mardi 7 février 2017

Orthographe : à qui la faute ?




Les conférences du Musée de la Maison d’Ecole

Danièle MANESSE Danièle COGIS



Orthographe : à qui la faute ?

Conférence Pédagogique à deux voix de Danièle MANESSE et Danièle COGIS, Espace de Vie et d’Animation André Malraux de  BLANZY :

Danièle Manesse, Professeur émérite en Science du Langage à l'Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, elle est aussi chercheur à l'Institut national de la recherche et a mené des recherches à l'INRP sur les pratiques effectives de l'enseignement du français.

Danièle Cogis : Maître de Conférences en Sciences du Langage à l’IUFM de Paris, spécialiste de l’enseignement de l’orthographe.







Le contenu de la conférence :
L'ouvrage de Danièle Manesse et Danièle Cogis, Orthographe : à qui la faute ? n'était pas encore publié que déjà la polémique était lancée. C'est que le sujet n'est pas anodin pour un peuple français qui entretient une relation ambiguë avec l'orthographe. C'est aussi que l'ouvrage révèle une chute brutale et inquiétante des connaissances orthographiques des collégiens.

Au terme d'une enquête auprès de près de 3 000 élèves, les auteurs montrent que « l'écart entre les résultats des élèves de 1987 et ceux de 2005 est en moyenne de deux niveaux scolaires. Les élèves de cinquième de 2005 font le même nombre de fautes que les élèves de CM2 il y a vingt ans. Les élèves de troisième de 2005, le même nombre d'erreurs que les élèves de cinquième de 1987 ». En 1987, 50% des élèves avaient moins de 6 fautes. Ils ne sont plus que 22% en 2005. L'écart entre les plus forts et les plus faibles s'est lui aussi creusé. Le nombre de fautes augmente particulièrement pour l'orthographe grammaticale.
Cette étude a donc un grand impact. D'une part elle conforte tous ceux qui répètent que « le niveau baisse ». Elle réveille également ceux qui, comme Robien, prônent le retour aux méthodes traditionnelles et jettent la suspicion sur les enseignants.

Les actes de cette conférence ne sont pas utilisables en l’état.
Nous vous proposons, sur le thème de la conférence présentée, quelques minutes d’un entretien que D. MANESSE a accordé au Café Pédagogique (et que vous pourrez retrouver intégralement sur le Net : http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/larecherche/Pages/80AnalyseOrthographeAquilafaute.aspx avec un éclairage de Jean-Pierre Jaffré qui situe la question de l'orthographe face à sa demande sociale et avec l’avis de Viviane Youx, présidente de l'Association française des enseignants de français, qui donne le sentiment des professeurs, confrontés sur le terrain à la difficulté d'apprendre l'orthographe).

Le propos :

« C.P : Vous annoncez un déclin des connaissances orthographiques entre les générations 1987 et 2005. Cela est-il vraiment établi pour tous les élèves ou ce déclin ne reflète-il que la baisse de quelques élèves ?
D. M : Non, c’est à la vérité une baisse bien répartie, si je peux dire : le livre en atteste par l’étude en quartiles, tranches de 25% de la population, et aussi par un tableau très parlant de la répartition des scores aux deux époques : il y avait en 1987 50% d’élèves qui faisaient moins de six erreurs dans la dictée (qui fait 83 mots), il n’y en a plus que 22%.

Mais peut-on comparer les élèves de 1987 et 2005 ?
Si on prend le point de vue de comparer des niveaux (du CM2 à la troisième), oui : notre étude  met face à face les élèves d’un système scolaire structurellement inchangé (le collège unique était déjà en place et rôdé en 1987). Si l’on prend le point de vue de l’âge, la comparaison n’a pas la même valeur : les élèves de 2005 ont six mois de moins en moyenne que ceux de 1987 ; ceci, parce qu’ils redoublent moins, qu’on les oriente moins dans des filières marginales.

 Votre étude montre que c'est d'abord l'orthographe grammaticale qui est touchée. Justement le ministre souhaite la disparition de l'ORL et le retour de l'enseignement de la grammaire traditionnelle. Cela vous semble-t-il nécessaire ?
C’est un point délicat, parce que le contexte prête à la polémique, aux positions bloquées et non à la discussion argumentée et réfléchie. Le rapport sur la grammaire de Bentolila, la circulaire qui lui fait suite sont des réponses opportunistes et, disons-le en cette période électorale, des coups politiques médiocres, pour donner de mauvaises réponses à ce qui me semble  de vraies questions.

