Le chemin vers la laïcité
(Troisième partie)
Période 1856-1914
Aux origines d’un
enseignement laïque
Sous les ministères Rouland
(1856-1857 et 1860-1863) et Duruy (1863-1869), la restauration de
l’enseignement public est engagée. Près de 7 000 instituteurs laïques répondent
à une nouvelle enquête diligentée par Rouland, ils dénoncent pèle-mêle leurs
mauvaises conditions d’exercice, le mauvais état des établissements scolaires
et leur assujettissement aux autorités locales. Le résultat de cette enquête
restera secret jusqu’en 1866, jusqu’à ce que les journaux d’opposition s’en
emparent.
Malgré les mesures prises par
Rouland précédemment (revalorisation, plus grande autonomie des maîtres,
enseignement pour les filles, écoles françaises à l’étranger « …là où la langue arrive, le commerce
suit… »), il incombera à Duruy de mener la nouvelle politique
scolaire. Il se heurtera cependant à l’hostilité des cléricaux et devra partir
avant d’avoir accompli sa tâche. Il avait entre temps réfléchi à l’utilité
et à l’importance d’un examen (le
Certificat d’Etudes primaires), soutenu en cela par les parents qui y voyaient
un grand intérêt pour leurs enfants. Les premiers essais furent peu concluants,
cependant, grâce aux maîtres, cette idée nouvelle fait, une fois de plus, son
chemin dans les esprits et le Journal de l’Education du 13 juillet 1878 écrit
dans ses lignes : «Aussi rivalisent-ils
[les maîtres] de zèle pour présenter le
plus de candidats bien préparés. Pour atteindre ce but, ils sont naturellement
obligés de rechercher les moyens de conserver le plus longtemps possible leurs
élèves et d’élever le niveau de leur enseignement. Car les épreuves deviennent
de plus en plus difficiles. Ces examens exercent donc une influence des plus
heureuses sur la direction de nos écoles primaires : ce dont les
félicitent tous les amis de l’instruction du peuple. » Jules Ferry reprendra plusieurs des
orientations de Duruy dans son discours programme d’Epinal en 1879 et aura plus
de chance dans leur aboutissement grâce à la majorité républicaine dont il
bénéficiera alors.
D’un point de vue pédagogique,
les travaux d’Octave Gréard sur la nécessaire progression dans les
apprentissages et la sortie du Dictionnaire pédagogique de Ferdinand Buisson
(1881-1882), alimentent la réflexion sur
les programmes.
Après avoir fondé en 1866 la
Ligue Française pour l’Enseignement, en 1872, Jean Macé avait obtenu, pour sa
pétition, 1 267 000 signatures en appuyant ainsi sa demande d’une école laïque,
selon « le principe : la
science à l’école et l’instruction religieuse à l’église ».
Il l’emportait nettement sur les
450 000 signatures de la pétition contraire des évêques. Jusqu’alors,
cependant, aucune expérience de la laïcité ne permettait de rassurer les
catholiques. Seule l’évolution historique a prouvé que leurs craintes étaient
excessives. La ligue sera un soutien de poids pour la politique scolaire de
Jules Ferry.
Les motivations qui ouvrent des
perspectives à l’enseignement de masse ne sont malheureusement pas
essentiellement humanistes et à la fin de l’Empire, beaucoup pensaient que si
l’armée avait perdu la guerre en 1870, le système éducatif avait sa part de
responsabilité. Les officiers allemands n’étaient-ils pas mieux instruits que
les officiers français ?… Comment un jeune français ignorant son histoire,
sa géographie, ses frontières même, pouvait-il défendre son pays ? (1)
La conclusion était simple,
l’école aurait dû forger cet idéal commun, cette union nationale qui anime
l’ardeur des combattants… La leçon est retenue, l’école sera ce sérail où
toutes les énergies patriotiques seront enseignées et défendues pour produire
un corps social homogène épris de revanche, dont peu d’individus se
démarqueront quand sonnera le tocsin de la déclaration de guerre du 2 août
1914… Jules Ferry ne se cache d’ailleurs pas de croire au rôle
« normalisateur » de l’école pour orienter les esprits vers une
identité nationale : « Avant de
faire une France grande, pensons une France, une, refaisons l’union de tous les
français… ; la République, il y a
quatre ans, a sauvé l’honneur, c’est elle qui refera la patrie. » On
retrouve bien là les accents d’un homme, vosgien de surplus, meurtri par la
défaite de Sedan.
