Vous
qui passez le « bac » 2017
Souvenez-vous !
La
première bachelière de France
Les épreuves du Baccalauréat
se succèdent en cette fin juin et les lycéens sont nombreux à se présenter à l’examen,
filles et garçons, quelle évidence, n’est-ce pas ? Et pourtant, qui se
souvient de Julie Victoire Daubié,
première bachelière de France, enfin diplômée le 17 mai 1862 ? Voilà son
histoire : le parcours tourmenté d’une femme opiniâtre et courageuse…
La prédominance des femmes
dans l’éducation de la petite enfance n’a jamais soulevé le moindre
commentaire, l’évidence des qualités maternelles des enseignantes en faisait une
règle acceptée par les hommes qui se réservaient cependant la primauté des
postes à responsabilité (direction, inspection). L’accès de celles-ci aux plus
hautes études et par suite aux plus hautes fonctions académiques a été un rude
combat et il n’apparaît pas d’ailleurs qu’il soit gagné, même de nos jours.
Toujours forcées de faire plus, de pouvoir plus, certaines sont souvent citées
comme des femmes exceptionnelles prouvant la potentialité féminine à dépasser
la norme. Elles ne sont pas pour autant des modèles à suivre : « En revanche, la première, la pionnière,
la précurseuse, l’éclaireuse, la devancière, n’existe que dans son rapport
direct avec la lignée qu’elle inaugure. Elle n’est pas au-dessus des femmes, elle
est devant, elle ouvre la voie, elle montre l’exemple. » (1)
Alors, pour illustrer ce
propos, souvenons-nous de Julie Victoire
Daubié. Maintenant tombée dans l’oubli, elle n’en fut pas moins un exemple
de la pugnacité qu’il fallut à ces femmes dans l’aboutissement de leur idéal (2).
En 1861, la ville de Lyon
est le théâtre d’une action révolutionnaire sans effusion de sang, mais non
moins spectaculaire : son Université accepte la candidature de la première
femme française désireuse de se présenter aux examens du baccalauréat jusqu’ici
réservés aux garçons, alors que les recteurs de l’Université de Paris et d’Aix-en-Provence
avaient débouté Julie Victoire Daubié, la jugeant sinon téméraire, du moins
capable de provoquer la risée du corps enseignant. La Vosgienne Julie Victoire
Daubié est, dans tous les sens des termes, une « première », une « pionnière »
sous le Second Empire dans l’éducation supérieure des femmes.
Julie, née à Bains-les-Bains
(Vosges), le 26 mars 1824, cadette d’une famille de neuf enfants et orpheline
de père à dix-huit mois, était devenue institutrice en 1844, après l’obtention
du Brevet de Capacité pour l’enseignement primaire (3), puis préceptrice
dans une famille de fabricants de papier à Docelles de 1853 à 1857, par
obligation, après avoir refusé l’allégeance à l’empire. Elle a ensuite la
chance d’entrer au service de la femme de lettres Marie d’Agoult, qui devient
pour elle une précieuse alliée. Marie d’Agoult (de son nom de plume Daniel
Stern) reçoit de nombreuses personnalités que rencontre Julie-Victoire,
appréciée pour sa culture et sa forte personnalité. Ainsi débute un destin hors
du commun qui mènera cette femme, issue des milieux saint-simoniens, à une
renommée internationale.
