Les
conférences du Musée de la Maison d’Ecole
Orthographe : à qui la
faute ?
Conférence Pédagogique à
deux voix de Danièle MANESSE et Danièle COGIS, Espace de Vie et d’Animation André Malraux de BLANZY :
Danièle Manesse, Professeur émérite en Science du Langage à l'Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, elle est aussi chercheur à l'Institut
national de la recherche et a mené des recherches à l'INRP sur les pratiques
effectives de l'enseignement du français.
Danièle Cogis : Maître
de Conférences en Sciences du Langage à l’IUFM de Paris, spécialiste de
l’enseignement de l’orthographe.
Le contenu de la conférence :
L'ouvrage de Danièle Manesse
et Danièle Cogis, Orthographe : à qui la faute ? n'était
pas encore publié que déjà la polémique était lancée. C'est que le sujet n'est
pas anodin pour un peuple français qui entretient une relation ambiguë avec
l'orthographe. C'est aussi que l'ouvrage révèle une chute brutale et
inquiétante des connaissances orthographiques des collégiens.
Au terme d'une enquête
auprès de près de 3 000 élèves, les auteurs montrent que « l'écart entre les résultats des élèves de 1987 et ceux de 2005
est en moyenne de deux niveaux scolaires. Les élèves de cinquième de 2005 font
le même nombre de fautes que les élèves de CM2 il y a vingt ans. Les élèves de
troisième de 2005, le même nombre d'erreurs que les élèves de cinquième de 1987 ».
En 1987, 50% des élèves avaient moins de 6 fautes. Ils ne sont plus que 22% en
2005. L'écart entre les plus forts et les plus faibles s'est lui aussi creusé.
Le nombre de fautes augmente particulièrement pour l'orthographe grammaticale.
Cette étude a donc un grand
impact. D'une part elle conforte tous ceux qui répètent que « le niveau
baisse ». Elle réveille également ceux qui, comme Robien, prônent le
retour aux méthodes traditionnelles et jettent la suspicion sur les
enseignants.
Les
actes de cette conférence ne sont pas utilisables en l’état.
Nous vous proposons, sur le
thème de la conférence présentée, quelques minutes d’un entretien que D. MANESSE a
accordé au Café Pédagogique (et que
vous pourrez retrouver intégralement sur le Net : http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/larecherche/Pages/80AnalyseOrthographeAquilafaute.aspx
avec un éclairage de Jean-Pierre Jaffré qui situe la question de
l'orthographe face à sa demande sociale et avec l’avis de Viviane Youx,
présidente de l'Association française des enseignants de français, qui donne le
sentiment des professeurs, confrontés sur le terrain à la difficulté
d'apprendre l'orthographe).
Le propos :
« C.P : Vous annoncez un déclin des
connaissances orthographiques entre les générations 1987 et 2005. Cela est-il
vraiment établi pour tous les élèves ou ce déclin ne reflète-il que la baisse
de quelques élèves ?
D.
M : Non,
c’est à la vérité une baisse bien répartie, si je peux dire : le livre en
atteste par l’étude en quartiles, tranches de 25% de la population, et aussi
par un tableau très parlant de la répartition des scores aux deux
époques : il y avait en 1987 50% d’élèves qui faisaient moins de six
erreurs dans la dictée (qui fait 83 mots), il n’y en a plus que 22%.
Mais
peut-on comparer les élèves de 1987 et 2005 ?
Si
on prend le point de vue de comparer des niveaux (du CM2 à la troisième),
oui : notre étude met face à face les élèves d’un système scolaire
structurellement inchangé (le collège unique était déjà en place et rôdé en
1987). Si l’on prend le point de vue de l’âge, la comparaison n’a pas la même
valeur : les élèves de 2005 ont six mois de moins en moyenne que ceux de
1987 ; ceci, parce qu’ils redoublent moins, qu’on les oriente moins dans
des filières marginales.
Votre
étude montre que c'est d'abord l'orthographe grammaticale qui est touchée.
Justement le ministre souhaite la disparition de l'ORL et le retour de
l'enseignement de la grammaire traditionnelle. Cela vous semble-t-il nécessaire
?
C’est
un point délicat, parce que le contexte prête à la polémique, aux positions
bloquées et non à la discussion argumentée et réfléchie. Le rapport sur la
grammaire de Bentolila, la circulaire qui lui fait suite sont des réponses
opportunistes et, disons-le en cette période électorale, des coups politiques
médiocres, pour donner de mauvaises réponses à ce qui me semble de vraies
questions.
