lundi 25 août 2025

Bonjour Monsieur l'Inspecteur, 1882, à Montceau-les-Mines

 

Bonjour Monsieur l’Inspecteur

École de la rue de l’Est (rue Jean Jaurès, actuel musée), à gauche le bâtiment qui accueillit longtemps l’inspection primaire maintenant désaffecté (collection musée)

L’implantation de l’Instruction publique à Montceau-les-Mines

À ville nouvelle structures nouvelles. Jusqu’à la fin des années 1870, la vie de la toute jeune commune de Montceau-les-Mines, créée en 1856, fut intimement liée à celle de la Mine, notamment au niveau des locaux communaux et des écoles patronales. Il est en effet établi qu’à sa création et pour de longues années, la commune ne posséda aucun édifice public et n’eut ni rues, ni places, ni école publique digne de ce nom. Ce sera chose faite pour cette dernière en 1881, avec l’ouverture des deux premières écoles publiques de filles et de garçons. Suivra la création d’une École Primaire Supérieure, première du département, sous l’impulsion du maire républicain Octave Jeannin (1881) et la création de la circonscription scolaire de Montceau (1882). Revenons sur la nomination d’Edme Victor Achille Durlot, son premier inspecteur…

Le 28 décembre 1882 eut lieu la répartition du « service de l’inspection primaire dans le département de Saône-et-Loire.» Par un arrêté du ministre Duvaux, seule fut annoncée la nomination d’un inspecteur primaire, Monsieur Durlot, dans une 6e circonscription départementale, avec la mention « Emploi nouveau (Arrêté du 15 décembre 1882) », car cette circonscription venait en effet d’être créée. D’après le Bulletin de l’Instruction Primaire n° 52 de janvier-février 1883, pages 378-379.

École de la rue Jean Jaurès, actuel musée, à gauche le bâtiment qui accueillait encore l’inspection en 2024

Reste à savoir si cette nouvelle inspection fut déjà installée dans le bâtiment jouxtant l’école de la rue de l’Est (actuelle Jean Jaurès) dès 1882. La carte postale présentée en début d’article porte le cachet de la poste de novembre 1907, on remarque d’ailleurs que le Syndicat des mineurs n’est pas encore construit (1908). Dans les années 20, l’inspecteur était installé dans le bâtiment en question, son bureau au rez-de-chaussée et ses appartements au-dessus. Jusque dans les années 50, il n’y avait pas de secrétariat, c’était un directeur d’école désigné qui s’occupait du secrétariat. Un des derniers (ou le dernier) fut Monsieur Joly, directeur de l’école Jean Jaurès qui secondait alors Monsieur Hustache, inspecteur, avant l’arrivée d’une secrétaire de circonscription, Madame Létourneau…

Notice individuelle d’Edme Durlot, 1887 (AD71-série T)

Ainsi donc Edme Durlot arriva-t-il à Montceau-les-Mines, nommé le 12 décembre 1882. Né le 8 octobre 1843 à Lasson, dans l’Yonne, il avait débuté sa carrière comme instituteur-adjoint le 27 octobre 1863 à Vermenton, muni d’un brevet complet (brevets élémentaire et supérieur). Il exercera successivement à Bussière, Flogny, Charny, avant d’arriver en Saône-et-Loire comme inspecteur primaire à Montceau. Marié le 12 septembre 1865 à Eugénie Azélie Bouchu, il eut deux enfants dont son fils Paul qui devint instituteur-adjoint à Chalon-sur Saône. 

États de service d’Edme Durlot, 1887 (AD71-série T)

Titulaire de la médaille d’Officier d’Académie, une note confidentielle du 8 juin 1886, signée par le sous-préfet de Chalon « confirme » ses capacités et caractère liés à sa fonction : marié à une femme « ordinaire » ; très bonnes conduite et moralité ; physique, tenue et manières très convenables ; bonne santé sans infirmités ; attitude politique et sentiments politiques réels : républicain ; caractère facile ; peu de relations et de fréquentations ; bien considéré par la population ; situation de fortune et charges qui lui incombent : néant mais deux enfants à élever ; et enfin, une intelligence et des habitudes du travail suffisantes. 

