vendredi 3 février 2017

L'école en lutte contre l'alcoolisme



L’école en lutte contre l’alcoolisme

Tableau du Docteur Galtier-Boissière : "L'alcool, voilà l'ennemi !" avant 1900 (collection musée)


"L'alcool, voilà l'ennemi". Durant la dernière décennie du XIXème siècle, un tableau antialcoolique est mis à la disposition des écoles. Déjà par le titre, l’accent était mis sur la gravité du mal. D'une façon mélodramatique, la plus grande illustration de la carte invitait les élèves à comparer un homme, avant et après l'alcoolisme : d’apparence d’abord respectable, cette dernière s’était dégradée, avec des traits tirés, des cheveux hirsutes, des yeux effarés et, on ne sait par quel sortilège, de noirs qu’ils étaient, devenus verts… 



A la belle époque, l’affiche, en général, représenta l’alcoolique sous les traits d’un homme du peuple ivrogne, non pas sous ceux d’une femme, ni d’un adolescent, rarement sous ceux d’un bourgeois. On prétendait faire admettre ainsi que l’alcoolisme était un vice ou une tare sociale qui atteignait l’ouvrier plutôt que le « col blanc ».

Enseigner une morale pratique, depuis l’Ecole Normale d’Instituteurs ou d’Institutrices jusqu’à l’Ecole primaire élémentaire, « faire sentir » aux enfants « les tristes suites des vices dont ils ont parfois l’exemple sous les yeux, en leur inspirant autant de compassion pour les victimes du mal que d’horreur pour le mal lui-même », voilà quels devaient être les premiers buts à atteindre, selon le rapport d’une commission ministérielle, réunie en 1895.

"L'ivrogne", protège-cahier thématique, avant 1900 (collection musée)

Or, depuis 1870, en France, on commençait de substituer au mot « ivrognerie », celui d’  « alcoolisme », désignant une maladie que l’on tentait d’étudier objectivement. Aussi, comme s’il s’était conformé à de précédentes instructions ministérielles, l’auteur de la carte murale a exposé au moyen de descriptions frappantes, les altérations progressives apportées par l’intoxication alcoolique aux organes de l’homme : estomac, foie, cœur, reins. Les mêmes instructions souhaitaient aussi que l’attention des enseignants, à l’Ecole Normale, fût attirée sur « les différents alcools, sur leurs essences, sur leur degré de toxicité », par des leçons de chimie.

Comme pour interpréter de semblables directives, le panneau scolaire ci-dessus (conçu par le docteur Galtier-Boissière) nous rend compte, en deux séries verticales de trois gravures, d’une expérience réalisée avec deux cobayes : l’un fut assez heureux de ne recevoir qu’une injection de ce vin de raisin que le contexte comprend parmi les « boissons naturelles », comme le cidre, le poiré, la bière ; l’autre sujet fut bien malheureux de recevoir une injection d’une boisson dite « industrielle » et représentée par une bouteille d’apéritif, d’absinthe, de cognac, de marc, de rhum ou de kirsch. Alors que le premier animal survécut à son ébriété, l’autre fut atteint de convulsions, puis succomba. D’où cette pseudo-justification des titres : les boissons naturelles sont « bonnes prises modérément » et les boissons industrielles « mauvaises même prises en petites quantités ». On continue de croire, comme le docteur Galtier-Boissière, que les boissons fermentées sont hygiéniques et qu’on peut en encourager la consommation à raison d’un litre par jour. Le vin reste considéré comme un médicament et un reconstituant. Des buvards publicitaires, distribués dans les écoles, indiquent toujours qu’un litre de vin à 12 degrés équivaut à 850 grammes de lait, 370 grammes de pain, 585 grammes de viande ou cinq œufs. 

En mars 1897 encore, la  commission ministérielle s’obstinait à voir dans les « alcools d’industrie », « les plus actifs agents de l’intoxication alcoolique », comme si elle n’était pas causée surtout par le même alcool éthylique, également poison à la même dose apportée par les boissons alcoolisées, quelles qu’elles fussent. Les esprits semblaient obnubilés par un préjugé favorable au vin et aux boissons parées du qualificatif de « naturelles ».