Et ces questions, nous sommes nombreux, chez les « gens de bonne volonté », à les avoir posées dès la mise en œuvre des programmes de 2002 pour l’école primaire. Je vais vous donner mon avis, qui n’est pas forcément celui de ma camarade Danièle Cogis, auteur dans le livre d’une très solide étude des erreurs grammaticales dans les dictées de 2005. Et j’y vais carrément et j’essaie de dire comment je vois les choses le plus simplement possible.
D’abord, il ne s’agit pas de revenir à la grammaire « traditionnelle », mais de dégager la grammaire utile pour l’orthographe et l’apprentissage des langues étrangères. Il y a eu dans les années 70 un très riche fonds de propositions didactiques qui ont été ensevelies par la vague de la production sur les types et formes des discours, et c’est dommage. Le discrédit convenu qui pèse sur la grammaire de phrase me semble une des conséquences déplorable de ce mouvement de vagues et d’oubli.

Sur l’ORL, maintenant : observer, comprendre comment la langue  fonctionne ne suffit pas aux élèves pour s’approprier la règle, la connaissance, pour l’intégrer, pour la capitaliser et la mettre en œuvre de manière automatique. Le travail d’observation de la langue est fondamental : il donne du sens à l’apprentissage. Mais on doit avoir fait quelque chose avant et faire quelque chose après : l’orthographe du français est compliquée, elle exige une vigilance constante. Pour ce faire, il faut se référer à un corps de savoirs simples – à l’exception du fichu accord de PP, la langue orale se charge de l’occire -. J’ai pour ma part toujours été très frappée dans les présentations faites par des didacticiens (articles, colloques etc.) de démarches inductives d’enseignement de l’orthographe : à aucun moment, on n’explique comment on a enseigné la règle, comment on l’a fait apprendre, mémoriser, où et comment elle est consignée par les élèves, dans quelle progression ;  enfin, comment et quand on évalue (alors que la question est cruciale : l’ORL se pratique plutôt en groupe).
Or il n’y a rien à faire, s’il n’y a pas entraînement, capitalisation, il n’y a pas d’appropriation. La démarche ORL est une part nécessaire du travail, mais elle ne suffit pas à construire des repères durables. Il faut aussi assumer de faire de la mécanique. C’est comme en musique. Oui, il faut des moments de solfège et de gammes, oui il faut des moments d’entraînement, oui, il faut des moments d’enseignement spécifiques de l’orthographe et de la grammaire, c’est mon avis. Sinon, le risque est grand de ne pas pourvoir les élèves, et notamment ceux dont le seul recours est l’école et qui sont  les plus exposés à l’échec, des repères dont ils ont absolument besoin.
Faut-il revenir aux horaires et à l'enseignement du français comme ils étaient en 1987 pour retrouver le niveau de 1987 ?

Ce n’est certainement pas seulement une question d’horaires. Certes, le temps consacré au français est essentiel. C’est long d’apprendre quelque chose qui est difficile, multiforme comme en témoigne le chapitre 3, où chacune de nous explique les « chemins » des erreurs et de l’acquisition de quatre domaines de l’orthographe (la grammaire, le lexique, les mots-outils, les signes et accents). Dans la brève conclusion qui a été discutée entre nous quatre, nous disons : « On ne peut pas tout faire dans le temps des études, déjà lourd pour les élèves » et nous indiquons qu’il y a des choix à faire. Les programmes sont le produit de choix qui sont des choix politiques, et dont le Café s’est fait récemment l’écho.
Quels sont les savoirs pour lesquels la société mandate l’école et qu’elle juge indispensables ? Moi, je suis souvent exaspérée par les finasseries académiques et railleuses qui entourent le débat récurrent sur le socle commun. Des sociologues, tels François Dubet ou Jean-Pierre Terrail, extérieurs aux groupes de pression  de notre petit milieu, me semblent ceux qui posent le plus courageusement ces questions.

Mais il y a d’autres problèmes. La raison qui m’a poussée, quasiment « vingt ans après » à ré-entreprendre cette recherche qui est un sacré chantier, c’est un travail sur l’échec en français des classes « difficiles » de collège (2003). La mauvaise articulation des programmes de l’école avec ceux du collège a une part importante de responsabilité, à mon avis, dans le déclin orthographique des élèves. L’école primaire, en allégeant les tâches de travail sur la langue au profit notamment de la lecture et de la littérature,  s’est déchargée sur le collège d’une partie des notions de langue. A juste raison : il y a encore quatre ans pour asseoir les savoirs de base ! Et le collège ne prend pas du tout le relais. Ce n’est pas un scoop : dans les recherches bibliographiques qui accompagnent ce travail, j’ai lu tous les rapports de l’Inspection générale (ce sont des remontées du « terrain » !). Ils s’en inquiètent.
Souvent on fait le lien de la chute orthographique avec les nouvelles formes d'écriture (mail, sms). Ce lien est-il établi ? Que faire en ce cas ?