Sous la Troisième République,
Jules ferry, presque sans interruption ministre de l’Instruction publique, de
1879 à 1883, rendit donc laïque l’enseignement primaire public, par la loi du
28 mars 1882, tandis que la même loi portait en elle un immense espoir :
elle rendait obligatoire l’enseignement primaire public ou privé, laïcisait les
programmes, fixait entre 6 et 13 ans l’obligation scolaire, établissait la
gratuité de l’enseignement (Duruy avait réussi aux deux tiers cette tâche) et prolongeait la loi du 16 juin 1881 qui
étendait ces dispositions aux Ecoles Normales et aux salles d’asiles (devenues
écoles maternelles par décret du 2 août 1881). Jules Ferry crée véritablement
l’école « communale » laïque et républicaine qui selon lui va « mêler sur les bancs de l’école les
enfants qui se trouveront, un peu plus tard, mêlés sous le drapeau de la
Patrie ».
A l’école publique, on ne devait
plus enseigner la religion. Clin d’œil de l’histoire, la dite-République, qui
aidera à naître des idées démocratiques, fut sauvée à une voix de majorité par
une assemblée essentiellement monarchiste ! Ainsi sont rétablis : la
Marseillaise comme hymne national et le 14 juillet comme fête du même nom…
Plus tard, le chef du
gouvernement René Waldeck-Rousseau (1899-1902), par une loi de 1901, soumettait
l’existence des congrégations enseignantes à « une autorisation donnée par une loi ».
Son successeur, Emile Combes
(1902-1905), après avoir refusé toutes les autorisations sollicitées, fit
fermer les dernières écoles congréganistes par la loi de 1904.
L’école secondaire publique,
elle-même, allait devenir laïque par suite de la loi de séparation des Eglises
et de l’Etat, votée le 9 décembre 1905, au nom des députés du bloc des Gauches,
sur l’intervention de l’un d’eux, Aristide Briand, et appliquée ultérieurement
grâce à celui-ci notamment, quand il fut devenu ministre. C’était, a-t-on dit,
l’obligation de recevoir, en la même école, des enfants de toutes les
confessions, qui avait imposé la laïcité.
Pour l’enseignement d’une morale
laïque dans une école publique devenue obligatoire :
Bien avant que le terme de
laïcité ne fût explicité, dans le dernier quart du XIXème siècle, n’avait-il
pas fallu déjà, grâce à Montaigne, apprendre à s’affranchir d’opinions reçues,
pour ne conserver que celles qui étaient « admissibles
par de nombreuses gens réfléchis » ? De ce précepte viendront les
idées de tolérance et de liberté de conscience qu’on retrouvera aux débuts de
la Révolution française de 1789, et que Jules Ferry adoptera.
Influencé par ces dernières, il
adressa en 1883 aux instituteurs, sa belle lettre où il révélait enfin le fond
de sa pensée en leur demandant d’enseigner une morale acceptable par tout
honnête homme. Ce n’était point-là opposer un prétendu dogme rationaliste à des
dogmes religieux, malgré ce qui a pu être écrit à ce propos. Il s’agissait au
contraire de penser par soi-même, librement, en s’imposant une stricte réserve
vis-à-vis des croyances religieuses.
C’était notamment pour
réconcilier les points de vue de hardis radicaux, comme Paul Bert, de
protestants philosophes, comme Ferdinand Buisson, de catholiques, comme Henri
Wallon ( rappelons que le mot « République » avait été introduit dans
la Constitution grâce à l’amendement Wallon le 30 janvier 1875), ou d’opportuniste
comme lui, que Jules Ferry (de 1879 à 1885, la France fut gouvernée par le
parti opportuniste, guidé par Gambetta, puis par Jules Ferry) adressa cette circulaire aux maîtres le 27
novembre.
Il leur proposait une règle
pratique : « demandez-vous si un
père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant,
pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait
dire ? Si oui, abstenez-vous de le dire ; si non, parlez
hardiment. »
« Toute empirique qu’elle fut, et précisément
parce qu’elle l’était, cette règle était la seule qui pût fonder une laïcité
durable en écartant tout sectarisme. » (Citation empruntée à A. Prost :
« Histoire de l’enseignement en France : 1800-1967»)
Ainsi, le législateur, avec les
enseignants de l’école primaire, puis, après la séparation des églises et de
l’état en 1905, avec les enseignants de l’école secondaire, et, depuis des
décennies, avec ceux de l’université, était en mesure, malgré d’abord la
continuation de discordes certaines, de favoriser toute une évolution des
mœurs, dans le sens de l’unité et de la consolidation de la République,
conformément, d’ailleurs, à la tradition héritée de la Révolution française de
1789.
