les formes
qui lui sont particulières, ils ont déjà reçu les notions fondamentales de la
morale éternelle et universelle ; Mais ces notions sont encore chez eux à
l'état de germe naissant et fragile ; elles n'ont pas pénétré profondément
en eux-mêmes ; elles sont fugitives et confuses, plutôt entrevues que
possédées, confiées à la mémoire bien plus qu'à la conscience, à peine exercée
encore. Elles attendent d'être mûries et développées par une culture convenable.
C'est cette culture que l'instituteur public va leur donner.
" Sa mission est donc bien délimitée ; elle consiste à
fortifier, à enraciner dans l'âme de ses élèves, pour toute leur vie, en les
faisant passer dans la pratique quotidienne, ces notions essentielles de
moralité humaine, communes à toutes les doctrines et nécessaires à tous les
hommes civilisés. Il peut remplir cette mission sans avoir à faire
personnellement ni adhésion, ni opposition à aucune des diverses croyances
confessionnelles auxquelles ses élèves associent et mêlent les principes
généraux de la morale.
" Il prend ces enfants tels qu'ils lui viennent, avec leurs idées
et leur langage, avec les croyances qu'ils tiennent de leur famille, et il n'a
d'autre souci que de leur apprendre à en tirer ce qu'elles contiennent de plus
précieux au point de vue social, c'est-à-dire les préceptes d'une haute
moralité.
Objet propre et limites de cet
enseignement.
- L'enseignement moral laïc se distingue donc de l'enseignement
religieux sans le contredire. L'instituteur ne se substitue ni au prêtre, ni au
père de famille ; il joint ses efforts aux leurs pour faire de chaque
enfant un honnête homme. Il doit insister sur les devoirs qui rapprochent les
hommes et non sur les dogmes qui les divisent. Toute discussion théologique et
philosophique lui est manifestement interdite par le caractère même de ses
fonctions, par l'âge des élèves, par la confiance des familles et de
l'État : il concentre tous ses efforts sur un problème d'une autre nature,
mais non moins ardu, par cela même qu'il est exclusivement pratique : c'est de
faire faire à tous ces enfants l'apprentissage effectif de la vie morale.
Plus tard, devenus citoyens, ils seront peut-être séparés par des
opinions dogmatiques, mais du moins ils seront d'accord dans la pratique pour
placer le but de la vie aussi haut que possible, pour avoir la même horreur de
tout ce qui est bas et vil, la même admiration de ce qui est noble et généreux,
la même délicatesse dans l'appréciation du devoir, pour aspirer au
perfectionnement moral, quelques efforts qu'il coûte, pour se sentir unis, dans
ce culte généreux du bien, du beau et du vrai qui est aussi une forme, et non
la moins pure, du sentiment religieux.
II : Méthode
Que par son caractère, par sa conduite, son langage, le maître
soit lui-même le plus persuasif des exemples. Dans cet ordre d'enseignement, ce
qui ne vient pas du cœur ne va pas au cœur. Un maître qui récite des préceptes,
qui parle du devoir sans conviction, sans chaleur, fait bien pis que de perdre
sa peine, il est en faute : un cours de morale régulier, mais froid, banal
et sec, n'enseigne pas la morale, parce qu'il ne la fait pas aimer. Le plus
simple récit où l'enfant pourra surprendre un accent de gravité, un seul mot
sincère, vaut mieux qu'une longue suite de leçons machinales.
D'autre part - et il est à peine besoin de formuler cette prescription
- le maître devra éviter comme une
mauvaise action tout ce qui, dans son langage ou dans son attitude, blesserait
les croyances religieuses des enfants confiés à ses soins, tout ce qui
porterait le trouble dans leur esprit, tout ce qui trahirait de sa part envers
une opinion quelconque un manque de respect ou de réserve.
La seule obligation à laquelle il soit tenu - et elle est compatible
avec le respect de toutes les croyances - c'est de surveiller d'une façon
pratique et paternelle le développement moral de ses élèves avec la même
sollicitude qu'il met à suivre leurs progrès scolaires ; il ne doit pas se
croire quitte envers aucun d'eux s'il n'a fait autant pour l'éducation du
caractère que pour celle de l'intelligence. À ce prix seulement, l'instituteur
aura mérité le titre d'éducateur, et l'instruction primaire le nom d'éducation
libérale.
Si, après avoir relu cet admirable morceau, nous éprouvions la
tentation de formuler une critique, ce serait celle-ci : l'auteur n'est
pas allé jusqu'au bout de sa pensée ; pour lui, l'éducation du caractère
doit primer celle de l'intelligence et l'éducation morale doit jouer dans
l'enseignement primaire un rôle prépondérant. Telle est aussi notre opinion.
