François Beraud
Créateur d’écoles et directeur d’orphelinats
Entre
abnégation et prosélytisme
J’entends
encore résonner la voix de ma grand-mère, menaçant la marmaille d’une punition
d’une autre époque : « Si t’continues,
te vas finir vé l’curé B’raud, au va t’dresser lui ! ». Soixante ans après sa mort, le fantôme du
« curé B’raud » planait toujours au-dessus du Bassin minier, un peu
comme la Mère en Gueule. Nous n’avions pas idée des origines de la légende mais
la seule évocation de ce nom était la promesse de la réclusion pensionnaire la
plus dure…
FRANCOIS BERAUD est né à Montceaux-l’Étoile, le
21 mars 1807, dans une famille très chrétienne. Il devait être le
cinquième de 6 enfants de la famille nombreuse d’un charpentier-menuisier-charron.
Le père, Antoine Beraud, mourut dès 1818, François a onze ans mais le frère
aîné et la mère (née Benoîte Tramay) permirent au jeune François de suivre les
cours au Petit Séminaire de Semur-en-Brionnais puis du Grand Séminaire d’Autun
où il fut ordonné prêtre en 1832 (1). On peut s’étonner, à la lecture
de l’acte de naissance du jeune François, de la profession du père, supposé
charpentier et devenu cabaretier, ainsi que de l’approximation du lieu de
naissance (montceau, monceau)…
D’abord vicaire à Semur de
1832 à 1838, il assurera les fonctions de catéchiste, de pasteur, d’infirmier,
d’animateur et de prédicateur. L’exercice de ces trois dernières missions lui
sera très utile plus tard. En soulageant les plus pauvres de ses paroissiens,
il apprend des bribes de médecine pratique, en fondant et animant une école
libre de garçons auprès des Frères Maristes en 1836, il noue des contacts avec
la congrégation et le charisme dont il fait preuve lors des conférences
contradictoire qu’il organise assure le succès de ces dernières.
Il fut ensuite curé de
Cussy-en-Morvan, pays « pauvre et
déchristianisé », il en gardera le souvenir ineffaçable de la grande
misère physique et morale des enfants de l’agglomération parisienne, confiés
dans le Morvan à des nourrices « mercenaires
de l’Assistance publique » qui trop souvent les avaient reçus « comme un moyen de vivre »,
essentiellement. De là naîtra peut-être sa vocation à aider l’enfance
déracinée. Toujours soucieux de l’éducation religieuse, il fonde à Cussy, une
école de filles et une école de garçons.
Ce fut surtout auprès de la population du Bassin
minier de Blanzy qu’il s’implanta durablement. Il est nommé curé de Blanzy en
1839, au sein de ce bassin industriel naissant que formaient les usines
Schneider du Creusot, les tuileries de Montchanin, les verreries de Blanzy et
l’extraction de la houille sur le territoire de la future ville de Montceau qui
naîtra en 1856, il y restera jusqu’en 1857. Il retrouve ici la même misère
qu’il avait côtoyée auparavant, une population cosmopolite déracinée, attirée
par le travail de la mine, une forte délinquance due à l’alcoolisme : une
terre « déchristianisée » elle aussi. Il s’attèle à la tâche en
rénovant l’église (on lui attribue la fabrication des cloches dans sa propre
fonderie au sein de laquelle il embauche des chômeurs).
Fort de son expérience à
Semur et à Cussy, il fondera à Blanzy, des écoles de filles et de garçons.
L’enseignement religieux y est prépondérant et c’est ainsi qu’il mènera 20 filles
à la vie religieuse et 5 garçons au grand séminaire dont deux deviendront
évêques : Mgr Petitjean, premier vicaire apostolique du Japon et le
cardinal Boyer, archevêque de Bourges. Lors de la grande famine de 1846, il
construit lui-même un four à pain pour venir en aide aux pauvres.
En 1854, soutenu par Jules
Chagot, gérant de la Compagnie des Mines, il devient curé dans une bourgade qui
n’a pas encore d’existence : Montceau. Jules Chagot demanda la nomination
du curé Beraud dans la commune nouvelle de Montceau quand elle fut
officiellement reconnue, en intervenant directement auprès de Monseigneur
Marguerye, évêque d’Autun, vantant l’influence du curé sur le Bassin minier et
surtout son ascendant sur les mineurs du Bassin minier.