Et
ces questions, nous sommes nombreux, chez les « gens de bonne
volonté », à les avoir posées dès la mise en œuvre des programmes de 2002
pour l’école primaire. Je vais vous donner mon avis, qui n’est pas forcément
celui de ma camarade Danièle Cogis, auteur dans le livre d’une très solide
étude des erreurs grammaticales dans les dictées de 2005. Et j’y vais
carrément et j’essaie de dire comment je vois les choses le plus simplement
possible.
D’abord,
il ne s’agit pas de revenir à la grammaire « traditionnelle », mais
de dégager la grammaire utile pour l’orthographe et l’apprentissage des langues
étrangères. Il y a eu dans les années 70 un très riche fonds de propositions
didactiques qui ont été ensevelies par la vague de la production sur les types
et formes des discours, et c’est dommage. Le discrédit convenu qui pèse sur la
grammaire de phrase me semble une des conséquences déplorable de ce mouvement
de vagues et d’oubli.
Sur
l’ORL, maintenant : observer, comprendre comment la langue
fonctionne ne suffit pas aux élèves pour s’approprier la règle, la
connaissance, pour l’intégrer, pour la capitaliser et la mettre en œuvre de
manière automatique. Le travail d’observation de la langue est
fondamental : il donne du sens à l’apprentissage. Mais on doit avoir fait
quelque chose avant et faire quelque chose après : l’orthographe du français
est compliquée, elle exige une vigilance constante. Pour ce faire, il faut se
référer à un corps de savoirs simples – à l’exception du fichu accord de PP, la
langue orale se charge de l’occire -. J’ai pour ma part toujours été très
frappée dans les présentations faites par des didacticiens (articles, colloques
etc.) de démarches inductives d’enseignement de l’orthographe : à aucun
moment, on n’explique comment
on a enseigné la règle, comment
on l’a fait apprendre, mémoriser, où
et comment elle est consignée par les élèves, dans quelle
progression ; enfin, comment et quand on évalue (alors que la question
est cruciale : l’ORL se pratique plutôt en groupe).
Or
il n’y a rien à faire, s’il n’y a pas entraînement, capitalisation, il n’y a
pas d’appropriation. La démarche ORL est une part nécessaire du travail, mais
elle ne suffit pas à construire des repères durables. Il faut aussi assumer de
faire de la mécanique. C’est comme en musique. Oui, il faut des moments de
solfège et de gammes, oui il faut des moments d’entraînement, oui, il faut des
moments d’enseignement spécifiques de l’orthographe et de la grammaire, c’est
mon avis. Sinon, le risque est grand de ne pas pourvoir les élèves, et
notamment ceux dont le seul recours est l’école et qui sont les plus
exposés à l’échec, des repères dont ils ont absolument besoin.
Faut-il
revenir aux horaires et à l'enseignement du français comme ils étaient en 1987
pour retrouver le niveau de 1987 ?
Ce
n’est certainement pas seulement une question d’horaires. Certes, le temps
consacré au français est essentiel. C’est long d’apprendre quelque chose qui
est difficile, multiforme comme en témoigne le chapitre 3, où chacune de nous
explique les « chemins » des erreurs et de l’acquisition de quatre
domaines de l’orthographe (la grammaire, le lexique, les mots-outils, les
signes et accents). Dans la brève conclusion qui a été discutée entre nous
quatre, nous disons : « On
ne peut pas tout faire dans le temps des études, déjà lourd pour les élèves »
et nous indiquons qu’il y a des choix à faire. Les programmes sont le produit
de choix qui sont des choix politiques, et dont le Café s’est fait récemment
l’écho.
Quels
sont les savoirs pour lesquels la société mandate l’école et qu’elle juge
indispensables ? Moi, je suis souvent exaspérée par les finasseries
académiques et railleuses qui entourent le débat récurrent sur le socle commun.
Des sociologues, tels François Dubet ou Jean-Pierre Terrail, extérieurs aux
groupes de pression de notre petit milieu, me semblent ceux qui posent le
plus courageusement ces questions.
Mais
il y a d’autres problèmes. La raison qui m’a poussée, quasiment « vingt
ans après » à ré-entreprendre cette recherche qui est un sacré chantier,
c’est un travail sur l’échec en français des classes « difficiles »
de collège (2003). La mauvaise articulation des programmes de l’école avec ceux
du collège a une part importante de responsabilité, à mon avis, dans le déclin
orthographique des élèves. L’école primaire, en allégeant les tâches de travail
sur la langue au profit notamment de la lecture et de la littérature,
s’est déchargée sur le collège d’une partie des notions de langue. A juste
raison : il y a encore quatre ans pour asseoir les savoirs de base !