C'est cette primauté de la morale
que le nouveau plan d'études a voulu souligner en supprimant la distinction,
assez artificielle, qu'établissait l'ancien entre l'éducation physique (où l'on
faisait entrer, de gré ou de force, les travaux manuels), l'éducation
intellectuelle et l'éducation morale. À l'école primaire, celle-ci déborde sur
celles-là. L'instruction n'aurait pas de valeur si elle ne servait qu'à former
le jugement, et la culture du jugement, comme le pensait Descartes, est le
meilleur moyen de cultiver la volonté. Quant à l'éducation physique, elle prend
soin de l'âme autant que du corps : l'hygiène est une vertu, et ce sont des
qualités de la volonté, la décision, l'énergie, l'endurance que donne la
gymnastique bien comprise. Sans nier le rôle propre de l'esprit et du corps,
sans vouloir tout subordonner, dans l'éducation intellectuelle et dans
l'éducation physique, à la culture morale, insistons sur les liens qui unissent
celles-là à celles-ci, et sur la place éminente que doit prendre dans les
préoccupations de l'instituteur, la
formation des consciences et des caractères.
La vie scolaire lui fournit à tout moment l'occasion de faire pratiquer
à l'enfant les règles de la morale. Tant que l'élève est très jeune, au cours
préparatoire, par exemple, c'est moins sur la volonté que sur les habitudes
qu'il peut exercer son influence. Comme à l'école maternelle, dont il conserve
les méthodes, l'instituteur (ou l'institutrice), à propos des divers exercices
de la classe, de la récréation et, s'il y a lieu, de la cantine scolaire, donne
aux enfants de bonnes habitudes de
propreté, d'ordre, d'exactitude, de politesse ; il provoque l'éclosion
des bons sentiments, il redresse sans brutalité - car elles sont fragiles. -
les pousses qui tendraient à prendre une mauvaise direction. Au cours
élémentaire, cette pratique du bien devient plus consciente. Comme le
recommandent les programmes de 1887, on doit tendre à mettre la morale en action dans la classe même.
Le régime disciplinaire, fondé sur la justice, en fournit à tout moment
l'occasion, car les enfants doivent être appelés à sentir et à apprécier
l'équité des actes accomplis par le maître dans le gouvernement de la classe.
Il est peut-être plus aisé d'exercer leur sens moral à propos des actes de leur
maître qu'à propos des actes de leurs camarades ; le pharisaïsme est un
sentiment qu'il n'est pas bon d'éveiller et la maxime "Tu ne jugeras
point" n'a pas moins de valeur pour le monde des enfants que pour le monde
des adultes. Il faudra s'efforcer de provoquer en eux l'admiration plus souvent
que le mépris, former leur jugement moral à propos des bonnes actions plutôt
qu'à propos des mauvaises, les inviter à estimer l'effort patient et laborieux,
la ténacité dans la lutte contre le malheur, la franchise, la droiture, la
bonté plutôt qu'à se complaire dans le spectacle des vices et des passions, ce
spectacle dût-il se terminer par la punition du méchant. Le mal est plus
contagieux que le bien ; prohiber un acte mauvais, c'est attirer sur lui
l'attention, c'est par là même pousser à l'accomplir. Sachons donner aux
enfants de bonnes habitudes : c'est le meilleur moyen de leur faire perdre
les mauvaises.
Lorsque l'enfant entre au cours moyen, sa volonté commence à se former;
il ne s'agit plus seulement de diriger ses habitudes, il y a lieu de lui
apprendre à user de sa liberté. Non seulement on continuera à pratiquer une
discipline libérale, c'est-à-dire une discipline qui ne laisse aucun de ses
décrets sans justification devant l'esprit des enfants, mais, au moins à
certains moments et dans certains domaines de l'activité scolaire, on fera place
au "self-government". Sous
réserve de l'approbation du maître, les écoliers seront appelés à régler
eux-mêmes, par une entente concertée, certains détails de leur vie
commune ; ils éliront ceux d'entre eux qui seront chargés de remplir de
menues fonctions : "les officiers sanitaires", qui doivent
veiller à l'aération et à la propreté des locaux, les dignitaires des
"coopératives", des mutualités scolaires, des sociétés de gymnastique
ou de tir, des sociétés des amis des arbres ou des amis des oiseaux, des "ligues
de bonté, de toutes les associations qui se constituent dans les écoles avec
l'autorisation de l'instituteur. Sans que l'autorité du maître perde un seul de
ses droits, on multipliera les circonstances où l'enfant aura l'occasion de
prendre une décision soit par lui-même, soit de concert avec ses
camarades ; l'éducation de la volonté individuelle et de la volonté
collective ne pouvait pas commencer plus tôt, mais il n'est pas trop tôt pour
l'entreprendre. Elle sera continuée, suivant le même mode, pendant les deux
années du cours supérieur.