Il est tôt pour affirmer quoi que ce soit à ce sujet. En tout état de cause, l’école n’y pourrait pas grand-chose ! Mais, restons calmes : tout le monde utilise des systèmes de notations bricolés, ne serait-ce que pour prendre des notes, et change de code selon les situations. Rien n’indique qu’il faut s’en inquiéter : on lira un point sur la situation de David et Gonçalves dans le Français aujourd’hui de mars 2007. Sur les 2767 dictées de 83 mots, nous n’avons rencontré que deux notations type SMS !
Vous imputez le déclin a un affaiblissement de la norme dans la société. Liez-vous l'intérêt que porte l'opinion publique à l’orthographe à une nostalgie conservatrice (une aspiration à l'ordre)? Cet intérêt, qui semble réel, ne contredit-il pas un éventuel déclin de la norme ?

La norme, ce n’est pas seulement l’aspiration à l’ordre, c’est des valeurs collectives partagées. L’intérêt que la société porte à l’orthographe est un fait, et doit être reconnu comme tel. On ne juge pas les faits, on cherche à les comprendre. J’essaie d’analyser cela dans le premier chapitre. L’orthographe est populaire, parce qu’elle est le premier des savoirs populaires, elle est une sorte de métaphore de la langue écrite qui est une conquête du peuple récente, enfin dans sa généralisation, à partir de la deuxième moitié du XIXème siècle. Elle était au centre du premier examen de promotion populaire, le certif.
La  langue, y compris dans sa modalité écrite, est partie en profondeur de l’identité de chacun, elle fait partie de l’héritage minimum. Là où ça se complique, c’est que l’orthographe du français est pour une part arbitraire, irrationnelle, et on la trouve aussi insupportable : il y a deux forces contraires dans la relation que chacun entretient avec l’orthographe. Bernadette Wynants, une sociologue encore, montre très bien l’ambivalence de la relation à l’orthographe. Et cette ambivalence, elle habite aussi les enseignants, elle les tourmente, et elle les met en situation d’insécurité sur leurs missions.

 Pour certains l'apprentissage de l'orthographe est une perte de temps. Qu'en pensez-vous ?
C’est complètement aristocratique de dire cela, parce que ceux qui n’ont pas eu assez d’enseignement orthographique en souffrent, et le font savoir : je pense aux élèves de ZEP, à ceux des LP, qui souvent, ont renoncé…

L’orthographe, « bien enseignée », c’est intéressant ; c’est un entraînement à l’activité métalinguistique, requise dans toutes les disciplines à l’école, c’est une source de découverte sur la langue et le sens.
Tant que l’orthographe est requise dans la vie sociale, tant qu’il n’y a pas de mouvement consensuel dans la société pour en simplifier ce qui peut être simplifié et gagner du temps d’apprentissage, il faut oser l’enseigner, et l’enseigner bien, y compris dans ses aspects qui exigent répétitions et mémorisation, mieux que ce n’est fait à mon avis. On attire l’attention dans notre conclusion sur le temps ridicule dans la formation des professeurs des écoles et des collèges alloué à l’étude de la langue. Il ne suffit pas de savoir l’orthographe pour savoir l’enseigner. Et moins on a réfléchi sur la manière d’enseigner, et plus on enseigne dogmatiquement, c’est connu.

En tout état de cause, ce serait bien si ce travail pouvait réactiver le débat sur les modifications orthographiques qui peuvent être faites. Dans le sens qu’indique Chervel dans la postface, dont je partage le point de vue : pas sur des détails, mais sur deux ou trois grands points qui eux feraient gagner du temps : doubles consonnes, lettres grecques, pluriel en x….
Danièle Manesse


Danièle Manesse, Danièle Cogis, Michèle Dargans, Christine Tallet, Orthographe : à qui la faute ?, préface d'André Chervel, Paris, ESF éditeur, 2007, 250 pages »

Aller plus loin avec Evelyne CHARMEUX : « à propos de l’ouvrage de Danièle Manesse et Danièle Cogis, Orthographe : à qui la faute ? »


P.P

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