Note de « police » d’Edme Durlot, 1886 (AD71-série T)

On peut penser qu’Edme Durlot fit preuve de capacités reconnues dans son métier au regard de sa nomination au grade d’inspecteur alors qu’il n’était qu’instituteur titulaire en 1882, avec une ancienneté de 18 ans. Du reste, on trouve nombre d’indices aux Archives départementales de Saône-et-Loire série-3T où sont conservées ses notes sur les écoles et le personnel de 1882 à 1892. On retrouve aussi sa trace dans le Catalogue Général Officiel de l’Exposition universelle de 1889, durant laquelle ses travaux pédagogiques furent présentés au sein du Pavillon de l’Instruction publique.




Pour rappel et erratum

En 2019 était publié sur ce blog, un article sur le rôle des inspecteurs primaires dans le dispositif des lois Ferry. J’y présentais les minutes des conférences pédagogiques tenues à Palinges, sous la présidence de « l’inspecteur Clère de la circonscription de Montceau (1881-1882) ». Or, cette circonscription n’est créée que le 12 décembre 1882, avec la nomination de l’inspecteur Durlot. Dont acte. Clère était l’inspecteur de la circonscription de Charolles. L’erreur est rectifiée…

Extrait du Manuel général de l’Instruction primaire, année 1882 (Bibliothèque historique de l’Education nationale)

À revoir : l’article du 1er novembre 2019

Monsieur l’Inspecteur Primaire

Ou le triomphe de l’Instruction publique

Registre des conférences pédagogiques, Inspection de Charolles  (collection musée)

Monsieur l'Inspecteur vit à l'ombre de la sous-préfecture. Il se déplace par chemin de fer, mais il ne craint pas d'aller à bicyclette d'un point à l'autre de sa circonscription, quel que soit le temps, canicule ou frimas. 

Ecole de campagne (CANOPE)

"Il arrivait qu'alors et une fois par an, venait s'abattre au milieu de l'école, comme le grec de Marathon au milieu d'Athènes, un enfant d'une dizaine d'années, les cheveux collés aux tempes, tant la sueur était abondante, les joues écarlates tant la course furieuse avait fouetté le sang.

Le grec, c'est-à-dire l'enfant essoufflé, mourant, tendait à l'instituteur du lieu une lettre qui n'était pas toujours scellée d'un cachet noir, mais qui aurait toujours dû l'être, car elle était des plus néfastes que notre maître d'école pût recevoir. La lettre contenait rarement plus que cette phrase traditionnelle pour les 30 000 instituteurs de la France d'alors : "L'Inspecteur sort d'ici et va chez vous ; prenez vos mesures. Votre collègue affectionné." (..)

L'instituteur qui, à la vue de l'enfant, avait ressenti les premières atteintes d'un tremblement convulsif, devenait livide  et se mettait à s'agiter des pieds à la tête, ni plus ni moins que s'il venait de passer dix ans dans les marais pontins... On entendait ses mains et ses dents s'entrechoquer avec un bruit grêle qui donnait la chair de poule aux plus incorrigibles marmots. Cependant, avec un suprême effort, il faisait l'annonce de la nouvelle fatale. Sa voix n'avait plus rien d'humain : "Mes enfants... Monsieur l'Inspecteur... va arriver. Vite ! Préparez vos cahiers et vos livres." (..) Pendant que les uns faisaient couler sur leurs visages et sur leurs mains un fleuve de salive destiné à leur rendre la pureté baptismale, les autres s'emparaient des plumes et des crayons à leur portée et les transformaient en peignes pour les cheveux. L'instituteur un peu remis pensait, lui, à la salle de classe. Il époussetait par ci... il balayait par là... partout il avait l'œil..."

("SCENES DE LA VIE D'UN INSTITUTEUR" P.LUIZ, 1868)

La série T des Archives départementales de Saône-et-Loire, liasse 72, renferme quelques rapports que les Inspecteurs primaires devaient faire à l’Inspecteur d’Académie. Un de ses rapports, rédigé par l’Inspecteur primaire de Charolles en 1880, dans lequel il donne son avis sur l’état de l’enseignement dans sa circonscription, est particulièrement intéressant puisqu’il est suivi d’un rapport de même nature, rédigé par un autre inspecteur 22 ans plus tard (en 1902), pour la même circonscription. Bien plus loquace que son précédent confrère, il y note l’évolution de la situation, sans triomphalisme, mais non sans une satisfaction certaine du chemin parcouru.

