jeudi 4 décembre 2025

Laïcisation de l'école-Laïcisation de l'Etat (Deuxième partie)

L’école foyer de la laïcisation de l’État

Deuxième partie : 1833-1980, le chemin vers la laïcité

Dans l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (26 août 1789), le mot laïcité n’apparaît pas encore mais cet article signe son acte de naissance : « Nul n’a le droit d’être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public. » C’est le principe de liberté de conscience, premier élément de la définition républicaine de la laïcité.

1789 : la Révolution et l’école

À la veille de la Révolution, l’Église ramifiée dans la moindre des paroisses, a la responsabilité de l’instruction primaire. Elle la conservera jusqu’au début du 19e siècle. Malgré tout, parmi les idées généreuses avancées en 1789, les assemblées révolutionnaires vont émettre pour la première fois l’idée d’un service public d’éducation. L’État va revendiquer un droit propre à l’enseignement contre l’habitude acquise par l’Église. La toute jeune République (1792-1804) ne disposera pas des finances et du personnel nécessaire à la fondation d’un service public (qu’aucune administration locale ne serait capable de prendre en charge), pas plus qu’à l’application du décret du 29 brumaire An II (19 décembre 1793) rendant l’école obligatoire pour les enfants entre 6 et 9 ans (1)… Cependant, l’idée d’un service public indépendant de l’Église et facteur d’unité nationale, affirmant déjà les principes de gratuité, d’obligation et d’égalité des enfants devant l’école, est lancée, un chemin toutefois semé d’embûches. Un rappel chronologique s’impose…



La laïcisation de l’école étape par étape : état des lieux

Avant la Troisième République :

Le 2 novembre 1789 : l’assemblée nationale nationalise les biens de l’Église qui deviennent propriété de la nation… avec l’approbation du roi ! L’idée n’est pas neuve, les rois de France ont toujours eu recours à la « confiscation des biens de l’Église » en cas de crise financière. On peut déjà noter l’analogie avec la future loi de 1905 : le député Charles Maurice de Talleyrand-Périgord, évêque d’Autun, propose à ses collègues cette nationalisation des biens « d’une valeur importante mais généralement mal entretenus ». Il est décidé, en contrepartie, que l’État prenne en charge la rémunération des ecclésiastiques, les frais de culte, mais aussi les très lourdes charges sociales et éducatives qui relevaient jusque-là de l’Église.

Le 15 août 1801 : Napoléon et le pape Pie VII vont signer le Concordat qui va engager la Nation française et l’Église pour cent ans. Le décret du 17 mars 1808 en confirme l’article 38 : les écoles devront prendre pour base « les préceptes de l’Église catholique », l’exercice du culte devient obligatoire dans les collèges et les lycées ; ainsi que l’article 109 : l’enseignement primaire est entièrement abandonné aux Frères des écoles chrétiennes qui se chargeront de former les instituteurs. Si une commune n’a pas de Frères, le maire et le curé pourront désigner un maître mais souvent, beaucoup de communes resteront sans école.

Le 4 juin 1814 : le catholicisme est proclamé « religion d’État », le Concordat est maintenu.

Le 29 février 1816 : après la chute de Napoléon, une ordonnance prévoie que chaque commune est tenue de pourvoir à l’instruction primaire (et gratuitement pour les enfants indigents). Les notables locaux, maire et curé sont chargés de la surveillance des écoles au sein de comités locaux, cantonaux et d’arrondissement (2). En 1824, les instituteurs sont toujours placés sous la responsabilité des évêques. Il faudra attendre les élections libérales de la même année pour que les maîtres dépendent des autorités académiques.

Le 28 juin 1833 : les catholiques réclament la liberté de l’enseignement primaire. Guisot s’exécute et propose une loi selon laquelle les communes doivent entretenir une école publique de garçons et les départements entretenir une École Normale d’instituteurs. L’organisation de l’école est assurée par l’État mais l’Église est libre de constituer son propre système d’enseignement et garde dans les faits le contrôle de l’école primaire officielle (selon le concordat).