C’est sur l’impulsion de
Saint-Simon que socialisme et féminisme prirent souche à travers deux objectifs :
le relèvement du travailleur et l’émancipation de la femme. Lyon est alors le
fief d’anciens saint-simoniens qui occupent des places de choix dans sa vie
économique, sociale et culturelle, parmi lesquels François Barthélémy
Arlès-Dufour (1797-1872), important négociant en soieries, philanthrope, figure
emblématique du saint-simonisme. Quant à la prestigieuse Académie Impériale de
Lyon, influencée par ce courant de pensée, elle souhaite l’amélioration de la
condition féminine. Ses réunions sont publiques et les femmes peuvent
participer aux différentes fondations qu’elle organise. Cet intérêt se confirme
par la publication d’un avis de concours dont un des concepteurs n’est autre qu’Arlès-Dufour
qui propose le thème suivant :
« Etudier
et rechercher surtout au point de vue moral et indiquer aux gouvernants, aux
administrateurs, aux chefs d’industrie et aux particuliers, quels seraient les
meilleurs moyens, les mesures les plus pratiques :
1 :
pour élever le salaire des femmes à l’égal de celui des hommes, lorsqu’il y a
égalité de service ou de travail ;
2 :
pour ouvrir aux femmes de nouvelles carrières et leur procurer des travaux qui
remplacent ceux qui leur sont successivement enlevés par la concurrence des
hommes et la transformation des usages et des mœurs. »
C’est là que Julie Victoire
Daubié, l’autodidacte, entre dans l’arène académique. Le 15 juin 1859, le
secrétaire général de l’Académie Impériale des Sciences, Belles Lettres et arts
de Lyon, C. Fraisse, lui envoie une lettre annonçant que l’Académie lui décerne
une médaille de la valeur de 800 francs (dont la moitié était offerte par
Arlès-Dufour), pour son mémoire sur le travail des femmes. Elle devance des
candidats de grande renommée : un docteur ès lettres, professeur de
logique à Cherbourg, un conducteur des Ponts et Chaussées ardéchois et Jean
Boucher de Perthes, fondateur de la science préhistorique. Son travail de
quatre cent quarante-sept pages, « La
femme pauvre par une femme pauvre », est couronné le 21 juin 1859. L’auteure
y expose le crime du code civil et pénal napoléonien envers les femmes et les
enfants et, par des moyens simples, donne des mesures pour réformer les mœurs,
donner l’instruction nécessaire aux jeunes filles et les rendre actives dans l’économie
du pays. Dans ce mémoire, elle déclare aussi essayer de « faire ressortir les conséquences funestes d’un état de chose
qui blesse à la fois la morale, la justice, l’humanité, le droit individuel, le
droit public... ». Elle démontre avec une certaine audace que la femme
est cantonnée dans un rôle de courtisane ou de ménagère. Elle s’inspire, pour
trouver les moyens et mesures qui pourraient convaincre et aider à améliorer le
statut des femmes, des brodeuses qu’elle a côtoyées dans son enfance. En effet,
dans une bâtisse de Fontenoy-le-Château, quelques six cents femmes, gagnant
plus que leur père ou leur mari, étaient employées et préservées des tâches
domestiques assurées par les hommes, afin de conserver la finesse de leurs
doigts et de leurs mains. Les brodeuses avaient ainsi ouvert « un mouvement d’émancipation, de
partage et de bon sens économique ». Une correspondance suivie s’instaurera
dès 1860 entre Mademoiselle Daubié et Arlès-Dufour, elle durera jusqu’à la mort
de ce dernier.
Dans un second concours
académique, elle plaidera la cause des institutrices laïques en réclamant la
suppression des lettres d’obédience. Son mémoire anonyme, intitulé « Du progrès dans l’enseignement
primaire. Justice et liberté ! », ne sera pas retenu.
Mais le but que poursuivait
Julie Victoire était plus extraordinaire encore : elle voulait devenir
professeur… Aucun lycée de filles n’existait à l’époque et elle dut travailler
en autodidacte afin de passer les épreuves du baccalauréat qui demandait l’étude
du grec et du latin, puis suivre des cours à l’Université pour obtenir la
licence et faire sa thèse de doctorat. Les femmes ne pouvaient pas entrer à la
Sorbonne, mais elles avaient accès au Muséum d’Histoire naturelle où elle s’inscrivit
aux cours de zoologie d’Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. Elle reçut parallèlement
l’aide de son frère aîné, qui était prêtre, pour l’étude du grec et du latin.
Elle commença alors à demander son inscription pour les examens du baccalauréat
au Recteur de l’Université de Paris, sans résultat, il en fut de même à Aix-en-Provence.
