Le traumatisme de 1870
L’instrumentalisation de l’école
(première partie)
« Vous n’aurez pas
l’Alsace et la Lorraine », chanson de Villemer et Nazet, 1871 (wikipedia)
« Vous
n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine »
Il convient d’être prudent avec le regard que nous avons
l’habitude de porter sur cette période d’après la guerre de 1870 qui aurait
induit tous les cataclysmes provoqués par la perte de l’Alsace et d'une partie de la
Lorraine. Même lorsque Charles Péguy, en 1913, nous parle de ses maîtres,
ces « hussards noirs de la République », normaliens des années
1880 chers à son cœur, c’est avec nostalgie qu’il nous parle de ce temps où il
était écolier. Lorsqu’il décrit l’engagement des maîtres dans un enseignement
national patriotique, c’est déjà un passé qu’il regrette. Dans les faits, les
images véhiculées dans les écoles de la toute jeune Troisième république, juste
après le conflit de 70, sont des images guerrières et revanchardes s’il en est.
Mais, ont-elles perduré ? Introduisons quelques nuances et penchons-nous
un instant sur les représentations proposées aux écoliers durant la période
1870-1890.
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Avant la
Grande Guerre, l’enseignement de la Patrie a beaucoup fonctionné avec nostalgie,
cette mécanique qui consiste à dire que le rapport à la Patrie était meilleur
autrefois. Toutefois, une ambivalence était née dans l’esprit des
maîtres : enseigner la Patrie ne devait pas signifier promouvoir la guerre
ou l’enseignement patriotique guerrier, de même que prôner la paix ne devait
pas signifier ne pas instruire les enfants dans la possibilité d’avoir un jour
à faire la guerre. L’écolier est un futur citoyen et s’il faut combattre, il le
fera par devoir. En clair : dans l’école républicaine d’après 1870, on
n’apprend pas aux enfants à faire la guerre. L’école n’est pas militarisée,
tout du moins pas au début… mais en revanche, on apprend à l’écolier qu’il doit
être capable de se transformer en soldat pour défendre la Patrie, héritage de
la Révolution et de la République en danger. À devoir civique, enseignement civique et patriotique. On
retrouvera cette ambivalence en 1939, et, comme en 1914, les instituteurs et
leurs anciens élèves répondront présents, malgré les discours pacifistes
enflammés de l’entre-deux guerres.
L’Oublié ! Émile
Betsellère, 1872, détail (musée Bonnat-Helleu)
De nos
jours, cette guerre de 1870 est particulièrement méconnue, cependant il faut
savoir que les républicains de l’époque, dont Péguy, en avaient une très bonne
connaissance, ainsi que de ses conséquences financières et territoriales :
dette de guerre faramineuse et perte de l’Alsace et d'une partie de la Lorraine.
Image d’Épinal
« L’ex-Empereur Napoléon III se fait prendre et livre aux Prussiens une
armée française de 80 000 hommes » (Paris Musées Collections)
Va-t’en
guerre ou pacifiste ? Les esprits des maîtres se brouillent, chez Péguy
comme chez Pergaud (1)… La donne va changer avec les lois Ferry et les écrits
pédagogiques de Lavisse ou de Ferdinand Buisson dans le Dictionnaire pédagogique. Ernest Lavisse, pape du roman national, y
avait signé un article qui concluait : « Pour
tout dire, si l’écolier n’emporte pas avec lui le vivant souvenir de nos gloires
nationales ; s’il ne sait pas que ses ancêtres ont combattu sur mille
champs de bataille pour des nobles causes ; s’il n’a point appris ce qu’il
a coûté de sang et d’efforts pour faire l’unité de notre Patrie, et dégager
ensuite du chaos de nos institutions vieillies les lois qui nous ont faits
libres ; s’il ne devient pas un citoyen pénétré de ses devoirs et un
soldat qui aime son fusil, l’instituteur aura perdu son temps. Voilà ce qu’il
faut que dise aux élèves en maître le professeur d’histoire à l’École Normale
comme conclusion de son enseignement. »
(collection
musée)
Cette
nouvelle orientation plus « guerrière » va se concrétiser, dès
juillet 1882, par la création des bataillons scolaires, contre l’avis de Paul
Bert, ministre de l’Instruction publique.
On peut alors parler de tentative de
militarisation de l’école et l’idée de revanche face à l’Allemagne ressurgit. Les
supports pédagogiques, dont le principal outil est le cahier, vont se couvrir
d’images marquant les jeunes esprits de cette empreinte guerrière.
« Art. 1er. Les fusils scolaires, destinés aux exercices scolaires et mis en service en raison de trois par école (..) Art. 2. Ces armes ne seront délivrées que les jours des exercices préparatoires ayant pour but de démontrer le maniement du fusil devant la cible, le pointage et les positions du tireur. » (loi du 6 juillet 1882)
Les séries de protège-cahiers en question
Ces séries
renvoient directement aux programmes conçus par Ernest Lavisse : « faire aimer la Patrie par le vivant
souvenir des gloires nationales ». La mémoire de la guerre de 1870
prend place aux côtés des personnages héroïques ramenés sur le devant de la
scène par la Troisième République : Clovis, Charlemagne, Jeanne d’Arc,
Bonaparte (2) … Elle est cependant
présentée en exclusivité de tout autre sujet dans 4 d’entre elles qui semblent
les plus caractéristiques : Épisodes
de la guerre de 1870, collection Pierre Varin-éditeur, vers 1890 (14
protège-cahiers retrouvés sur 15) ; Récits
patriotiques sur la guerre de 1870-1871, collection Garnier frères et
H. Lebrun, 1890 (18 protège-cahiers sur 25) ; Épisodes de la guerre de 1870, collection Leclanché frères,
vers 1890 (18 protège-cahiers sur ?) ; Anecdotes militaires, 3 couvertures des Papeteries du
Souche, 1890, nouveau titre repris en 1900 par Georges Dascher et Albert
Fernique Nouvelles anecdotes
militaires (20 protège-cahiers sur 20).