Le 13 mai 1849 : l’Assemblée constituante qui avait été élue le 23 avril de la même année était en majorité réactionnaire et les élections législatives du 13 mai verront triompher une majorité monarchique. Thiers dira : « Les instituteurs sont 35 000 socialistes et communistes. Il n’y a qu’un remède, il faut confier à l’Église l’instruction primaire entièrement et sans réserve. » Dont acte. 

Alfred de Falloux

Le 15 mars 1850 : la loi Falloux est votée malgré des opposants farouches, Hugo, Favre, Arago, Crémieux… Elle instaure un régime encore plus favorable à l’Église et même, on peut le dire, aux Églises (ce qui expliquera le terme de la loi de séparation « des Églises » et de l’État) : « L’enseignement primaire comprend l’instruction morale et religieuse (..) » (Article 23) ; « L’instituteur doit avoir un brevet de capacités ou avoir le titre de ministre de l’un des cultes reconnus. » (Article 25) ;  « Il est choisi sur une liste établie par le Conseil académique où siègent l’évêque, un prêtre, un pasteur. » (Article 10) ; « Les autorités locales proposées à la surveillance et à la direction morale de l’enseignement primaire sont pour chaque école, le maire, le curé, le pasteur ou le délégué du culte israélite. Les ministres des différents cultes sont spécialement chargés de surveiller l’enseignement religieux de l’école. L’entrée de l’école leur est toujours ouverte. » (Article 44). L’enseignement congréganiste sera le principal bénéficiaire de cette loi qui signera la régression constante de l’enseignement public au demeurant sous tutelle confessionnelle.

Victor Duruy

La loi du 10 avril 1867 : Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique de Napoléon III, est installé depuis 1863. À son arrivée, le constat est amer. Il doit faire face à l’extraordinaire essor des écoles congréganistes : l’effectif de leurs écoles est passé de 706 917 élèves en 1843 à 1 610 674 en 1863 et de 3 100 Frères et 34 200 Sœurs enseignants à 17 700 et 89 200 (pour atteindre respectivement 30 200 et 127 700 en 1877). De plus, 250 établissements secondaires catholiques nouveaux ont été créés. La loi Duruy tentera d’inverser le mouvement en créant le Conseil départemental de l’enseignement primaire, en augmentant les crédits de l’État, en organisant des écoles publiques de filles dans toutes les communes de plus de 500 habitants, en créant un corps d’institutrices publiques. Malheureusement, Duruy quitta le ministère en 1869 alors que Napoléon III s’était réconcilié avec l’Église.

La pétition de 1870 : après avoir créé les bibliothèques populaires en Alsace, Jean Macé lance l’idée d’une Ligue de l’Enseignement. 59 cercles se créent avec 17 000 adhérents. Une pétition est lancée en 1870 pour favoriser le développement de l’instruction publique du peuple mais elle sera interrompue par la guerre. Relancée après le conflit, Jean Macé arrive le 19 juin 1871, devant l’Assemblée, à la tête de 115 chariots contenant d’énormes paquets de pétitions correspondant à 1 267 267 signatures, qui demandent aux députés de créer l’école obligatoire, gratuite et laïque.

Affiche de la Commune de Paris n° 182 du 23 avril 1871, IIIe arrondissement, école laïque

Les élections de février 1871 : les ruraux royalistes et catholiques sont majoritaires à l’Assemblée. Le 18 mars, la Commune de Paris s’oppose à eux et réclame, par la voix de Vaillant, la séparation de l’Église et de l’État : « La Commune ne prétend point froisser aucune loi religieuse mais elle a pour devoir strict de veiller à ce que l’enfant ne puisse à son tour être violenté par des affirmations que son ignorance ne lui permet pas de contrôler, d’accepter librement… Apprendre à l’enfant à aimer et à respecter ses semblables, lui inspirer l’amour de la justice, lui enseigner qu’il doit s’instruire dans l’intérêt de tous, tels sont les principes de la morale sur laquelle doit reposer désormais l’instruction publique communale ». La Commune est écrasée… Et le parti catholique va s’employer à contrer cette République qui le menace. C’est ainsi que jusqu’en 1881, date des lois Ferry sur l’école, cette dernière sera le champ de bataille où va se décider si la France sera républicaine… Ou non.

La Troisième République et son école :

Février 1879 : Jules Ferry est nommé ministre de l’Instruction publique. Avec quelques interruptions à la Présidence du Conseil, il dirigera ce ministère jusqu’en 1883.

Le 9 août 1879 : obligation est faite à tous les départements d’ouvrir une École Normale d’instituteurs (8 n’en avaient pas) et une École Normale d’institutrices (seulement 19 en avaient une). 

Propagande des opposants à Ferry

Le 27 février 1880 : Jules Ferry fait voter une loi rendant aux universitaires le Conseil supérieur de l’enseignement public et les conseils académiques alors aux mains des ecclésiastiques qui en seront désormais exclus. Il vise alors deux objectifs : séparer l’Église de l’Université (préfigurant la séparation de l’Église et de l’État) et, à terme, constituer l’enseignement primaire en service public.

Le 18 mars 1880 : Jules Ferry fait voter une loi (visant principalement la compagnie de Jésus), qui rend à l’enseignement supérieur son monopole de la « collation des grades » qui lui avait été retirée en 1875. Dans un décret du 29 mars, le Président de la République (Jules Grévy) accorde un délai de trois mois à cette compagnie pour se dissoudre et évacuer les établissements qu’elle occupe.

La loi du 16 juin 1881 : le paiement du traitement des instituteurs est imposé aux communes, la rétribution scolaire est supprimée et la gratuité absolue de l’enseignement primaire dans les écoles publiques imposée. Le brevet de capacité est exigé pour enseigner.

Le 16 février 1882 : à la suite de la suppression de la rétribution scolaire et de l’instauration de la gratuité de l’enseignement, l’État prend en charge le traitement des instituteurs.

La loi du 28 mars 1882 : la naissance de l’instituteur-éducateur laïque et de la morale républicaine : « L’école ne doit pas être seulement un instrument de discipline en quelque sorte mécanique, mais une véritable maison d’éducation. Nous attachons tant de prix à tous ces accessoires que nous groupons autour de l’enseignement fondamental et traditionnel du « lire, écrire et compter » : les leçons de choses, l’enseignement du dessin, les notions d’histoire naturelle, les musées scolaires, le travail de l’atelier placé à côté de l’école, le chant, la musique. En ces accessoires réside la vertu éducative. » L’enseignement primaire est rendu obligatoire pour les enfants de 7 à 13 ans. L’enseignement religieux est supprimé des programmes. On retire aux ministres du culte, le droit d’inspection qui leur fut octroyé par la loi Falloux.

Affiche de Ligue de l’enseignement : « La loi Goblet du 30 octobre 1886 parachève les lois Jules Ferry »

La loi organique du 30 octobre 1886 : dite loi Goblet, préparée avec Paul Bert, organise l’enseignement primaire et précise que cet enseignement ne pouvait être donné, dans les écoles publiques de tout ordre, que par un personnel laïque.