En commentant le texte de la loi
à voter du 28 mars 1882, Jules Ferry avait dit que la morale à enseigner était « la morale tout court… plus grande
sans épithète ». N’était-ce pas souligner déjà qu’elle pouvait tendre
à avoir une valeur universelle, devenir ainsi une morale laïque ? Elle
laissait au demeurant, hors de l’école, à l’enseignant ou à l’élève, le droit
d’agir selon des convictions philosophiques ou religieuses éventuellement. Elle
ne rejetait pas toute idée d’un Dieu impersonnel, par exemple à travers l’étude
discrète de l’histoire ou parfois de poésies comme celles de Victor Hugo, l’un
des écrivains préférés à l’école. Dira-t-on comme le journal « Le
Temps », à l’avant-veille du vote de cette loi, qu’elle allait annoncer « une révolution dans les idées et dans
les mœurs » ? Ne faut-il pas penser aussi que la laïcité,
instituée ainsi, contribuerait à rapprocher des français trop divisés entre
eux ?
Enseigner une morale laïque
devait donner du sens à la conduite d’apprentissages pour les enfants.
Afin de conclure pour cette
période durant laquelle se sont succédés les événements fondateurs de notre
école, comment ne pas rappeler deux textes de Jules Ferry dont l’actualité est
encore frappante. Le premier est une déclaration faite lors d’un congrès
pédagogique, tenu à Paris en 1880 :
« Nous voulons
des éducateurs. Eh quoi ! Est-ce donc être trop ambitieux ?… Est-ce
que l’on pourra dire éternellement … qu’il n’existe pas d’éducateurs
laïques ! Ah ! Messieurs, ce n’est pas possible !
Et vous allez voir
que ce n’est pas vrai. Je n’en veux pour preuve que la direction actuelle de la
pédagogie, que des méthodes nouvelles qui ont pris tant de développement,… qui
consistent, non plus à dicter comme un arrêt la règle à l’enfant, mais à la lui
faire trouver; qui se propose avant tout d’exciter et d’éveiller la spontanéité
de l’enfant pour… en diriger le développement normal,… au lieu de l’enfermer
dans des formules dont il ne retire que de l’ennui, et qui n’ aboutissent qu’à
jeter dans ces petites têtes,… comme une sorte de crépuscule intellectuel…
Ces méthodes ne sont
praticables qu’à une condition : à savoir que le maître, le professeur
entrera en communication intime et constante avec l’élève…Pour appliquer…ces
méthodes excitatrices de la pensée, il faut y dépenser son intelligence, y
mettre tout son cœur, montrer l’homme enfin, au lieu de la férule, et quand
l’homme apparaît, voilà l’éducateur ! ». (Extrait du Bulletin de l’Instruction primaire pour
le département de Saône-et-Loire, n°37, de 1880)
Le second est un extrait d’un de
ses discours du 19 avril 1881 :
« …Il est un
terrain sur lequel je vous autorise, que dis-je ? Je vous recommande de
vous tenir fermes dans votre droit, de vous barricader dans votre
indépendance : c’est le terrain de la politique militante et
quotidienne ! Ne souffrez pas qu’on fasse jamais de vous des agents
politiques !…
Je ne dirais pas, et
vous ne me laisseriez pas dire qu’il ne doit pas y avoir dans l’enseignement
primaire, dans votre enseignement, aucun esprit, aucune tendance politique. A
Dieu ne plaise ! Pour deux raisons : d’abord, n’êtes-vous pas
chargés, d’après les nouveaux programmes, de l’enseignement civique ? C’est
une première raison ; il y en a une seconde et plus haute, c’est que vous
êtes tous les fils de 89 ! Vous avez été affranchis comme citoyens par la
Révolution française, vous allez être émancipés, comme instituteurs, par la
République de 1880 ; comment n’aimeriez-vous pas et ne feriez-vous pas
aimer dans votre enseignement et la Révolution et la République ? »
La loi du 30 octobre 1886
complètera le processus de laïcisation en octroyant un jour par semaine pour
l’enseignement religieux hors de l’école, ce dernier étant remplacé dans les
programmes par l’éducation morale et civique.
(1)
: Voir dans la
rubrique « Publications » : « Quand tu seras soldat ! période
1870-1914 », catalogue de l’exposition du Centenaire de la Grande
Guerre 2015.
P.P
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire