vendredi 27 mai 2022

Apprendre à compter

 



Savez-vous compter ?

Les bonnes vieilles méthodes

Ecole rue Buffon, Paris 5ème, photographie Robert Doisneau, 1956 (auction.fr)

Quel est le problème ?

Autrefois, la maîtrise du calcul excéda-t-elle de beaucoup les quatre opérations ? La France de la deuxième moitié du 19e siècle, nation de petits entrepreneurs agricoles, artisanaux ou commerçants, enseigne à ses fils les vertus de l’épargne, de l’accumulation du patrimoine et de sa transmission héréditaire. Ferdinand Buisson, directeur de l’enseignement primaire de Jules Ferry, définit la méthode : « voir avec les yeux avant de voir avec la tête » « partir du concret pour aller vers l’abstrait ». De fait, les écoliers apprirent à compter en manipulant des bûchettes et en poussant les boules de couleurs de leur boulier.

60 problèmes à la fin de l’article, révisez vos fondamentaux…



Un savoir lié à la nécessité économique

Le savoir-compter nécessaire à la formation sociale reste celui du clerc de notaire : calculer une surface foncière (ou plus exactement convertir par écrit, en système métrique, les anciennes mesures mentales exprimées en « journaux » ou  en « arpents ») ; estimer rapidement les intérêts composés d’un capital placé à taux fixe (la rente d’Etat ne fut-elle pas pendant longtemps la principale application des exercices arithmétiques scolaires ?) ; récapituler la valeur de quantités hétérogènes à des prix différents (bois en « cordes », grains en « quintaux », foin en « charrettes »…). Le calcul scolaire quitte rarement le terrain des réalités matérielles familières à tous les enfants, même ceux des familles prolétaires. Il n’est guère de nombre qui ne s’investissent immédiatement en quantités métrologiques ou monétaires, mais non sans difficultés supplémentaires dans beaucoup de régions de France, comme se souvient Pierre-Jakez Hélias : « Mes camarades et moi, nous avons quelques difficultés avec le 18 qui se dit en breton trois-six. Nous nous étonnons un peu de ce que le Français appelle 40 ce qui est deux-vingts, 60 ce qui est trois-vingts et pourtant, il dit quatre-vingts comme nous. » Complication aussi des unités de compte monétaires, pour les habitués bretons ou bisontins du « réal » : « A l’épicerie, 2 francs 15 centimes valent en breton 8 réaux et 3 ou 9 réaux moins 2. 3 francs 10 centimes font 1 écu et 2. C’est un peu étourdissant (..). A l’école, il faut tomber tout juste. On va chercher des grammes et des milligrammes comme les apothicaires. Ce calcul-là est une invention d’avares ou d’hypocrites, je vous laisse à choisir. » Le Cheval d’orgueil

Voilà, certes, un début bien ardu, mais qui résume les avantages, le but et le caractère que prendra l’enseignement du calcul dans les écoles primaires. Pour le reste, les instructions ministérielles du 20 août 1857 constituent le vrai programme pour les écoles et celles qui suivront ne diront rien de plus exact et de plus sage. Pour atteindre ses objectifs, l’instituteur doit se servir de cette science comme d’un moyen d’éducation, une science que l’on applique au développement de l’intelligence, du raisonnement et du jugement de l’enfant. A lui ensuite d’adapter ses connaissances à ses besoins, pour « calculer » avec assurance, exactitude et facilité ce qui se présentera dans sa vie.

On considérera longtemps que, de toutes les matières du programme de l’instruction primaire, l’arithmétique est celle qui laisse le moins à désirer, appuyant ce raisonnement sur les examens du certificat d’études ou sur les concours cantonaux dont les compositions de calcul étaient généralement bonnes et les problèmes bien résolus… oubliant au passage que les élèves présentés à ces épreuves ne constituaient qu’un faible pourcentage des écoliers scolarisés, les meilleurs éléments toutefois.

