Le chemin vers la laïcité
(Première partie)
Période 1789-1856
L’enseignement
du XVIIIème siècle au Second Empire
Les maîtres en question demeurent cependant les
auxiliaires dévoués du curé dans leur rôle d’éducateur de bons chrétiens. De
piètre qualité, l’enseignement ne concerne que les garçons et d’ailleurs, la
lecture des cahiers de doléances des Etats Généraux de 1789 ne fait que peu
référence à l’instruction élémentaire. La volonté nationale ou tout simplement
la nécessité d’instruire le plus grand nombre ne se fait pas sentir, en
conséquence, la médiocrité domine : les maîtres sont incompétents, les
locaux sont insalubres, il n’y a pas d’ouvrages ou de matériel adapté à
l’enseignement. En somme, les écoles étaient répandues dans l’ancienne France,
mais cela n’empêchait pas l’instruction de faire défaut. Dans l’ensemble, à
peine la moitié des hommes savaient écrire et signer de leur nom et pour les
femmes, la proportion était encore plus faible.
Si à la suite de la Révolution de 1789, quelques réflexions apparaissent de-ci de-là, menées par des Mirabeau, Talleyrand ou Condorcet, il faudra attendre juillet 1793 et la période de thermidor an II jusqu’au coup d’état du 18 brumaire pour voir se concrétiser de grands projets.
L’enseignement en Saône-et-Loire
en 1797
On retrouve trace de comptes que
rend l’administration du département de Saône-et-Loire de sa gestion depuis le
27 vendémiaire an IV, époque de son installation, jusqu’à ce jour 24 germinal
an V, en exécution de l’article CC de l’acte constitutionnel. En voici le
contenu partiel :
« Pour les écoles primairesEn exécution de la loi du 3 brumaire an IV, l’administration a établi des jurés d’instruction publique dans les communes d’Autun, Chalon, Charolles, Louhans et Mâcon, pour examiner les citoyens qui se présentent pour être instituteurs.
Il a été établi des écoles primaires dans tous les chefs-lieux de canton et dans les communes au-dessus de 1200 âmes.
La plus grande partie des écoles primaires a ses instituteurs.
Les maisons et jardins que la loi du 3 brumaire promet aux instituteurs leur ont été concédés : on a choisi les ci-devant presbytères. Cette mesure, prise par un arrêté du 29 prairial dernier a été approuvée par le Ministre de l’Intérieur, suivant la lettre du 29 messidor de la même année.
Pour les écoles centrales
La même loi du 3 brumaire porte qu’il sera établi une école centrale dans tous les départements.
Celle du département de Saône-et-Loire a été fixée à Autun.
L’administration a établi en cette commune un jury, conformément à la loi, pour l’examen des professeurs.
Cette école est composée de 8 professeurs qui enseignent : le dessin, les langues anciennes, les mathématiques, la physique et chimie expérimentales, la grammaire générale, les belles-lettres, l’histoire et la législation.
Il y a de plus un bibliothécaire.
Elle est en activité depuis le 10 germinal, an IV…
…L’administration a fait sentir par plusieurs adresses et arrêtés combien, sous un gouvernement libre et républicain, il est nécessaire que les jeunes citoyens profitent du bienfait inappréciable de l’instruction. Malheureusement le succès n’a pas couronné les efforts de l’administration ; elle n’en exprimera pas les motifs, elle se bornera à plaindre le sort de la génération actuelle, privée de toute instruction, et à faire des vœux pour que le gouvernement fixe son attention la plus constante sur cette partie importante de la morale publique. Elle invite ses successeurs à chercher, par des efforts continuels, à vaincre les obstacles qui se sont opposés jusqu’à présent à l’éducation de la jeunesse. »
Le terme d’instituteur était apparu dans des textes
de 1792 et c’est à travers la sécularisation des biens que naîtra peu à peu la conception
d’un service public d’enseignement laïque garant d’une unité nationale. La
Convention s’emploie à imposer la langue française et timidement émergent les
idées de laïcité, de gratuité et d’engagement de l’état dans l’éducation,
autant de concepts qui germeront tout au long du XIXème et XXème siècle pour
aboutir à l’école de la IIIème République.
Malheureusement, le Consulat et l’Empire, bien
qu’ayant réformé l’enseignement secondaire, traduisent leur impuissance à gérer
l’enseignement primaire par un encouragement de l’initiative privée, laissant
ce dernier à la charge des communes. On retourne progressivement au système de
l’Ancien Régime : des écoles payantes ou des écoles de charité. La porte
est ouverte aux congrégations et les Frères des Ecoles Chrétiennes sont
officiellement autorisés à enseigner en 1810 bien que les Ecoles Normales aient
été créées par le décret impérial du 17 mars 1808 (décret sans suite au
demeurant).
Alors que 900 000 élèves seulement sont scolarisés
en primaire et que rien n’est fait pour les filles, les guerres impériales
fixent des priorités qui ne sont pas éducatives. C’est à cette époque que naît
un dogme nouveau issu du corps social qui regroupe les bourgeois, les riches
boutiquiers, les manufacturiers et les gros propriétaires. Ces derniers sont
fortement sensibilisés à l’éducation du peuple, non pas par altruisme, mais ils
ont pris conscience de la valeur économique de l’instruction populaire. La
création de deux sociétés va présider au développement de l’enseignement.
Toutes deux sont animées par des bourgeois et des nobles aux idées
nouvelles : la première est la Société d’encouragement pour l’Industrie
nationale et la seconde est la Société pour l’Instruction primaire. L’essor de
l’agriculture et de l’industrie, pensent-ils, passe par l’inculcation d’un
esprit public et par l’éducation d’un corps social stable.