Première
série : la collection Pierre Varin
Deuxième série : collection Garnier frères et H. Lebrun
La
tentative de militarisation de l’école des années 1882 réussira-t-elle,
sera-t-elle suivie d’effet au de-là de 1890 ? Réponse dans un prochain article qui dévoilera les deux dernières
séries de protège-cahiers…
Sources
et bibliographie :
-
Archives et collections du Musée de la Maison d’École.
-
Articles de Péguy dans Cahiers de la Quinzaine, 1913, repris dans son livre L’argent.
-
Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Ferdinand Buisson,
1878-1887 (https://histoire-education.revues.org/1233)
-
Question d’enseignement national, Ernest Lavisse,
1885.
-
La France à l’école, Yves Gaulupeau, 2004.
-
Actes du colloque : La perception de la guerre et son impact,
1870, de la guerre à la paix. Strasbourg-Belfort, 2013.
-
Les Instituteurs écrivains, Pierre Labracherie, n°
spécial Le Crapouillot, n° 51, 1961.
- Numérisations CANOPE.
Patrick PLUCHOT
(1) :
Louis Pergaud : de la
Guerre des Boutons à la vraie guerre (© Maison Louis Pergaud)
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En 1910, en couronnant, Louis
Pergaud, instituteur et coureur des bois, pour son livre De Goupil à Margot,
l’Académie Goncourt a consacré un maître d’école-écrivain occupé à cultiver son
coin de littérature rustique, loin des courbettes et ronds de jambes des
arrivistes spécialistes de la stratégie littéraire. Il avait hérité de son père,
premier instituteur issu d’une lignée d’agriculteurs, le goût pour la chasse et
l’observation des gens. Son éducation avait forgé en lui cette liberté de
pensée qui lui sera tant reprochée. Entré 2e à l’École Normale de
Besançon, il fut nommé, plus tard, à Landresse (en Franche-Comté, département
du Doubs) où il remplit avec honnêteté ses devoirs professionnels. Arrivé dans
ce village isolé en 1905, la population regarda de travers ce nouvel
instituteur précédé de sa réputation de mécréant et de libre penseur. Cette
année-là, la loi de séparation de l’Église et de l’État avait divisé cléricaux
et anticléricaux. Les « notables » dénoncèrent l’enseignement
pernicieux de Pergaud dans une pétition adressée à l’inspecteur primaire. Des
pères de familles indignés y fustigeaient
« un maître d’école qui ne s’est même pas marié à l’église »… Il quittera l’enseignement en 1907 pour se
consacrer à l’écriture. Après son Goncourt de 1910, arrive, en 1912, La
Guerre des boutons, épopée enfantines de
gosses francs-comtois. Pergaud déclare alors : « J’ai voulu
restituer un instant de ma vie, de notre vie enthousiaste et brutale de
vigoureux sauvageons en ce qu’elle eut de franc et d’héroïque, c’est-à-dire
libérée de la famille et de l’école. »
Le conflit de 14-18
déclenché, Louis Pergaud, pacifiste convaincu, se rallie néanmoins à l’union
nationale et sera un soldat et officier exemplaire, tout en tenant un carnet
parmi les plus acerbes et réalistes qui nous ont été légués. Il sera aux
premières loges puisqu’il rejoint Verdun le 2e jour de la
mobilisation. Pour lui, accepter la guerre ne signifia pas fermer les yeux sur
la situation. Il critiquera, dans ses carnets, le commandant de sa division qui
cherche à gagner ses trois étoiles au prix du sacrifice de quelques centaines d’hommes…
Voici un extrait d’une de ses dernières lettres à sa femme le 30 mars 1915 :
« à deux
reprises nous avons attaqué les tranchées ennemies devant nous. La première
fois, c’était le 18 et la dernière fois le 27. Résultat : néant ; 700
poilus hors de combat, dont 250 morts, 350 blessés et environ 100 disparus. Ça a
été une opération ridicule, d’autant que nous sommes à la pointe extrême du
front, que la position que l’état-major de la division voulait conquérir n’offre
aucun intérêt stratégique et qu’il est impossible de s’y maintenir. »
Dans la nuit du 7 au 8 avril
1915, Louis Pergaud tombait à la tête de sa section, dans la Woëvre, en se
portant à l’attaque du village de Marcheville. Son corps ne fut jamais
retrouvé. Paradoxe : Pergaud, maître d’école républicain, formé par l’esprit
de Michelet et de Ferry, était parti se battre pour une France démocratique et
pacifique contre une Allemagne féodale et arriérée, dans un esprit de
conscription. Laissons-lui la conclusion : « J’ai l’intime conviction que
cette guerre est salutaire et qu’elle est la suite des campagnes de la
Révolution. »
(2) :
Revoir les articles :
Le
roman national, toute une histoire :
https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2021/04/leroman-national-touteune-histoire.html#more
Vercingétorix
dans le roman national : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2021/10/vercingetorix-dans-le-roman-national.html#more
Chronique
des héros du roman national : Clovis : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2022/12/chronique-des-heros-du-roman-national.html#more
Chronique
des héros du roman national : Charlemagne : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2021/07/chronique-des-heros-du-roman-national.html#more
Jeanne
d’Arc dans le roman national : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2021/12/jeanne-darc-dans-le-roman-national.html#more
Une formidable galerie d'images scolaires sur la guerre de 70 qui devrait inviter à lire et relire les ouvrages consacrés aux républicains, héros de cette période: Gambetta, Clemenceau, Barodet etc.
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