La réussite au certificat, 1963

Un vœu pieu

On peut s’interroger sur l’application réelle de la circulaire du 20 août précitée et sa volonté de présenter la leçon d’arithmétique comme « un exercice de logique et morale populaires ». Ces leçons ont-elles toujours été données avec cette simplicité et ce caractère d’utilité pratique visant à éveiller l’intérêt de l’enfant et à lui faire acquérir « cette rapidité, cette dextérité d’opérations techniques sans laquelle il n’aura qu’une demi-science à peu près inutile ? » On est malheureusement gagné par le pessimisme.

Une école normale en 1865, élèves maîtres, leur aumônier et leurs professeurs

Au milieu du 19e siècle, même du côté des normaliens, les connaissances mathématiques se limitaient souvent aux quatre opérations, bagage suffisant pour apprendre à compter aux petits paysans qui vivraient, comme leurs parents avant eux, en autosuffisance. On note d’ailleurs que la « sagesse populaire » avait acquis une technique performante de calcul mental bien adaptée à la gestion des activités quotidiennes.

La mécanisation alla bon train et on assista rapidement, dans les classes, à une récitation par cœur des définitions du nombre, de l’addition, de la multiplication et des règles qui s’y rapportaient, tant et si bien qu’au signal du claquoir, la litanie des tables commençait sans que l’élève ne traçât jamais un seul chiffre sur son ardoise. Pendant deux décennies, on s’éloigna quelque peu des avancées de la fameuse circulaire et, aussi, de l’adage de Jean-Jacques Rousseau : « Les sens sont les premiers instruments de nos connaissances ; avant d’apprendre à l’enfant à lire, il faut lui apprendre à voir. » L’avènement du Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson (entre 1881 et 1887) va rappeler la base de l’enseignement du calcul : l’intuition. Le rôle du maître sera d’utiliser des « moyens sensibles » afin de donner à l’écolier une idée juste du nombre et lui éviter de « confondre le nombre et l’idée avec les chiffres ou les signes qui n’en sont que la représentation. »

Dictionnaire pédagogique, Ferdinand Buisson, 1882

Bientôt, dans la deuxième moitié de 19e siècle, le développement des techniques et l’industrialisation du pays rendirent nettement insuffisant le savoir minimal des maîtres et, grâce aux Ecoles normales et à leur recrutement très sélectif, les futurs instituteurs étendirent leurs connaissances mathématiques vers des notions plus complexes : règles de trois, pourcentages, géométrie, fonctions…

Les supports pédagogiques des maîtres

Au maître donc de faire comprendre aux écoliers ce qu’est le nombre. Qu’il leur fasse compter des objets connus ou familiers : leurs doigts, les galets collectés à la récréation, leurs billes, le petit matériel fabriqué en classe : les bûchettes et les jetons ; qu’il les questionne sur le nombre de tables de la classe, sur le nombre de livres de la bibliothèque scolaire, sur le nombre de jours de la semaine, du mois. Tout doit éveiller le sens de l'observation, de l’attention et de la réflexion pour finalement acquérir l’« idée » du nombre, alors, à ce stade seulement, on justifiera cette notion par des exercices de composition, décomposition, addition et soustraction de ces différents nombres, utilisant la foule de connaissances exactes et utiles acquises par la manipulation. Un grand nombre d’appareils furent mis à la disposition des apprentissages et, comme la Chine eut son souan-pan, la Russie sa schtote et les Romains leur abacus, les écoliers français eurent leurs bûchettes, jetons et bouliers.

Stchioty

Boulier chinois ou souan-pan (Wikibooks)

Boulier romain ou abacus (tertisco-alexandru.com)

Boulier japonais (soroban)

Les bouliers. Le boulier compteur, limité à des opérations simples, fut l’instrument le plus utilisé aux débuts de l’école primaire, qu’il soit individuel ou bien collectif. Il était peu encombrant et facile d’utilisation, mais il fut peu à peu remplacé par les bûchettes avant de disparaître après la Grande Guerre. Quant à lui, le boulier numérateur, inventé par Marie Pape-Carpantier (1), était bien plus performant. Sa tringlerie permettait de représenter les classes de nombres jusqu’aux millions… pour les écoliers de classes maternelles ! (2)


Boulier collectif sur pied



Catalogue de matériel scolaire, Les Fils d’Emile Deyrolle, 1925

Boulier numérateur de Pape-Carpantier

Les bûchettes traditionnelles, puis industrielles. De fabrication artisanale au début, préparées par le maître ou taillées par le grand-père dans des brindilles de noisetier ou de sureau, elles devinrent, entre les deux guerres, de belles baguettes rectilignes et colorées, avant de faire partie du matériel décimal symbolisant les unités. 