La loi du 19 juillet 1889 : fait des instituteurs des fonctionnaires d’État. Déjà en 1880, Jules Ferry avait promis aux instituteurs leur entrée dans la « bourgeoisie » : « Pour la première fois, vous le savez messieurs les membres de l’enseignement primaire, vous est reconnu le droit de bourgeoisie dans cette grande université de France à laquelle vous appartenez. » Erreur fatale pour la grande bourgeoisie qui n’avait pas compris que les idées laïques qu’elle propageait, dépasseraient considérablement le problème des rapports de l’Église et de l’État et que la lutte pour l’émancipation des classes modestes était en marche. Ferdinand Buisson, qui fut Directeur de l’enseignement primaire puis Président de la Ligue de l’enseignement ne s’y trompa pas le 10 novembre 1909 : Jusqu’en ces derniers temps, la société s’était représenté l’instituteur comme le défenseur attitré de l’ordre établi, elle comptait sur lui pour inculquer aux enfants des classes laborieuses, avec un certain nombre d’autres vertus, le respect absolu de ses lois et de ses institutions, de ses traditions, on comptait sur lui pour combattre le mauvais esprit, pour inspirer à priori l’horreur de la révolte. C’est cela même que l’on sent qu’il ne fera plus très bien… Il lui arrive de prendre parti pour l’ouvrier contre le patron. Il a appris le mot « prolétariat » et l’emploie. » Tant et si bien que Poincaré prononcera, en septembre 1912, la dissolution des syndicats d’instituteurs naissants. 

Waldeck-Rousseau

La loi du 1er juillet 1901 : Pierre Waldeck-Rousseau devient Président du Conseil, fonction qu’il cumule avec celle de ministre de l’Intérieur et des Cultes. Il va faire voter la loi relative à la liberté d’association et de réunion alors que l’affaire Dreyfus, à son paroxysme, laisse apparaître les multiples implications de certaines congrégations dans la société française. Elles seront exclues de la loi.

Les élections de 1902 : alors que les écoles congréganistes ne marquent aucun recul, la loi de 1886 les « protégeant » en quelque sorte en imposant la laïcité dans les écoles publiques mais laissant la liberté en dehors… elles se développent même. Seulement, les catholiques, en participant à tous les mouvements antirépublicains (Boulangisme, anti Dreyfusisme), vont installer la coupure confessionnelle dans toute la vie publique. Leur parti sera battu aux élections et Émile Combes enfoncera le clou en excluant des congrégations de l’enseignement.

La loi du 7 juillet 1904 : «  L’enseignement de tout ordre et de toute nature est interdit en France à toutes les congrégations. »

La loi du 9 décembre 1905 : elle scelle la séparation des Églises et de l’État. Dès lors, une incessante guérilla scolaire va être menée par les catholiques qui se réorganisent en associations comme leur permettait la loi de 1901 (Association des chefs de famille, Comité catholique de défense religieuse, Fédération des amicales de l’enseignement libre…). Des évêques vont jusqu’à bannir certains manuels scolaires, en réaction, les Amicales d’instituteurs les assignent en dommages et intérêts : l’évêque de Reims sera condamné en 1910. L’école publique va s’imposer malgré tout.   

Propagande des opposants à Briand

Le semeur de Corbeil, journal catholique, 1907

La Grande Guerre et l’Union sacrée : La laïcité fera les frais de l’Union sacrée de 1914. Le conflit va reléguer la laïcité au second plan. En 1919, l’épiscopat réclame, pour l’école libre, des subventions proportionnelles au nombre de leurs élèves. En 1923, Alexandre Millerand, Président de la République, ancien « socialiste indépendant » passé à droite, assure « l’enseignement libre et les congrégations de la gratitude des pouvoirs publics », ce qui démontre l’ampleur de la poussée confessionnelle. Le Bloc national, auquel il appartient va créer l’ambassade du Vatican en 1921, après 17 ans de rupture des relations diplomatiques et, le 10 mars 1925, l’Assemblée des évêques et des cardinaux de France publie la Déclaration sur les lois dites de laïcité. Celle-ci condamne la laïcisation de la société française et appelle clairement les catholiques à s’y opposer : « Nous nous souvenons, dans l’amertume de notre cœur, des jours bien tristes où s’est formé parmi vous le projet néfaste de séparer les intérêts de la République de ceux de l’Église, et où ce projet a malheureusement été exécuté (..) Ne voulant pas nous écarter de la voie tracée par notre prédécesseur [Pie X], nous confirmons la réprobation de la loi inique de séparation. (..) Les lois de laïcité sont injustes d’abord parce qu’elles sont contraires aux droits formels de Dieu. Elles procèdent de l’athéisme et y conduisent (..) Elles supposent la méconnaissance totale de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de son Évangile. Elles tendent à substituer au vrai Dieu des idoles (la liberté, la solidarité, l’humanité, la science, etc. » Le sursaut anticlérical engendré par la victoire du Quartel des gauches aux élections de mai 1924 ne changera rien au combat qui se trame, sa volonté d’appliquer la loi de séparation et la laïcité en Alsace-Moselle achoppera…


La loi du 9 février 1936 : elle modifie la loi du 28 mars 1882 en portant l’obligation scolaire à 14 ans. La réforme proposée par Jean Zay, ministre de l’Education nationale du Front Populaire, porta sur la démocratisation de l’Enseignement secondaire jusque-là réservé aux élites et souvent payant. Il s’efforça d’articuler entre eux les divers niveaux d’enseignement en considérant que le certificat d’études devait, à la fin des études primaires, donner accès à l’enseignement du second degré, la classe de 6e devenant une classe d’orientation. Il fallait, par conséquent, réexaminer la formation des maîtres et refondre les programmes. Mais, ces idées audacieuses étaient peut-être prématurées et, surtout, le temps lui manqua pour les réaliser, la guerre allait éclater mais cette réforme avortée allait inspirer la commission Langevin-Wallon à la Libération et son projet d’une école unique et pour tous. (Revoir les articles du blog : Jean Zay, la réforme sans loi : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2023/05/jean-zay-la-reforme-sans-loi.html#more et : De Jean Zay au Régime de Vichy : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2022/04/de-jean-zay-au-regime-de-vichy.html#more)


Le culte de la personnalité, l’école sous contrôle

La période noire

La Troisième République disparaît le 10 juillet 1940 en même temps que le régime républicain. Pour le Régime de Vichy, il s’agit de mettre à profit la défaite pour délaïciser la France. La période de la guerre et de l’occupation voit le retour des cléricaux autour de Pétain et de Mauras : si la France a perdu, c’est la faute à Voltaire, à Rousseau, à Combes et à la laïcité ! Vieux refrain… Comme le dit Mgr Choquet à Lourdes, « Si la France est vaincue, c’est qu’elle devait expier ses fautes, la première de ses fautes est l’expulsion de Dieu des écoles. » Le nouveau gouvernement va donc attaquer de front l’enseignement laïque et favoriser l’enseignement confessionnel. Ce sera l’épuration de l’Université, la fermeture des Écoles Normales, la radiation des instituteurs réfractaires. Les « devoirs envers Dieu », oubliés des programmes, ressuscitent  et l’instruction religieuse est introduite dans les horaires comme option. Les interdictions concernant les congrégations sont abrogées et les subventions aux écoles privées sont autorisées, « à force d’être laïcisée, la France risquait de mourir » déclara le cardinal Gerlier, plein d’espoir. (Revoir l’article du blog : Regard sur l’école sous Vichy, juin 1940-septembre 1945 : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/06/lecole-sous-vichy.html#more)


René Capitan, ministre, Albert Baille, président de la Ligue de l’Enseignement et le Général De Gaulle au 56ième Congrès de la Ligue de l’Enseignement, 26-29 septembre 1945, Théâtre Récamier, Paris : les promesses du Général… (https://150ans-laligue.org)

Sous les Quatrième et Cinquième Républiques

Le lent détricotage de la laïcité à l’école

L’ordonnance de 1945 : à la Libération, l’épiscopat comptait bien faire en sorte d’obtenir un statut légal pour l’enseignement confessionnel, pensant les lois laïques oubliées… Une ordonnance abrogea toute la législation scolaire de Vichy en 1945, sans compensation ni contrepartie. Le Conseil de la Résistance pensa alors vraiment (peut-être naïvement) que l’unité créée par la résistance allait permettre de régler la question scolaire, que les clivages laïques et anti laïques « gauche » « droite » étaient dépassés. Il n’en fut rien, la guerre scolaire se poursuivit avec les refus des APPEL (Associations des Parents d’Élèves des Ecoles Libres) de payer les taxes sur l’organisation de leurs kermesses, en représailles de la suppression de leurs subventions. Première entorse à l’ordonnance de 1945 : un amendement à la loi de finance de 1947 autorise les conseils municipaux à exonérer les kermesses de la taxe. Suivra le décret dit « Poinso-Chapuis » qui habilite les milieux confessionnels, à travers les associations familiales qu’ils patronnent, à gérer les services d’aide aux « familles éprouvant des difficultés matérielles pour l’instruction de leurs enfants » et à recevoir des subventions. L’école publique étant gratuite, seules les familles dont les enfants fréquentent les écoles privées payantes vont en bénéficier. Les organisations laïques répondent par l’organisation des États Généraux de la France laïques en 1948. L’offensive des milieux confessionnels va se poursuivre trouvant un écho favorable chez nombre d’élus.

La loi Marie du 4 septembre 1951 : elle étend le bénéfice des bourses d’État aux élèves de l’enseignement privé. C’est la première loi qui ouvre l’aide de l’État aux élèves de l’enseignement privé, contournant les lois laïques du début du siècle.

La loi Barangé du 9 septembre 1951 : votée à une semaine d’intervalle avec la précédente, elle constitue un deuxième signal libéral en direction des milieux catholiques. Après des débats passionnés, cette loi est adoptée en deuxième lecture, le 21 septembre 1951. Elle instaure une allocation scolaire trimestrielle par enfant, mandatée directement aux associations de parents d’élèves des établissements privés (ou à tout chef de famille ayant des enfants « recevant l’enseignement du 1er degré ») sans contrôle de l’utilisation des fonds, allocation masquée derrière celle qui sera versée à l’enseignement public mais sous conditions : « Pour l’enseignement public, les fonds sont versés par le Conseil général et seront affectés à l’aménagement, à l’entretien et à l’équipement des bâtiments scolaires et dans la limite de 10% aux œuvres éducatives. » André Marie, ministre de l’Education nationale d’août 1951 à juin 1954, aura impulsé ces deux lois, assumant son soutien à la liberté de l’enseignement : « Oui, nous voulons la liberté : celle de l’enseignement, celle du culte, celle de la pensée, celle de la presse, celle du commerce », la liberté du renard dans le poulailler dira-t-on…


(Musée d’école de Monteux)

La Cinquième République : Dès 1958, le général De Gaulle s’engage à déposer un projet scolaire  avant fin 1959. Aux élections législatives de 1958, la droite parlementaire (UNR-Union pour la nouvelle République, CNIP-Centre national des indépendants et des paysans, Divers droite) de Michel Debré, futur Premier ministre (1959-62)  obtient une majorité écrasante, 402 députés sur 579 élus. La commission d’études instituée par le général, chargée d’examiner les rapports entre l’État et l’enseignement privé, est donc toute acquise à ce dernier. Elle va remettre son rapport en 1959, prévoyant deux formules : le « conventionnement » des établissements privés ou leur « agrément ».  