III : Programmes
et procédés
Non contente de favoriser des pratiques morales, l'école primaire tient
à honneur de concentrer l'attention de ses élèves, presque chaque jour durant
de brefs instants, sur les idées et les sentiments qui doivent diriger leur
conduite. En quoi consiste cet enseignement de la morale ?
Au cours préparatoire, c'est à peine si l'on peut parler d'un
enseignement. La leçon, si l'on peut employer ce mot, ne doit comporter ni
livre, ni cahier, ni exposé didactique, ni résumé. Le maître se borne à
éveiller la conscience de l'enfant par des récits susceptibles de poser de
petits problèmes moraux. Ces récits peuvent être empruntés à la fable et à la
légende pourvu qu'ils ne présentent pas aux jeunes esprits un monde trop
artificiel. On remarquera que, dans les nouveaux programmes, l'histoire ne
figure pas au cours préparatoire. Ce n'est pas un oubli. Le conseil supérieur a
estimé que les élèves de ce cours sont trop jeunes pour situer avec précision
les événements dans la durée. Mais il a pensé que l'image des héros de tous les
pays et de tous les temps pourrait être présentée à ces enfants pendant les
entretiens de morale. On prendra seulement la précaution de choisir des héros
dont la vertu simple puisse être décrite sans altération devant ces esprits
candides.
Le programme du cours élémentaire n'est pas plus didactique que celui
du cours préparatoire. Aux récits que lui faisait son maître, l'enfant joint
maintenant, puisqu'il sait lire, ceux qu'il trouve dans son livre. Mais le
quart d'heure quotidien consacré à la morale demeure un entretien plutôt qu'une
leçon, une "élévation" de l'âme vers l'idéal, une exhortation à bien
agir plutôt qu'une dissertation sur le bien. Pas plus qu'au cours préparatoire,
nous ne voudrions ici de livres ni de cahiers, d'exposés ni de résumés. Tout au
plus une maxime serait-elle notée, à la fin de l'entretien, pour fixer le
souvenir d'une émotion ressentie, d'une résolution prise en commun. Encore ne
faudrait-il choisir que des maximes lapidaires, saisissantes pour l'imagination
et s'imposant à la mémoire, et non ces phrases banales et diluées que l'on
trouve trop souvent sous le nom de "maximes", dans les manuels à
l'usage de nos écoliers.
Au cours moyen, l'enseignement moral prend un caractère sinon plus
abstrait, du moins plus intellectuel. Il s'agit d'amener les enfants à
réfléchir méthodiquement "sur les principales vertus individuelles et sur
les principaux devoirs de la vie sociale". On ne manquera pas de remarquer
que ce programme est très bref. Celui de 1887 était beaucoup plus long :
non seulement il énumérait une dizaine de chapitres : (I. - L'enfant dans
la famille. Devoirs envers les parents et les grands-parents. Devoirs des
frères et des sœurs. Devoirs envers les serviteurs. L'enfant dans l'école. La
patrie. - II. - Devoirs envers soi-même. Le corps. Les biens extérieurs. L'âme.
Devoirs envers les autres hommes. Devoirs envers Dieu), mais il distinguait,
dans chacun de ces chapitres, plusieurs articles. Nous avons déjà indiqué, dans
notre Introduction, pour quels motifs d'ordre général nous avons abrégé les
anciens programmes. Mais on pourra se demander si, en cette matière,
abréviation n'est pas altération. On pourra se demander, par exemple, si, en
négligeant de mentionner expressément les devoirs envers Dieu, les auteurs du nouveau
programme n'ont pas abandonné l'attitude prise sur la question par les
fondateurs de l'école laïque.
Quelle était cette attitude ? Elle consistait à recommander à
l'instituteur d'éviter, en cette matière, toute discussion métaphysique.
"L'immense majorité des enfants lui arrive ayant déjà reçu ou recevant un
enseignement religieux qui les familiarise avec l'idée de Dieu auteur de
l'univers et père des hommes". L'instituteur n'a donc pas à prouver devant
ces enfants l'existence de Dieu et il n'a pas davantage à la prouver devant les
enfants des incrédules. D'autre part, "il n'est pas chargé de faire un
cours ex professo sur la nature et les attributs de Dieu". Sur ces
problèmes, l'État n'a pas le droit d'imposer une solution. À quoi se réduit
donc l'enseignement que doit donner l'instituteur public ? À deux
points :
"D'abord, il leur apprend à ne pas prononcer légèrement le nom de
Dieu; il associe étroitement dans leur esprit à l'idée de la cause première et
de l'être parfait un sentiment de respect et de vénération et il habitue chacun
d'eux à environner du même respect cette notion de Dieu, alors même qu'elle se
présenterait à lui sous des formes différentes de celles de sa propre religion.