Elle approchera d’autres Recteurs discrètement, sans plus de succès alors que l’exclusion
des femmes de l’Université était un fait établi par l’ « usage »
et que ce n’était que leur abstention
qui faisait croire à leur exclusion « légale ».
Quoi qu’il en soit, Julie
Victoire Daubié, forte de ses appuis saint-simoniens et de ses recherches
reconnues par l’Académie Impériale de Lyon, ne se voyant opposer aucune loi qui
défende à une femme de se présenter au diplôme du baccalauréat, posa une
demande légalisée à la mairie avec son acte de naissance et les cent francs des
frais d’examen. Ne voulant pas gâcher ses chances par une publicité qui aurait
peut-être conduit le ministre de l’Instruction Publique à lui dénier son droit
en interprétant négativement le silence de la loi, elle prit conseil auprès d’académiciens
lyonnais disposés à couvrir cette innovation spectaculaire et la lettre de
convocation lui arriva le 8 juillet 1861 :
« Mademoiselle,
J’ai
l’honneur de vous faire savoir que vous avez à choisir entre le 13 ou le 16
août pour le premier jour de votre examen du baccalauréat ès lettres. Si vous
désirez éviter une trop grande affluence de curieux, vous ferez bien de choisir
le 13 au lieu du 16 et de le laisser ignorer autant que possible. Je pense que
vous arriverez la veille et je me ferai un plaisir de vous donner tout
renseignement désirable. L’épreuve écrite a lieu à 7 heures du matin au Palais
Saint-Pierre, place des Terreaux.
J’ai
l’honneur d’être avec ma considération respectueuse, votre très humble.
C.
De Barruel, Secrétaire de la faculté de lettres. »
Un retard de courrier la
fera passer le 16 août, elle avait trente-sept ans. Selon le système de notes
du moment, Julie Victoire obtint une boule rouge (bien) pour la version latine
et une boule blanche (très bien) pour le discours latin, le passage oral lui
apporta trois boules blanches, six boules rouges et une boule noire (mal), ce
qui lui valut une mention passable (3). La première bachelière de l’histoire
de l’instruction n’était cependant pas au bout de ses peines, en effet, elle ne
pouvait pas recevoir son diplôme. Le Recteur C. de la Lassausaie ne voulut pas
prendre le risque de signer le document, il en référa à Gustave Rouland,
ministre de l’Instruction Publique, qui refusa sa signature. Ce ne fut que
grâce à l’intervention du Doyen Francisque Bouillier et à celle d’Arlès-Dufour
qui approcha l’impératrice Eugénie, que le Recteur et le ministre
acquiescèrent. Le Doyen déclara : "Aujourd’hui,
par son exemple, elle ouvre une voie nouvelle aux femmes plus nombreuses qu’on
ne le pense, qui, comme elle, ont reçu en partage la force de la volonté et la
force de l’intelligence. »
Il n’en reste pas moins que
le ministre refusa d’utiliser le féminin sur le diplôme de bachelier ès-lettres
de Julie, il fut fait au nom de l’Empereur le 7 décembre1861, signé par le
ministre secrétaire général au département de l’Instruction Publique et des
Cultes, Rouland, et délivré par le Recteur de l’Académie de Lyon, le 17 mai
1862 ! L’Inspecteur d’Académie Vivien le signa à son tour, ainsi que Julie
Victoire Daubié, mais le mot Sieur ne fut pas rectifié… (le
secrétaire avait ajouté Melle à côté du mot Sieur,
mais n’avait rien changé à la ligne suivante où fut écrit Sieur Daubié bachelier )
On aurait pu croire que la
première femme à braver les interdits fit des émules, il n’en fut rien. On
retrouve deux candidates en 1866 (des précautions de police et deux huissiers
furent nécessaires pour le passage des épreuves), cinq seulement en 1875, dix
en 1882 et cent en 1920. Ces petits nombres s’expliquent peut-être par le
manque d’enseignement secondaire pour les filles à cette époque. Mais qu’importe,
Julie Victoire, en jouant sur le silence de la loi, leva l’interdit aux femmes
de passer le baccalauréat et entama le processus qui allait mettre un terme à
leur exclusion. Elle vouera le reste de sa vie aux études économiques et au
sort des femmes jusqu’à sa mort à Fontenoy-le-Château, le 26 août 1874 (4).