Devenu le premier curé de Montceau
en 1857, Beraud le restera jusqu’en 1866. Il participera à l’édification de l’église
de la ville qui sera inaugurée en 1862. On lui prête alors une aura de soutien des pauvres
et des mineurs. On le verra tour à tour pompier ou sauveteur lors des incendies
et des coups de grisou. Récipiendaire de plusieurs décorations, Beraud avait
été nommé chanoine honoraire de la cathédrale d’Autun. Il mourut le 11 août
1893, huit jours avant Léonce Chagot, à l’orphelinat du Méplier et fut inhumé,
comme il l’avait souhaité, « sans
couronne aucune… comme les gens de ma classe que je n’ai jamais oubliés. Je
suis fils d’un ouvrier. » Une
foule nombreuse se pressa tout le long du cortège.
Le
bâtisseur d’orphelinats
Il avait donc fondé, au
bourg de Blanzy, une école de filles en 1839 (dont il avait confié
l’enseignement aux Sœurs de Saint-Joseph de Cluny) et un pensionnat pour
garçons en 1845 (pensionnat Saint-Joseph), deux écoles payantes. Il avait
rapidement obtenu les sympathies des dirigeants de la Mine : Jules Chagot et
par la suite, celles de son neveu et successeur Léonce Chagot. Dès sa mission
de Cussy en Morvan, le sort réservé aux orphelins de l’Assistance Publique
placés dans les fermes était sa préoccupation et il en fut de même dans le
Bassin minier où il entendit bien continuer de se consacrer « à l’enfance orpheline et moralement
abandonnée », notamment aux enfants des mineurs victimes des
accidents de la mine.
Au sein du bassin minier, il
fut le directeur exclusif des orphelinats qu’il avait ouverts en 1854 au Méplier
pour les filles (commune de Blanzy) et en 1859 à Montferroux pour les garçons
(commune de Gourdon). C’est en 1850 qu’il acheta le Méplier, un
site en friche abandonné par les Mines, et en 1853 qu’il acheta le domaine de
Montferroux. Ces orphelinats fonctionnaient grâce aux dons, au travail de la
terre et à l’élevage qui assuraient la nourriture des enfants mais aussi, de
manière importante, grâce aux aides de l’Etat.
Il y accueillit les enfants déshérités,
dont, à partir de 1860, 50 jeunes filles de la Maison Pénitentiaire de Mâcon,
effectif régulièrement renouvelé jusqu’en 1883. Des Congrégations vont l’aider
dans l’accomplissement de son œuvre et, en 1880, les orphelinats abritent 300
pensionnaires. Cette jeunesse déracinée et difficile contribua alors à donner à son établissement
une apparence de sévérité et sans doute à lui-même, une certaine réputation de
père fouettard. La réputation de « Monfrou », comme on disait, inspirait
la crainte de par son côté paysan très rustre. La discipline y était sévère et
cette image perdura longtemps, il n’était pas rare que les anciens, longtemps
après sa mort, continuaient à agiter la mémoire du curé « B’raud »
comme un épouvantail : ce croquemitaine devint le recours des parents
débordés par leur progéniture !
A partir des années 1880, le
sentiment anticlérical se développant dans le Bassin minier, Beraud fut accusé
de mauvais traitements envers les enfants (accusations dont il fut blanchi plus
tard par le ministère, après enquête) et les aides de l’Etat lui furent
supprimées, entraînant des difficultés financières insurmontables qui l’amenèrent,
pour pérenniser son œuvre, à céder les
orphelinats à la Société Civile des Orphelinats agricoles de Méplier et
Montferroux dont les actionnaires le nommèrent administrateur délégué (2).
Malgré cela, son accueil
d’abandonnés « pour les former au
travail et à la probité » resta éminemment populaire, même pour ceux
qui ne partageaient pas ses fortes convictions religieuses et son dévouement
politique contestable à la Société minière.
Le
côté obscur du personnage
S’il est vrai que le curé
Beraud fut un appui inconditionnel à la famille Chagot, comme tout le clergé
local du reste, il sut aussi en tirer profit dans sa tâche de missionnaire. Il
entendait bien « implanter fortement
le christianisme dans ces âmes d’ouvriers qui l’entourent » (Chaillet,
1932, in L’abbé Beraud). Pour
atteindre son but, il fallait à François Béraud un financeur tout acquis à
cette cause, ce furent Jules Chagot (3) puis son successeur Léonce
Chagot (4). Jules Chagot avait le profil idéal pour la réalisation des
desseins du curé Beraud : monarchiste et fervent catholique, il avait déjà
financé la rénovation de l’église de Blanzy à l’arrivée de Beraud, de même que
celle de Saint-Vallier. Qui plus est, il exigeait de ses ouvriers une pratique
religieuse assidue, mettant en balance leur emploi.