Bûchettes « artisanales » (collection musée)




Bûchettes industrielles (collection musée)

Toutefois, à la fin du 19e siècle, les écoliers sortaient leur réserve de bûchettes du pupitre à l’annonce de la leçon de calcul. De 1 à 9, ces dernières représentaient les unités, au nombre de 10, elles étaient liées par une ficelle ou un élastique pour former un « fagot » : 1 fagot = 1 dizaine, facile ! La suite l’était moins, à notre fagot venait s’ajouter une nouvelle série d’unités pour former d’autres nombres aux noms compliqués : onze, douze, treize… qui nous amenait à un deuxième fagot et donc à deux dizaines nommées 20. Tout allait bien jusqu’aux fatidiques 70, 80, 90 ! Bon an mal an, la fin de cours préparatoire ouvrait la porte à la centaine. L’écolier avait découvert tous les secrets des nombres en les composant et les décomposant et le matériel se perfectionna, dans les années 70, avec l’arrivée des petits cubes (unités), des dizaines (barrettes), des centaines (plaques) et les milliers (cubes), en plastique emboîtable, la fameuse « base 10 ».

Base 10 en bois (collection musée)

Assimilant le principe de la numération décimale, parallèlement, l’écolier avait acquis le sens des 4 opérations : 8, c’est 5 bûchettes + 3 bûchettes, c’est aussi 6 + 2 ou 2 x 4 ou encore 9 – 1. Il s’essayait alors à la résolution de petits problèmes de la vie courante : j’ai 5 bonbons dans ma poche (je pose 5 bûchettes sur le pupitre), maman m’en redonne deux (j’ajoute 2 bûchettes sur le pupitre), combien en ai-je maintenant ? Et d’entonner en cœur « 5 bonbons plus 2 bonbons = 7 bonbons », restait alors à passer à l’abstraction de la pose de l’opération sur l’ardoise ou le cahier…

Les jetons. Avec les nombreuses découvertes pédagogiques initiées par les études sur la psychologie de l’enfant, une nouvelle méthode apparut favorisant une vision globale du nombre évitant le comptage par unité. C’est ainsi qu’à partir des années 1930, les jetons se joignirent aux bûchettes. Plus maniables et possédant deux faces bicolores, ils permettaient des dispositions en formes géométriques fixant une représentation « globale » du nombre rappelant les dominos. A la même époque, se développait aussi la fameuse « méthode globale » de lecture. On ne pouvait cependant pas dire que les jetons étaient une invention moderne (3)

Panneau collectif utilisant des jetons (collection musée)

Techniques et programmes

Le calcul mental : Cet exercice fit les beaux jours du procédé « Lamartinière » : l’ardoise bien à plat sur le pupitre, la main tenant la craie levée (la droite évidemment) et prête à écrire la réponse au son d’un coup de règle, la voix du maître énonçant clairement « Jules avait 13 billes, il en a gagné 9 à la récréation. Combien Jules a-t-il alors de billes ? » L’ambiance est silencieuse et pesante, les yeux se lèvent au ciel, des mains (gauches celles-là) s’agitent sous les pupitres, tentant un comptage hasardeux – coup de règle – les mains droites s’affolent pour écrire la réponse – coup de règle – les ardoises se lèvent au-dessus des têtes, tenues à deux mains ! Plus question de bouger, sauf peut-être les têtes qui jettent un coup d’œil furtif sur l’ardoise du voisin, cherchant à se rassurer quant à la réponse et permettant une correction rapide, sans l’assurance de ne pas copier une faute… « 13 + 9 », chacun devait pourtant savoir la technique dite et redite : « pour ajouter 9, j’ajoute une dizaine et j’enlève une unité ». Dans d’autres situations, la parfaite connaissance des tables était indispensable. L’entraînement se poursuivait ainsi tout au long de la scolarité primaire, régulier et progressif, pour aboutir à l’épreuve suprême, les cinq questions de calcul mental du certificat d’études, toutes empruntées à la vie de tous les jours.