"Ensuite, et sans s'occuper des prescriptions spéciales aux
diverses communions, l'instituteur s'attache à faire comprendre et sentir à
l'enfant que le premier hommage qu'il doit à la divinité, c'est l'obéissance
aux lois de Dieu, telles que les lui révèlent sa conscience et sa raison".
Ces conseils n'ont rien perdu de leur sagesse. En les suivant, nos
instituteurs et nos institutrices prendront soin d'éviter tout ce qui
risquerait d'apparaître comme une violation de la neutralité. Et ils
n'oublieront pas qu'en ces matières, la conscience publique est devenue, depuis
quarante ans, de plus en plus scrupuleuse.
Comme le programme du cours moyen, celui du cours supérieur (classe de
fin d'études) est, en morale, très bref. Pourtant, il est plus complet que
l'ancien. Celui-ci n'insistait guère que sur la morale sociale. Le cours
supérieur étant celui où, pour la première fois, on esquisse une théorie des
devoirs, nous avons pensé que la réflexion de l'enfant devait être attiré sur
les principes des devoirs individuels aussi bien que sur les principes des
devoirs sociaux. Sans doute, cette théorie des devoirs, cette réflexion sur les
principes est encore très modeste. Il serait hors de propos d'inviter des
enfants de douze ans à choisir entre Épicure et Zénon, entre Bentham et Kant.
Mais on s'efforcera de coordonner les notions morales, de montrer qu'elles se
relient les unes aux autres et que, en partant de certaines idées centrales, on
peut apercevoir à leur plan, plus ou moins éclairées selon leur importance
relative, les diverses fins de l'activité humaine ; on peut commencer à
dresser dans la conscience des enfants une table rationnelle des valeurs. Peu à
peu, soit en analysant la conscience, soit en approfondissant les notions de
justice et de solidarité, on arrivera à montrer que l'obligation morale
s'impose à l'homme comme une loi de sa nature individuelle et sociale ; on
fera reposer la morale enseignée à l'école primaire sur les principes les plus
solides de notre constitution mentale (NB L'enseignement moral et civique
sera donné, au cours supérieur, en trois leçons hebdomadaires d'une demi-heure)
À l'enseignement de la morale est rattaché, au cours supérieur, celui
de l'instruction civique. Alors que l'ancien plan d'études prévoyait dès le
cours élémentaire une initiation à cet enseignement, nous en reculons de quatre
années l'introduction dans nos programmes. S'il est vrai qu'aucun enseignement
ne doive être donné avant d'être désiré, l'instruction civique devrait être
réservée pour le moment où les jeunes gens, approchant de la majorité, vont
avoir à faire acte de citoyens. Si l'éducation des adolescents était organisée,
c'est dans les cours postscolaires, devenus obligatoires, que devrait être
enseignée l'instruction civique. Du moins ne l'imposons pas à des enfants de
sept à dix ans. Bornons-nous, si l'occasion s'en présente, à leur expliquer,
d'une manière aussi concrète que possible, les termes empruntés au langage
administratif ou politique (citoyen, soldat ; commune, canton,
département, mairie, préfet, député, sénateur, ministre, république, etc.). En
revanche, au cours supérieur, pendant les dernières classes que l'enfant suivra
avant de devenir électeur, des renseignements précis doivent lui être donnés
sur le mécanisme et le fonctionnement de nos institutions.
Pourtant,
il s'agira moins d'en décrire en détail les rouages que d'en montrer les
principes. C'est pour ce motif que l'instruction civique, au lieu de demeurer
rattachée à l'histoire (dont, en fait, elle s'était d'ailleurs séparée), a été
annexée par le nouveau plan à l'enseignement moral. Droits et devoirs des
citoyens, obligation scolaire, obligation militaire, obligation fiscale,
suffrage universel, rapports réciproques des pouvoirs publics, organisation de
la justice, de l'assistance, toutes ces questions soulèvent des problèmes
moraux. Et c'est sur des idées morales, c'est sur des idées de justice et de
solidarité que reposent les institutions démocratiques. Enseigner à l'enfant ce
qu'il doit savoir pour jouer son rôle de citoyen, c'est compléter son éducation
morale. On pourra, si l'on préfère, donner cet enseignement en quatre séances
d'une vingtaine de minutes. »
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