Toutefois, les attaques renouvelées contre la pernicieuse absinthe et ses essences toxiques étaient amplement justifiées. Elles devinrent salutaires puisqu'en 1915, on finit par en interdire la fabrication et la vente en France. Malgré tout, une interrogation demeure : la propagande contre l’alcoolisme, suggérée au corps enseignant, ignorait-elle que le vin était le principal agent de ce fléau en France ? On devait admettre vers 1970, qu’il l’était encore, dans 70% des cas environ, avant que la consommation de la bière doublât chez nous.

Tableau du Docteur Galtier-Boissière : "L'alcool, voilà l'ennemi !" avant 1900 (collection musée)

Or, en 1914, la production française de vin avait triplé par rapport à ce qu’elle avait été en 1815, peut-être aidée en cela par la production de nos colonies d’Afrique du Nord. Quand un programme d’enseignement de la morale demandait à l’instituteur ou à l’institutrice de se référer à une « triste réalité », comment ne l’aurait-il pas amèrement découverte et critiquée, chez quelques parents de leurs élèves, clients trop assidus du marchand de vin voisin ? D’où le courroux de celui-ci, rappelé par le journal satirique « l’Assiette au beurre » dans un dessin plaisant. Bras croisés, sourcils froncés, un négociant en vin lance à sa pauvrette de cliente, la frêle fillette du maître d’école : « Tu diras à ton père que je ne peux plus lui faire crédit… ça l’apprendra à détourner ma clientèle en faisant aux adultes des conférences sur l’alcoolisme ! ». 

"L'assiette au Beurre" (collection privée)

Il fallait se rendre à l’évidence, déjà la commission de 1897 avait fait allusion aux progrès de l’alcoolisme « dans toutes les classes sociales », chez les femmes elles-mêmes et à ses « effrayants progrès chez les enfants », puis elle constatait que la consommation, enfin calculée globalement, des boissons alcoolisées en France, équivalait annuellement, par personne, à une absorption moyenne de 13,8 litres d’alcool pur, c’est-à-dire de 21 litres par adulte d’au moins 20 ans. A noter qu’un pic a été atteint en 1961 avec 26 litres par individu âgé de plus de 15 ans pour retomber à 11,8 litres en 2012 (source OFDT, Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies). Créée en 1905, la Ligue nationale contre l’Alcoolisme invita à fonder à l’école « des sections de tempérance ».

En 1916, par une circulaire, le gouvernement prescrit que « l’enseignement antialcoolique sera donné dans toutes les écoles primaires et secondaires » et qu’il « sera sanctionné dans tous les examens ». Alors, pendant au moins un demi-siècle, des candidats ou des candidates à l’examen du Certificat d’Etudes Primaires furent appelés à réfléchir sur des questions  posées sur l’alcoolisme. Une circulaire de 1916 menaçait de renvoi de l’Université l’enseignant « assez peu soucieux de sa dignité personnelle pour choir dans l’intempérance ». Ainsi, officiellement, l’alcoolisme restait un vice.

Il fallu attendre les années 50 pour que le panneau traditionnel antialcoolique  semblât périmé et il fit place à des dessins plus sobres, mis en couleurs contrastées, avec des légendes succinctes, souvent réduites à un slogan, sans chercher à uniquement moraliser, en faisant allusion au respect de la famille mais aussi à des impératifs surtout de santé et de sécurité. Plus de mélodrame donc, ni d’images choquantes pour des enfants.

Créé en 1954 par le Gouvernement, un Haut Comité d’Etude et d’Information sur l’alcoolisme devait faire bénéficier la jeunesse notamment, d’une propagande accrue contre l’alcoolisme. Il l’a protégée de celui-ci en limitant l’usage des boissons alcoolisées, depuis 1956, dans les cantines et internats scolaires, où elles furent désormais seulement servies aux élèves de plus de 14 ans qui le désiraient, sous forme de 1/8 de litre de vin coupé d’eau et titrant 3° d’alcool, à chaque repas, ou sous forme de bière et de cidre léger.

La lutte a continué jusqu’à l’interdiction de l’alcool dans les établissements scolaires. Le magazine des jeunes coopérateurs « Amis-Coop » consacra son numéro 188 de juillet 1977 à cette cause. Il avait consacré son numéro 171 de février 1976 à l’alcoolo-tabagisme en exposant un problème sérieux : la lutte contre le tabagisme, mais ceci est une autre histoire…  

A noter que « réclames » et lutte contre les addictions ne jouaient pas la même partition…

Buvard publicitaire (collection musée)

Buvard publicitaire (collection musée)

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P.P







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