Les enfants de 40
Panneau scolaire Rossignol,
l’exode en 1940, détail (collection musée)
Avant
l’occupation, l’exode
Après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à cette dernière, le 3 septembre 1939. Après une courte « drôle de guerre », round d’observation, les Allemands envahissent la France par la Belgique, le Luxembourg neutre et les Pays-Bas. 520 000 civils sont immédiatement évacués des zones frontalières, puis la panique jette entre 6 et 8 millions de français sur les routes en direction du sud. Dans cette cohue indescriptible, un tiers sont des enfants et 90 000 d’entre eux se perdront et seront ainsi séparés de leurs parents, à l’image de la petite Paulette (Brigitte Fossey), errant dans la France sordide du film Jeux interdits de René Clément (à revoir).
(Roger-Viollet/Paris musée)
Extrait du film de René
clément Jeux interdits
Le 14 juin 1940, les
allemands défilent à Paris et le 17 juin, ils seront à Montceau-les-Mines. L’armistice
est signé et le rapatriement des « déplacés » va commencer. Pour les
enfants perdus, la situation est complexe, les journaux vont publier des pages
entières de petites annonces présentant leur photo, à la recherche de leur
famille.
Journal Pour Elle, n°4, avis
de recherche (RetroNews-BnF)
Le Musée national de
l’Éducation possède dans ses collections un fonds de dessins réalisés de 1936 à
1941 par des jeunes élèves parisiennes de cours complémentaire dont
l’enseignante était Adrienne Jouclard (1). 206 de ces dessins représentent
des scènes d’actualité de l’époque dont certains concernent l’exode de juin
1940, tous ont une localisation précise, qui désigne soit un lieu de départ,
soit un lieu de transit, soit un lieu d’arrivée.
Les « petits Paris »,
comme on les a appelés, étiquetés et évacués vers la Creuse en 1939 (©Keystone)
Entre le 25 août et le 1er
septembre 1939, bien que la guerre ne fût pas encore déclarée, l’administration
avait évacué les enfants des départements de la Seine vers des bâtiments
servant aux colonies de vacances. Paris n’étant pas immédiatement menacé après
la déclaration de guerre, les enfants avaient vite regagné leur foyer.
Rapport d’évacuation,
septembre 1939, centre d’accueil du Calvados (Syndicat national des
instituteurs, ANMT201114329)
Les parisiens ont le
souvenir de la victoire de 1918 et ne sont pas inquiets… Mais, le 13 mai, les
Allemands franchissent la Meuse près de Sedan. Les populations civiles
terrifiées commencent à fuir, alors même qu’aucun ordre d’évacuation n’a été
donné. La panique s’installe fin mai, lorsque les réfugiés du nord et de l’est
de la France commencent à affluer à côté des Belges et que le gouvernement ne
peut plus cacher la situation réelle.
Les parisiens lisent les
plans d’évacuation des civils vers les villes de province, bien après le départ
du gouvernement, le 10 juin (©Keystone)
A l’arrivée des premiers
soldats français en déroute, les Parisiens prennent conscience peu à peu que
plus rien ne s’oppose à ce que les Allemands s’emparent de la capitale. C’est
la fuite vers le sud, avec des moyens de fortune : beaucoup de piétons,
peu de voitures, quelques charrettes…
Passage des réfugiés des
Ardennes et de la Marne sur le pont de Nogent-sur-Seine (Aube) / Heude. - Inv. 1979.09324.14
Rue Morand, 2 juin 1940 /
Ida Milkis. – inv. 1979.09324.26
Le 3 juin, la capitale est bombardée.
Le département de la Seine, dont Paris, fait partie des zones de combat. Le 5
juin, le Général de Gaulle, qui a prouvé sa valeur lors des précédents combats,
est nommé sous-secrétaire d’Etat à la Défense nationale.
Sur la route de Vierzon
(Cher), 6 juin 1940 / Denise Lannuzel. – inv. 1979.09324.33
Les rumeurs sur un départ du
gouvernement se faisant de plus en plus pressantes et bien que la radio essaie
de rassurer les Parisiens et les exhorte à ne pas céder à la panique, rien n’y
fait. La fermeture de toutes les écoles le 8 juin rajoute à l’angoisse et le 10
juin, le gouvernement quitte Paris alors qu’aucun plan d’évacuation n’a été
prévu pour les civils : « dans
certains cas, les employeurs annoncent que l’usine est évacuée et que des
transports sont mis en place, mais, le plus souvent, les ouvriers sont laissés
en plan, sans savoir ce qu’ils doivent faire » H. Diamond et S. Zaidman. C’est
l’exode. La foule attend devant les
gares, un hypothétique train bondé.
Le départ des évacués à la
gare de Lyon le 12 Juin 1940 au soir Inv. 1979.09324.4
Gare de Fontainebleau le 12
juin 1940. – inv. 1979.09324.56
Après le 12 juin, les grandes gares
parisiennes ferment, et, le 14 juin, les armées allemandes entrent dans Paris tandis
que le gouvernement s’installe à Bordeaux. Pour les réfugiés, il s’agit de
franchir la Loire avant les allemands.