Les tables : Les premiers programmes imposèrent l’apprentissage des tables d’addition, de soustraction et de multiplication. Seule survécut cette dernière. La rapidité de calcul et l’exactitude du résultat des opérations dépendaient de la mémorisation de ces tables. La hantise d’« apprendre ses tables » s’installa rapidement dans la vie des écoliers, même s’il ne restait que la table de multiplication. Les rabâcher le soir à la maison, les revoir le matin avant de partir, les chanter à l’école, elles étaient partout : sur les couvertures de cahier, sur les protège-cahiers, sur les buvards, dans les manuels… alors que certains cerveaux rebelles en refusaient systématiquement l’enregistrement.

Les mesures usuelles de l’école publique, laïque et obligatoire : Dès la mise en place de l’école de Jules Ferry, la priorité fut d’unifier les unités de mesure et d’étendre définitivement le système métrique à tout le territoire. Chaque école fut dotée du fameux « compendium métrique », entendez la petite armoire vitrée qui trônait dans les classes et renfermait les principaux instruments de mesure qu’il faudrait désormais maîtriser. 

Compendium dans son armoire

Chaîne d’arpenteur (décamètre)

Mètre à ruban (décamètre), 1890

On y trouvait, pêle-mêle : la chaîne d’arpenteur et différents mètres (règle en bois rigide, mètre pliant à 5 ou 10 branches, mètre en métal, mètre en ruban), la balance romaine, la balance Roberval (4) avec sa boîte de poids en laiton et quelques poids en fonte de 1/2, 1 et 2 kilogrammes (5), les mesures de capacité en fer et en bois, les volumes en bois (cube, pyramide, cône, cylindre…), tous ces objets de mesure que l’on retrouvait dans la vie courante, notamment chez les commerçants et les artisans. 

Tableau mural A. Colin, Système métrique par Léon Vaquez, vers 1890

Volumes en bois, 1890 (collection musée)

Le système métrique : C’est la Convention qui avait décidé de l’unification des poids et mesures en 1795, instituant l’usage obligatoire du système métrique (6). Guizot, par sa loi de 1833, avait, à son tour, rendu l’apprentissage du système métrique obligatoire dans les écoles. Finalement, près d’un siècle après la Révolution, les campagnes comptent toujours en livres, en onces, en aunes, en chopines, en brasses ou en cartonnées et, évidemment, ces mesures n’avaient pas la même valeur d’une région à l’autre… L’obligation fait donc son retour avec Jules Ferry, tout comme le « seul l’usage du français est autorisé à l’école » (article 16 du règlement départemental de Saône-et-Loire de 1890). 

Règlement départemental de 1890 (collection musée)

Règlement départemental de 1890, détail (collection musée)

La logique  et le rationnel semble l’emporter avec l’association du système métrique et du système décimal avec une unité principale pour chaque mesure. 



Désormais, l’écolier mesurera les longueurs en mètres, les poids en grammes, les capacités en litres, le tout agrémenté de multiples : déca (10 fois), hecto (100 fois), kilo (1 000 fois), et de sous-multiples : déci (1/10), centi (1/100), milli (1/1 000).







Déclinaison moderne du mètre (wikipedia)

Alors commença le calvaire des conversions : ajouter 1, 2 ou 3 zéros, déplacer une virgule vers la droite (pour obtenir des unités plus petites) ou vers la gauche (pour obtenir des unités plus grandes), remplacer les unités manquantes par des zéros. Facile à priori, mais c’était sans compter sur les pièges tendus par le maître. A peine ces notions assimilées, arrivaient les mesures de surface et de volume !  Et voilà le nombre de zéros à ajouter, doublé ou triplé, les déplacements de la virgule qui passent d’un rang à deux ou trois à chaque changement d’unités… Pas de quoi dissiper l’angoisse des fractions qui arrivent !

La géométrie : Pas de problèmes sans calcul de périmètres, de surfaces ou de volumes. Pas de travail manuel sans découpages de carrés, de triangles, de rectangles, de trapèzes, de cercles, ni sans constructions de cubes, de parallélépipèdes, de cônes ou de pyramides, sans oublier le tracé et la mesure des angles. Conclusion : il fallait apprendre par cœur les formules de calcul pour ainsi affronter tous les problèmes qui se poseraient dans la vie quotidienne.


Règle et compas, vers 1890 (collection musée)


Matériel collectif du maître, vers 1960  (collection musée)


Matériel de l’élève, vers 1960  (collection musée)

Les problèmes, justement : Si seulement connaître les notions arithmétiques sur le bout des doigts, et maîtriser parfaitement le savoir-faire opératoire suffisaient pour tout résoudre… Quid de la « bosse des mathématiques » et du raisonnement logique ? Heureusement, les instructions officielles ne préconisaient que la résolution de problèmes simples de la vie courante qu’un entraînement répétitif suffirait à installer des automatismes. D’accord pour savoir ce qu’avait encaissé la fermière qui vendait 3 douzaines d’œufs au marché, à 0 franc 50 la douzaine. Mais si elle avait aussi vendu 4 poulets à 3 francs 50 l’un, et 6 fromages à 2 francs 75 les deux ? Comment savoir combien il resterait de surface de pré à un paysan s’il creusait une mare de 5 mètres de diamètre et 1,50 mètre de profondeur sur un terrain de 175 mètres de long sur 66 mètres de large ? Facile pour les uns, compliqué pour d’autres.

Alors que les instructions parlent « de problèmes simples de la vie courante », il n’en reste pas moins que la vie courante ne l’entend pas de cette oreille. Que d’imprévus ! Que de situations complexes nécessitant une lecture « fine » de la part de l’écolier ! Tout devient source d’interrogation : et si le champ du paysan n’avait pas des formes régulières ? Et si la fermière cassait des œufs avant de les vendre ? Et si le cycliste était victime d’une crevaison qui faisait baisser sa moyenne, et si les trains ne partaient pas à l’heure, et si le partage des dépenses ou des bénéfices ne se faisait pas à parts égales… De fait, les manuels d’arithmétique s’en donnèrent à cœur joie, on reste coi devant le nombre et la diversité des situations inventées par les auteurs, situations qui, parfois, dépassaient l’entendement, à l’image du 1300 problèmes, recueil de problèmes qui inventa des trains qui se poursuivaient et des robinets qui fuyaient dans des baignoires qui se vidaient…


1300 problèmes, édition 1965 (collection musée)




1300 problèmes, édition 1965, table des matières  (collection musée)

La clarté de la réponse à un problème se traduisait par une parfaite présentation des résultats de la réflexion. Les exigences des maîtres étaient dictées par les instructions, dans toute la France, elles se répétaient dans les cahiers de tous les écoliers. Un énoncé proprement recopié, une petite colonne à droite de la page comportant les opérations effectuées (et la preuve par 9), à gauche, la colonne principale était réservée au développement et aux explications des étapes du raisonnement : une phrase annonçait chaque calcul, suivie d’une opération en ligne (à laquelle devait correspondre une opération posée en face) et d’une réponse avec l’unité concernée. Rien n’avait changé depuis l’édition, au début du 20e siècle, du manuel Arithmétique de Maurice Royer et Planel Court. Cet ouvrage, qui répertoriait, par niveau, 6 650 problèmes, avait été le fruit d’une concertation entre professeurs et préparait évidemment au certificat. Le certificat ! Avec sa terrible épreuve de dictée qui pouvait enlever radicalement tout espoir, mais aussi la redoutable épreuve d’arithmétique pour laquelle le 20/20 était pratiquement inaccessible… Seuls quelques-uns avaient le potentiel pour réussir de brillantes études mathématiques. La plupart, malheureusement poussés par des conditions de vie modestes, n’auraient que l’ambition de reprendre la ferme paternelle, avec toutefois les armes nécessaires qui leur permettraient d’affronter la révolution agricole de la 2e moitié du 20e siècle. Pour les sans-grades, ils avaient cependant appris à raisonner, calculer et trouver, tant que faire se peut, la solution aux « problèmes de la vie courante ». 


Manuel d’arithmétique Royer-Court, cours moyen 1ère année, 10e édition Armand Colin, 1934 (collection musée)

Les problèmes : terrain de jeu ou terrain miné ?