Le curé Beraud entra dans le
jeu des gérants en pratiquant, à l’instar de ses prédécesseurs, les « billets
du curé », système de filtrage des nombreux candidats à l’embauche dans
les puits qui passaient par l’approbation des prêtres. Son rôle de « sbire »
de la mine, sa participation au contrôle des mineurs et des familles, son
dévouement à Jules Chagot « au nom
du bien que sa famille a fait à ce pays, au nom de celui qu’il faisait lui-même »,
lui valurent une opposition farouche de la part des républicains.
En règle générale, la presse
se libéra peu à peu et se fit bientôt l’écho des faits divers qui impliquaient quelques
brebis égarées du clergé (5).
(1) : C’est
en 1822, à l’âge de 12 ans, que François Beraud se destine à la prêtrise. Dans
le même temps, le 2 octobre 1822, une Ordonnance royale autorise Roch-Etienne
de Vichy, évêque d’Autun, à ouvrir une école ecclésiastique. Il chargera alors
l’abbé François Bonnardel, curé de Semur-en- Brionnais de fonder un Petit
Séminaire dans cette ville. Bonnardel, érudit et auteur de nombreux ouvrages
liturgiques accueillera immédiatement la première promotion de 30 élèves qu’il
confiera à son disciple et ami l’abbé Millerand.
(2) : Cette
société devint, en 1953, Association de Secours à l’enfance Malheureuse ou
Abandonnée. Méplier et Montferroux resteront deux entités sœurs qui intègreront
plus tard l’Association du Prado de Saône-et-Loire. En effet, le 1er
septembre 1969, la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales
demande la fusion de la société montcellienne avec l’Association du Prado de
Salornay qui en reprend la gestion, la société devient Centre Educatif
Spécialisé (CES) Bellevue Montferroux puis, plus tard, Centre Educatif et
Professionnel (CEP). La distinction Montferroux (garçons) et Bellevue (filles)
restera cependant longtemps dans les mémoires. C’est en 1991 que le CEP devient
mixte et intègre en son sein le foyer de jeunes filles de Bellevue* également
géré par le Prado. De nouveaux bâtiments sont construits à proximité de l’ancien
orphelinat et prend le nom de CEP Mixte Bellevue Montferroux.
* En 1880 et 1881 furent
construites à Bellevue, par la mine, une
école de garçons et une école de filles ainsi qu’un asile (1880) et un ouvroir
(1890). En 1893, ces écoles comptaient 12 religieuses institutrices et 9
maristes instituteurs. Entre ces deux écoles fut construite l’église
(1889-1891) et quelques années plus tard, un orphelinat à l’initiative du curé
de l’époque (1893). Cet orphelinat deviendra par la suite le foyer de jeunes
filles.
(3) : JULES
CHAGOT. Né à Paris en 1801, il y fait ses études et arrive au Creusot en 1819
pour participer à l’entreprise familiale « Société Chagot Frères et Cie ».
Après avoir exercé différentes activités économiques, il fonde l’entreprise « Jules
Chagot et Cie » en 1856 et gère un territoire houiller qui ne fera que s’étendre
au fil des ans. Il est secondé par son frère Hippolyte et sait s’entourer d’hommes
aux compétences reconnues (Amédée Burat, Léonce Chagot, son neveu…). Il
applique les techniques les plus modernes à son exploitation. Son paternalisme
érigé en système contrôle les employés de la Mine du « berceau à la tombe »,
il maintient ainsi la paix sociale à travers son réseau d’institutions dans
lequel on trouve l’hôpital et les écoles encadrés par des congréganistes. Il
meurt en 1877, laissant une entreprise saine mais où les conflits sociaux sont
latents.
(4) : LEONCE
CHAGOT. Né au Creusot en 1822, il meurt le 18 août 1893.
Après des études à l’école centrale des Arts
et Manufactures en 1842, il travaille pendant 20 ans dans l’ombre de Jules
Chagot, son oncle. Il travaille avec efficacité au développement de la
Compagnie grâce à l’appui du clergé et de la triste « Bande à Patin ».
Maire de Montceau, Conseiller Général, il est battu en 1878 par le radical
Jeannin. Il n’accepte pas cette mise à l’écart et n’aura de cesse de faire
obstruction à la nouvelle municipalité, de plus il réprime sévèrement les
mouvements sociaux. A sa mort il laisse à son neveu de Gournay une Compagnie
qui a mis au pas ses mineurs à l’aide du clergé et de sa police.
