mardi 27 août 2024

1940 : les enfants dans l'exode

 

Les enfants de 40

Panneau scolaire Rossignol, l’exode en 1940, détail (collection musée)

Avant l’occupation, l’exode

Après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à cette dernière, le 3 septembre 1939. Après une courte « drôle de guerre », round d’observation, les Allemands envahissent la France par la Belgique, le Luxembourg neutre et les Pays-Bas. 520 000 civils sont immédiatement évacués des zones frontalières, puis la panique jette entre 6 et 8 millions de français sur les routes en direction du sud. Dans cette cohue indescriptible, un tiers sont des enfants et 90 000 d’entre eux se perdront et seront ainsi séparés de leurs parents, à l’image de la petite Paulette (Brigitte Fossey), errant dans la France sordide du film Jeux interdits de René Clément (à revoir).


(Roger-Viollet/Paris musée)

Extrait du film de René clément Jeux interdits

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Le 14 juin 1940, les allemands défilent à Paris et le 17 juin, ils seront à Montceau-les-Mines. L’armistice est signé et le rapatriement des « déplacés » va commencer. Pour les enfants perdus, la situation est complexe, les journaux vont publier des pages entières de petites annonces présentant leur photo, à la recherche de leur famille.

Journal Pour Elle, n°4, avis de recherche (RetroNews-BnF)

Le Musée national de l’Éducation possède dans ses collections un fonds de dessins réalisés de 1936 à 1941 par des jeunes élèves parisiennes de cours complémentaire dont l’enseignante était Adrienne Jouclard (1). 206 de ces dessins représentent des scènes d’actualité de l’époque dont certains concernent l’exode de juin 1940, tous ont une localisation précise, qui désigne soit un lieu de départ, soit un lieu de transit, soit un lieu d’arrivée. 

Les « petits Paris », comme on les a appelés, étiquetés et évacués vers la Creuse en 1939 (©Keystone)

Entre le 25 août et le 1er septembre 1939, bien que la guerre ne fût pas encore déclarée, l’administration avait évacué les enfants des départements de la Seine vers des bâtiments servant aux colonies de vacances. Paris n’étant pas immédiatement menacé après la déclaration de guerre, les enfants avaient vite regagné leur foyer.

Rapport d’évacuation, septembre 1939, centre d’accueil du Calvados (Syndicat national des instituteurs, ANMT201114329)

 

Les parisiens ont le souvenir de la victoire de 1918 et ne sont pas inquiets… Mais, le 13 mai, les Allemands franchissent la Meuse près de Sedan. Les populations civiles terrifiées commencent à fuir, alors même qu’aucun ordre d’évacuation n’a été donné. La panique s’installe fin mai, lorsque les réfugiés du nord et de l’est de la France commencent à affluer à côté des Belges et que le gouvernement ne peut plus cacher la situation réelle. 

Les parisiens lisent les plans d’évacuation des civils vers les villes de province, bien après le départ du gouvernement, le 10 juin (©Keystone)

A l’arrivée des premiers soldats français en déroute, les Parisiens prennent conscience peu à peu que plus rien ne s’oppose à ce que les Allemands s’emparent de la capitale. C’est la fuite vers le sud, avec des moyens de fortune : beaucoup de piétons, peu de voitures, quelques charrettes… 

Passage des réfugiés des Ardennes et de la Marne sur le pont de Nogent-sur-Seine (Aube) / Heude. - Inv. 1979.09324.14

Rue Morand, 2 juin 1940 / Ida Milkis. – inv. 1979.09324.26

Le 3 juin, la capitale est bombardée. Le département de la Seine, dont Paris, fait partie des zones de combat. Le 5 juin, le Général de Gaulle, qui a prouvé sa valeur lors des précédents combats, est nommé sous-secrétaire d’Etat à la Défense nationale. 

Sur la route de Vierzon (Cher), 6 juin 1940 / Denise Lannuzel. – inv. 1979.09324.33

Les rumeurs sur un départ du gouvernement se faisant de plus en plus pressantes et bien que la radio essaie de rassurer les Parisiens et les exhorte à ne pas céder à la panique, rien n’y fait. La fermeture de toutes les écoles le 8 juin rajoute à l’angoisse et le 10 juin, le gouvernement quitte Paris alors qu’aucun plan d’évacuation n’a été prévu pour les civils : « dans certains cas, les employeurs annoncent que l’usine est évacuée et que des transports sont mis en place, mais, le plus souvent, les ouvriers sont laissés en plan, sans savoir ce qu’ils doivent faire » H. Diamond et S. Zaidman. C’est l’exode. La foule attend devant les gares, un hypothétique train bondé.

Le départ des évacués à la gare de Lyon le 12 Juin 1940 au soir Inv. 1979.09324.4

Gare de Fontainebleau le 12 juin 1940. – inv. 1979.09324.56  

 Après le 12 juin, les grandes gares parisiennes ferment, et, le 14 juin, les armées allemandes entrent dans Paris tandis que le gouvernement s’installe à Bordeaux. Pour les réfugiés, il s’agit de franchir la Loire avant les allemands. 

