Retour sur la Marianne au sein nu
Le symbole républicain
Le peuple est moins capable
de se souvenir de la Première République (1792-1799) que de l’empereur Napoléon
Premier : ce dernier va monopoliser abusivement toute une imagerie jusqu'en
1848. Alors, au pouvoir en cette première année de la Seconde République, les
républicains comprirent la nécessité d'incarner celle-ci par une imagerie
capable d'effacer la précédente. Malheureusement, sans qu'on oubliât complètement
la représentation de Marianne ainsi née, Napoléon III (1852-1870) lui substitua
celle de sa propre personne.
Les républicains persécutés sous le Second
Empire, pour affirmer leur opposition à celui-ci, redonnèrent à la République
vaincue le nom de Marianne, c'est-à-dire le nom d'une société secrète
républicaine. C'était aussi le prénom d'une pauvre paysanne : "un
prénom populaire voué à désigner le régime qui se voulait tel"...
Les deux prénoms Marie et Anne étaient très répandus au xviiie siècle
dans les milieux populaires de France,
notamment à la campagne, ou encore dans le personnel domestique des maisons
bourgeoises. Son utilisation comme symbole de la République a été attribuée à
une chanson révolutionnaire du pays albigeois composée en 1792, La Guérison
de Marianne, dix jours après la fondation de la République.
Bernard
Richard (Les emblèmes de la République,
CNRS Éditions, 2012) précise qu’en 1848, durant la
Deuxième République issue des élections du 23 avril (premier suffrage universel
masculin depuis 1792), « La République a été matérialisée par M.
de Lamartine, lors de l’assemblée constituante. Il a fait irruption,
alors que les pairs de France, réunis, cherchaient leur modèle. C’est donc le
buste de Marianne de Lamartine, érudite, artiste, anglaise, muse et épouse du
poète restée à Milly (Saône et Loire) qui a donné pour la première fois son
buste, sans lequel Alphonse ne voyageait pas, à notre république. Elle a été
ensuite copiée, représentée, un gouvernail et un sac de blé à moitié renversé à
ses pieds. Cela représentait le fait qu’elle était peu soucieuse de puissance,
se préoccupant surtout des aspirations du peuple. Il en existe plusieurs
versions portant des symboles maçonniques. »
C’est ainsi que la symbolique du buste de
Marianne représentant la République et sa devise « liberté, égalité,
fraternité » est reprise de façon clandestine, presque idolâtre :
Félix Pyat, pamphlétaire républicain qui sera exilé en 1849, s'adressait à
cette femme imaginaire qu'il idéalisait, avec une exaltation quasi-religieuse :
"Fille de Dieu, tu vis avec les gueux, les humbles, les pauvres, avec
les ilotes, les prolétaires, les misérables... Tu n'aimes que le peuple, parce
que le Peuple seul t'aime..."
Au
début de la Troisième République, ses fondateurs du 4 septembre 1870, réduits
dès 1871 à se défendre contre une majorité royaliste, reprirent cette image.
Dès lors, on réserva le nom de Marianne aux bustes de la République, rendus
plus populaires par leur bonnet phrygien (les personnages sur pied étant nommés
"statues de la liberté").
Marianne
fut vite considérée comme séditieuse et malgré les interdictions et les
sanctions : sous les présidences de Thiers (1871-1873) et de Mac-Mahon
(1873-1879), elle accompagna les républicains jusqu'à leur victoire de 1876. A
partir de 1880, elle fut diffusée vers les mairies et les écoles de toute la
France.
Plusieurs types de représentation sont apparus, selon que l’on
privilégia le caractère révolutionnaire ou le caractère « sage » de
la Marianne : le bonnet phrygien fut parfois jugé trop séditieux, comme le
fut la Marianne, et remplacé par un diadème ou une couronne d’épis représentant
une République modérée. Dès le XXème siècle, la version
révolutionnaire l’emporta et notre Marianne s’appropria pièces de monnaie et
timbres notamment.
Au demeurant, peu savent que la présence du buste de la République dans une mairie, un hôtel de ville, un
palais de justice, un tribunal ou encore une école n’a aucun caractère obligatoire. Il n’y a pas plus de modèle imposé bien que diverses
décisions législatives ou réglementaires aient contribué à la diffusion des bustes de Marianne.
Pour les puristes enfin, sachez que de nombreux symboles s’attachent à la représentation de
Marianne :
-
le bonnet phrygien (symbole de la Liberté)
-
la balance (symbole de la justice)
-
niveau et delta (symbole de l’égalité)
-
le faisceau (pouvoir exécutif)
-
l’étoile (symbole
du guide)
-
la cocarde tricolore ou l’écharpe tricolore (symbole de la
République)
-
une couronne végétale : le blé (symbole nourricier) / le laurier (symbole des arts et lettres) / le
chêne (symbole de force) / l’olivier (symbole de paix)
-
la
toge / la fibule / la gorgone (symbole de l’Antiquité)
-
l’armure
(symbole de la force)
-
le
lion (mythe d’Hercule ou du courage civique)
-
le
coq (symbole de vigilance).
Et la liste n’est pas
close…
Finalement, la Marianne a combattu pour
l'œuvre du ministre Jules Ferry fondateur de l'école laïque, grâce aux maîtres
qui l'introduisaient dans leurs classes. S'ils avaient des tendances politiques
de gauche, ils la préféraient avec un sein nu, symbole du sein nourricier de la
Patrie !
P.P
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