La loi Debré de 1959 : est adoptée le 31 décembre 1959 par 427 voix contre 71. Cette loi prend l’enseignement privé en charge financière pour les deux formes de contrats proposées par la commission : le simple contrat de « conventionnement » ne conférant qu’un faible contrôle de l’administration, n’aura qu’une aide limitée ; le contrat d’«agrément » dit d’association, conférera un avantage financier beaucoup plus important, assorti d’un contrôle  plus rigoureux. L’avenir prouvera la faiblesse des contrôles en question. Ce problème étant toujours d’actualité. À noter que cette loi n’était que provisoire, elle devait être réexaminée au bout de neuf ans, avec une éventuelle reconduction de trois ans… Elle est toujours en vigueur. La vague démographique de l’époque d’après-guerre imposait de faire face à des besoins importants en matière d’accueil scolaire. Le pouvoir politique eut beau jeu d’utiliser cet argument pour présenter l’enseignement privé comme un « auxiliaire » du service public. L’État va prendre environ 85 % des frais de scolarité d’un élève d’école privée sous contrat à sa charge (ces dernières étant, de nos jours, à plus de 90% des écoles catholiques).

La loi Pompidou de 1971 : alors que le projet Guichard et Chaban-Delmas s’était engagé à mettre un terme à la formule du contrat simple de « conventionnement », le Conseil des ministres, sur intervention personnelle de Georges Pompidou, va la pérenniser par une proposition de loi. C’est Olivier Giscard d’Estaing qui en fut le rapporteur, il fonde sa réflexion sur les vertus de l’émulation et de la concurrence entre les deux écoles, balayant toute notion faisant de l’enseignement privé un auxiliaire inféodé au service public : « La question décisive sera de savoir si très vite, il existera suffisamment d’établissements qui échapperont à l’État pour le soulager de cette mission et assurer l’émulation recherchée. » Le but étant, selon lui, que le secteur public d’éducation « soit ramené de 90 % à une proportion inférieure à la moitié des établissements. » C’est une nouvelle fois le renforcement du dualisme scolaire combattu de tous temps par les républicains.

La loi Guermeur de 1977 : un an avant les élections législatives, sous la pression du lobby de l’enseignement privé, avec le soutien du pouvoir en place, cette loi impose « le caractère propre » de l’enseignement libre que le secrétariat à l’enseignement catholique définit  par la catéchèse et l’éveil à la foi. Le dualisme s’en trouve considérablement renforcé et le contrôle possible de la puissance publique pratiquement réduit à néant. Si, par cette loi, les 120 000 maîtres du privé voient leur condition matérielle s’améliorer, ils doivent se soumettre à la règle du « caractère propre » et, notamment devoir leur nomination directement à l’accord du chef d’établissement. L’emprise idéologique est incontestable.

À l’orée des années 80 qui verront l’avènement d’une alternance politique, l’avortement du projet Savary de 1984 sonnera une nouvelle fois la charge de l’enseignement privé contre l’école publique, avec, entre autres, la loi Carle de 2009 et les accords Couplet-Lang de 1992 et 1993, nouveau coup de poignard dans le dos de la laïcité, que je vous laisse découvrir. Loi Carle : https://www.senat.fr/rap/r13-695/r13-6953.html et accords Couplet-Lang : https://journals.openedition.org/histoire-education/2362#:~:text=1En%20juin%201992%20et,de%20la%20formation%20des%20enseignants.


Pour conclure

L’État fit-il respecter les engagements des lois de 1901,1904 et 1905 ? Les « arrangements » avec ces lois furent nombreux, surtout en matière scolaire, notamment avec la loi Debré (31 décembre 1959) (3) de contractualisation des écoles libres avec l’État qui confia une délégation de « service public » à des établissements privés (écoles sous contrat dont plus 90 % sont catholiques) qui affichaient ( et affichent toujours) un net prosélytisme religieux. Dès le début de son pontificat, le pape Paul VI (1963-1978) avait affirmé « l’obligation pressante d’évangéliser le monde entier avec empressement et sagesse » en attribuant un rôle missionnaire à l’école chrétienne. Le militant catholique Georges Hourdin écrivit alors, discours relayé par les autorités religieuses : « Les paroisses sont désertes. Les prêtres sont vieux et mal répartis. Il est difficile de leur demander de réussir partout et toujours cette réforme de l’enseignement du catéchisme dont notre enquête a montré l’urgence comme la nécessité. Un recours nous reste : l’enseignement libre qui, en réalité, est dans notre pays, pour les 9/10 un enseignement catholique… Un quart environ de la population passe donc dans les établissements religieux où elle est livrée à des maîtres, prêtres ou laïcs dont la raison essentielle d’enseigner est de transmettre les vérités de la foi aux enfants qui leur sont confiés. » Sans équivoque.