Sur la route de Fontainebleau le 13 juin 1940 / Laurensou, 1979.09324.23

Sur la route de Buzançay (Indre-et-Loire), 15 juin 1940 / Inv. 1979.09324.63

Les bombardements et les véhicules en panne qui jonchent la route ralentissent l’évacuation. Les réfugiés épuisés arrivent souvent à destination… précédés par les allemands dont la progression est fulgurante.

« Quand on a su que les allemands arrivaient, on a pris des affaires et on est parti de Montceau à vélo pour aller dans la famille à Mâcon. On a pris les petites routes, on a mis deux jours et quand on est arrivé, les allemands étaient déjà là… alors on est revenu, toujours à vélo. » (Témoignage de Jeanne P. Montcellienne)

« L'avance de l'armée allemande était menaçante. C'était une menace de vols, pillages, de représailles et de toutes sortes d'exactions. Alors les gens fuyaient. Et il ne faut pas oublier que le mouvement était parti du nord et des départements de l'est, venant de gens qui avaient déjà connu l'exode en 14-18, qui avaient été chassés de leur foyer et qui donc avaient fui en entraînant avec eux les habitants des villes et des villages qu'ils traversaient, un mouvement général, les uns entraînant les autres... En outre il y avait des gens qui, comme mon père, à cause de ce qu'ils étaient, de ce qu'ils avaient fait, avaient tout à redouter des sévices de qui venait envahir l'espace français. Et puis, il y avait eu, pour le Bassin Minier à forte population ouvrière, l'ordre d'évacuer. Qui a donné cet ordre ? Nul ne le sait aujourd'hui. Toujours est-il que mon père ne voulait pas nous laisser sur place, d'autant que le Bassin Minier venait d'être bombardé... »

« En mai 1940, la débâcle est arrivée... Tout le monde descendait pour aller on ne sait où... En juin, mon père a donc voulu nous emmener, avec sa vieille 201, jusqu'à La Gravoine, petite bourgade à 7 km au nord de Paray. Cette petite gare nous a accueillis, mais elle a été bombardée le même jour, le 16 juin. Elle a beaucoup souffert, 11 bombes étaient tombées dans le jardin et il n'y avait plus ni portes, ni fenêtres. Nous ne pouvions pas y rester... » (Témoignage de Roger T. Sanvignard)

Scène d’exode à Châteauneuf-sur-Loire (Loiret) / Le Dantec 17 juin 1940, inv. 1979.09324.27

Montoire-sur-le-Loir (Loir-et-Cher) / Christiane Crosnier. - le 15 juin 1940. – inv. 1979.09324.45 

Arrivée des réfugiés à Rodez, 13 juin 1940 / Élise Raymond. Inv. 1979.09324.11

A Puiseaux (Loiret) vers le 16 juin 1940 : « les Allemands étaient arrivés avant nous » / D. Vidal. – Inv. 1979.09324.11

Après la démission de Paul Reynaud, Président du Conseil, le maréchal Pétain prend sa place. Il demande l’armistice aux allemands et demande aux Français de cesser le combat, cette dernière est signée le 22 juin. Promettant la fin de l’exode et du chaos, ce sera le retour de nombreux réfugiés. 

Scène d’exode à Tiffauges (Vendée) : « Nous avions marché toute une journée pour arriver enfin dans une ferme où depuis la veille était arrivés d'autres refugiés; nous nous installâmes pour la nuit dans la paille et le lendemain jour de l'armistice on repartait pour Paris » / Gérier. – Inv. 1979.09324.37

Les autorités allemandes et françaises commencent à organiser le rapatriement des réfugiés, notamment ceux utiles à l’effort de guerre allemand, laissant un spectacle de désolation sur les routes : animaux morts, ponts, routes, voies ferrées endommagés et il n’est pas facile de rejoindre son point de départ après l’installation de la ligne de démarcation qu’il faut alors traverser sous les contrôles allemands et français (2).

Forêt aux alentours de Dixmont le 23 juillet 1940 / D. Bellenti. – Inv. 1979.09324.24

Moulins - 23 Septembre 1940 - Passage de la ligne de démarcation / Jeanine Studinowski. Inv. 1979.09329.2

Zone de démarcation, Vierzon / P. Pasquelot. Inv. 1979.09329.2

Contrôle des véhicules à la porte d’Italie, été-automne 1940 / Raymonde Cohendet. – Inv. 1979.09329.5

La rentrée 1939 avait-elle eu  lieu ?

En septembre 1939, le gouvernement demande aux parents de respecter l’obligation scolaire et d’inscrire normalement leurs enfants dans l’école de leur résidence. Le 26 septembre, le ministre de l’Education nationale fixe la rentrée scolaire au 2 octobre pour les écoles primaires. 