Pour illustrer et clore notre propos sur le « savoir compter », voici les problèmes posés à Antonin, élève de 13 ans, en classe de fin d’études. A noter que tous ces problèmes sont extraits du fameux manuel Arithmétique et figurent, d’une part, dans 3 cahiers journaliers (extraits présentés) et d’autre part dans deux cahiers dits « répertoires » qui devaient servir d’aide-mémoire en vue des révisions du certificat. La période s’étend du 3 mars 1919 au 23 juin 1920 et concerne les problèmes n° 438 à 516 de l’ouvrage. Tout cela sent bon la campagne de notre douce France…

Cahier n°1 : (3 mars/7 mai 1919) 

















Cahier n° 2 : (24 février/17 mars 1920) 
















Cahier n°3 : (27 avril/23 juin 1920) 





















Tout apprendre avant le certificat d’études

L’école de Jules Ferry devait apprendre à la majorité des enfants, avant 13 ans, « tout ce que l’on ne doit pas ignorer ». Ce fut le règne de l’entraînement et du « rabâchage », certes, mais avec une progression toute militaire dont le redoublement était la règle. A la fin du cours préparatoire, la technique des 4 opérations devait être maîtrisée avec les nombres entiers à 2 chiffres, avec ou sans retenue. Au fil des classes suivantes, années après années, les « entiers » augmentaient le nombre de leurs chiffres. A point nommé, arrivaient les nombres décimaux et leur virgule, les nombres complexes faisaient leur apparition, enfin suivis des nombres fractionnaires, de la règle de trois et des racines carrées. Quel programme !  Mais combien d’écoliers, laissés au bord du chemin… qui ne subiraient jamais les épreuves fatidiques du certif ?   

En 1890, Léon Bourgeois demande la suppression du caractère éliminatoire de la dictée afin de donner les mêmes chances de réussite aux « matheux », en vain. Les institutrices et instituteurs continueront donc à mettre un point d’honneur à ne présenter à l’examen que les élèves ayant de fortes chances de réussir. Toutes les statistiques que l’on peut trouver ne portent donc que sur les candidats présentés. Ces dernières avançaient des taux de réussite dépassant les 60 %.


Statistiques 1965


Dans la réalité, jusqu’en 1900, la proportion des élèves d’une classe d’âge ayant eu le certificat varie entre 25 et 30 %. Dans les années 20, le pourcentage monte jusqu’à 35 % pour atteindre 50 % à la veille de la Seconde Guerre mondiale. On note déjà que ce sont les enfants d’ouvriers et d’agriculteurs qui réussissent le moins bien à l’épreuve entre 1885 et 1940.  

(1) : Voir l’article du blog :

https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2017/10/marie-pape-carpantier-pedagogue-et.html#more

 

 (2) : Voir les articles du blog :  

https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2017/10/le-boulier-numerateur.html#more

https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/11/les-bouliers.html#more

(3) : « Je ne sçais compter ny à ject ny à plume ». Ainsi s’exprimait le grand Montaigne.


Gravure sur bois qui sert de frontispice au chapitre Arithmétique de Margarita, 1503


Gravures sur bois, 15e siècle, Les abacistes à jetons (math-rometus.org)

Il est peu probable que Montaigne ne sut pas compter… Toutefois, dans cette phrase, il fait référence à deux méthodes de calcul qui s’opposèrent à son époque : les abacistes qui utilisaient des abaques à jetons (ject) et les algoristes qui commençaient à utiliser le calcul écrit avec les chiffres indo-arabes (opérations posées à la plume).

 (4)  : Voir l’article du blog :  

https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/09/gilles-personne.html#more

(5)  : Voir l’article du blog :  

https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2016/11/lecompendium-metrique-lunification.html#more

(6)  : Voir l’article du blog :  

https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/02/le-systeme-metrique.html#more

 

Sources :

-       Les premières leçons de calcul, Revue pédagogique, article de T. Frieh, 1881

-       Cent ans d’école, publication musée.

-       Le boulier numérateur de Marie Pape-Carpantier, Jean-Claude Régnier, Université Lumière, Lyon 2-UMR-5191-CAR


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