D’aucuns diront que les établissements privés sous contrat et les écoles publiques en France partagent un socle commun en matière de laïcité, si tant est que l’on admette l’existence des premiers. D’autres pensent qu’ils présentent des différences notables, la laïcité, pilier de notre république, s’appliquant de manière distincte selon le statut de l’établissement. La dualité persiste entre ces deux écoles, par nature opposées, même si elles sont, théoriquement, astreintes aux principes de laïcité. Leur interprétation des textes  est sensiblement différente.

La laïcité est stricte et rigoureusement appliquée dans les écoles publiques. La neutralité absolue est de mise dans le corps enseignant, dans sa tenue et dans ses propos. La manifestation d’aucune appartenance religieuse n’est tolérée. Il en va de même pour les élèves qui sont astreints à des règles claires depuis la loi de 2004, notamment concernant les signes religieux ostensibles.

La laïcité s’applique de manière beaucoup plus nuancée dans les établissements sous contrat. Certes, ils doivent en respecter les principes fondamentaux, mais ils bénéficient du fameux « caractère propre » qui leur confère une certaine liberté en matière religieuse. La réalité montre des différences notables avec l’école publique quant à l’application des principes de laïcité : avec une certaine liberté « pédagogique » qui leur permet d’inclure des cours de religion dans leur programme, avec l’organisation d’activités religieuses dans leur environnement scolaire, avec davantage de liberté quant au port de signes religieux « discrets »…


Il incombe aux inspections académiques de veiller sur les établissements. Elles ont un rôle crucial à jouer dans le contrôle du respect des principes de laïcité, dans l’un, comme dans l’autre des réseaux. Elles sont chargées d’évaluer régulièrement les pratiques des établissements, publics ou privés sous contrat. On notera que leur mission n’est pas seulement de vérifier le respect des normes légales, elles doivent aussi prendre en compte le climat scolaire général et l’application quotidienne de la laïcité. Le politique commence de s’interroger sur l’efficacité de ce contrôle au regard des nombreuses entorses au devoir constatées récemment dans de nombreux établissements. Qu’en sortira-t-il ?  

Patrick PLUCHOT

Sources et bibliographie :

-       Documentation musée : fonds Gillot.

-       Laïcité,Jean Cornec, Sudel, 1965, (collection musée).


-       L’École Libératrice, numéro du 3 octobre 1980, article de Jean Battut (collection musée).

-       À travers le temps 1880-1980 : L’École Normale supérieure de Fontenay-auxRoses, Yvonne Oulhiou, 1981.

-       120e anniversaire de la loi de séparation des Églises et de l’État – Sacrée laïcité !, Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean-Jaurès, 2025.

-       Hussardes noires : Des enseignantes à l’avant-garde des luttes, Mélanie Fabre, 2024.

-       La question scolaire en France, Roger Labrusse.

-       L’enseignement en France de 1800 à 1967, Antoine Prost.

-       L’École, l’Église et la République de 1871 à 1914, Mona Ozouf.

-       L’éducation nationale, Jacques Minot.

 (1) : voir l’article du blog : Le Maistre d’école : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2020/08/le-maistre-decole-le-manuvre-de.html#more

 

(2) : Voir l’article du blog : François Bourgogne, instituteur à Gourdon : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2020/02/francois-bourgogne-instituteur-gourdon.html#more

 

(3) :  https://www.marcguidoni.fr/2019/03/education-la-loi-debre-est-elle.html


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