Une
quinzaine d'écoles maternelles et primaires de France portent son nom mais la
plupart des gens ont oublié Julie Victoire Daubié. Cela peut se comprendre.
Aujourd'hui, filles et garçons peuvent passer le bac et plus de 50 % des
bacheliers sont désormais des filles. Raviver son souvenir n'est
cependant pas inutile, même à notre époque...
"En France (j'aime à le dire pour l'honneur de mon pays)l'initiative sociale nous manque ici beaucoup plus que la liberté, car j'ai pu être admise, l'année dernière, à l'examen du baccalauréat, par la Faculté des Lettres de Lyon, sans faire de demande exceptionnelle. J'ai rencontré partout, pour cette innovation, une bienveillance impartiale et des sympathies généreuses, dont je ne saurais trop remercier ma patrie et mon siècle." Lettre de Julie à Elizabeth Garrett, 3 décembre 1862
(1) : « L’égalité en marche : le féminisme sous la Troisième République », Klejman et Rochefort, 1989
(2) : D’après « Les
démarches et l’exploit de Julie Victoire Daubié, première bachelière de France,
à Lyon, sous le Second Empire », Raymonde Albertine Saliou Bulger, 1997
(3) : « Le baccalauréat, né
le 17 mars 1808 par un décret de Napoléon 1er, se déroulait à sa création à
l'oral et surtout en grande partie en latin, avant de connaître moult
évolutions tout au long de 200 ans d'une histoire mouvementée. Son nom provient probablement du latin "bacca laurea", "baie de lauriers". « Lors de
sa première session, en 1809, seuls 30 candidats sont reçus, après s'être
soumis à trois quarts d'heure d'épreuve orale en latin, grec, français et
philosophie, conduite par des professeurs d'université », explique Philippe
Marchand. Le corpus des savoirs à maîtriser porte alors sur l'ensemble du
programme depuis la 6e. L'histoire et la géographie s'y ajoutent en 1820, les
maths et la physique en 1821.
En 1840, les candidats, qui
ne sont encore que des garçons sont désormais plusieurs milliers à se présenter
(près de 3.000 reçus en 1830). Ils passent une épreuve écrite de version
latine, en deux heures, qui détermine leur admissibilité. Apparaît alors le
"bachotage", permis par la publication de "mémentos" (nos
actuelles "annales») et, par extension, s'ouvrent dans tout le royaume des
institutions privées préparant au baccalauréat, que l’on appellera bientôt des « fours
à bachot ». Jusqu'ici sanctionné par une seule appréciation (très bien,
bien, assez bien ou mal), le système de notation est transformé en 1854. Chaque
membre du jury dispose de trois boules, une blanche (positif), une rouge
(moyen) et une noire (négatif), et en dépose une dans une urne à chacune des
huit épreuves désormais en vigueur. Huit boules blanches se traduisent par la
mention très bien et huit noires par l'ajournement. Notre notation de 0 à 20
n'apparaît qu'en 1890-91.