Sur la route de
Fontainebleau le 13 juin 1940 / Laurensou, 1979.09324.23
Sur la route de Buzançay
(Indre-et-Loire), 15 juin 1940 / Inv. 1979.09324.63
Les bombardements et les
véhicules en panne qui jonchent la route ralentissent l’évacuation. Les
réfugiés épuisés arrivent souvent à destination… précédés par les allemands
dont la progression est fulgurante.
« Quand
on a su que les allemands arrivaient, on a pris des affaires et on est parti de
Montceau à vélo pour aller dans la famille à Mâcon. On a pris les petites
routes, on a mis deux jours et quand on est arrivé, les allemands étaient déjà
là… alors on est revenu, toujours à vélo. » (Témoignage de Jeanne P. Montcellienne)
«
L'avance de l'armée allemande était menaçante. C'était une menace de vols,
pillages, de représailles et de toutes sortes d'exactions. Alors les gens
fuyaient. Et il ne faut pas oublier que le mouvement était parti du nord et des
départements de l'est, venant de gens qui avaient déjà connu l'exode en 14-18,
qui avaient été chassés de leur foyer et qui donc avaient fui en entraînant
avec eux les habitants des villes et des villages qu'ils traversaient, un mouvement
général, les uns entraînant les autres... En outre il y avait des gens qui,
comme mon père, à cause de ce qu'ils étaient, de ce qu'ils avaient fait,
avaient tout à redouter des sévices de qui venait envahir l'espace français. Et
puis, il y avait eu, pour le Bassin Minier à forte population ouvrière, l'ordre
d'évacuer. Qui a donné cet ordre ? Nul ne le sait aujourd'hui. Toujours est-il
que mon père ne voulait pas nous laisser sur place, d'autant que le Bassin
Minier venait d'être bombardé... »
«
En mai 1940, la débâcle est arrivée... Tout le monde descendait pour aller on
ne sait où... En juin, mon père a donc voulu nous emmener, avec sa vieille 201,
jusqu'à La Gravoine, petite bourgade à 7 km au nord de Paray. Cette petite gare
nous a accueillis, mais elle a été bombardée le même jour, le 16 juin. Elle a
beaucoup souffert, 11 bombes étaient tombées dans le jardin et il n'y avait
plus ni portes, ni fenêtres. Nous ne pouvions pas y rester... » (Témoignage de Roger T. Sanvignard)
Scène d’exode à
Châteauneuf-sur-Loire (Loiret) / Le Dantec 17 juin 1940, inv. 1979.09324.27
Montoire-sur-le-Loir (Loir-et-Cher)
/ Christiane Crosnier. - le 15 juin 1940. – inv. 1979.09324.45
Arrivée des réfugiés à
Rodez, 13 juin 1940 / Élise Raymond. Inv. 1979.09324.11
A Puiseaux (Loiret) vers le
16 juin 1940 : « les Allemands étaient arrivés avant nous » / D. Vidal. – Inv.
1979.09324.11
Après la démission de Paul
Reynaud, Président du Conseil, le maréchal Pétain prend sa place. Il demande
l’armistice aux allemands et demande aux Français de cesser le combat, cette
dernière est signée le 22 juin. Promettant la fin de l’exode et du chaos, ce
sera le retour de nombreux réfugiés.
Scène d’exode à Tiffauges
(Vendée) : « Nous avions marché toute une journée pour arriver enfin dans une
ferme où depuis la veille était arrivés d'autres refugiés; nous nous installâmes
pour la nuit dans la paille et le lendemain jour de l'armistice on repartait
pour Paris » / Gérier. – Inv. 1979.09324.37
Les autorités allemandes et
françaises commencent à organiser le rapatriement des réfugiés, notamment ceux
utiles à l’effort de guerre allemand, laissant un spectacle de désolation sur
les routes : animaux morts, ponts, routes, voies ferrées endommagés et il
n’est pas facile de rejoindre son point de départ après l’installation de la
ligne de démarcation qu’il faut alors traverser sous les contrôles allemands et
français (2).
Forêt aux alentours de
Dixmont le 23 juillet 1940 / D. Bellenti. – Inv. 1979.09324.24
Moulins - 23 Septembre 1940
- Passage de la ligne de démarcation / Jeanine Studinowski. Inv. 1979.09329.2
Zone de démarcation, Vierzon
/ P. Pasquelot. Inv. 1979.09329.2
Contrôle des véhicules à la
porte d’Italie, été-automne 1940 / Raymonde Cohendet. – Inv. 1979.09329.5
La
rentrée 1939 avait-elle eu lieu ?
En septembre 1939, le
gouvernement demande aux parents de respecter l’obligation scolaire et
d’inscrire normalement leurs enfants dans l’école de leur résidence. Le 26
septembre, le ministre de l’Education nationale fixe la rentrée scolaire au 2
octobre pour les écoles primaires.