Le Petit Parisien, le 9 septembre 1939 (RetroNews-BnF)


Paris Soir, le 3 octobre 1939 (RetroNews-BnF)

Les évacuations concernant les enfants s’étant multipliées dans les régions du Nord, cette date devint aléatoire, du fait aussi du manque de locaux dans certaines communes d’accueil et du nombre de maîtres mobilisés. Le 30 septembre, Yvon Delbos, ministre de l’Education nationale invita les élus de la région parisienne à prendre des dispositions pour un éventuel départ des jeunes enfants vers la province. Des départs avaient déjà été organisés et, dans la confusion, une décision d’ouverture des lycées fut prise pour la période entre le 9 et le 16 octobre, tandis que les écoles primaires ne devaient ouvrir leurs portes qu’en décembre. Dans les faits, cette décision ne sera que peu respectée dans les régions de conflit.

Récit-témoignage publié dans la Grande Revue, septembre 1939 (Syndicat national des instituteurs, ANMT201114329)

Plusieurs solutions furent dès lors envisagées pour pallier le manque de locaux et de maîtres. On fit appel aux professeurs retraités, on réduisit les heures de cours et on inaugura même l’enseignement radiophonique !

Le Journal, 7 novembre 1939 (RetroNews-BnF)


Le Petit Parisien, 6 décembre 1939 (RetroNews-BnF)

En cette fin d’année 1939, l’école s’installa dans une période de guerre qui rappela, à beaucoup de points de vue, le premier conflit mondial. Le patriotisme revint au cœur de l’enseignement, le destin de la France va se jouer, pense-t-on, dans l’ardeur de ses enfants au travail qui vont, à nouveau, être mobilisés. A eux de préparer des colis pour les soldats et d’aider les mamans seules à « supporter les tourments de la guerre ». 

Journal scolaire de la classe de M. Boutavant, mobilisé, Mont-Saint-Vincent, 1939 (collection privée)

Pétain et la jeunesse

Le vieux maréchal se méfie de cette jeunesse que les pulsions de son jeune âge pourraient jeter dans les bras de la Résistance : « L’atmosphère malsaine dans laquelle ont grandi beaucoup de vos aînés a détendu leur énergie, amolli leur courage », s’indigne-t-il en 1940 s’adressant à la jeunesse. Désormais les bals seront interdits aux jeunes et les sinistres chantiers de jeunesse verront le jour : campements paramilitaires (patrie) où les jeunes hommes de plus de 20 ans doivent servir pendant huit mois. 400 000 garçons effectueront des travaux ingrats et « profiteront » de la propagande vichyste délivrée par les moniteurs. Et pour les filles ? Depuis l’adolescence, elles sont poussées vers des centres d’apprentissage où on leur apprend les travaux domestiques (travail), fidèles à la doctrine pétainiste qui les destinent au foyer (famille). L’époque n’est plus à la scolarisation longue voulue par Jean Zay, 5 à 7% des enfants seulement poursuivront leurs études après l’école élémentaire. 


Pour aller plus loin : Relire les deux articles du blog : Regard sur l’école de Vichy, juin 1940-septembre 1945 : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/06/lecole-sous-vichy.html#more et De Jean Zay au régime de Vichy, deux visions de l’enseignement : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2022/04/de-jean-zay-au-regime-de-vichy.html#more.

Après Vichy : le Conseil de la Résistance

Un article de ce blog a été consacré à cette période de reconstruction de l’école publique, je vous invite à le consulter : L’école après la guerre (période 1945-1980), entre inquiétudes et innovations : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2020/10/lecoledapres-guerre-periode1945-1980.html#more

Sources :

-       Documentation, archives et blog du musée.

-       Dessins d’exode / Yves Gaulupeau, Antoine Prost. – Tallandier, 2003.

-       Fonds de dessins du MUNAE (MUsée NAtional de l’En) réalisés de 1936 à 1941 par des jeunes élèves parisiennes de Cours Complémentaire de l'École de jeunes filles, 123 rue de Patay, à Paris (13e)  dont l’enseignante était Adrienne Jouclard.

-       1940 : les Parisiens dans l’exode : [Exposition Musée de la Libération de Paris – Musée du général Leclerc – Musée Jean Moulin] / Hanna Diamond, Sylvie Zaidman. – Paris Musées, 2020.

-       www.retronews.fr

 

(1) :

Adrienne Jouclard, peintre, dessinatrice et graveuse, est née en 1882 et décédée en 1972. L'année scolaire 1940-1941, au terme de laquelle elle met fin à son activité d'enseignante, reste marquée par les dessins qu'elle sollicite des jeunes filles qui sont ses élèves pour représenter la vie quotidienne sous la Seconde Guerre mondiale. Ces dessins constituent « un récit à cent voix d'un moment décisif de l'histoire » dont elle fit don en 1957 et qui sont aujourd'hui conservés à Rouen au musée National de l'Éducation.

Adrienne Jouclard (republicain-lorraun.fr)

Adrienne Jouclard, autoportrait (Art-Lorrain.com)


(2) :

La ligne de démarcation dans notre région


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