Premier témoignage

En 1880, à la veille des lois laïques, le premier Inspecteur écrit : « Sur ces 41 écoles primaires, 10 sont bonnes, 15 assez bonnes, 11 médiocres et 5 mauvaises. Les maîtres de nos écoles cherchent à se familiariser de plus en plus  avec les bonnes méthodes mais il est encore quelques points sur lesquels il est important d’appeler leur attention :

La lecture est généralement négligée. Quand les instituteurs ont obtenu des élèves toutes les liaisons, ils croient avoir tout fait. Ils ne s’occupent ni du ton, ni de la prononciation. L’explication est insuffisante. Les livres de lecture dans quelques écoles laïques et dans toutes les écoles congréganistes sont mal choisis. Ils ne sont ni intéressants, ni instructifs.

L’écriture n’est pas assez soignée. Pour que ces enseignements donnent de meilleurs résultats, il est nécessaire que les maîtres corrigent régulièrement les cahiers et qu’ils fassent remarquer aux enfants les lettres les plus défectueuses.

Leçon d’écriture, 1908 (collection musée)

Les cahiers de mise au net ne sont pas toujours exempts de fautes. L’instituteur doit les revoir attentivement et marquer les corrections à l’encre rouge afin de frapper les yeux des enfants.

En leçon de grammaire et en leçon de calcul, les enfants ne parlent qu’accidentellement. On ne cultive pas assez le raisonnement.

Dans l’enseignement de la géographie, on ne fait pas assez souvent usage de la carte et du tableau noir. La mémoire seule des enfants est en jeu. Il en est de même pour l’enseignement de l’histoire. Ici, c’est le maître qui parle trop peu. Quand il aura pris l’habitude de faire des récits, les enfants étudieront l’histoire de France avec plaisir et les progrès seront moins lents qu’aujourd’hui. 

Leçon de géographie, 1891 (collection musée)

Je n’ai rencontré que quelques écoles où les enfants apprennent et récitent des fables. Encore cette étude n’est-elle pas régulière. J’insiste vivement pour que dans toutes les écoles communales il y ait au moins une demi-heure de récitation littérale chaque semaine. »

Deuxième témoignage

En 1902, le deuxième Inspecteur écrit ; « L’éducation physique n’est pas négligée. La revue de propreté est régulièrement faite ; les mouvements d’entrée et de sortie ont lieu en ordre ; les salles de classes sont soigneusement balayées et aérées ; les récréations sont surveillées, très animées.

Le travail manuel, dans les écoles de garçons, se borne, et j’estime que cela est suffisant, a des exercices de pliage ou de découpage de papiers diversement coloriés. Ces exercices – en usage surtout dans les cours élémentaires – forment un utile complément des exercices de dessin. Dans les écoles de filles, l’enseignement de la couture et du tricot donne des résultats satisfaisants. L’épreuve de couture au Certificat d’études primaires en a fourni presque partout une preuve convaincante. Il y a un progrès sensible dans l’enseignement de la lecture, de l’histoire de France, de la composition française.

(collection musée)

La lecture est plus distincte. Les élèves articulent mieux, lisent moins vite. Les explications sont devenues plus précises.

En histoire, les leçons mieux préparées, complétées par des lectures choisies, sont plus vivantes, plus intéressantes. Sans négliger les temps antérieurs à 1789, on a étudié avec un certain développement l’histoire contemporaine et le cours a été fait dans un esprit réellement démocratique.