Dans la période post-Empire, ces nouvelles
orientations n’ont que peu d’effet sur la France de province. Le financement
communal de l’enseignement primaire va surtout aux écoles chrétiennes et les
instituteurs restent toujours inféodés aux notables locaux et au curé. Le
peuple lui-même, affamé par des années de guerre, ne voit dans l’école qu’un
dévoiement des enfants à la main d’œuvre peu chère, plutôt qu’un promoteur
social.
Il reste que l’élite voit toujours dans les progrès
de l’enseignement, un tremplin vers ses ambitions sociales et économiques. Les
Sociétés pour l’Instruction élémentaires n’ont de cesse de faire rédiger des
manuels, de créer des Prix ou d’ouvrir des bibliothèques, tandis que les
libéraux, quant à eux, n’ont de cesse de détourner l’enseignement au profit de
l’Eglise. Cette lutte d’influence se prolongera tout au long du XIXème siècle
et l’enjeu en sera la laïcité de l’enseignement. En 1824 l’Instruction Publique
et les Affaires Ecclésiastiques sont toujours regroupées sous le même
ministère, mais en 1828, un ministère de l’Instruction Publique est créé, ainsi
qu’une réglementation plus stricte des conditions d’enseignement qui verra son
aboutissement avec les textes de 1833.
A la suite de La Révolution de juillet 1830, un
état des lieux de l’instruction primaire va être dressé pour la première fois.
490 inspecteurs sont dépêchés dans toute la France (principalement rurale) pour
engager une réflexion de terrain qui inspirera la loi du 28 juin 1833, dite loi
Guizot. Celle-ci organise l’enseignement primaire en instituant le Brevet de
capacité et l’obligation à chaque commune d’ouvrir une école.
La confusion est cependant toujours entretenue entre
enseignants congréganistes et maîtres laïques, Guizot lui-même ne déclare-t-il
pas : « Il n’y a aucune difficulté à ce que les Frères soient
instituteurs communaux, ils entrent à cet égard dans le droit commun »,
ces propos définissaient le statut de soumission au régime, bien répandu chez les frères, et qui devaient
s’appliquer à tous « C’est la
gloire de l’instituteur de ne prétendre à rien au-dessus de son obscure et
laborieuse condition. ». L’instituteur reste soumis au contrôle des
comités locaux et des autorités religieuses. C’est le commencement de la longue
querelle sur la laïcité de l’enseignement qui, aujourd’hui même, n’est pas
encore éteinte. Le point d’importance est cependant la création, dans chaque
département, d’un lieu de formation des maîtres.
La conception républicaine de l’enseignement est
définitivement encrée dans la société à la suite de la Révolution de 1848 et de
la nomination à l’Instruction publique d’Hippolyte Carnot, fils du
conventionnel Lazare Carnot, frère de l’ingénieur Sadi Carnot, et père de Sadi Carnot, futur Président de la
République. Tenant de Saint Simon, il renoue avec les idées de 1789 dans sa
circulaire du 6 mars 1848 et son engagement contraste singulièrement avec celui
de Guizot : « Que nos 36 000
instituteurs primaires se lèvent donc à mon appel pour se faire immédiatement
les réparateurs de l’instruction publique devant la population des campagnes…
des hommes nouveaux voilà ce que réclame la France… qu’une ambition généreuse
s’allume en eux ; qu’ils oublient l’obscurité de leur condition ;
elle était des plus humble sous la monarchie, elle devient sous la république,
des plus honorables et des plus respectées… » .
Le projet de loi qu’il soutient annonce les grands
thèmes de la Troisième République : obligation, gratuité et neutralité de
l’enseignement :
« Art.
2 : L’enseignement primaire est obligatoire pour les enfants des deux
sexes.
Art. 3 : Dans
les écoles publiques, l’enseignement est gratuit.
Art. 7 : Dans
toutes les écoles publiques, l’instituteur est nommé par le ministre de
l’Instruction publique sur la présentation du conseil municipal. »
Malheureusement, Hippolyte Carnot est contraint de
démissionner le 5 juillet 1848 et il faudra attendre 30 ans pour que ses idées,
reprises par Jules Ferry, voient leur concrétisation.
L’élection de Louis Napoléon Bonaparte à la
présidence de la République le 8 décembre 1848 permettra à la réaction,
incarnée par la bourgeoisie libérale et le clergé, de faire voter deux lois dès
1850 : la loi Parieu (11 janvier) et la loi Falloux (15 mars). La première
pourchasse les instituteurs « révolutionnaires » (plus de 4000
révocations auront lieu), la seconde supprime les écoles primaires supérieures,
modifie les écoles normales et renforce, les prérogatives de l’église en matière
d’enseignement en favorisant, à nouveau, l’implantation des congréganistes. Ce
texte introduit pour la première fois les notions d’école publique et d’école
libre. On sent poindre alors l’empire autoritaire qui plongera les instituteurs
et les institutrices publiques laïques dans l’opprobre et la vexation, à
l’image de Thiers qui dénonce « ces affreux
petits rhéteurs de village… » et qui déclarera : « je
demande que l’action du curé soit forte, beaucoup plus forte qu’elle ne l’est,
parce que je compte beaucoup sur lui pour propager cette bonne philosophie qui
apprend à l’homme qu’il est ici pour souffrir. »
Beaucoup de maîtres souffriront en effet, des plus
connus comme Pierre Vaux, aux plus obscurs comme François Bourgogne, instituteur de Gourdon, né à
Collonges-en-Charolais dont nous vous compterons l’histoire dans le prochain article.
P.P
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