L'effervescence des
réformes éducatives de la IIIe République et ses débats entre les partisans des
humanités classiques, appuyées sur le latin et le grec, et les promoteurs d'une
éducation sans latin mais avec plus de français, de langue vivante et de
sciences, secoue encore l'organisation du bac à la fin du siècle. Scindé en
deux parties en 1874 (une en fin de 1e, une en fin de terminale), il se
décroche à partir de 1880 sans le "discours latin", préparé et
prononcé alors par tous les élèves, puis se sépare en deux bacs : le
"classique" comprend toujours du latin et du grec pour tous et se
divise en deux séries (philosophie ou mathématiques élémentaires) et le
"moderne", sans latin. Ce nouveau bac "moderne" répond à
une telle attente qu'entre 1893 et 1904, on passe de 583 à 2 155 bacheliers. Jusqu'en
1945, de nouvelles séries apparaissent, de plus en plus de jeunes s'y essayent :
11 939 bacheliers recensés en 1935, garçons et filles, et 30 000 en 1948. En
1919, un baccalauréat spécifiquement féminin est instauré. Il est l’égal du bac
masculin. Les programmes seront unifiés en mars 1924. Il faudra attendre 1938
pour que les femmes mariées puissent s’inscrire à l’université sans
l’autorisation de leur époux. Les femmes investissent le baccalauréat surtout à
partir de 1924, lorsque le programme des collèges et lycées de jeunes filles
est aligné sur celui de l'enseignement secondaire masculin. En 1963, les deux
parties sont abandonnées au profit, en 1965, des épreuves anticipées de
français. Puis, en 1968 naît le bac technologique et en 1985 le bac
professionnel. Sources : Philippe Marchand. Maître de
conférence émérite à Lille III, in Contribution
AFP et dossier La Dépêche, 2008.
(4) : « Julie-Victoire
voyage entre Paris et Fribourg où elle enseigne le français et se perfectionne
en allemand. Elle est sollicitée de toute part et s’engage pour défendre de
nombreuses causes. Jules Duval, rédacteur de l’hebdomadaire L’Économiste français, organe
politique des intérêts métropolitains et coloniaux, l’invite à une conférence
sur l’immigration. Elle écrit quelques articles pour ce journal et devient
ainsi la première femme collaboratrice d’un grand périodique. Dans le n° 8
de juin 1865, sous le titre « Les Colonies Maternelles. Réformes sociales
et légales », elle souligne « le bienfait des colonies maternelles
pour les enfants des classes laborieuses et urbaines généralement envoyés à la
campagne chez des nourrices négligentes et mercenaires. » Elle insiste
aussi sur le fait d’imposer aux pères le devoir de fournir l’alimentation de leurs
enfants. Elle veut enfin « discuter des meilleurs moyens d’établir les
droits de filiation pour soumettre ces conditions aux assemblées
législatives. »
Toujours
en 1865, la rédactrice d’une revue anglaise souhaite qu’elle devienne
correspondante pour une série d’articles sur la condition des femmes
françaises. Elle ne peut répondre à cette demande car sa connaissance de la
langue anglaise est insuffisante. Par contre, son mémoire La Femme pauvre par une femme pauvre,
qui avait obtenu le premier prix à Lyon, est publié par les éditeurs Guillaumin
en 1866, puis Thorin en 1869. Cet ouvrage, qui a été réédité en 1992 en trois
volumes, est un exceptionnel recueil de références pour les historiens
d’aujourd’hui. En 1867, il reçoit une mention honorable du jury international
de l’Exposition universelle. Cette même année, Julie adresse une requête aux
sénateurs et députés sur l’inégalité des salaires.
Impétueuse,
certes, pas toujours très diplomate, Julie-Victoire Daubié s’engage dans les
mouvements pacifistes alors que les conflits grondent. Elle collabore à la Ligue internationale permanente de la paix,
fondée en 1867 par Frédéric Passis qui sera prix Nobel de la paix en 1901.