Et le collège ne prend pas du tout le relais. Ce n’est pas un scoop : dans
les recherches bibliographiques qui accompagnent ce travail, j’ai lu tous les
rapports de l’Inspection générale (ce sont des remontées du
« terrain » !). Ils s’en inquiètent.
Souvent
on fait le lien de la chute orthographique avec les nouvelles formes d'écriture
(mail, sms). Ce lien est-il établi ? Que faire en ce cas ?
Il
est tôt pour affirmer quoi que ce soit à ce sujet. En tout état de cause,
l’école n’y pourrait pas grand-chose ! Mais, restons calmes : tout le
monde utilise des systèmes de notations bricolés, ne serait-ce que pour prendre
des notes, et change de code selon les situations. Rien n’indique qu’il faut
s’en inquiéter : on lira un point sur la situation de David et Gonçalves
dans le Français aujourd’hui de mars 2007. Sur les 2767 dictées de 83 mots,
nous n’avons rencontré que deux notations type SMS !
Vous
imputez le déclin a un affaiblissement de la norme dans la société. Liez-vous
l'intérêt que porte l'opinion publique à l’orthographe à une nostalgie
conservatrice (une aspiration à l'ordre)? Cet intérêt, qui semble réel, ne contredit-il
pas un éventuel déclin de la norme ?
La
norme, ce n’est pas seulement l’aspiration à l’ordre, c’est des valeurs
collectives partagées. L’intérêt que la société porte à l’orthographe est un
fait, et doit être reconnu comme tel. On ne juge pas les faits, on cherche à
les comprendre. J’essaie d’analyser cela dans le premier chapitre.
L’orthographe est populaire, parce qu’elle est le premier des savoirs
populaires, elle est une sorte de métaphore de la langue écrite qui est une
conquête du peuple récente, enfin dans sa généralisation, à partir de la
deuxième moitié du XIXème siècle. Elle était au centre du premier examen de
promotion populaire, le certif.
La
langue, y compris dans sa modalité écrite, est partie en profondeur de
l’identité de chacun, elle fait partie de l’héritage minimum. Là où ça se
complique, c’est que l’orthographe du français est pour une part arbitraire,
irrationnelle, et on la trouve aussi insupportable : il y a deux forces
contraires dans la relation que chacun entretient avec l’orthographe.
Bernadette Wynants, une sociologue encore, montre très bien l’ambivalence de la
relation à l’orthographe. Et cette ambivalence, elle habite aussi les
enseignants, elle les tourmente, et elle les met en situation d’insécurité sur
leurs missions.
Pour
certains l'apprentissage de l'orthographe est une perte de temps. Qu'en pensez-vous
?
C’est
complètement aristocratique de dire cela, parce que ceux qui n’ont pas eu assez
d’enseignement orthographique en souffrent, et le font savoir : je pense
aux élèves de ZEP, à ceux des LP, qui souvent, ont renoncé…
L’orthographe,
« bien enseignée », c’est intéressant ; c’est un entraînement à
l’activité métalinguistique, requise dans toutes les disciplines à l’école,
c’est une source de découverte sur la langue et le sens.
Tant
que l’orthographe est requise dans la vie sociale, tant qu’il n’y a pas de
mouvement consensuel dans la société pour en simplifier ce qui peut être
simplifié et gagner du temps d’apprentissage, il faut oser l’enseigner, et
l’enseigner bien, y compris dans ses aspects qui exigent répétitions et
mémorisation, mieux que ce n’est fait à mon avis. On attire l’attention dans
notre conclusion sur le temps ridicule dans la formation des professeurs des
écoles et des collèges alloué à l’étude de la langue. Il ne suffit pas de
savoir l’orthographe pour savoir l’enseigner. Et moins on a réfléchi sur la
manière d’enseigner, et plus on enseigne dogmatiquement, c’est connu.
En
tout état de cause, ce serait bien si ce travail pouvait réactiver le débat sur
les modifications orthographiques qui peuvent être faites. Dans le sens
qu’indique Chervel dans la postface, dont je partage le point de vue : pas
sur des détails, mais sur deux ou trois grands points qui eux feraient gagner
du temps : doubles consonnes, lettres grecques, pluriel en x….
Danièle
Manesse
Danièle
Manesse, Danièle Cogis, Michèle Dargans, Christine Tallet, Orthographe : à qui
la faute ?, préface d'André Chervel, Paris, ESF éditeur, 2007, 250 pages »
Aller plus loin
avec Evelyne CHARMEUX : « à propos de
l’ouvrage de Danièle Manesse et Danièle Cogis, Orthographe : à qui la faute ? »
P.P
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