(5) : Depuis
la victoire des républicains aux élections de 1878 à la mairie de Montceau, on critiquait ouvertement le système patronal instauré par les Chagot. Les attaques
fusaient de toutes parts et républicains, socialistes, sociétés maçonniques,
libre-pensée faisaient feu de tout bois. C’est en 1887 que la Société de la
Libre-Pensée les Egaux vit le jour à Blanzy, fief du curé Beraud. Avec
virulence, elle lança un appel au peuple : « A tous les citoyens et citoyennes
nous demandons un effort énergique et vous invitons à grossir nos rangs pour
combattre la vermine qui s’appelle la prêtraille et les souteneurs du
militarisme, en un mot tous les conspirateurs, tous les réacteurs enjuponnés
et galonnés ». L’Union
Républicaine 24 août 1899
« Le
Conseil de l’Enseignement Primaire a prononcé l’interdiction d’enseigner dans
la commune de Saint-Vallier contre le sieur Mayençon, instituteur congréganiste
actuellement détenu à Chalon. Ce dernier s’est rendu coupable d’actes ignobles
sur des enfants confiés à ses soins (..) Le Conseil départemental de l’Enseignement
Primaire a prononcé une interdiction de deux ans contre le sieur Berthelon,
instituteur congréganiste à l’école de Bellevue (Montceau-les-Mines) et l’interdiction
absolue d’enseigner contre les nommés Chapuis (en fuite) et Lager (détenu) tous
deux instituteurs congréganistes à la même école. Les deux derniers se sont
rendus coupables d’attentats à la pudeur sur des enfants confiés à leurs soins ;
le premier a manqué de surveillance sur les personnels dont il avait la
direction ». L’union républicaine 13 juin 1890
« Dans
le courant du mois de juillet, le Progrès de Saône-et-Loire, le Lyon
Républicain et l’Union Républicaine publiaient un article identique sous le
titre : Soutane et Adultère dans le Progrès et Don Juan en soutane dans
les deux autres journaux. Il était question d’un jeune vicaire du Bassin Minier
qui, surpris par un mari outragé, lui avait laissé sa soutane entre les mains. »
Le Courrier de
Saône-et-Loire du 10 novembre 1895
Tout ceci n’empêcha pas les
journaux de faire l’éloge du curé Beraud et de « sa vie exemplaire, son œuvre
immense de pasteur et son action éducative scolaire pour les pauvres » à
son décès.
Sources
et bibliographie :
-
Documentation écomusée et Maison d’école
- Articles Naissance de l’Ecole Publique à Montceau :
https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/02/historique-de-lecole-publiqu-montceau.html#more
- Article
L’Abbé courage de Montceau, J.P
Valabrègue, le JSL71, 2015
- Article
La place et le rôle de la religion, du
clergé et des congrégations dans le système Chagot (1833-1900), Roger
Marchandeau, La Physiophile n° 161
- Montceau-les-Mines,
Docteur Léon Laroche
- L’Abbé Beraud, J.B
Chaillet, 1932
- geneanet.org
- gourdon71.e-monsite.
- Archives Départementales de Saône-et-Loire
P.P
Commentaire reçu de Jean Pirou, fidèle lecteur :
RépondreSupprimer"Bravo pour tous ces articles si bien documentés et très agréables à lire. Vos sources semblent inépuisables !
On attend la suite....
Je me suis permis de donner le lien à Georges et André Auduc, prêtres, que vous connaissez peut-être, concernant votre article original sur l'abbé Béraud.
Chacun m'a livré son commentaire :
Georges Auduc : "J'ai lu avec beaucoup d'intérêt l'article bien documenté sur l'abbé BERAUD. Merci. J'avais eu déjà l'occasion de faire, pour ainsi dire, sa connaissance, lors de mes passages comme aumônier diocésain puis vicaire général dans la région de Montceau-les-Mines. Merci de veiller sur notre confinement !"
et André : "j’ai été 10 ans de ma vie à Montceau, et je connais le Méplier ou Montferroux où j’allais en visite, sans oublier le quartier de Bellevue.. souvenirs ! un successeur de l’Abbé Béraud, le Père Augros bien connu lui aussi à Montceau, mais plutôt de tendance socialiste, a dit un jour en chaire à la messe de 11h, où assistait la Direction de l’usine : “ j’ai été nommé curé de Montceau et non vicaire des houillères de Blanzy”...
Cela vaut les exhortations du curé Jean Jalles qui était, chose insolite également, un des meilleurs amis de François Dulac et qui, les dimanches précédant les élections disait en chaire : " Mes enfants, demain votez en bons républicains !". Etonnant, non ?!
Je pense que ces sont deux beaux témoignages d'encouragement et du bien-fondé de votre action pour la Maison d'école et la mise en valeur de son fonds.
Bien cordialement"