Travailleuse infatigable, elle étudie encore pour passer une licence. L’accès à
l’université lui étant refusé, elle travaille seule. En 1871, le recteur de
l’académie de Paris l’autorise à s’inscrire à l’examen en lui rappelant
toutefois que « tout candidat doit justifier du diplôme de
bachelier » ! Ce fait nouveau et exceptionnel attire encore la
curiosité. Eugène Manuel, professeur à l’École normale, auteur d’un drame
social sur les ouvriers en 1820, lui écrit : « Vous seriez bien
aimable de me donner avis du jour où vous passerez votre examen, l’événement
est assez nouveau et intéressant pour que j’en parle au Ministre et il me
serait agréable d’assister aux épreuves orales pour mon propre compte d’abord,
puis pour le représenter. »
Le
16 octobre 1871, Julie-Victoire Daubié devient la première femme licenciée ès
lettres. Elle reçoit les félicitations du ministre de l’Instruction publique et
des Cultes qui lui déclare : « Je ne perds pas un instant de vue la
nécessité d’organiser de façon sérieuse l’éducation des femmes. C’est une cause
au succès de laquelle vous avez grandement contribué. » Il lui offre
quelques volumes afin de « l’aider dans des études ultérieures. » De
plus, l’Académie accepte de mettre un mot nouveau dans le dictionnaire :
« bachelière ». Par contre, sur son diplôme, on ne met pas de
« e » à « licencié », mais le secrétaire écrira en
biais : « Attention Demoiselle ». Julie-Victoire a quarante-sept
ans et un nouvel objectif : passer un doctorat.
Elle
demande au maire de Paris son inscription sur les listes électorales ce qui lui
est refusé. Elle continue ses activités journalistiques. L’Association pour l’émancipation progressive
de la femme crée
de petites brochures distribuées gratuitement. Julie y écrit de nombreux
articles. Dans un style percutant et passionné, elle aborde divers sujets tels
que la recherche de paternité, la lutte contre la prostitution clandestine, le
droit de vote pour les femmes obtenu en 1862 en Autriche, en 1869 en
Angleterre. Elle s’élève aussi contre le fait que les femmes ne puissent
bénéficier de places assises dans les omnibus parisiens alors qu’elles payent
le trajet plus cher que celui d’un homme. Elle critique Alexandre Dumas fils
qui traite les femmes « d’animaux femelles ».
Bref,
elle dérange par la véhémence de ses propos et, bien que la liberté de la
presse existe, on interdit celle du colportage de certaines revues. En
conséquence, la diffusion de ces petites brochures gratuites est suspendue en
février 1873. Cette année-là, elle a la douleur de perdre sa mère et son ami
Arles-Dufour. Elle entretient une riche correspondance avec Juliette Adam qui
se bat contre ceux qui condamnent la femme à un rang inférieur. Juliette Adam,
qui tient un salon réputé, devient un excellent agent de vente des œuvres de
Julie-Victoire qui publie L’Émancipation de la femme, Le Manuel du jeune homme, La Question de la femme, La Tolérance légale du vice.
Tout
en préparant son doctorat, elle étudie la botanique, crée un herbier qu’elle
offre à une jeune condisciple paraplégique. Puis elle tombe malade. Atteinte de
tuberculose, elle se soigne en suivant les conseils de Raspail qui préconise le
camphre comme antiseptique. Malgré la maladie, elle prépare une thèse sur la
femme dans la société romaine. Fatiguée, elle quitte la capitale pour retrouver
son pays natal. Le 26 août 1874, la mort la surprend à sa table de travail
alors qu’elle écrit son testament. Julie Victoire a cinquante ans. Elle est
enterrée dans le cimetière du Priolet à Fontenoy-le-Château, simplement et sans
faire-part. » Bulletin de l’Académie du Var, 2008
Bibliographie :
BULGER Raymonde :
« Lettres à J.V.Daubié (1824-1874) :
la première bachelière de France et son temps », New York, 1992
« J.V.Daubié
et le miroir de la société corrompue : la prostitution et la domesticité
sous le Second Empire », actes du congrès CIEF, 1993
« Genèse
de la Femme pauvre au dix-neuvième siècle de J.V.Daubié », Francographies,
1994
DAUBIE Julie Victoire :
« La femme
pauvre au XIXème siècle », Paris, Guillaumin, 1866
« La
femme pauvre au XIXème siècle : sa condition économique, morale,
professionnelle », Paris, Thorin, 1870
« L’émancipation
de la femme », Paris, Thorin, 1871
« Le
manuel du jeune homme », Sylvio Pellico, 1872
« La
question de la femme », Paris, Lévy, 1872
« La
tolérance légale du vice », Paris, 1872
P.P
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