Cahier de composition française, 1912 (collection musée)

Le progrès, en composition française, porte à la fois sur le choix des sujets et sur la correction des devoirs écrits. On donne surtout, comme exercices, des descriptions d’objets et de spectacles vus, des narrations faciles, des lettres de caractère pratique. Les corrections écrites, plus soignées et plus précises qu’autrefois, portent non seulement sur la forme mais encore sur le fond, et, souvent, les élèves sont invités à recopier leur devoir en tenant compte des observations et des corrections du maître. [Voir à ce sujet l’article : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/03/la-redaction-lecole-primaire-de-1878.html]

Leçon de dessin, vers 1900 (collection musée)

Le dessin est enseigné d’une manière satisfaisante, surtout le dessin à vue et à main levée. Dans un certain nombre d’écoles, les élèves y ont acquis une réelle sûreté de main et une grande justesse de coup d’œil.

On pourrait souhaiter des améliorations en ce qui concerne l’enseignement du calcul, des sciences et même de l’écriture. Il y aurait lieu de faire une place plus importante au calcul mental, d’en étudier et d’en enseigner les procédés spéciaux.

L’enseignement de l’écriture n’est pas toujours méthodique. On oublie trop facilement les principes. On ne fait plus assez attention à la tenue de la plume et du corps. S’il est un grand nombre d’écoles où tous les devoirs sont écrits avec soin, il en est quelques-unes aussi où l’écriture est généralement médiocre, où le maître lui-même, dans ses annotations de devoirs donne l’exemple de l’écriture négligée. Je voudrais que tous les élèves eussent une écriture ferme, nette et régulière.

(collection musée)

L’enseignement des sciences physiques et naturelles n’est trop souvent qu’un enseignement de mots. On enseigne les sciences comme l’histoire : on fait un exposé, un récit. Cependant, la notice publiée en 1897 par les soins du ministre de l’Instruction Publique contient, sur l’enseignement des sciences appliquées à l’agriculture les instructions les plus précises ; cet enseignement devrait être donné sous forme d’entretiens ou d’interrogations prenant pour base les choses ou les faits qui auront frappé les sens des élèves. On devrait invoquer les phénomènes naturels connus, instituer des expériences simples, montrer des objets, des images, des dessins empruntés au musée scolaire de l’école : bref rendre cet enseignement vivant et concret.

Au cours général de sciences devraient être rajoutées six ou huit leçons environ sur l’agriculture locale : son état et les améliorations dont elle est susceptible.

L’enseignement ménager donné dans la plupart des écoles de filles comprend : 1° des notions d’hygiène ; 2° des notions d’économie domestique ; 3° des notions de cuisine. On y joint des exercices pratiques – pour l’économie domestique : le dégraissage des étoffes, l’enlèvement des taches, le nettoyage des ustensiles de cuisine, etc. ; pour la cuisine, la confection sous la direction de l’institutrice de quelques aliments : pot-au-feu, fritures, pâtisseries pour dessert, etc. – Cet enseignement est très apprécié des élèves et des familles. . [Voir à ce sujet l’article : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2025/01/lenseignement-menager-public-montceau.html#more ainsi que https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2025/01/ecoles-menageres-patronales-montceau-et.html#more ]

Cahier de morale, vers 1900 (collection musée)

L’éducation morale donnée dans nos écoles est bonne. Les maîtres agissent à la fois par leurs leçons et par leur exemple, et – quoi qu’en disent les ennemis de nos écoles – cet enseignement donne des résultats satisfaisants. Les enfants sont des plus polis, plus serviables, plus affectueux, moins durs les uns pour les autres et sont convenablement préparés à devenir un jour des citoyens honnêtes et laborieux. »

Rapport d’inspection de Mme Sylvie Perrussot, Directrice de l’école de Saint-Emiland, 14 mai 1900 (source Michel Guironnet http://www.stleger.info/eugene/71d.perrussot)

Rapport d’inspection de Mme Sylvie Perrussot, Directrice de l’école de Saint-Emiland, 14 mai 1900 (source Michel Guironnet http://www.stleger.info/eugene/71d.perrussot)

 

Patrick Pluchot


1 commentaire:

  1. Je reste admiratif devant l'extrait de la composition française qui donne à voir une très belle calligraphie (j'attachais une grande importance à cet apprentissage qui est loin d'être aussi anodin pour la formation intellectuelle). L'ensemble de l'article est une fois encore passionnant. Bravo et merci à Patrick Pluchot!

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