Le Petit Parisien, le 9
septembre 1939 (RetroNews-BnF)
Paris Soir, le 3 octobre
1939 (RetroNews-BnF)
Les évacuations concernant
les enfants s’étant multipliées dans les régions du Nord, cette date devint
aléatoire, du fait aussi du manque de locaux dans certaines communes d’accueil
et du nombre de maîtres mobilisés. Le 30 septembre, Yvon Delbos, ministre de
l’Education nationale invita les élus de la région parisienne à prendre des
dispositions pour un éventuel départ des jeunes enfants vers la province. Des
départs avaient déjà été organisés et, dans la confusion, une décision
d’ouverture des lycées fut prise pour la période entre le 9 et le 16 octobre,
tandis que les écoles primaires ne devaient ouvrir leurs portes qu’en décembre.
Dans les faits, cette décision ne sera que peu respectée dans les régions de
conflit.
Récit-témoignage publié dans
la Grande Revue, septembre 1939 (Syndicat national des instituteurs,
ANMT201114329)
Plusieurs solutions furent
dès lors envisagées pour pallier le manque de locaux et de maîtres. On fit
appel aux professeurs retraités, on réduisit les heures de cours et on inaugura
même l’enseignement radiophonique !
Le Journal, 7 novembre 1939 (RetroNews-BnF)
Le Petit Parisien, 6
décembre 1939 (RetroNews-BnF)
En cette fin d’année 1939,
l’école s’installa dans une période de guerre qui rappela, à beaucoup de points
de vue, le premier conflit mondial. Le patriotisme revint au cœur de l’enseignement,
le destin de la France va se jouer, pense-t-on, dans l’ardeur de ses enfants au
travail qui vont, à nouveau, être mobilisés. A eux de préparer des colis pour
les soldats et d’aider les mamans seules à « supporter les tourments de la
guerre ».
Journal scolaire de la classe de M. Boutavant, mobilisé, Mont-Saint-Vincent,
1939 (collection privée)
Pétain
et la jeunesse
Le vieux maréchal se méfie
de cette jeunesse que les pulsions de son jeune âge pourraient jeter dans les
bras de la Résistance : « L’atmosphère
malsaine dans laquelle ont grandi beaucoup de vos aînés a détendu leur énergie,
amolli leur courage », s’indigne-t-il en 1940 s’adressant à la
jeunesse. Désormais les bals seront interdits aux jeunes et les sinistres
chantiers de jeunesse verront le jour : campements paramilitaires (patrie)
où les jeunes hommes de plus de 20 ans doivent servir pendant huit mois. 400 000
garçons effectueront des travaux ingrats et « profiteront » de la
propagande vichyste délivrée par les moniteurs. Et pour les filles ?
Depuis l’adolescence, elles sont poussées vers des centres d’apprentissage où
on leur apprend les travaux domestiques (travail), fidèles à la doctrine
pétainiste qui les destinent au foyer (famille). L’époque n’est plus à la
scolarisation longue voulue par Jean Zay, 5 à 7% des enfants seulement poursuivront
leurs études après l’école élémentaire.
Pour aller plus loin : Relire les deux articles du blog : Regard sur l’école de Vichy, juin
1940-septembre 1945 : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/06/lecole-sous-vichy.html#more et De Jean Zay au régime de Vichy, deux visions
de l’enseignement : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2022/04/de-jean-zay-au-regime-de-vichy.html#more.
Après
Vichy : le Conseil de la Résistance
Un article de ce blog a été
consacré à cette période de reconstruction de l’école publique, je vous invite
à le consulter : L’école après la
guerre (période 1945-1980), entre inquiétudes et innovations : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2020/10/lecoledapres-guerre-periode1945-1980.html#more
Sources :
-
Documentation, archives et blog du musée.
-
Dessins
d’exode / Yves Gaulupeau, Antoine Prost. – Tallandier, 2003.
-
Fonds de dessins du MUNAE (MUsée NAtional de
l’En) réalisés de 1936 à 1941 par des jeunes élèves parisiennes de Cours
Complémentaire de l'École de jeunes filles, 123 rue de Patay, à Paris (13e)
dont l’enseignante était Adrienne Jouclard.
-
1940 : les
Parisiens dans l’exode : [Exposition Musée de la Libération de Paris –
Musée du général Leclerc – Musée Jean Moulin] / Hanna Diamond, Sylvie Zaidman.
– Paris Musées, 2020.
-
www.retronews.fr
(1) :
Adrienne
Jouclard, peintre, dessinatrice et graveuse, est née en 1882 et décédée en
1972. L'année scolaire 1940-1941, au terme de laquelle elle met fin à son
activité d'enseignante, reste marquée par les dessins qu'elle sollicite des
jeunes filles qui sont ses élèves pour représenter la vie quotidienne sous
la Seconde Guerre mondiale. Ces dessins constituent « un récit à cent voix d'un moment décisif de
l'histoire » dont elle fit don en
1957 et qui sont aujourd'hui conservés à Rouen au musée National
de l'Éducation.
Adrienne Jouclard (republicain-lorraun.fr)
Adrienne
Jouclard, autoportrait (Art-Lorrain.com)
(2) :
La ligne de
démarcation dans notre région
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